Retour sur la Révolution française
« Tous les régimes totalitaires du XXe siècle ont eu de manière directe ou indirecte, comme modèle la Terreur et comme référence Robespirre. » (Ronald Sécher)
Une révolution sémantique
Une des grandes innovations de la Révolution française réside dans la manipulation sémantique à laquelle ses idéologues se sont livrés. Des mots tels que patrie, nation et peuple ont été redéfinis de façon à les inscrire dans la perspective révolutionnaire.
« Pour les révolutionnaires, pour Brissot, pour Condorcet, pour Guadet, la “patrie” se définit par des idées et non par une histoire, un territoire et une population. La patrie n’est plus la terre des pères mais la communauté des citoyens. Pour les révolutionnaires, les termes patrie, constitution, liberté, pacte social et Révolution sont interchangeables. Cette définition idéologique de la patrie donne à la lutte qui commence son caractère idéologique. L’ennemi n’est pas uniquement en dehors des frontières. Est ennemie toute personne qui n’adhère pas à la Constitution, toute personne qui rejette la Révolution … A l’inverse est patriote toute personne qui adopte les idéaux de la Révolution, où qu’elle se trouve. »
De ces modifications du sens de mots clefs tels que nation ou patrie, il résulte une ambiguïté qui est toujours d’actualité. Quand les hérauts contemporains de l’idéologie révolutionnaire, y compris les souverainistes « chevènementistes », parlent de nation française, ils ne parlent pas de la communauté issue des communautés historiques installées dans les terroirs de France depuis des lustres, ils parlent de l’agrégat d’individus vivant en France aujourd’hui et qui partagent l’idéologie issue de la Révolution française. Ces derniers constituent le camp des républicains, lesquels ont le devoir de dénoncer à la vindicte publique, comme en 1793, les mal-pensants rétifs à l’idéologie des droits de l’homme et à tous les principes issus de cette révolution.
Un gouvernement génocidaire
Jusqu’à la découverte par Reynald Sécher (Vendée : du génocide au mémoricide, Cerf, 2011) à la Bibliothèque Nationale en 2011 des ordres manuscrits signés par Barère, Billaud-Varenne, Robespierre … concernant l’extermination systématique des Vendéens, la justification officielle de ces crimes commis contre une population bien précise reposait sur la nécessité qui s’imposait au gouvernement révolutionnaire d’éradiquer une révolte qui mettait en péril le pays engagé par ailleurs dans une guerre étrangère. Par ailleurs, les historiens favorables à cette révolution ont toujours nié la volonté génocidaire et ont expliqué les crimes commis au sud de la Loire par la médiocrité ou l’extrémisme de certains généraux :
« Ainsi, Jean-Clément Martin fait de la Terreur le fruit conjugué du péril extérieur et de la faiblesse de l’Etat … Cette affirmation n’a qu’un but, explicitement assumé : dédouaner le gouvernement révolutionnaire de 1793 de toute parenté avec les expériences totalitaires du XXe siècle. »
Le problème est que toutes ces justifications ressassées depuis plus de deux siècles sont fausses. Les « grands ancêtres » ont bien inventé le génocide idéologique et les génocideurs soviétiques, chinois ou cambodgiens ont été leurs héritiers, comme l’a dit Alexandre Soljenitsyne lors de son voyage en Vendée. Comme l’a écrit Reynald Sécher : « Tous les régimes totalitaires du XXe siècle ont eu, de manière directe ou indirecte, pour modèle la Terreur et pour référence Robespierre » et, plus loin : « Si, comme le dit Rafael Lemkin, les génocides ont existé de tout temps, le génocide des Vendéens, lui, est le premier génocide légal, c’est-à-dire voté par les représentants du peuple, et le premier génocide moderne de type proto-industriel ».
Un trotskysme français
Bien avant Napoléon Bonaparte, qui fut dans sa jeunesse un Jacobin très militant, les révolutionnaires ont imaginé d’exporter par la guerre leur révolution dans toute l’Europe pour l’unifier autour des idées révolutionnaires.
« L’Assemblée n’est pas éloignée de croire que les armées révolutionnaires seront accueillies triomphalement par tous ceux qui, hors des frontières, “gémissant sous le joug des despotes ”, mettent leurs espoirs dans la Révolution française. Il suffit à la France révolutionnaire de tendre la main aux peuples pour que les « tyrans couronnés » soient balayés. »
Bonaparte sera fidèle à cette orientation et il tentera de conquérir les esprits en écrasant militairement toutes les monarchies européennes et en imposant les principes révolutionnaires dans le sillage de ses victoires. On sait comment toute cette épopée délirante générée par l’hubris d’un révolutionnaire doublé d’un aventurier s’est terminée : la ruine de la France, une profonde saignée démographique et l’occupation de notre pays par les puissances victorieuses.
