En maintenant la centralisation administrative, la Restauration chaussa les bottes de la Révolution et de l'Empire et commit une erreur politique.
Comme les nations, chaque régime possède un caractère, une « nature » politique héritée de son histoire et qui lui est propre. Au lendemain de la chute de Napoléon - en 1815 plutôt qu'en 1 814 -, le retour des Bourbons sur le trône de France ne pouvait évidemment pas se traduire par un retour pur et simple à l'Ancien Régime. Par un souci légitime de restaurer l'union nationale, Louis XVIII ne revint même pas, un quart de siècle après les événements, sur les enrichissements que certains avaient tirés de la confiscation et de la vente des « biens nationaux » - notamment ceux du clergé -, entérinant ainsi les spoliations révolutionnaires.
Mais la rupture avec l'Ancienne France n'est bien sûr pas là. Elle s'inscrit dans l'adoption par Louis XVIII d'un système politique « à l'anglaise », avec deux chambres au sein desquelles s'affrontent des partis politiques, et par la conservation de la centralisation héritée de la Révolution jacobine et de l'Empire, notamment avec le maintien des départements et des préfets. Par là, la Restauration chausse les bottes de Napoléon.
Aux premières pages d'une étude intitulée L'Idée de la décentralisation, publiée en 1898, Charles Maurras, le constate : « Le premier Empire ne pouvait décentraliser. Mais on raconte que, dès 1814, un groupe de légitimistes de la nuance de M. de Bonald vint prier le duc d’Angoulême(1), qui passait à Bordeaux, d'insister près du trône en faveur des anciennes franchises communales et provinciales. « Etes-vous fous, messieurs ? » répondit le duc, avec un sourire de profond politique. Il était convaincu, comme un grand nombre d'émigrés, que le césarisme administratif établi par le Corse rendrait de beaucoup plu aisé le gouvernement de la France. Les esprits réfléchis ne partageaient point cette erreur. Chateaubriand, Villèle, Corbière, Royer-Collard, le comte de Serre, Benjamin Constant, Martignac essayèrent à plusieurs reprises de faire sentir la vérité au gouvernement et aux Chambres; leurs discours de 1815,1818, 1819,1821,1822,1824,1829 furent éloquents et leurs raisons brillantes ; tous échouèrent néanmoins par l'entêtement de la droite, ou celui de la gauche, ou même le mauvais vouloir du prince régnant. La centralisation fut maintenue. Elle ne sauva point le régime; elle ne servit même qu'à faire accepter plus aisément du pays entier les résultats de l'insurrection parisienne qui le renversa en trois jours. »
Nature du pouvoir et des contre-pouvoirs
Au vrai, les chambres ne pouvaient évidemment pas écouter des propositions qui auraient entamé leur propre pouvoir, en ressuscitant des libertés françaises plus anciennement légitimes : autrement dit, des contre-pouvoirs d'une nature différente et plus ancienne. Quant au roi, il ne pouvait manquer de se souvenir que pendant des siècles, la monarchie - c'est-à-dire le pouvoir -, s'était heurtée et confrontée à ces mêmes contre-pouvoirs, foisonnants et anarchiques. C'est ce souvenir qui éclaire la réponse du duc d'Angoulême : « Etes-vous fous, messieurs ? »
Pas plus que lui, Louis XV III ne comprend alors que la nature de ces contre-pouvoirs correspond à celle du pouvoir lui-même. En revanche, le bicamérisme dominé par les luttes partisanes entre en contradiction avec la monarchie, c'est-à-dire avec le prince lui-même sitôt qu'il entend gouverner contre les chambres. Cette contradiction sous-tend les critiques qui se feront entendre lorsque Charles X, à la différence de Louis XVIII, se fera sacrer- ce qui réintroduit la question de la source de la légitimité. Et en 1830, la logique des chambres finira par l'emporter sur la logique du roi.
Une centralisation brutale
Pouvait-il en aller autrement et Louis XVUI aurait-il pu restaurer les franchises et libertés françaises? Le souvenir n'en était pas lointain et un quart de siècle plus tôt, la Révolution n'avait pu imposer la centralisation que par la force, provoquant le soulèvement de villes et de provinces. Le « pays réel » eût probablement été mieux représenté, dans sa diversité et ses « forces vives », qu'au sein de chambres élues au suffrage censitaire.
Il est par ailleurs à noter que la Restauration ne revint pas sur l'interdiction datant de 1791 (lois d'Allarde et Le Chapelier) des corporations, du compagnonnage (qu'elle toléra cependant) et des associations ouvrières, ni sur le livret d'ouvrier créé par Napoléon.
En 1865, dans sa Lettre sur les ouvriers, le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, appelant à la restauration du droit d'association, rappellera cependant que « la royauté a toujours été la patronne des classes ouvrières ».
Hervé Bizien monde & vie 30 avril 2014
1) Fils aîné de Charles X.
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