dimanche 30 novembre 2014

Histoire : Le cardinal de Richelieu et les finances de l’Etat

Par Jean-Baptiste Noé.
On parle peu du cardinal de Richelieu, principal ministre de Louis XIII de 1624 à sa mort en 1642. Pendant dix-huit ans, il fut l’homme rouge qui restaura la paix, les finances et les arts d’un pays en proie aux luttes intestines.
Il laissa un mémoire au roi, publié après sa mort, ce Testament politique, où il évoque notamment la façon de conduire les finances publiques. Sans théorisation excessive, façonné par l’expérience, son regard porté sur la situation de l’Etat ne demeure pas moins d’une grande clairvoyance. Il rappelle que l’Etat doit dépenser peu afin de prélever faiblement sa population, l’argent public étant l’argent des Français : « Les dépenses absolument nécessaires pour la subsistance de l’Etat étant assurées, le moins qu’on peut lever sur le peuple est le meilleur. Pour n’être pas contraint à faire de grandes levées, il faut peu dépenser et il n’y a pas de meilleurs moyens pour faire des dépenses modérées que de bannir toutes les profusions et condamner tous les moyens qui sont à cette fin. » [...]
Bien avant la fameuse courbe de Laffer, il comprend que plus l’Etat pressurise la population, moins les impôts rentrent : « L’augmentation du revenu du roi ne se peut faire que par celle de l’impôt qu’on met sur toutes sortes de denrées, et, partant, il est clair que, si on accroît par ce moyen la recette, on accroît aussi la dépense, puisqu’il faut acheter plus cher ce qu’on avait auparavant à meilleur marché. […] Il y a plus : l’augmentation des impôts est capable de réduire un grand nombre de sujets du roi à la fainéantise, étant certain que la plus grande partie du pauvre peuple et des artisans employés aux manufactures aimeront mieux demeurer oisifs et les bras croisés que de consommer toute leur vie en un travail ingrat et inutile, si la grandeur des impôts les empêche de recevoir le salaire de la sueur de leur corps. » [...]

samedi 29 novembre 2014

Les monnaies médiévales (version française) (42 mn)

Reportage: Une folie de Néron

Résumé:
En 2009, des fouilles réalisées par une équipe d’archéologues franco-italienne sur le mont Palatin, à Rome, remettaient partiellement au jour les vestiges d’un édifice néronien remarquable. Il s’agit d’une construction de plan circulaire extrêmement puissante, qui servait de support à un aménagement, qui a été entièrement démantelé dans l’Antiquité. De ce dernier, il ne reste que quelques empreintes, correspondant apparemment à un mécanisme ayant servi à assurer la rotation d’un plancher. La forme du soubassement et les traces observées semblent faire écho à la description que donne l’écrivain Suétone de la principale salle à manger du palais de Néron. Le biographe de l’empereur affirme en effet que cette salle à manger était ronde et qu’elle tournait jour et nuit en imitant le mouvement du Monde. Les recherches doivent être poursuivies sur le terrain, mais il est déjà possible de proposer des restitutions de la forme du bâtiment et de son fonctionnement.
Chercheur/auteur(s) : Françoise VILLEDIEU
Réalisateur(s) : PAUL RAMBAUD
Producteur(s) : Jean-Jacques GUÉRARD - production CNRS IMAGES 
2013 / France / 10 minutes
Voir le film ICI

vendredi 28 novembre 2014

Le défenseur de la liberté et de la propriété privée

Pour commmander "De la Propriété … du communisme, du socialisme et de l'impôt" par Adolphe Thiers aux Éditions du Trident
Contrairement à ce qu'un Piketty  prétend combattre, campant dans sa posture de nouveau Marx, les Français sont profondément attachés à l'héritage. Car, contrairement à ce que leur serinent quotidiennement les bien pensants, la grande majorité de nos concitoyens aspire encore plus profondément à la propriété.
Ainsi, on doit rappeler que l'Hexagone comptait, en 2006, 57,2 % d'habitants propriétaires de leur logement, plus un pourcentage non négligeable de locataires possédant par ailleurs des biens immobiliers, ce chiffre augmente de 0,3 point par an environ : il était de 50,7 en 1984. Durant la même période, la surface moyenne de ces appartements était passée de 82 m2 à 91 m2. Quant à la dimension des maisons individuelles elle avait augmenté en 20 ans de 10 m2.
La diabolisation de l'idée de propriété privée vise tout particulièrement son plus remarquable défenseur en la personne d'Adolphe Thiers (1797-1877). Fondateur et premier président en 1871 de la Troisième république, il considérait "qu'elle serait conservatrice ou qu'elle ne serait pas".
Ah certes, cet auteur jouit d'une très mauvaise presse à gauche. Raison de plus pour s'y intéresser. On voit en lui l'homme politique : ministre de Louis-Philippe, dont il se détacha, opposant libéral au Second empire, et, au lendemain du désastre de 1870, chef de l’État.
Le très néfaste Clemenceau, blanquiste et communard en 1871, a grandement contribué à sa légende noire. Ancien maire de Montmartre durant la Commune, il décrivit le chef du gouvernement d'alors comme "le type même du bourgeois cruel et borné". Costume injuste en vérité, taillé pour des dizaines d'hivers.
Défenseur, sous tous les régimes, des libertés parlementaires, quand Thiers disparaît, en 1877, l'opinion française salue en lui, à juste titre, le libérateur du territoire.
Mais son livre "De la Propriété, du communisme, du socialisme et de l'impôt", réédité aux Éditions du Trident, nous le montre sous un autre jour, celui d'un grand théoricien. Il l'avait écrit, dès 1848 pour répondre aux sottises et aux utopies des socialistes et des communistes, jugeant d'ailleurs ceux-ci plus logiques que ceux-là. 
Historien plus encore que juriste et journaliste, il aura publié successivement, de 1823 à 1827 une immense "Histoire de la Révolution", puis, de 1845 à 1862, il écrira son "Histoire du Consulat et de l'Empire", au total 25 volumes.
Dès 1833, il est élu à l'Académie française, en hommage à ces travaux.
Très en avance sur les historiens de son temps, ce libéral conservateur y soulignait en effet l'importance des faits économiques.
En 1848, il est un des chefs et l'un des principaux théoriciens du "parti de l'ordre". Il constate les dégâts des révolutionnaires quarante-huitards et s'oppose au renouvellement des calamiteuses expériences utopistes.
Ce fut à ce titre, et à ce moment de l'histoire, sous la Deuxième république, qu'il publia cet essai. Il dy émontre que le Droit de propriété constitue le fondement de l'ordre social, de la prospérité comme des libertés. Or, celles-ci aujourd'hui comme hier, sont attaquées par les idées de gauche. Elle est également rongée par l'impôt.
Doit-on tenir ce débat pour inactuel ?
"De la Propriété … du communisme, du socialisme et de l'impôt" un livre de 328 pages au prix franco de port de 25 euros
http://www.editions-du-trident/catalogue#thiers
http://www.insolent.fr/

Entretien avec Mark Breddan, auteur de "La face cachée du Rap"

