Ils ont tous disparus. De quelque bord qu'ils furent, ils représentèrent une génération courageuse capable d'affronter la voracité des Etats. Une pensée spéciale pour les nôtres, la fine fleur du pays fauchée par l'offensive à outrance à la mode du temps. Cette année¹ nous parlons du 348ème RI, régiment de forteresse à Givet (52è Division d'infanterie de réserve). Ce régiment fera presque toute la guerre sur la Meuse. Son historique régimentaire est résumé ici.
La 52ème division de réserve a connu des tentatives de fraternisations à la Noël 14 de la part d'unités bavaroises qui lui faisaient face, au grand dam du commandement prussien. Le lecteur trouvera ci-dessous deux pages d'un journal d'opérations qui les évoque (source). D'autres divisions connurent aussi des échanges de politesses, de cigarettes et même des visites de tranchées ennemies à la Noël !
Mais ce ne fut pas toujours la guerre sans haine : dans le Journal d'opérations² de la 52ème DR on trouve page 12 une notice recopiant à la main une nouvelle du Temps de Paris daté du 15 février 1915 sur la bravoure française et sur une certaine sauvagerie allemande. La voici :
Mais ce ne fut pas toujours la guerre sans haine : dans le Journal d'opérations² de la 52ème DR on trouve page 12 une notice recopiant à la main une nouvelle du Temps de Paris daté du 15 février 1915 sur la bravoure française et sur une certaine sauvagerie allemande. La voici :
52°DR 1/2 |
52°DR 2/2 |
A Haybes, entre Vireux et Fumay, les maisons sont détruites. Là, l'occupation a été fort dure. De nombreux civils ont été fusillés ; un infirme fut enterré avec sa béquille sortant de terre, et les soldats du kaiser y fixèrent un drapeau allemand. La cause de ces violences est dans la résistance des douaniers et de 400 réservistes (ndlr: de la 52è DR), dans la nuit du 23 au 24 août (ndlr: 1914). Les Allemands disaient que cette résistance leur avait coûté 1500 hommes et retardé l'arrivée de 4000 hommes à Rocroy en temps voulu pour couper la retraite des Français qui se repliaient de Charleroi sur les Ardennes. Les Allemands ajoutent que sans ce retard ils seraient arrivés à Paris.
A commandé au 348 du premier jour de la guerre au 27 février 1918, André Guesnier, chef de la première section à la 24ème Compagnie à la déclaration de guerre et capitaine de la 20è Compagnie (CID - centre d'instruction divisionnaire) à la fin. Le régiment fut dissous au mois de mai 1918 et ses effectifs reversés au 99ème. Son livre de chevet (si l'on peut dire) ou plutôt son livre d'évasion, était Fragments intimes d'Ernest Renan parus en 1914, qui ne le quittèrent jamais. Cet ouvrage posthume compile Patrice, ses lettres à Liart (depuis le Séminaire d'Issy), Confessions de Felicula (sur la première chrétienté de Lyon) et d'autres petits fragments. Il est assez surnaturel de lire ce bouquin, trouvé en brocante, en sachant qui le lut le premier, dans quelles circonstances de bruit, de fureur et de doute.
Renan est comme quelqu'autre que nous citons souvent ici, un océan. Il donnait à méditer. J'imagine le lieutenant Guesnier en train de lire cette page dans la tranchée pendant la guerre de positions qui nous coûta si cher :
La vérité est loin de ce qu'on appelle le bon sens, qui n'est qu'un ramas d'opinions, d'habitudes, de conventions : quand nous la verrons, la vérité, nous seront tout étonnés de la trouver, et chacun dira : Je ne croyais pas que ce fût cela. C'est là l'idée qui me domine : le peu de certitude de nos connaissances, le peu de vérité que nous possédons, et sur ce point la lecture de Pascal est loin de me détromper. On a beau dire : cet homme-là est presque sceptique ; cela est frappant : le plus forte tête qui ait existé n'a osé presque rien affirmer : et il est de fait que plus un homme est savant, plus il a approfondi les connaissances humaines, moins il est affirmatif, plus il tremble, plus il restreint ce fameux chapitre du bon sens, qu'on voudrait faire si large. Les ignorants au contraire ne doutent de rien, ils tranchent tout, tout est évident, clair comme le jour ; il faut avoir perdu l'esprit pour ne pas voir cela : voilà leurs formules. D'où par analogie, je suis tenté de faire ce raisonnement : quand on ne sait rien, on ne doute de rien ; quand on en sait peu, on doute peu ; quand on sait beaucoup, on doute beaucoup ; donc, si on savait tout, on douterait de tout, et toute la science se réduirait à voir l'incertitude de toute science. C'était bien cela dans l'esprit de Pascal. Oh ! qu'il a de belles choses là-dessus ! Voilà un homme qui était au-dessus des préjugés, et pourtant il a été chrétien, cela est démonstratif. Tu vois que j'ai une propension violente au scepticisme³, ou plutôt au kantisme, car c'est surtout le système de Kant qui me fait impression, et il est de fait que je n'ai rien vu de décisif contre sa philosophie, du moins jusqu'ici...
