Le philosophe catholique Gustave Thibon [1903-2001] est décédé. Dans un éditorial de la presse italienne, nous avons lu ce vibrant hommage (notre correspondant ne nous a malheureusement pas transmis les coordonnées du journal) :
« L'écrivain et philosophe français Gustave Thibon, un des penseurs chrétiens les plus controversés de la seconde moitié du XXe siècle, est décédé récemment, âgé de 97 ans, à Saint-Marcel, dans son pays natal de l'Ardèche. Catholique de droite, sympathisant monarchiste mais aussi ami et premier éditeur de la philosophe d'origine juive Simone Weil, Thibon doit sa célébrité à ses aphorismes sur la foi. Certaines de ses brèves maximes font désormais partie du patrimoine catholique : de “Celui qui refuse d'être l'image de Dieu sera son singe pour l'éternité” à “Pour unir les hommes, il ne sert de rien de jeter des ponts, il faut dresser des échelles. Celui qui n’est pas monté jusqu’à Dieu n’a jamais vraiment rencontré son frère”, en passant par “La vérité est aussi une blessure, quasiment jamais un baume” et “Aime ce qui cause ton bonheur, mais n'aime pas ton bonheur”. Thibon était animé par une veine mystique particulière, mais, en même temps, restait attaché à la campagne (il aimait se présenter comme un “écrivain-paysan”). Il a affronté dans une vingtaine de livres les grandes questions de l'existence d'un point de vue chrétien : la présence de Dieu, l'amour, la foi et la grâce, la domination de la technique sur l'homme. Parmi ses ouvrages les plus connus, citons : Destin de l'homme (1941), L’Échelle de Jacob (1942) et Retour au réel (1943). En juillet 1941, Thibon rencontre Simone Weil dans son usine, alors qu'elle avait été chassée de l'université en tant qu'intellectuelle d'origine juive. Elle lui confie le manuscrit d'un de ses livres les plus célèbres, La pesanteur et la grâce, que Thibon publiera en 1947, faisant ainsi connaître au monde la jeune philosophe morte de tuberculose en Angleterre en août 1943. Thibon avait été influencé par Pascal et par Péguy, mais aussi par Nietzsche et par Maurras. Dans tous ses livres, il a dénoncé la marginalisation des “exigences de l'esprit” dans la société contemporaine. De concert avec Jean Guitton, il est aujourd'hui considéré comme l'un des phares de la pensée catholique française du XXe siècle, mais il avait choisi de vivre en retrait, refusant toute charge académique ».
C'est bien entendu la dimension paysanne de Thibon, l'influence du vitalisme (qu'il reliait à la doctrine catholique de l'incarnation), de Nietzsche et de Péguy sur sa pensée, qui nous intéresse dans son œuvre. De même que cette proximité entre le paysan monarchiste et Simone Weil, théoricienne de l'enracinement, à la suite de sa lecture attentive de Péguy, chantre des “petites et honnêtes gens”, qui font la solidité des peuples. Mieux : l'œuvre de Thibon démarre avec une réflexion approfondie sur l'œuvre de Ludwig Klages, figure cardinale de la Révolution conservatrice et des premières années du Cercle de Stefan George (les Cosmiques de Munich), un Klages pourtant fort peu suspect de complaisance avec le christianisme. Marc Eemans, lecteur attentif de Thibon, parce que celui-ci était justement le premier exégète français de Klages, reliait la pensée de ce catholique de l'Ardèche à celle de toutes les formes de catholicisme organique, liées en ultime instance à la mystique médiévale, résurgence d'un paganisme fondamental. Thibon, exégète de Klages, donne le coup d'envoi posthume à Simone Weil, théoricienne audacieuse de l'enracinement. Lier le paganisme de Klages, le catholicisme paysan de Thibon et le plaidoyer pour l'enracinement de Simone Weil permettrait de ruiner définitivement les manichéismes incapacitants et les simplismes binaires qui dominent l'univers médiatique et qui commencent dangereusement à déborder dans le champs scientifique.
► Robert Steuckers, Nouvelles de Synergies Européennes n°51, 2001.
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