Sept stratégies de manipulation pour "les nuls" : Pour ne pas être infantilisé

Ce petit bréviaire des sept stratégies de manipulation à l'usage des "nuls" est inspiré par les "Dix stratégies de la manipulation" (et les multiples variantes) qui sont en accès libre sur internet. Bien que ce texte soit un « hoax » (canular) attribué à tord au philosophe et idéologue américain Noam Chomsky, les méthodes énoncées sont intéressantes car elles semblent être appliquées dans les sociétés humaines avec une remarquable permanence depuis l'antiquité. Elles auraient cependant pu servir d'introduction à deux de ses livres : "La fabrication du consentement" et "Armes silencieuses pour guerres tranquilles" qui sont de violentes critiques de la manipulation de(s) masse(s).
1) La stratégie de la distraction
Elément primordial du contrôle social, la stratégie de la distraction consiste à détourner l’attention du public des mutations importantes décidées par les élites politiques et économiques (comme la transition énergétique par exemple…) grâce à un flot de distractions et d’informations insignifiantes. Elle est d’inspiration romaine et antique : "panem et circenses" (du pain et des jeux). Le football, les jeux en réseau et certaines émissions de télévision en sont les versions modernes.
2) Créer des problèmes puis offrir des solutions (stratégie du pourrissement)
Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». Elle consiste à créer une "problématique sociale" d’où naîtra une demande populaire. En clair, on crée d’abord un problème (ou on laisse se détériorer une situation) pour susciter une réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter.
Un directeur de cabinet ministériel disait : «on sait ce qu'il faut faire, mais on ne le fera pas parce que la population n'est pas mûre». Par exemple : les prisons sont saturées mais construire des prisons donne une mauvaise image (encore plus pour un gouvernement "de gauche"). Quelques reportages bien tournés montrant la promiscuité intolérable des prisonniers suscitera une réaction d'indignation de la population qui applaudira à l'annonce de nouvelles constructions "humanitaires". On pourra aussi laisser se développer "un désordre social inacceptable", comme la violence urbaine, afin que la "vox populi, vox dei " soit demandeur de moyens supplémentaires pour les forces de l'ordre.
Le public est souvent myope. Il n'accepte le changement que lorsqu'il y est contraint ou ému et, lorsqu'il le demande, il est souvent bien tard.
3) La stratégie de la gradation (ou des paliers successifs)
Découlant du point précédant, la stratégie de la gradation permet de faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de plusieurs années. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles peuvent être accepter par une population où chacun défend son pré carré, ses habitudes et "ses avantages acquis".
4) La stratégie du différé
Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme "douloureuse mais nécessaire", en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord, parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que "tout ira mieux demain", et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement, et pour l’accepter le moment venu. 
5) Infantiliser le public
La plupart des publicités et des discours utilisent des arguments et un ton particulièrement infantilisants, comme si le public était un enfant. Lui faire croire par exemple que, sans énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) et sans nucléaire, il va pouvoir vivre de partage, d'amour, de vent et de soleil grâce à la "transition énergétique" est une présentation séduisante pour des immatures. Certains y croit, comme on croit au Père-Noël. «Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, elle aura une réaction aussi dénuée de sens critique que celle d’une personne de 12 ans ".
6) Faire appel à l'émotionnel plutôt qu'à la réflexion
Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs… comme la peur des radiations, des OGM , des "petites ondes" et plus généralement de l'industrie et de la science.
7) Désinformer pour maintenir le public dans la culpabilité, l'ignorance et la bêtise
Comme ce fut le cas pendant des siècles lorsque la connaissance était tenue par la noblesse le clergé. Le public, les journalistes et la plupart des élus sont aujourd'hui incapables de comprendre les technologies et les méthodes de désinformation. C'est flagrant dans la manière de présenter le concept flou de "transition énergétique" que chacun comprend à sa façon (moins de fossiles pour l'un, sortir du nucléaire pour un autre, manger bio ou local pour un troisième, ...). De plus en plus de rouages décisionnels de l'Etat et de grandes organisations sont investis par des idéologues d'un monde "idéalisé", sans industrie, sans nucléaire et sans émission de quoi que ce soit (gaz à effet de serre, ondes,…) qui utilisent les médias pour soutenir une idéologie décorrélée des réalités.
Respirer même va devenir culpabilisant, car on aggrave ainsi notre "empreinte carbone" en rejetant du CO2 qui est un.. gaz à effet de serre.
Vous êtes maintenant "affranchis". En écoutant (ou en lisant) les médias dans les prochains jours, saurez-vous reconnaître une des sept stratégies de manipulation ?
Michel Gay


source Metamag 

La face cachée de la guerre en Ukraine - 1ère partie

jeudi 27 novembre 2014

L’homme qui ébranla le rideau de fer


Passionnant. Avec “l’Homme du peuple”, Andrzej Wajda clôt la trilogie consacrée à la résistance du peuple polonais au communisme par un magnifique hommage au “tombeur” de ce dernier, Lech Walesa.
L’Homme du peuple d’Andrzej Wajda


Robert Wieckiewicz, un Lech Walesa très humain. ©PRODUCTION
Électricien aux chantiers navals de Gdansk, Lech Walesa (Robert Wieckiewicz) s’éveille à l’activisme lors des grèves de 1970. Soutenu avec angoisse par sa femme Danuta (Agnieszka Grochowska), il ne va cesser dès lors de connaître arrestations et licenciements. Unanimement reconnu pour son courage et ses dons d’orateur, il s’impose comme leader lors de la grève des chantiers Lénine de l’été 1980, puis comme chef de file du premier syndicat indépendant, Solidarnosc…
En 1977, avec l’Homme de marbre, Andrzej Wajda se penchait sur les prémices de la révolte ouvrière en Pologne, puis en 1981, avec l’Homme de fer, brossait à chaud un tableau de la naissance de Solidarnosc. Dans ce deuxième film, Lech Walesa jouait son propre rôle, à travers des images d’archives mais aussi dans des scènes de fiction, comme celle où on le voyait servir de témoin au mariage des héros.
Aujourd’hui, pour cet hommage que Wajda a voulu rendre au tombeur du communisme, c’est à travers le même mélange de réalisme documentaire et de fiction que le cinéaste ressuscite cet itinéraire étonnant qui a conduit un petit électricien à défier un régime qui semblait inébranlable, à recevoir le prix Nobel de la paix puis à être reçu aux Nations unies comme héraut du monde libre. Si tout est passionnant dans ce récit, c’est dans le portrait du Walesa intime que Wajda touche et surprend le plus. Décrites avec infiniment de vivacité et de justesse, les scènes entre Lech et Danuta, toujours écartelée entre l’admiration pour le combat de son mari et la peur de le perdre, montrent peut-être plus encore que les scènes plus militantes le courage de ce père de famille nombreuse qui aurait eu tant de raisons de préférer la prudence. Superbement incarné par Robert Wieckiewicz, bien épaulé par Agnieszka Grochowska, Walesa y gagne une humanité touchante qui, malgré l’admiration manifeste et sans bornes que lui voue indubitablement Wajda, le fait échapper à la figure de saint de vitrail.
Laurent Dandrieu-Valeurs Actuelles
http://www.actionfrancaise.net/craf/?L-homme-qui-ebranla-le-rideau-de


mardi 25 novembre 2014

TVL : Passé Présent n°30

23e Fête du Livre, dimanche 7 décembre 2014 à Villepreux

La 23e Fête du Livre de Renaissance Catholique se tiendra dimanche 7 décembre à Grand’Maisons (Villepreux, à 20 km à l’ouest de Paris et 20 mn de Versailles) de 10 h à 19 h. Venez en famille pour la journée.

Retrouvez Philippe de Villiers à Villepreux où il dédicacera ses ouvrages.
Après le roman de Charette puis celui de Saint Louis vous publiez cette année un Roman de Jeanne d’Arc. N’êtes vous pas en train de créer un nouveau style littéraire entre la biographie et le roman historique ?pvja
Philippe de Villiers — Jeanne d’Arc est et demeure le plus formidable trait d’union que l’Histoire ait jamais inventé entre le Ciel et la Terre.
Et en même temps, elle est et elle demeure le plus pur chef d’œuvre que le génie allégorique français ait jamais déposé dans notre littérature.
Elle est donc une héroïne incomparable, la plus grande de notre Histoire. Elle est chantée, louée, portée sur les autels par-delà les siècles, les « sensibilités » comme on dit aujourd’hui, les opinions parce qu’elle est plus grande que chacun d’entre nous et que chacune de nos singularités.
En faisant cette trilogie – sur la résistance populaire avec Charette, sur la tempérance et le bien commun avec Saint Louis, et sur l’espérance avec Jeanne d’Arc – j’ai voulu mettre à la portée des générations ce triple retour, à travers cette trilogie, à la source primordiale de la grandeur française.
Il y a deux ans vous nous avez décrit la vie d’un homme qui a incarné la résistance populaire pour la liberté, l’année dernière sous les traits de Saint Louis vous avez décrit le chef d’État idéal pour notre pays, cette année en racontant sainte Jeanne d’Arc, quel message voulez vous faire passer à vos lecteurs ?
Jeanne d’Arc, je veux lui rendre son humanité et la mettre à la portée des nouvelles générations. Je trouve que depuis trop longtemps et trop souvent, on la regarde comme une sainte d’enluminure, accrochée tout là-haut, tenture sacrée, et j’ai voulu déposer la tapisserie et lui rendre une part de ses fragilités, de ses vraisemblances, retrouver la vérité de ses émois, de ses désarrois, de ses éblouissements.
Quelles leçons Jeanne d’Arc peut-elle donner à notre société contemporaine ?
À travers la vie de Jeanne d’Arc, il y a plusieurs permanences qui trouvent aujourd’hui toute leur actualité.
D’abord la trahison des élites : on y pense inexorablement quand on compare le traité de Troyes au traité de Maastricht. A un moment donné, les élites trouvent que la souveraineté est trop lourde à porter, on la transfère à l’étranger, hier aux Anglais, aujourd’hui à Bruxelles, ou à Washington, ou à Berlin.
Il y a une deuxième permanence, qui est très importante : pour Jeanne le pouvoir s’imprègne de pérennité et de sacralité, c’est pour cela qu’elle veut absolument conduire le Dauphin à Reims, parce qu’elle dit : « Charles de Valois recevra plus de force d’une seule goutte d’huile sacrée que de dix mille lances ». Qu’est-ce que le pouvoir ? Qu’est-ce que la légitimité du pouvoir, Qu’est-ce qu’un pouvoir légitime ? Grandes questions d’actualité, au moment où on voit que la politique est devenue un cloaque, un marécage, où il n’y a plus de pouvoir, où il n’y a plus de politique.
Et puis la troisième leçon, la plus importante : quand tout est désespéré, rien n’est désespéré, il y a toujours l’espérance. La France est un mot qui rime avec souffrance et avec espérance, pour que les jeunes gens qui voient la France s’abîmer ne désespèrent pas.
Pour plus d’info concernant le programme de la journée cliquez ici