Girondins et Jacobins
Beaucoup de gens opposent les Girondins aux Jacobins, en particulier quand il s’agit des libertés locales. Ainsi il y aurait, face au centralisme jacobin, un fédéralisme girondin qui pourrait constituer la base théorique d’une autre façon de concevoir la France. Tout cela est infondé, comme l’a écrit Mona Ozouf et comme le rappelle Philippe Pichot-Bravard :
« Ce qui rapproche les Girondins des Montagnards est plus important que ce qui les éloigne … Née de l’antagonisme entre Brissot et Robespierre à propos de la déclaration de guerre, l’opposition des Girondins et des Montagnards est d’abord un conflit de personnes et de caractères avant d’être un conflit d’idées. »
Les Girondins n’ont jamais été partisans du fédéralisme mais ils ont été accusés de fédéralisme par leurs concurrents jacobins. En réalité, la différence résidait dans le fait que les Girondins souhaitaient la participation des citoyens des villes de province et refusaient le monopole que s’étaient octroyé les révolutionnaires parisiens. Il n’y a pas là d’embryon d’une conception fédérale de la France, contrairement à ce qu’on entend fréquemment. Jacobins et Girondins étaient aussi centralistes et partisans de l’uniformisation les uns que les autres.
Mona Ozouf écrivait dans le Monde des débats de janvier 2001 :
« A l’origine, Girondins et Jacobins n’étaient que deux factions qui se disputaient le pouvoir … En outre, il leur arrivait de partager le même vocabulaire et d’échanger leurs arguments. La République ? “C’est elle qu’il faut envisager sans cesse, avec l’entière abstraction de tout lieu et de toute personne ”. Quel exalté parle ici ? Chevènement ? Pasqua ? Mais non, c’est Buzot, pur Girondin. Il faut donc réviser nos réflexes. Les Girondins ont tous été Jacobins à un moment quelconque, si on entend par là l’appartenance au Club de la rue Saint-Honoré ; Jacobins aussi si on définit le jacobinisme par le patriotisme exclusif et le rêve fiévreux d’une France guerrière rédemptrice de l’humanité. »
La Révolution contre la démocratie
Il est évident pour quasiment tout le monde que la Révolution de 1789 a instauré la démocratie en France. Cette banalité est très contestable parce qu’en fait les révolutionnaires ont mis en place un système représentatif et non pas une démocratie. Ils opposaient de manière très claire celui-ci à celle-là, comme l’expliquait Siéyès dans un très important discours prononcé le 7 septembre 1789. Nous avons hérité de ce système représentatif qui est aux antipodes de la démocratie comme nous le verrons dans un prochain article. Ce système représentatif qui prétend être « la » démocratie est à l’origine du malaise explosif que nous connaissons.
La révolution n'est pas terminée
Vincent Peillon a écrit dans son livre intitulé La Révolution française n’est pas terminée (Le Seuil, 2008) :
« La Révolution française est l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est un commencement absolu […] 1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement par un brusque saut de l’histoire d’un homme nouveau […]. La Révolution implique l’oubli total de ce qui précède la Révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines. »
Et dans le Journal du dimanche du 2 septembre 2012 il précisait sa pensée en déclarant que le rôle fondamental de l’école consistait à « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix ». Il nous dit donc très clairement que le projet révolutionnaire de construction (il s’agit bien de constructivisme) d’un homme nouveau que tous les régimes socialistes et communistes ont essayé de mettre en œuvre, à la suite de la Révolution française, est toujours d’actualité. Il s’agit de tirer un trait sur tous les errements hérités de l’histoire pour laisser se développer librement des esprits débarrassés de tous les miasmes du passé.
Nous sommes toujours là dans l’utopie de l’homme nouveau mais V. Peillon l’aborde du point de vue libéral/libertaire qui est marqué par le fantasme narcissique de l’autoengendrement. Cette approche peut sembler plus acceptable que celles des regrettés régimes soviétique et maoïste mais en fait le résultat est le même parce qu’une fois qu’on a dépouillé les enfants de tous leurs héritages, il faut bien combler le vide et c’est là qu’interviennent les pédagogues chargés d’installer dans les jeunes cerveaux un « logiciel » culturel prétendument neutre mais qui est en fait très tendancieux. En quoi la culture très marquée idéologiquement et très contestable de MM. Meirieu et consorts est-elle préférable à la culture issue des familles et des communautés d’appartenance ?
Toute cette entreprise qui se présente comme « libératrice » est en fait une entreprise de « formatage » culturel totalitaire ; les idéologues de gauche, y compris les libéraux-libertaires, sont incapables de se départir de leur tendance maladive à la reconstruction de l’humanité malgré toutes les catastrophes que cette obsession a engendrées dans le passé. Cette tendance constructiviste a sa source dans la croyance selon laquelle l’homme est une tabula rasa au moment de sa naissance ; cette croyance a été démentie par les éthologues, mais Vincent Peillon préfère se bercer des illusions héritées de la philosophie du XVIIIe siècle.
Il est temps d’en finir avec la référence obligatoire et unique à la Révolution française, non pas pour en revenir à l’Ancien Régime, mais pour penser un républicanisme débarrassé de l’idéologie des droits de l’homme, du libéralisme, de l’individualisme et de l’égalitarisme.
Bruno Guillard, 31/3/2014
Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, éd. Via Romana, préface de Philippe de Villiers, février 2014, 294 pages.
Philippe Pichot-Bravard est docteur en droit et maître de conférences en histoire du droit public. Il a publié plusieurs ouvrages dont une Histoire constitutionnelle des Parlements de l’ancienne France (Ellipses, 2012) et un ouvrage intitulé La Révolution française qui vient de paraître aux éditions Via Romana.
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