Cette année-là, Louis XVIII, soixante-cinq ans, roi de France de jure depuis la mort de son neveu Louis XVII en 1795, roi effectif depuis 1814 (sauf de mars à juin 1815 pendant les funestes Cent Jours napoléoniens), avait mérité la reconnaissance des Français en empêchant quatre ans plus tôt, par sa prudence et sa détermination, le démembrement de la France, en activant l'évacuation des armées étrangères et en reconstituant, avec l'aide du baron Louis, les finances du pays. La restauration avançait dans tous les domaines. Comme le montre Jacques Bainville, le roi s'était toutefois fait illusion sur la possibilité en France d'un régime d'assemblées. En octroyant la Charte, il avait donné à la classe politique le goût d'oublier dans les jeux parlementaires le service de la France. Depuis le renvoi en 1816 de la chambre des députés à majorité royaliste, dite "chambre introuvable", et l'arrivée au pouvoir du "modéré" Decazes qui n'hésitait pas, au nom du juste milieu, à se servir de la gauche pour battre "l'extrême droite", le parti libéral se commettait avec une gauche s'affichant de plus en plus antidynastique. Il s'en était suivi toute une agitation de tribune, relayée par une presse fort turbulente, dont le rôle venait d'être encore accru fin 1819 par une loi fort libérale à son sujet.
Joie et espérance
De son côté le roi venait de mettre au pas la Chambre des pairs, considérée comme "ultra", tandis que l'élection à Grenoble de l'ancien évêque constitutionnel l'abbé Grégoire qui avait, certes non pas voté, mais réclamé la mort de Louis XVI, constituait une véritable insulte à la monarchie. Ouvrant quelque peu les yeux sur la fragilité de l'utopie du juste milieu, Decazes entreprit alors de modifier la loi électorale de façon à défavoriser la moyenne bourgeoisie tout acquise au libéralisme. Le projet de loi devait être déposé à la Chambre le 14 février 1820.
Or, dans la nuit du dimanche 13, le neveu du roi, le duc de Berry, fils du comte d'Artois, fut poignardé sur les marches de l'Opéra, rue de Richelieu, alors qu'il venait de raccompagner son épouse à sa voiture. L'assassin, vite rattrapé, se nommait Louis-Pierre Louvel, sellier aux écuries royales. Il déclara aussitôt qu'il avait voulu par son geste éteindre la « tige féconde et régénératrice » de la race « maudite » des Bourbons. Bien qu'il eût toujours dit qu'il avait agi seul, un véritable danger révolutionnaire se dessina jusque dans la rue les jours suivants, et l'on rendit Decazes responsable par son laxisme de la mort du prince.
Une mort d'autant plus catastrophique que l'autre neveu de Louis XVIII, Louis-Antoine, duc d'Angoulême (1775-1851), n'ayant pas eu d'enfant de son mariage avec sa cousine Marie-Thérèse-Charlotte (Madame Royale), fille de Louis XVI, tout l'avenir de la dynastie reposait sur le défunt Charles-Ferdinand, duc de Berry, né en 1778, qui avait épousé en 1816 Marie-Caroline de Bourbon, fille de François Ier roi des Deux- Siciles, née à Naples en 1798, et dont il n'avait pour le moment qu'une fille, Louise-Marie-Thérèse, née en 1819 (future duchesse de Parme). La branche aînée paraissait quelque peu étriquée, en comparaison avec la famille du fils de Philippe Égalité, Louis-Philippe, duc d'Orléans, qui, au Palais-Royal, tout près des Tuileries, ne cachait pas sa fierté des trois garçons que lui avait déjà donnés son épouse Marie-Amélie de Bourbon-Siciles, nièce par sa mère de la reine Marie-Antoinette et tante de la jeune duchesse de Berry !
Toutefois le sinistre Louvel, condamné à mort le 6 juin 1820 et guillotiné le 7, mourut sans savoir que le prince, expirant en grand chrétien, avait demandé sa grâce. Il ne sut pas non plus que son forfait n'avait servi à rien : la duchesse de Berry était enceinte et Dieu voulut qu'elle accouchât le 29 septembre de la même année (jour de la Saint-Michel !) au Palais des Tuileries... enfin d'un garçon : Henri-Charles-Ferdinand-Marie-Dieudonné, duc de Bordeaux.
Avec les jeunes poètes Lamartine et Victor Hugo, avec tout Paris carillonnant, c'est tout le coeur de la France qui se mit à vibrer de joie et d'espérance. Decazes dut se retirer et les libéraux réduire pour un temps leurs exigences. Une souscription publique fut ouverte pour offrir à « l'enfant du miracle » le château de Chambord dont il devait porter le titre avec celui de roi Henri V, après son départ en exil en 1830 à l'âge de dix ans, avec son grand-père comte d'Artois devenu Charles X et son oncle duc d'Angoulême devenu Louis XIX, tous deux abdiquant pour ne pas avoir à faire couler le sang français lors d'une émeute préparée par une bourgeoisie qui n'incarnerait en rien le pays réel français. Quel malheur que ce prince jusqu'à sa mort à Froshdorf en 1883 fût si méconnu des Français dont, en vrai capétien, il aurait si bien compris les besoins – ses déclarations sur les ouvriers en font foi – face aux nouvelles féodalités du capitalisme sans frein !
Michel Fromentoux : L’Action Française 2000 n° 2749 – du 12 au 18 juin 2008
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