lundi 24 novembre 2014

Hommage à Gustave Thibon

Le philosophe catholique Gustave Thibon [1903-2001] est décédé. Dans un éditorial de la presse italienne, nous avons lu ce vibrant hommage (notre correspondant ne nous a malheureusement pas transmis les coordonnées du journal) : 
« L'écrivain et philosophe français Gustave Thibon, un des penseurs chrétiens les plus controversés de la seconde moitié du XXe siècle, est décédé récemment, âgé de 97 ans, à Saint-Marcel, dans son pays natal de l'Ardèche. Catholique de droite, sympathisant monarchiste mais aussi ami et premier éditeur de la philosophe d'origine juive Simone Weil, Thibon doit sa célébrité à ses aphorismes sur la foi. Certaines de ses brèves maximes font désormais partie du patrimoine catholique : de “Celui qui refuse d'être l'image de Dieu sera son singe pour l'éternité” à “Pour unir les hommes, il ne sert de rien de jeter des ponts, il faut dresser des échelles. Celui qui n’est pas monté jusqu’à Dieu n’a jamais vraiment rencontré son frère”, en passant par “La vérité est aussi une blessure, quasiment jamais un baume” et “Aime ce qui cause ton bonheur, mais n'aime pas ton bonheur”. Thibon était animé par une veine mystique particulière, mais, en même temps, restait attaché à la campagne (il aimait se présenter comme un “écrivain-paysan”). Il a affronté dans une vingtaine de livres les grandes questions de l'existence d'un point de vue chrétien : la présence de Dieu, l'amour, la foi et la grâce, la domination de la technique sur l'homme. Parmi ses ouvrages les plus connus, citons : Destin de l'homme (1941), L’Échelle de Jacob (1942) et Retour au réel (1943). En juillet 1941, Thibon rencontre Simone Weil dans son usine, alors qu'elle avait été chassée de l'université en tant qu'intellectuelle d'origine juive. Elle lui confie le manuscrit d'un de ses livres les plus célèbres, La pesanteur et la grâce, que Thibon publiera en 1947, faisant ainsi connaître au monde la jeune philosophe morte de tuberculose en Angleterre en août 1943. Thibon avait été influencé par Pascal et par Péguy, mais aussi par Nietzsche et par Maurras. Dans tous ses livres, il a dénoncé la marginalisation des “exigences de l'esprit” dans la société contemporaine. De concert avec Jean Guitton, il est aujourd'hui considéré comme l'un des phares de la pensée catholique française du XXe siècle, mais il avait choisi de vivre en retrait, refusant toute charge académique ».
C'est bien entendu la dimension paysanne de Thibon, l'influence du vitalisme (qu'il reliait à la doctrine catholique de l'incarnation), de Nietzsche et de Péguy sur sa pensée, qui nous intéresse dans son œuvre. De même que cette proximité entre le paysan monarchiste et Simone Weil, théoricienne de l'enracinement, à la suite de sa lecture attentive de Péguy, chantre des “petites et honnêtes gens”, qui font la solidité des peuples. Mieux : l'œuvre de Thibon démarre avec une réflexion approfondie sur l'œuvre de Ludwig Klages, figure cardinale de la Révolution conservatrice et des premières années du Cercle de Stefan George (les Cosmiques de Munich), un Klages pourtant fort peu suspect de complaisance avec le christianisme. Marc Eemans, lecteur attentif de Thibon, parce que celui-ci était justement le premier exégète français de Klages, reliait la pensée de ce catholique de l'Ardèche à celle de toutes les formes de catholicisme organique, liées en ultime instance à la mystique médiévale, résurgence d'un paganisme fondamental. Thibon, exégète de Klages, donne le coup d'envoi posthume à Simone Weil, théoricienne audacieuse de l'enracinement. Lier le paganisme de Klages, le catholicisme paysan de Thibon et le plaidoyer pour l'enracinement de Simone Weil permettrait de ruiner définitivement les manichéismes incapacitants et les simplismes binaires qui dominent l'univers médiatique et qui commencent dangereusement à déborder dans le champs scientifique.
► Robert Steuckers, Nouvelles de Synergies Européennes n°51, 2001.

Philippe de Villiers : Jeanne d’Arc, la France et moi (1/2) A l’occasion de l

A l’occasion de la sortie de son Roman de Jeanne d’Arc, Philippe de Villiers a accordé un entretien fleuve à FigaroVox dans lequel il s’en prend aux élites et proclame sa passion pour la France. Première partie.
FIGAROVOX : Après le roman de Charrette et le roman de Saint-Louis, vous vous attaquez à la figure de Jehanne d’Arc. En quoi votre travail diffère-t-il de celui d’un historien traditionnel ?
Philippe DE VILLIERS : Je n’en ai ni la formation, ni la patience. Je suis plutôt un homme d’action qui écrit des scenarii, ou plus exactement des cinéscénies pour l’œuvre du Puy du Fou. Mon livre est en quelque sorte une cinéscénie littéraire. J’écris à la première personne comme s’il s’agissait des mémoires imaginaires de Jehanne d’Arc. Je veux mettre à la portée des nouvelles générations qui voient la France s’abîmer, des figures emblématiques qui ont illuminé notre histoire, pour que les jeunes Français aient le goût de les connaître et d’aller les découvrir. Avec « Le roman de Jehanne d’Arc », j’ai voulu rendre à la plus grande héroïne de notre Histoire son humanité, retrouver la vérité de ses émois, de ses éblouissements, de ses désarrois devant l’innommable. Depuis mon enfance, comme beaucoup de Français, je regarde Jehanne d’Arc tout là-haut, accrochée aux tentures sacrées, lointaine, séraphique comme une sainte d’enluminure. Avec ce livre, j’ai voulu dépasser le mythe, aller au cœur du mystère, déposer la tapisserie pour la regarder de plus près, essayer de saisir et de traduire ses fragilités, ses doutes et ses vraisemblances.
Comment se glisse-t-on dans la peau de Jehanne d’Arc ?
Après avoir consulté tous les historiens spécialistes vivants, après avoir passé avec eux un long moment d’interrogation et de dialogue, j’ai cheminé sur les routes empruntées par Jehanne d’Arc, je me suis attardé sur les lieux qu’elle a fréquentés. J’ai pris mon temps, j’ai écouté. J’ai vibré. Je suis allé respirer l’air qu’elle a respiré. J’ai entendu les chants d’oiseaux, sans doute les mêmes. J’ai longé les rivières pour retrouver l’écho de ses chevauchées. Il reste encore beaucoup de traces de Jehanne d’Arc qui affleurent dans la France d’aujourd’hui. Des témoignages de pierre d’abord : la maison de Domrémy, la chapelle de Notre-Dame de Bermont, la forteresse de Chinon, la place du Vieux Marché, la cathédrale de Reims. Mais aussi des reliefs et des paysages : la Meuse, qui n’a rien changé à ses paresses et à ses boucles et lacets, les soleils levants, les brumes et humeurs vespérales, les parterres de fleurs sauvages qu’elle aimait tant … Plus je me suis approché de la Jehanne d’Arc intime en respectant sa délicatesse de jeune fille passionnée de la vie, plus j’ai collecté les climats et sonorités qui ont donné leurs couleurs au récit. Je suis aussi allé rencontrer les historiens locaux dans les modestes lieux oubliés par l’histoire. A chaque fois, j’ai trouvé des hommes et des femmes imprégnés de tradition orale. En discutant avec ces érudits, j’avais l’impression que Jehanne était à la fois leur amie d’enfance et leur voisine du bourg et qu’elle n’était partie que la semaine d’avant. Ils en parlaient au présent de narration. J’ai ainsi recueilli auprès d’eux des trésors, des pépites, des sacs d’anecdotes, de petites vérités escamotées et souvent méprisées par la grande Histoire. Et puis, quand on se met dans la peau de Jehanne d’Arc, il faut, par une sorte d’ascèse de plume et un acte d’humilité de chaque instant, veiller à s’absenter de soi-même, à ne plus exister avec ses propres mots, à mettre ses pensées à la porte du récit. J’ai essayé de n’écrire que sous sa dictée, de ne rien ajouter de moi-même. Jehanne irradie ceux qu’elle approche et je me suis laissé envahir. J’écrivais et c’est Jehanne qui tenait la plume.[....]
La suite dans Le Figarovox
● A lire aussi la seconde partie du grand entretien avec Philippe de Villiers : « Nos élites rêvent d’un petit homme sans racine, ni filiation »

