Il y eu, dans l'Histoire, des hommes qui semblaient n'être nés et n'avoir vécu que pour laisser aux générations futures un exemple à ne pas suivre. Le surintendant Nicolas Fouquet, né le 27 janvier 1615 - il y a eu quatre cents ans ! - fut assurément de ceux-là.
Quo non ascendet ?
Il était issu d'une riche famille de marchands de drap angevins, qui s'était peu à peu agrégée au monde de l'office et de la robe avant de se tourner vers le service du roi, tout en gardant une dévotion très marquée dans l'esprit de la Contre-Réforme catholique et de la compagnie du Saint-Sacrement. François, le père de Nicolas, maître des requêtes, avait ajouté aux armes explicites de ses ancêtres - le fouquet est un écureuil en patois de l'ouest - la fière devise (Jusqu'où ne montera-t-il pas ?) qui traduisait bien l'impatiente ambition de la famille. Nicolas était le second des quinze enfants de François Fouquet et de Marie de Maupeou. Intelligent et travailleur, et quelque peu charmeur, il ne tarda pas à s'affirmer comme le plus apte à prendre la tête du clan.
D'abord avocat, puis maître des requêtes, intendant à l'armée du Nord, dans le Dauphiné et en Catalogne, Nicolas fut promu à la généralité de Paris. En novembre 1650 il acheta, avec le soutien de Mazarin, la charge de procureur général du Parlement, poste qui faisait de lui l'homme du roi au sein de la turbulente assemblée. Durant la Fronde il s'acquitta de ses fonctions avec habileté, servant souvent d'intermédiaire entre les partis. Marié à une riche héritière, Louise Fourché, il épousa, à la mort de celle-ci, Marie-Madeleine de Castille, cousine du maréchal de Villeroy, gouverneur du jeune Louis XIV.
Déjà propriétaire du domaine de Vaux-le-Vicomte, qu'il allait agrandir par des acquisitions successives pendant quinze ans, il était alors un homme d'influence bien introduit dans les milieux des traitants et des financiers, si bien que le cardinal Mazarin, à la mort du surintendant La Vieuville (1653), choisit Nicolas pour succéder à celui-ci. L'état des finances royales était alors dramatique ; la poursuite des campagnes militaires, les désordres politiques de la Fronde n'avaient it qu'aggraver le mal. Même les expédients coûteux et les taux usuraires ne suffisaient plus. La pénurie des espèces due aux faibles arrivages des cargaisons d’Amérique engendrait le resserrement pu crédit, le ralentissement du commerce, la contraction de l'économie. Or Fouquet, tel un magicien, réussit à renflouer les caisses de l'État et à restaurer la confiance. Menant rondement, habilement ses affaires, risquant sa fortune personnelle, prélevant sur les biens de sa femme, il parvint à obtenir des concours qui eussent été refusés au roi lui-même.
Jongleries aventureuses ? Avec l’argent public
Jean-Christian Petitfils, dans son Louis XIV(1), a, semble-t-il, bien cerné la personnalité de notre homme : « Tout ceci générait des abus, abus inhérents au système fisco-financier de l'époque. Fouquet qui n'agissait pas seulement comme responsable politique mais comme financier privé considérait qu'il rendait service au roi. Il était donc naturel qu'il y trouvât son compte ». Ces pratiques, en l'absence de banque centrale et d'unité budgétaire, étaient alors si courantes que tout le monde, au sein du groupe dirigeant, en profitait, même le cardinal Mazarin ! « Fouquet, poursuit Jean-Christian Petitfils, en arrivait à des jongleries aventureuses, des pratiques acrobatiques où se confondaient son propre argent et celui de l'État. »
Le tort de Fouquet fut de croire que sa surintendance était une marche vers le pouvoir. Alors il joua au "Magnifique". À Saint-Mandé, sa résidence de prédilection, il s'entoura, d'une riche collection de tableaux et d'une immense bibliothèque. Il menait un train de vie fastueux qui ne pouvait pas ne pas lui attirer des jalousies et des calomnies, dont les plus cruelles furent celles de Colbert. Sûr d'être le seul homme capable de succéder à Mazarin, mort le 9 mars 1661, il semblait ne craindre personne. Or le jeune Louis XIV, vingt-trois ans, tout récemment marié à Marie-Thérèse, infante d'Espagne, archiduchesse d'Autriche, entendait faire savoir qu'il exercerait lui-même le pouvoir, affirmant son autorité face à sa mère, Anne d'Autriche, et aux amis du cardinal. Il voyait parfaitement que, si le pouvoir royal, triomphant de la Fronde, avait abaissé les puissances féodales, celles-ci risquaient bel et bien d'être remplacées par les puissances d'argent, encore plus dangereuses car elles pourraient alors séduire les gens de lettres et façonner l'opinion...
