L’étonnant
succès d’un feuilleton télévisé drôle, iconoclaste et parfois profond, a
provoqué dans le public ces dernières années un regain d’intérêt et de
curiosité envers la geste arthurienne. Il reste cependant difficile
d’appréhender la personnalité et l’existence du souverain le plus
mythique d’Occident.
Martin Aurell, auteur de La Légende du roi Arthur, se garde bien de s’attaquer à l’aspect biographique du problème, choix sage et avisé, mais décevant pour la plupart des curieux. Pouvait-il faire autrement ? Sans doute pas. Née au Ve siècle, dans les grands bouleversements entraînés par le retrait de Rome de Bretagne, les raids de pirates irlandais, les invasions angles et saxonnes, l’immigration massive des Bretons chassés de leurs terres, l’histoire d’Arthur est sans doute, à l’origine, celle d’un “tiern”, un chef de guerre celte catholique et romanisé, qui coalisa les clans et résista avec plus de talent que les autres à l’envahisseur germanique. Sa mort au combat marqua pour les siens la fin de tout espoir. Ne leur restait qu’à se soumettre ou s’exiler.
L’on comprend que, dans leur immense amertume, les Bretons aient héroïsé le chef disparu et incarné en lui leurs rêves de revanche, affirmant qu’Arthur n’était pas mort, qu’il reviendrait reforger Excalibur et sauver la nation celtique. Roi perdu, figure du Grand Monarque, Arthur est tout cela, ce qui suffit à faire de lui un symbole de premier plan. Tolkien le savait qui s’en servit pour dessiner la figure d’Aragorn dans Le Seigneur des Anneaux.
Ces aspects-là ne sont cependant pas, en dépit de leur intérêt, ceux qui ont retenu Martin Aurell. Tournant le dos à l’insaisissable chef celte des origines, à ses avatars mystiques et politiques, il a choisi de se pencher exclusivement sur le destin littéraire médiéval d’Arthur, et la lecture que firent clercs et puissants d’Europe de sa geste. Passant d’un manuscrit à l’autre, il montre comment l’histoire des chevaliers de la Table Ronde et du Saint Graal, transplantée de son terreau primitif aux cours royales du XIIe siècle, est devenue modèle d’éducation, d’initiation à l’amour courtois, quête religieuse et miroir des princes d’Occident.
Tel quel, ce gros ouvrage ne s’adresse certes pas au grand public mais, à défaut de proposer une impossible biographie d’un homme entré dans la légende, il donne d’une partie de cette légende foisonnante une analyse claire et très complète qui mêle habilement histoires littéraire et sociale.
Antiques croyances
Les lecteurs qui désireraient ensuite revenir aux sources, c’est-à-dire aux romans médiévaux, le pourront sans peine grâce à la précieuse collection de poche des Lettres gothiques, qui propose en édition bilingue, vieux français et version moderne, accompagnée de nombreuses notes et d’introductions fouillées, la plupart des textes. S’y replonger permet de constater par soi-même que ces récits fonctionnent encore et procurent à ceux qui les lisent aujourd’hui le même plaisir qu’il y a huit ou neuf cents ans. Leurs auteurs le savaient si bien qu’ils n’hésitèrent pas à inventer des suites extravagantes riches en rebondissements, à l’instar de La fausse Guenièvre, tome 3 de Lancelot du Lac, où l’on voit une aventurière, bâtarde de Léodagan de Carmélide, usurper la place de la reine, sa demi-soeur. Lancelot parviendra-t-il à faire éclater la vérité et sauver celle qu’il aime en secret ? La question tint en haleine le public de l’époque.
Cependant, jusque dans les versions médiévales, subsistent des allusions très nettes à d’antiques croyances ou coutumes celtiques ou indo-européennes, qui permettent de décrypter un univers à la fois très lointain et très proche tant il fait inconsciemment partie de notre patrimoine. Thierry Jigourel en propose une grille de lecture avec Merlin, Tristan, Is et autres contes brittoniques.
Réécriture personnelle de ces récits légendaires parmi les plus populaires, ce livre cherche d’abord à les replacer dans leur contexte primitif. Il n’est pas faux de relire l’histoire de la ville d’Ys, aujourd’hui connue à travers des embellissements littéraires très tardifs puisque certains datent de 1920, comme un apologue sur l’affrontement entre le paganisme et le christianisme. Il en va de même de presque tous ces récits. Trop systématiquement peut-être car le monde celte se christianisa avec une stupéfiante facilité, en partie parce que les évangélisateurs eurent l’intelligence de ne pas heurter de front les mentalités et de respecter ce qui pouvait l’être sans risque. Thierry Jigourel connaît bien le sujet et en parle avec autant de flamme que de talent. Cela rend son livre plaisant tant il est passionné, mais aussi, et fatalement, injuste dans son dénigrement de la foi chrétienne.
Mieux vaut donc ne pas le donner à de trop jeunes lecteurs en raison d’une apologie du paganisme séduisante et tentatrice pour ceux qui ne sauraient en voir les failles et les limites.
Anne Bernet L’Action Française 2000 n° 2742 – du 21 février au 5 mars 2008
* Martin Aurell : La Légende du roi Arthur. Perrin, 695 p., 25,80 euros.
* Anonyme : La Fausse Guenièvre ; Lancelot du Lac, tome III. Lettres Gothiques, Le Livre de poche, 350 p. prix non communiqué.