Bertrand de Jouvenel, son amitié pour Pierre Drieu La Rochelle et les non-conformistes français de l’entre-deux-guerres

Le 11 novembre 1918, à onze heures, le vieux continent bascule dans le XXe siècle. L’Europe, qui dépose enfin les armes au soir de quatre années de lutte fratricide, peut contempler horrifiée les derniers vestiges de sa grandeur déchue. Élevés dans le culte positiviste du demi-dieu Progrès, fils de la déesse Raison, dix millions d’hommes, de frères, sont venus expirer sur les rivages boueux, semés de ferraille, tendus de barbelés, de la modernité. Nouveau Baal-Moloch d’une nouvelle guerre punique. Le premier, le poète Paul Valéry baisse les yeux devant tant de gâchis, et soupire : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles […] Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. » Malgré les sirènes bergsoniennes, dont le cri s’est depuis longtemps emparé des prophéties de Nietzsche, la France se réveille seulement de ses utopies. Il lui aura fallu pour en arriver là un million et demi de morts, deux fois plus de mutilés, une économie exsangue, un peuple tout entier anémié. Si pour les politiques unanimes, le responsable du massacre, c’est l’Allemand dans son essence, du Kaiser au plus petit fonctionnaire des postes impériales, la jeunesse pour sa part sent confusément que c’est toute l’Europe qui entre en décadence, menaçant jusqu’en leur tréfonds les bases de la civilisation.
De quelque nationalité qu’elle soit, le diagnostic de l’intelligentsia européenne est le même : 1918 marque l’entrée fracassante dans la « crise de civilisation ». Des voix s’élèvent, d’Allemagne bien sûr avec Oswald Spengler et son Déclin de l’Occident en 1922, mais aussi depuis la Grande-Bretagne, en les personnes de Norman Angel et Le Chaos européen en 1920, ou Arnold Toynbee, qui publie L’Éclipse de l’Europe en 1926. Mais aussi depuis les exilés russes avec le Nouveau Moyen Âge de Nicolas Berdiaeff (1924) sans oublier la France, Henri Massis et Défense de l’Occident en 1926, René Guénon, La Crise du Monde Moderne (1927) et André Malraux. Celui-ci, porte-parole des littérateurs à tendance révolutionnaire qui n’ont pas connu l’expérience de la guerre, embrasse toute la problématique de son époque dans son opuscule paru en 1926 et intitulé La Tentation de l’Occident .Il écrit : « La réalité absolue a été pour vous Dieu puis l’homme; mais l’homme est mort, après Dieu, et vous cherchez avec angoisse celui à qui vous pourriez confier son héritage. Vos petits essais de structure pour des nihilismes modérés ne me semblent plus destinés à une longue existence… ». À droite comme à gauche de l’échiquier politique la désorientation et la révolte sont grandes, et l’on s’insurge contre une société qui a ainsi pu envoyer à la boucherie ses enfants pour le seul bénéfice de la bourgeoisie capitaliste. Beaucoup cherchent alors le salut à venir dans la révolution et se tournent vers un ordre nouveau qui mobiliserait toutes les énergies pour sauver le pays du marasme. Foulant au pied les vieilles chapelles partitocratiques, la jeunesse intellectuelle entre en ébullition dans ses deux décennies 1920-1930, appelant de ses vœux à l’Europe par-delà les patries, à une véritable tabula rasa contre la vieille bourgeoisie molle, fautive du charnier européen, tombeau de la civilisation.
Une mentalité générationnelle propre
Transcendant les querelles idéologiques, aspirant à prendre les rênes du pouvoir, cette fraction militante, éclatée en divers courants communément regroupés sous l’étiquette « non-conformiste », voit émerger quelques figures marquantes, pour la plupart issues des grands partis traditionnels. L’historien Philippe Burrin, discutant les thèses exprimées par Zeev Sternhell sur le « fascisme français », est arrivé au fil de ses recherches à sérier une mentalité générationnelle propre, unie dans la multiplicité des personnes, des revues, des cercles. Sur le débat non encore clos autour de l’imprégnation du phénomène fasciste sur ses différents mouvements, et par ricochet leur propre part de responsabilité dans l’émergence d’un large courant d’opinion favorable au fascisme (la thèse de la « nébuleuse concentrique fascistoïde » développée par Zeev Sternhell), il est convenu de scinder « l’esprit des années 30 » en trois tendances :
— la Jeune Droite de Thierry Maulnier, brillant khâgneux dissident de l’Action Française,
— Esprit d’Emmanuel Mounier,
— et Ordre Nouveau d’Alexandre Marc.
Trois courants autour desquels gravitèrent de plus petites structures telles que Combat ou Réaction. Toutes convergeant vers une commune volonté de rompre avec le « désordre établi » pour un cornmunautarisme fédéral européen.
Mais à trop focaliser leur travail sur les seules années 30 – relégant par là le mixtum compositum non-conformistes à une émanation supplémentaire de la pensée de droite face à l’hitlérisme -, les chercheurs en sont venus à oblitérer deux faits majeurs de la généalogie non-conformiste : la large provenance d’éléments de gauche, à l’apport théorique considérable pour le développement futur du courant personnaliste, et ce qu’on pourrait définir par esprit de contradiction d’« esprit des années 20 », où seront jetées toutes les données de la mouvance.
Parmi cette nébuleuse, deux personnalités radicales-socialistes émergent : Bertrand de Jouvenel et Pierre Drieu la Rochelle. En marge du non-conformisme, dans le sillage du politicien Gaston Bergery, Jouvenel et Drieu seront de toutes les aventures intellectuelles de l’entre-deux-guerres. De la collaboration au périodique La Lutte des Jeunes à l’écriture d’essais théoriques inspirés de Henri de Man et au New Deal, en passant par des sommets d’amitié franco-allemande et l’engagement désespéré auprès du P.P.F. doriotiste à la veille de 1939.
« De ces groupes, note le ténor du non-conformisme Jean de Fabrègues dans son livre Maurras et son Action Française, à ceux qui font la revue Plans avec Philippe Lamour ou à Alexandre Marc, ou à la Lutte des Jeunes avec Bertrand de Jouvenel et Pierre Andreu, ou à l’Homme Nouveau […] ou même à Esprit avec Mounier et Izard, court une sorte de commune réaction. On écrira un jour : “ la génération de 1930 ” et c’est vrai (Drieu Jouvenel, deux vies dans le siècle). »
Deux voyageurs dans le siècle
« Une génération forme un tout. Ceux qui lui appartiennent ont beau différer par leurs principes, leurs conditions, leurs natures ? Ils sont plus près les uns des autres que de leurs pères ou de leurs fils. À subir les mêmes contagions, à se mêler aux mêmes combats, à se soumettre aux mêmes modes, aux disciplines sociales, aux conséquences des mêmes découvertes, ils ont acquis une unité morale, une ressemblance physique qu’ils ne remarquent point mais qui paraîtra flagrante à la postérité lorsqu’elle lira leur œuvre ou regardera leurs images. » Ce n’est pas à Bertrand mais à son père, Henry de Jouvenel (1), qu’il revient d’avoir le mieux exposé dans La Paix Française, témoignage d’une génération (1932), ce que Denis de Rougemont nommera, pour sa part, « communauté d’attitude essentielle » dans le Cahier des Revendications de la N.R.F.