Or Fouquet disposait d'une immense fortune qu'il s'était appropriée aux dépens des finances publiques. Mazarin lui-même n'avait pas été exempt de ce péché, mais au moins s'était-il racheté par les services rendus à la nation. Fouquet avait réuni autour de lui toute une cour de protégés, d'administrateurs, d'artistes et de gens du monde. Ses moyens étaient tels qu'il s'était aménagé, en acquérant la terre et le marquisat de Belle-Ile une véritable place forte, laquelle, s'ajoutant à son duché de Penthièvre et au port de Concarneau, lui faisait entrevoir la possibilité de faire main basse sur toute la flotte de la Manche. En tout cas, ces possessions lui serviraient éventuellement à se retrancher si son sort venait à prendre mauvaise tournure ! Du moins le croyait-il..
Ce mondain délicat était dévoré par le goût du luxe, du faste et la passion du beau mais surtout la quête du pouvoir. Or, étant un parvenu qui n'avait jamais beaucoup lutté pour arriver, puisqu'il avait toujours été protégé par son père, puis par la reine mère Anne d'Autriche, il ne semble pas qu'il eût pu mesurer le danger qui le menaçait. Il tomba en toute naïveté dans tous les pièges que lui tendirent Colbert puis le roi, le recevant dans des audiences inutiles mais qui flattaient son amour propre.
Bien plus qu’une affaire de jalousie
On dit souvent que, s'étant fait bâtir le magnifique château de Vaux-le-Vicomte par les plus grands architectes et artistes du temps (Le Vau, Lebrun, Le Nôtre) et y ayant attiré les plus grands écrivains de son temps comme Jean de La Fontaine, Charles Perrault, Molière..., Fouquet s'était attiré la jalousie du souverain en organisant pour lui en ces lieux le 17 août 1661 une fête éblouissante. Il s'agissait dans ce cas de bien autre chose que de jalousie !
Louis XIV ne pouvait tolérer qu'un homme d'argent prétendît devenir une force politique et s'ériger en arbitre souverain de l'Etat. Déjà il songeait à se débarrasser de lui et, d'abord, à lui arracher la surintendance. Mais Colbert, telle une couleuvre jalouse, faisait recueillir des informations par quelques espions sur les fortifications de la citadelle de Belle-Île, qui devenait une puissante base navale pour commercer avec les îles d'Amérique. Colbert rédigea un rapport très détaillé. Preuve était faite qu'aux malversations financières s'ajoutait le crime de lèse-majesté ! Trois semaines après la fête tapageuse de Vaux, le 5 septembre, l'opulent surintendant tut arrêté à Nantes, au cours d'une réunion des États de Bretagne à laquelle assistait le roi, par une compagnie de mousquetaires du roi commandée par le capitaine Charles de Batz-Castelmore dit sieur d’Artagnan, pour être déféré devant une cour d'exception. Après trois années de procès, les juges se prononcèrent pour la confiscation des biens de l'accusé et son bannissement. Or Louis XIV, qui ne souhaitait pas le voir intriguer de l'étranger ou divulguer certains secrets d'État, transforma la sentence en détention perpétuelle.
Ainsi l'ancien ministre fut-il accompagné par une escorte de cent mousquetaires à la forteresse de Pignerol, dans les Alpes savoyardes, où il resta enfermé jusqu'à sa mort le 23 mars 1680.
Fouquet servit-il de bouc émissaire ? Sa personnalité flamboyante, charmeuse et arrogante à la fois, faisait de lui la cible idéale. François Bluche écrit dans son magistral Louis XIV(2) : « Le surintendant s'est fait, avec les "richesses d'iniquité" autant d'ennemis que d'amis. Son ambitions en contrariait d'autres et pas seulement M. Colbert. Au reste l'immolation périodique de victimes propitiatoires est un rite immémorial qui rassure les peuples. » Cela ne saurait prouver l'innocence de Fouquet, mais Simone Bertière, étudiant Le Procès Fouquet(3), a raison d'écrire que Louis XIV « eut la chance du double retour de la paix intérieure puis enfin extérieure [qui supprima] provisoirement la principale cause du dérèglement des finances, les dépenses dues à la guerre », et que le procès Fouquet n'est qu'un épisode du combat séculaire que la monarchie mena pour s'affranchir de l'emprise des manieurs d'argent qui allaient finir pour l'engloutir en 1789. Tant il est vrai que, comme allait le dire sous la Restauration le baron Louis, il faut une « bonne politique » pour avoir de « bonnes finances »...
La sévérité inflexible du roi dans l'affaire Fouquet était à la mesure de la gravité de la situation. Il fallait frapper fort pour que, comme écrit Jacques Bainville dans son Histoire de France(4), chacun sût que désormais « nul n'aurait licence de s'enrichir à la faveur du désordre et aux frais de l'État. » Le roi, loin des soucis électoralistes des politiciens d'aujourd'hui, n'avait nul besoin de ménager les puissances d'argent...
La république a toujours plus de mal à s'en dépêtrer, on le voit presque tous les jours...
Michel Fromentoux Rivarol du 9 juillet 2015
1) Jean-Christian Petitfils : Louis XIV, Perrin, 2001
2) François Bluche Louis XIV, fayard, 1986
3) Simone Bertière : Le procès de Fouquet, Fallois, 2013
4) jacques Bainville : Histoire de France, Fayard, 1959
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