* Thierry Jigourel : Merlin, Tristan, Is et autres contes brittoniques. Jean Picollec, 270 p., 19 euros.
Martin Aurell, auteur de La Légende du roi Arthur, se garde bien de s’attaquer à l’aspect biographique du problème, choix sage et avisé, mais décevant pour la plupart des curieux. Pouvait-il faire autrement ? Sans doute pas. Née au Ve siècle, dans les grands bouleversements entraînés par le retrait de Rome de Bretagne, les raids de pirates irlandais, les invasions angles et saxonnes, l’immigration massive des Bretons chassés de leurs terres, l’histoire d’Arthur est sans doute, à l’origine, celle d’un “tiern”, un chef de guerre celte catholique et romanisé, qui coalisa les clans et résista avec plus de talent que les autres à l’envahisseur germanique. Sa mort au combat marqua pour les siens la fin de tout espoir. Ne leur restait qu’à se soumettre ou s’exiler.
L’on comprend que, dans leur immense amertume, les Bretons aient héroïsé le chef disparu et incarné en lui leurs rêves de revanche, affirmant qu’Arthur n’était pas mort, qu’il reviendrait reforger Excalibur et sauver la nation celtique. Roi perdu, figure du Grand Monarque, Arthur est tout cela, ce qui suffit à faire de lui un symbole de premier plan. Tolkien le savait qui s’en servit pour dessiner la figure d’Aragorn dans Le Seigneur des Anneaux.
Ces aspects-là ne sont cependant pas, en dépit de leur intérêt, ceux qui ont retenu Martin Aurell. Tournant le dos à l’insaisissable chef celte des origines, à ses avatars mystiques et politiques, il a choisi de se pencher exclusivement sur le destin littéraire médiéval d’Arthur, et la lecture que firent clercs et puissants d’Europe de sa geste. Passant d’un manuscrit à l’autre, il montre comment l’histoire des chevaliers de la Table Ronde et du Saint Graal, transplantée de son terreau primitif aux cours royales du XIIe siècle, est devenue modèle d’éducation, d’initiation à l’amour courtois, quête religieuse et miroir des princes d’Occident.
Tel quel, ce gros ouvrage ne s’adresse certes pas au grand public mais, à défaut de proposer une impossible biographie d’un homme entré dans la légende, il donne d’une partie de cette légende foisonnante une analyse claire et très complète qui mêle habilement histoires littéraire et sociale.
Antiques croyances
Les lecteurs qui désireraient ensuite revenir aux sources, c’est-à-dire aux romans médiévaux, le pourront sans peine grâce à la précieuse collection de poche des Lettres gothiques, qui propose en édition bilingue, vieux français et version moderne, accompagnée de nombreuses notes et d’introductions fouillées, la plupart des textes. S’y replonger permet de constater par soi-même que ces récits fonctionnent encore et procurent à ceux qui les lisent aujourd’hui le même plaisir qu’il y a huit ou neuf cents ans. Leurs auteurs le savaient si bien qu’ils n’hésitèrent pas à inventer des suites extravagantes riches en rebondissements, à l’instar de La fausse Guenièvre, tome 3 de Lancelot du Lac, où l’on voit une aventurière, bâtarde de Léodagan de Carmélide, usurper la place de la reine, sa demi-soeur. Lancelot parviendra-t-il à faire éclater la vérité et sauver celle qu’il aime en secret ? La question tint en haleine le public de l’époque.
Cependant, jusque dans les versions médiévales, subsistent des allusions très nettes à d’antiques croyances ou coutumes celtiques ou indo-européennes, qui permettent de décrypter un univers à la fois très lointain et très proche tant il fait inconsciemment partie de notre patrimoine. Thierry Jigourel en propose une grille de lecture avec Merlin, Tristan, Is et autres contes brittoniques.
Réécriture personnelle de ces récits légendaires parmi les plus populaires, ce livre cherche d’abord à les replacer dans leur contexte primitif. Il n’est pas faux de relire l’histoire de la ville d’Ys, aujourd’hui connue à travers des embellissements littéraires très tardifs puisque certains datent de 1920, comme un apologue sur l’affrontement entre le paganisme et le christianisme. Il en va de même de presque tous ces récits. Trop systématiquement peut-être car le monde celte se christianisa avec une stupéfiante facilité, en partie parce que les évangélisateurs eurent l’intelligence de ne pas heurter de front les mentalités et de respecter ce qui pouvait l’être sans risque. Thierry Jigourel connaît bien le sujet et en parle avec autant de flamme que de talent. Cela rend son livre plaisant tant il est passionné, mais aussi, et fatalement, injuste dans son dénigrement de la foi chrétienne.
Mieux vaut donc ne pas le donner à de trop jeunes lecteurs en raison d’une apologie du paganisme séduisante et tentatrice pour ceux qui ne sauraient en voir les failles et les limites.
Anne Bernet L’Action Française 2000 n° 2742 – du 21 février au 5 mars 2008
* Martin Aurell : La Légende du roi Arthur. Perrin, 695 p., 25,80 euros.
* Anonyme : La Fausse Guenièvre ; Lancelot du Lac, tome III. Lettres Gothiques, Le Livre de poche, 350 p. prix non communiqué.
* Thierry Jigourel : Merlin, Tristan, Is et autres contes brittoniques. Jean Picollec, 270 p., 19 euros.
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