Dès à partir du milieu des années 20, « années décisives » s’il en est, la contestation s’est amplifiée parmi les rangs de la gauche. Motivé par la marche sur Rome victorieuse de Mussolini, par l’inquisition anti-trotskiste et l’excommunication de l’Action Française, le projet d’une « troisième voie » nationale se fait jour. Rénovation du politique, dynamique jeune, égale réfutation des modèles collectiviste et libéral, libération spirituelle et matérielle de la personne sont au centre des priorités. Tandis que Georges Valois, ancien animateur des Cahiers du Cercle Proudhon, fonde le Faisceau en 1925, un sémillant député radical-socialiste, Gaston Bergery, coordonne la fronde des « Jeunes Turcs » où s’illustre un journaliste fraîchement sorti de l’Université, Bertrand de Jouvenel, qu’inspire le thème de la « Quatrième République » défendu par Bergery. 1928 sera une année capitale pour Jouvenel.
Brillant combattant de 14-18, Bergery est rejoint au sein de la tendance réformatrice par un littérateur avec qui il s’est lié en 1916, Pierre Drieu la Rochelle. Mis en présence l’un et l’autre, Jouvenel et Drieu se rejoignent sur leurs espoirs européens, leur foi dans la S.D.N. Drieu a déjà publié quatre essais pro-européens à l’époque, État Civil (2), Mesure de la France (3), Le Jeune Européen (4) et Genève contre Moscou (5), où quatre thématiques essentielles se rejoignent :
— le patriotisme européen,
— la haine de la démocratie libérale,
— la crise spirituelle de l’Europe devant l’essor technologique,
— le socialisme éthique.
« L’Europe se fédérera, ou elle se dévorera, ou elle sera dévorée », écrit-il dans Mesure de la France.
Dans l’orbite de Bergery gravite un jeune éditorialiste, Jean Luchaire. Directeur du mensuel pacifiste Notre Temps depuis 1927, il n’hésite pas à ouvrir ses colonnes tant à l’équipe du Faisceau de Valois qu’aux idées révisionnistes du Belge Henri De Man, dont le planisme est divulgué en France par l’opuscule d’André Philip, Henri De Man et la crise doctrinale du socialisme.
Européisme et socialisme
Parues en 1928, les thèses de De Man impressionnent vivement Jouvenel, cependant que de nouveaux cercles d’inspiration planiste se constituent : X-Crise, Plans, Nouvelles Équipes. Le 31 octobre 1928, le premier exemplaire du journal La Voix sous la direction de Jouvenel sort de presse. De préoccupation socio-économique, le périodique expose un programme dirigiste qui entend se conformer aux nouvelles nécessités du temps :
« Assurer à la classe ouvrière un niveau de vie convenable par une politique de logement et un vaste système d’assurances […] Assurer au peuple entier l’instruction gratuite, la sélection des plus aptes […] Assurer le développement méthodique de la production de la production, selon un vaste plan qui encourage l’initiation individuelle. […] Assurer à l’État la compétence, à l’administration la promptitude, par la mise en œuvre des principes syndicalistes. […] Assurer la paix entre les peuples par l’arbitrage obligatoire […] Assurer la solution des problèmes économiques et sociaux par leur internationalisation. Voilà notre programme».
Simultanément paraît aux éditions Valois son premier livre, L’Économie Dirigée. Le Programme de la Nouvelle Génération. Jouvenel n’est pas le premier intellectuel du milieu luchairien à être publié par Georges Valois dans sa « Bibliothèque Nationale ». Gaston Riou y a déjà sorti Europe, ma patrie et Luchaire s’apprête lui-même à y imprimer Une génération réaliste pour janvier 1929.
Européisme et socialisme réformiste forment les bases des revendications communes aux non-conformistes de gauche. Ni exaltée, ni utopiste, L’Économie Dirigée arrive en librairie pour son vingt-cinquième anniversaire. La recherche d’une marche économique socialement bénéfique cimente l’ouvrage. L’idée de plan est omniprésente. D’esprit saint-simonien selon ses propres propos, L’Économie Dirigée assigne aux industriels une mission sociale dans le développement harmonieux de la nation. Son dirigisme n’impose pas, mais incline la production grâce à la création d’un inventaire des possibilités de production nationale dont disposeraient les gouvernants. Novateur, son ouvrage récuse Wall Street comme Moscou et envisage un système de répartition des richesses équilibré, ni libertarien ni étatiste. « Au XIXe siècle, le travail a été la vache à lait du capital, au XXe siècle, le capital sera la vache à lait du travail » écrit-il alors, plein d’enthousiasme. Gorgée d’espoir, son corpus doctrinal élaboré, la jeune intelligentsia « rad-soc » marche à l’Europe. Le tremblement de terre américain du krach de 1929 est encore loin de faire ressentir ses secousses de ce côté de l’Atlantique, et les non-conformistes entendent œuvrer à la réconciliation franco-allemande concomitamment aux efforts de la Société des Nations. La jeunesse à la rescousse de ses pères. Non-conformistes et révolutionnaires-conservateurs se rencontrent pour relever l’étendard de Prométhée.
« Europe, Jeunesse, Révolution ! »
« L’esprit de revanche de l’Allemagne a hanté ma jeunesse. » La confession de Bertrand de Jouvenel n’est pas celle d’un cas isolé. La signature du Traité de Paix, où pas un Allemand ne fut convié à discuter des articles, est vécue par la jeune génération comme une injustice sans précédent dans l’histoire des relations européennes. L’article 231 du Traité de Versailles, qui reconnaît seule fautive l’Allemagne, entérine son dépeçage et la surcharge d’indemnités écrasantes, offense l’esprit européen qu’est censée défendre la Société des Nations. Et malgré la ratification des accords de Locarno, on sait l’édifice briandiste fébrile.
Humiliée, rejetée dans la crise économique par l’occupation de la Ruhr, l’Allemagne weimarienne peut à tout moment basculer. À l’esprit de réconciliation, la N.S.D.A.P. montant rétorque par l’esprit de revanche. C’est à la jeunesse, pensent Jouvenel et Drieu, qu’il incombe de réaliser l’unité européenne.
Visionnaire mais surtout alarmiste, Drieu clame à qui veut l’entendre que « l’Europe ne peut pas vivre sans ses patries, et certes elles mourraient si en les tuant elle détruisait ses propres organes; mais les patries ne peuvent plus vivre sans l’Europe ». Jouvenel et Drieu conjuguent leurs efforts et achèvent coup sur coup les manuscrits de Vers les États-Unis d’Europe (6) et L’Europe contre les Patries, deux essais prophétiques, pacifistes et antimilitaristes, fédéralistes et socialistes, en librairie en 1931. Raillant la devise de l’Action Française, « Tout ce qui est national est nôtre », Jouvenel place en sous-titre l’exorde suivant : « Tout ce qui est international est nôtre. » Et de fait, depuis 1929, les jeunes radicaux se sont joints en un « front commun de la jeunesse intellectuelle », associant deux groupes :
— « l’Entente franco-allemande des étudiants républicains et socialistes » (lié au Deutscher Studentenverband)
— et le « Comité d’Entente de la jeunesse pour le rapprochement franco-allemand »,
initié par Jean Luchaire et Otto Abetz, dont le destin croisera à maintes reprises les routes de Drieu et Jouvenel.
Une connivence qui se matérialise en juillet-août avec la tenue des premières rencontres du « Cercle de Sohlberg », suivies en septembre d’un sommet à Mannheim, en août 1931 du congrès de Rethel auquel participe Jouvenel avec Pierre Brossolette. Au cours de ces réunions étudiantes, les deux parties s’entendent à récuser unilatéralement les clauses de Versailles et prônent de concert une réponse organique énergique au déclin de la civilisation.