(d'une lettre à François Liart du 3 mai 1842)
A commandé au 348 du premier jour de la guerre au 27 février 1918, André Guesnier, chef de la première section à la 24ème Compagnie à la déclaration de guerre et capitaine de la 20è Compagnie (CID - centre d'instruction divisionnaire) à la fin. Le régiment fut dissous au mois de mai 1918 et ses effectifs reversés au 99ème. Son livre de chevet (si l'on peut dire) ou plutôt son livre d'évasion, était Fragments intimes d'Ernest Renan parus en 1914, qui ne le quittèrent jamais. Cet ouvrage posthume compile Patrice, ses lettres à Liart (depuis le Séminaire d'Issy), Confessions de Felicula (sur la première chrétienté de Lyon) et d'autres petits fragments. Il est assez surnaturel de lire ce bouquin, trouvé en brocante, en sachant qui le lut le premier, dans quelles circonstances de bruit, de fureur et de doute.
Renan est comme quelqu'autre que nous citons souvent ici, un océan. Il donnait à méditer. J'imagine le lieutenant Guesnier en train de lire cette page dans la tranchée pendant la guerre de positions qui nous coûta si cher :
La vérité est loin de ce qu'on appelle le bon sens, qui n'est qu'un ramas d'opinions, d'habitudes, de conventions : quand nous la verrons, la vérité, nous seront tout étonnés de la trouver, et chacun dira : Je ne croyais pas que ce fût cela. C'est là l'idée qui me domine : le peu de certitude de nos connaissances, le peu de vérité que nous possédons, et sur ce point la lecture de Pascal est loin de me détromper. On a beau dire : cet homme-là est presque sceptique ; cela est frappant : le plus forte tête qui ait existé n'a osé presque rien affirmer : et il est de fait que plus un homme est savant, plus il a approfondi les connaissances humaines, moins il est affirmatif, plus il tremble, plus il restreint ce fameux chapitre du bon sens, qu'on voudrait faire si large. Les ignorants au contraire ne doutent de rien, ils tranchent tout, tout est évident, clair comme le jour ; il faut avoir perdu l'esprit pour ne pas voir cela : voilà leurs formules. D'où par analogie, je suis tenté de faire ce raisonnement : quand on ne sait rien, on ne doute de rien ; quand on en sait peu, on doute peu ; quand on sait beaucoup, on doute beaucoup ; donc, si on savait tout, on douterait de tout, et toute la science se réduirait à voir l'incertitude de toute science. C'était bien cela dans l'esprit de Pascal. Oh ! qu'il a de belles choses là-dessus ! Voilà un homme qui était au-dessus des préjugés, et pourtant il a été chrétien, cela est démonstratif. Tu vois que j'ai une propension violente au scepticisme³, ou plutôt au kantisme, car c'est surtout le système de Kant qui me fait impression, et il est de fait que je n'ai rien vu de décisif contre sa philosophie, du moins jusqu'ici...
(d'une lettre à François Liart du 3 mai 1842)
Je ne sais qui des lignes ennemies lisait Kant, peut-être en quelque régiment de réservistes prussiens aventurés sur la Meuse depuis la vieille Poméranie. Finalement la philosophie ne sut vaincre la polémologie, en ce qu'elles marchent toujours de conserve dans l'histoire des hommes, irraisonnables comme jamais.
(1) Les "Onze Novembre" de Royal-Artillerie :
(1) Les "Onze Novembre" de Royal-Artillerie :
*2007 − *2008 − *2009 − *2010 − *2011 − *2012 − *2013 − *2014
(2) Source Mémoire des Hommes
(3) le jeune Renan sait déjà qu'il doute de sa vocation malgré les efforts de piété qu'il montrera dans les Principes de conduite de 1843.
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