Placées sous le credo de « révolution spirituelle », les intervenants du F.C.J.I. divergent cependant, césure majeure, sur la forme que devra prendre le nouvel ordre européen. Au nationalisme classique des Français, politique et culturel, s’oppose l’idée de « Reich » allemand, d’essence völkisch pour la plupart. Mais refus du nationalisme intégral comme de l’internationalisme réunissent les collectifs présents. Malheureusement ces rencontres se solderont par un échec. Deux événements de première importance dans le devenir des relations franco-allemandes vont torpiller les projets du Front Commun. En France d’abord, où la crise a atteint l’économie en 1931, la victoire ingérable du Cartel des Gauches aux législatives en 1932 débouche sur l’instabilité politique. Ni les Tardieu, Blum, Daladier ou Laval ne paraissent en mesure de répliquer à l’inertie qu’avaient manifestée avant eux les Clemenceau, Poincaré et Briand. Précipitées par la récession économique et la corruption des institutions les émeutes du 6 février 1934 poussent les intellectuels français à se repositionner par rapport a une nouvelle donne : fascisme et antifascisme. En Allemagne, par l’accession à la chancellerie d’Adolf Hitler en 1933, qui enterre la détente franco-allemande et sonne le glas du rêve lorcanien de désarmement. Déjà, la mort d’Aristide Briand, le 7 mars 1932, le jour même où Hitler obtint ses fatidiques 37 % aux élections présidentielles, n’avaient pas manqué d’éveiller les craintes du Cercle de Sohlberg. Chacun avait compris que s’évanouissait le rêve d’une Europe fédérale. Au congrès de Francfort mené en février 1932 par Alexandre Marc d’Ordre Nouveau et Harro Schulze-Boysen de Planen succède en avril 1933 une rencontre à Paris sous l’impulsion de Luchaire avec, aux côtés de Drieu, Jouvenel et Fabre-Luce, des représentants des Jeunesses Radicales, du Sillon Catholique, de Jeune République, et du côté allemand des émissaires du nouveau régime. Ce colloque marque la fin des illusions et entérine le déclin du Front Commun.
Les réunions de Berlin et du Claridge, organisées par Jouvenel, Abetz et Kirchner, rédacteur en chef de la Frankfurter Zeitung passé au national-socialisme, destinées à « jeter les bases d’une société de coopération intellectuelle groupant l’élite [des] deux pays (7) », scellent logiquement le refroidissement des gouvernements français et allemand, dans un contexte nouveau de radicalisation des positions idéologiques. Des rencontres rhénanes ne subsistera que le goût amer d’un parallélisme d’idées dans le rejet, non dans les solutions proposées. À l’arrivée de Hitler, Bergery opposera désormais au « ni Droite ni Gauche » une nouvelle ligne stratégique marquant le retour du politique dans une logique de tensions nationale et internationale : démocratie contre totalitarisme.
Un exercice tercériste : « La Lutte des Jeunes »
La victoire du Cartel des Gauches en 1932 n’apporte que déception à Gaston Bergery, qui trahit son ambition d’un parti unitaire de la gauche. Rongeant son frein, il claque la porte du Parti radical-socialiste en mars 33 et annonce simultanément la formation d’un Front Commun, anticipant le Front Populaire de 1936, qu’il veut antifasciste et anticapitaliste. Déat au nom des néo-socialistes et Doriot, venu sans autorisation du Parti communiste, répondent présents. Drieu et Jouvenel rejoignent le mouvement et lancent début 1934 un bimensuel, La Flèche, qui expose les vues du Front Commun.
Drieu se cherche alors et oscille entre sa fascination pour l’efficacité communiste et son attirance pour l’héroïsme fasciste. L’idée d’une troisième voie lui apparaît de plus en plus comme une vue de l’esprit. Son chef-d’œuvre, Gilles, où Bergery paraît sous les traits de Clérences, évoque ses tergiversations. La réponse ne se fait pas attendre. Pareils à Gilles, Drieu et Jouvenel vivent le 6 février 1934 comme un véritable électrochoc. Jouvenel prend la décision de fonder son hebdomadaire, qu’il intitule La Lutte des Jeunes. Au sentiment sourd d’une France passive, avachie a répondu la jeunesse descendue dans la rue. Mounier dans Esprit s’exalte pour cette « nouvelle génération », « neuve et hardie, qui sauve notre pays d’être le plus réactionnaire d’Europe »; Drieu, au comble de la joie, écrit : « On chantait pêle-mêle la Marseillaise et l’Internationale. J’aurais voulu que ce moment durât toujours. » Plus circonspect, Jouvenel mesure pourtant l’émergence opportune d’un bloc de la jeunesse. Fidèle à la ligne non-conformiste, La Lutte des Jeunes s’adjoint la collaboration d’intellectuels d’horizons aussi divers que Mounier, Brossolette, Gurvitch, Beracha, Lacoste, Andreu. Et toujours Drieu.
Si Zeev Sternhell ne voit là que « fascistes, anti-démocrates et anticapitalistes » optant pour « un régime autoritariste et corporatiste » (simple préfiguration en somme de la Révolution Nationale pétainiste), le programme publié en première page de La Lutte des Jeunes est autrement plus réformiste et d’orientation planiste : « […] Il faut “ désembouteiller ” les professions en permettant aux vieux de se retirer. Et il faut ainsi assurer l’embauchage des jeunes. Il ne suffira point de multiplier les stades, de faciliter la pratique du sport, il faudra encore permettre aux jeunes de vivre en pleine campagne durant un mois de l’année au moins […]. Où est la solution ? Dans les camps de jeunesse qui peuvent être établis sur les domaines de l’État […]. C’est dans de pareils camps qu’une partie de la jeunesse chômeuse pourra être établie, y suivent des cours de formation professionnelle, travaillent dans des ateliers coopératifs. »
Jouvenel rompt à son tour avec le Parti radical mais se démarque de Bergery dont il pressent la perte de vitesse. Drieu devient le théoricien de la convergence. Seul il se réclame dorénavant du fascisme, écrivant le 11 mars 1934 dans sa chronique : « Il faut un tiers parti qui étant social sache aussi être national, et qui étant national sache aussi être social […] il ne doit pas juxtaposer des éléments pris à droite et à gauche; il doit imposer à des éléments pris a droite et à gauche la fusion dans son sein. » Il s’agit de ramener « les radicaux désabusés, les syndicalistes non fonctionarisés, les socialistes français, les anciens combattants et les nationalistes qui ne veulent pas être dupes des manœuvres capitalistes ». Telle est la thèse de son livre Socialisme fasciste (8). Dans la foulée, Jouvenel lance des « États Généraux de la Jeunesse » auxquels prennent part une cinquantaine de groupes.
Le planisme de De Man, l’Union Nationale de Ramsay McDonald et le New Deal de Roosevelt
Où que se tourne le regard de Jouvenel, le triomphe du planisme le convie à s’en faire le propagateur français. En Belgique, c’est l’alliance que concluent à la Noël 33 Paul Van Zeeland, du Parti catholique, Premier ministre, et Henri De Man, vice-président du Parti ouvrier belge (P.O.B.), nommé ministre de la « résorption du chômage ». En Grande-Bretagne, c’est la constitution d’un cabinet d’Union nationale par Ramsay Mc Donald, chef du Labour Party et Premier ministre britannique. Aux U.S.A. enfin, avec le 4 mars 1933 l’investiture de Franklin Delano Roosevelt, qui réoriente l’économie selon le modèle du New Deal. Un premier voyage effectue en Amérique fin 1931, ponctué d’un livre, La Crise du capitalisme américain, avait convaincu Jouvenel des tares intrinsèques, « génétiques » du système capitaliste. La victoire des Démocrates signe le retour de Washington sur Wall Street, d’un pouvoir volontaire, héroïque, d’un gouvernement qui gouverne. Le keynésianisme rooseveltien, que Jouvenel définit comme jumeau du socialisme alternatif de De Man, intègre pleinement sa vision économique : « Mais ce qui intéresse la prospérité de la nation, et du même coup sa puissance, ce sont les dépenses faites par les entreprises pour produire et pour investir en vue de produire plus et autre chose, et ce sont les dépenses faites par les travailleurs pour consommer plus et autre chose. L’harmonie entre ces catégories de dépenses et leur continuité, voilà qui est incomparablement plus important que l’équilibre budgétaire. » Des propos criants d’actualité.
La Lutte des Jeunes n’était initialement conçue par Jouvenel que comme le tremplin vers une nouvelle formation politique résolument d’avant-garde, et Drieu ne pense pas autrement. Aussi, quand les « États Généraux » marquent leurs premiers signes d’essoufflement, les deux intellectuels reportent aussitôt leur attraction sur la formation la plus originale de l’époque, le Parti populaire français de Jacques Doriot.
Grandeur et misère du doriotisme
En mai 1934, alors que paraissait le premier numéro de La Lutte des Jeunes, Jacques Doriot, meneur chahuteur et adulé du P.C., est exclu de l’Internationale Communiste. Maire de Saint-Denis depuis 1931, le 6 février 1934, a pour lui aussi été décisif. Sans attendre la permission du parti. Doriot a mis sur pied un comité antifasciste dans sa ville et appelé à l’union de la gauche. Mal lui en prend car à l’époque la formule stalinienne du « social-fascisme » est encore de rigueur. Réélu maire en 1935, député en 1936, il fonde le P.P.F. le 28 juin 1936 en réaction au Front Populaire.
D’emblée, le « Grand Jacques » attire à lui de nombreux intellectuels, dont Drieu et Jouvenel, qui le choisissent, l’un pour son attente d’un « nationalisme révolutionnaire » authentique, l’autre dans l’optique d’un programme planiste complet. Tous deux collaborent à la rédaction des périodiques L’Émancipation Nationale et La Liberté. Si Drieu justifie son adhésion par le nihilisme qui le gagne : « Il n’y a plus de partis en France, il n’y en a plus dans le monde… Il n’y a plus de conservateurs parce qu’il n’y a plus rien de nouveau. Il n’y a plus de socialistes parce qu’il n’y a jamais eu de chefs socialistes que des bourgeois et que tous les bourgeois depuis la guerre sont en quelques manières socialistes », Jouvenel s’appuie pour sa part sur les propres dires de Doriot : « Je ne veux copier ni Mussolini, ni Hitler. Je veux faire du P.P.F. un parti de style nouveau, un parti comme aucun autre en France. Un parti au-dessus des classes […]. »
Accédant avec Drieu au bureau politique du parti en 1938, Jouvenel se fait l’avocat du planisme. Une fois de plus, la déconvenue est à la hauteur de leurs souhaits. Privé de son électorat traditionnel, le P.P.F. compense ses pertes par un vote de droite qui l’attire vers le conservatisme le plus étriqué. Alors que Drieu s’éloigne, accusant Doriot d’abandonner son « fascisme révolutionnaire » pour un « fascisme réactionnaire » de compromission, Jouvenel constate l’échec du « socialisme à la française » qui l’avait mené au doriotisme. Définitivement sevré du P.P.F. au soir des accords de Munich, que Doriot par pacifisme applaudit, Jouvenel rend sa carte en janvier 1939, ulcéré de la dérive antisémite du parti. Non sans avoir publié, ultime rebuffade devant les orages qui naissent au-dessus du continent, Le réveil de l’Europe. Relégué parmi les penseurs d’extrême droite, Jouvenel devra s’adresser à Gringoire et Candide pour ses articles. Drieu poursuivra en solitaire sa carrière finalement plus anarchique que fasciste.
Faisant le point sur ses dix ans de revendication non-conformiste, Jouvenel confiera, dans son recueil de mémoires Un voyageur dans le siècle : « Nous étions une génération raisonnable, soucieuse de l’avenir, souhaitant que ce fut un avenir de réconciliation et de paix, et un avenir de progrès économique et social. Nous ne faisions pas de rêves. C’étaient hélas nos dirigeants qui rêvaient. » Drieu suicidé en 1945, après que Jouvenel, réfugié en Suisse pour actes de résistance, ait vainement tenté de le retenir lors d’une de ses visites en 1943, celui-ci poursuivra son œuvre. Dénonçant l’inadaptation des appareils philosophiques et politiques aux mutations du monde moderne.
Aujourd’hui réduit à l’archéologie de l’histoire des idées, le courant anti-conformiste aura considérablement pesé après-guerre sur la génération fédéraliste des années 50, à l’origine du Conseil de l’Europe. Et quoi qu’en dise Zeev Sternhell, « l’esprit des années 30 » n’aura pas été que le compagnon de route du fascisme. Michel Winock, historien issu des rangs d’Esprit, rappelle à juste titre le foisonnement de points de vue que Drieu et Jouvenel illustreront dans leur amitié : « Beaucoup de matière grise avait été dépensée. De tous ces plans, de ces programmes, de ces utopies, il reste seulement des archives quand la critique des souris n’a pas eu le temps de faire son œuvre. Néanmoins, quelques idées-forces germèrent, certaines pour alimenter la Révolution Nationale, où bon nombre de ces jeunes gens se retrouvèrent (N.D.L.R. : on pense à Luchaire, Doriot et Bergery), d’autre pour nourrir les programmes de la Résistance pour une France libérée et rénovée. On avait assisté à un feu d’artifice de la jeunesse intellectuelle. Les étincelles de quelques fumées persisteront (extrait de Le Siècle des intellectuels, Seuil, 1997). »
Nul doute que la pensée fédéraliste, telle que définie par Bernard Voyenne, aura abondamment puisé dans le personnalisme. Pilotes du mouvement, les revues La Fédération et Le XXe Siècle Fédéraliste compteront ainsi parmi leurs parrains les signatures de Halévy, Andreu, Daniel-Rops, Rougemont et bien sûr Jouvenel.
Juste reconnaissance pour celui qui dépassant les clivages aura aussi bien collaboré à Vu qu’à Marianne, à L’Œuvre qu’à Paris-Soir. Pour autant, Jouvenel se détachera rapidement des tumultes politiques de l’après-guerre, navré de l’imprévision des hommes : « De 1914 à 1945, I’Europe se sera quasiment suicidée, de même que la Grèce dans sa guerre de Trente Ans. Et comme la Grèce s’était retrouvée par la suite exposée aux influences contraires de la Macédoine et de Rome, de même l’Europe entre la Russie et les États-Unis. » Après La défaite, livre publié chez Plon en 1941, signifiait son abattement : « Il n’est pas douteux que la France aurait pu faire à temps sa propre révolution de jeunesse. Le fourmillement des manifestes, d’idées, de plans, de petits journaux et de jeunes revues qui suivit le 6 février 1934 en témoigne amplement. Les mêmes tendances anticapitalistes et antiparlementaires s’exprimaient dans la jeunesse de droite et dans la jeunesse de gauche, qui d’ailleurs multipliaient les contacts. » Son maître-livre, Du Pouvoir, imprimé à Genève dès 1945, demeure la désillusion de toute une élite. La mort volontaire de Drieu n’y aura sans doute pas été étrangère.
Laurent Schang
Notes
1 : Directeur du quotidien Le Matin, ministre de l’Instruction publique (1924), haut-commissaire au Levant (1925-1926) et époux de Colette.
2 : 1921.
3 : 1922.
4 : 1927.
5  : 1928.
6 : qui paraît chez Valois.
7 : où sont présents Fernand de Brinon, Jean Luchaire, Jules Romains, Paul Morand, Drieu la Rochelle.
8 : publié en 1934.
• Intervention au séminaire de « Synergon-Deutschland », Nordhessen, le 31 octobre 1998, puis d’abord mis en ligne sur Euro-Synergies, le 5 décembre 2009.

vendredi 21 novembre 2014

Plongée chez les khmers rouges! (Pin Yathay, "L'Utopie meurtrière")

En 1975, le Cambodge tombe dans les mains des khmers rouges. Ce n’est pas étonnant. Le pays connaît depuis des années une situation de guerre civile dont le conflit au Viêt Nam voisin est la cause principale. Nous sommes en pleine guerre froide. Les forces gouvernementales (la monarchie de Sihanouk jusqu’en 1970 puis la République de Lon Nol), alliées aux Etats-Unis, sont combattues férocement de longue date par une guérilla maoïste soutenue par les forces communistes vietnamiennes et la Chine : les khmers rouges. Ceux-ci l’emportent sur le régime faible et corrompu de Lon Nol en avril 1975. Ils vont diriger le pays jusqu’en janvier 1979 quand ils seront chassés du pouvoir par une invasion vietnamienne. Cette période noire pour le Cambodge sera aussi l’une des plus révélatrices de l’utopie communiste…
Pin Yathay a connu cette époque. Il fut le témoin de ce que fut le « Kampéchua Démocratique », y a vécu, y a souffert et en a rapporté un témoignage inoubliable et passionnant.
L’intérêt principal du livre de Pin Yathay réside dans cette plongée au cœur de la société khmère rouge, société révolutionnaire d’inspiration maoïste et basée sur un extrémisme total complètement mortifère. En résumé, les khmers rouges ont fait passer la société cambodgienne au stade ultime du communisme en quelques mois et ce, sans passer par la transition socialiste préconisée dans le marxisme/léninisme… De 1975 à 1979, les cambodgiens vont donc subir dans leur esprit et dans leur chair la révolution à la sauce khmer rouge, instaurant une société complètement nouvelle tant au niveau de son organisation que de ses valeurs.
Les villes, Phnom Penh en priorité, sont, sans attendre, vidées de leurs habitants qui sont déportés dans les zones forestières et rurales en avril 1975. Il n’aura pas fallu plus de quelques jours pour cela… Sous couvert de raisons tactiques, les khmers rouges poursuivaient plusieurs buts avec ces évacuations massives : soumettre plus facilement la population qui pourrait utiliser les villes comme lieux de contestation et surtout abandonner ces « berceaux du capitalisme réactionnaire et mercantile ». L’idée de base étant que les villes sont des lieux de perdition inadaptés à la rééducation d’un peuple dans une perspective révolutionnaire. Des millions de cambodgiens urbains devront ainsi rejoindre des zones rurales où la vie dite moderne est inconnue… Retour à un quasi-Moyen Age : techniques et technologie sont quasiment absentes. La vie ne devient que travail manuel : on travaille pour survivre et on survit pour travailler… Et cela est valable pour tout le monde, y compris les enfants ! Les écoles, les collèges, les lycées, les universités ont d’ailleurs été fermés. Il n’y a que les plus jeunes enfants (tout du moins ceux qui paraissent jeunes car les papiers d’identité n’existent plus et on jauge de l’âge « à l’œil ») qui ont droit à une heure de « classe » quotidienne où ils apprennent et chantent à quel point la révolution est bonne. L’analphabétisme n’est pas un problème pour les khmers rouges qui détestent l’instruction et la culture en général car celle-ci ne servirait à rien d’autre qu’à marquer la supériorité des anciennes élites sur les autres individus… Elle promeut donc une forme aigüe d’inégalité. Horreur !
La rééducation passe, en plus des travaux forcés, par l’abandon de tout ce que les khmers rouges associent au capitalisme, au « féodalisme » et à « l’impérialisme » qu’ils combattent. En premier lieu, tout ce qui peut faire référence aux Etats-Unis ou aux autres pays est interdit. C’en est fini du maquillage pour les femmes, des boissons gazeuses et même des médicaments étrangers! Ce sont des souillures du capitalisme ! Idem avec tout ce qui rappelle les vêtements occidentaux ou qui est trop coloré. On se doit de porter des couleurs sobres et sombres (le noir en priorité, couleur des khmers rouges) et même d’abandonner ses lunettes ! Le peuple n’a plus accès à la télévision, au téléphone, aux livres, au sport, aux loisirs. Il doit se concentrer sur son travail et sur sa conscience politique. Seul cela pourra faire de bons révolutionnaires. Il n’y a que la politique qui compte et toutes les formes de religion sont interdites. Les lieux de cultes bouddhistes, les pagodes, mais aussi les églises ou les mosquées du pays sont transformés en bâtiments « normaux »…
En plus de vouloir déraciner l’esprit religieux chez le peuple, les khmers rouges avaient comme but de changer l’individu en niant ses traditions et ses racines afin d’en finir avec ses « penchants individualistes » et parvenir à une société totalement égalitaire. La propriété privée sera abolie très vite car « tout appartient à la communauté ». La population sera également contrainte à une vie collective (repas, travail) excluant pratiquement toute intimité. Le peu qu’il en restait demeurant extrêmement surveillé aussi bien par les nombreux espions (les chlops) que, parfois, par les enfants eux-mêmes, endoctrinés et invités à dénoncer leurs parents si ceux-ci perduraient dans leurs « penchants individualistes »… Les cambodgiens vivaient désormais tous dans des villages (souvent fort isolés), à l’image des communes populaires chinoises, et l’on contrôle plus facilement des villages que des villes car tout est visible et tout se sait… Ces villages devaient parvenir à l’auto-suffisance et vivaient en quasi-autarcie. Les contacts avec l’extérieur étaient donc rares voire impossibles. L’individu est cantonné à la vie dans son village et est coupé de tout. Il n’a pas le droit de se déplacer et ne peut utiliser ni le téléphone ni les services postaux qui ne sont plus en usage. On ne s’étonnera donc pas qu’en ayant organisé leur société de la sorte, les khmers rouges n’eurent à déplorer aucune réelle résistance de la part de la population cambodgienne (complètement désarmée et déjà assez occupée à survivre à la malnutrition, aux maladies et aux travaux forcés). Il convient de noter d’ailleurs que durant longtemps, la population n’eût même aucune idée de qui dirigeait le pays tant Pol Pot, le « frère numéro un » et ses sbires jouaient la discrétion. L’organisation pyramidale qui avait pris la tête de l’Etat, quasiment anonyme, était nommée l’Angkar (autre désignation du Parti Communiste du Kampéchua) et tout ordre venait de l’Angkar. « L’Angkar veille sur vous » !
Même si la population subissait l’idéologie khmère rouge et devait une soumission absolue à ses maîtres, ceux-ci, idéalistes, ne manquaient pas de recourir à une propagande incessante afin de gagner les esprits. Les réunions et meetings politiques étaient fréquents et tout le monde était obligé d’y assister sous peine d’aller faire un dernier tour en forêt… Les fondements de l’idéologie de l’Angkar étaient dits et répétés jusqu’à la nausée : la société communautaire, collectiviste et égalitaire est pleine de bienfaits ; les cambodgiens ont de la chance d’avoir été sauvés des « impérialistes » etc. Pin Yathay désigne toute la rhétorique khmère rouge comme « un catéchisme qu’il fallait savoir par cœur ». Par ailleurs, les cambodgiens étaient régulièrement soumis en petits groupes à des séances d’autocritique où ils devaient réfléchir sur eux-mêmes afin de devenir de meilleurs révolutionnaires. Ce qui est très frappant chez les khmers rouges c'est la simplicité de leur discours qui ne change jamais. Tous ont les mêmes paroles, les mêmes attitudes, le même vocabulaire (certains mots furent d’ailleurs abolis en tant que symboles de discrimination sociale…). L’unicité de ce mouvement révolutionnaire dans son fonctionnement, dans ses us et coutumes était réelle et il constituait en conséquence une citadelle imprenable face à l’extérieur, toute faite d’obéissance et de soumission aux ordres de l’Angkar. On exige en effet de chacun une docilité totale, seul moyen de devenir « un artisan de la Révolution ». L’individu est constamment épié, testé, contrôlé. Son obéissance est obligatoire et il vaut mieux pour lui abandonner toute notion de pensée ou de libre-arbitre. Il doit obéir et travailler sans se poser de questions, comme un bœuf. Le « camarade bœuf » est le meilleur révolutionnaire possible. Gare à celui qui déroge car les khmers rouges ont une justice expéditive…
Le mythe égalitaire des khmers rouges avait cependant ses limites car, de fait, les Cambodgiens étaient séparés en deux classes : les « nouveaux », c'est-à-dire les gens qui venaient des villes, et les « anciens », populations des villages, campagnes et forêts chez qui les déportés étaient installés. Bien mieux considérés par les khmers rouges que les « nouveaux », fils souillés par le capitalisme, les « anciens » étaient privilégiés tant dans les traitements que dans la nourriture. La société sans classe ne pouvait ainsi pas exister car c’était les « nouveaux » qui étaient le plus exploités. Ceux-ci nourrissaient donc une haine tenace envers les khmers rouges… qui devenaient encore plus méfiants envers eux et favorisaient en conséquence les « anciens ». Par ailleurs, nombre de khmers rouges étaient, cela n’est guère surprenant, corrompus jusqu’à la moelle et on pouvait les acheter par différents biais afin d’obtenir cette nourriture qui faisait tellement défaut dans le Kampéchua Démocratique de Pol Pot…  La population, en plus des maladies et des mauvais traitements, souffrait avant tout de malnutrition extrême (cause d’une grande partie des deux millions de victimes d’un régime qui ne dura même pas quatre ans). Troc, débrouille, tout est bon pour trouver à manger. Pin Yathay indique d’ailleurs que « tout le monde volait », et ce, même si les risques étaient énormes. Pourquoi la nourriture manquait-elle à ce point ? Plusieurs raisons : les rationnements sévères, les détournements effectués par les khmers rouges, mais surtout leur mépris de toute technique moderne et leur incapacité/indifférence à gérer correctement leur utopie. Le communisme dans toute sa splendeur.
Pour vivre dans un tel enfer, il convenait d’être résistant car la sélection naturelle éliminait les plus faibles de manière impitoyable. Pin Yathay réussit à survivre deux ans dans le Kampéchua Démocratique et parvint, à l’issue d’une évasion longue et dangereuse, à quitter le Cambodge pour gagner la Thaïlande. Il avait entre temps perdu les 17 membres de sa famille qui avaient quitté Phnom-Penh avec lui en avril 1975…
Rüdiger / C.N.C.