II – fraternité
Enfin, la troisième idée révolutionnaire, le principe de fraternité, constitutif du régime cosmopolite imposa d’une part une complaisance sans borne pour tous les hommes à condition qu’ils habitassent fort loin de nous, nous fussent bien inconnus, parlassent une langue différente de la nôtre, ou, mieux encore, que leur peau fût d’une autre couleur ; mais, en revanche, ce beau principe nous présentait comme un monstre et comme un méchant quiconque, fût-il notre concitoyen, notre frère, ne partageait pas tous nos moindres accès de rage philanthropique. Le principe de fraternité planétaire, qui voudrait établir la paix de nation à nation, tourna vers l’intérieur de chaque pays et contre les compatriotes ces furieux mouvements de colère et d’inimitié qui sont secrètement gravés par la nature dans le mécanisme de l’homme, animal politique, mais politique carnassier. Les Français ont été induits à la guerre civile.
Charles Maurras
Romantisme et Révolution, Préface
Homme de paix s’il en fut, Charles Maurras se méfie du pacifisme dont les bons sentiments mènent à des massacres, et il en voit l’origine dans le troisième terme de la devise républicaine, Fraternité.
Actualité du texte
Quand Maurras publie en 1922 le volume Romantisme et Révolution qui unit L’Avenir de l’Intelligence à Trois Idées politiques et dont nous étudions un extrait de la préface, il ne peut certes imaginer de manière précise et concrète la rapidité et la facilité des transports que nous connaissons et qui, en conjonction avec l’idéologie mondialiste, fait de notre temps une époque de migrations humaines comparable aux derniers siècles de l’Empire romain d’Occident. Mais si nous adaptons le vocabulaire, si nous traduisons cette langue pure, dense, élégante dans le jargon du journalisme politique d’aujourd’hui, le texte brille d’une modernité qui ne surprendra que ceux qui ignorent la puissance d’analyse et de prévision de Maurras. « Paix de nation à nation » s’appelle mondialisme, la « fraternité planétaire » peut avoir pour équivalent la « maison commune » où certains idéologues veulent contraindre l’humanité à vivre, la « rage philanthropique » est devenue la doctrine des Droits de l’homme.
La fraternité républicaine, forme dévoyée de la charité devenue folle, ignore les hiérarchies de sentiments, de devoirs et de nécessités contingentes. Le coeur innombrable du démocrate bat pour la faim dans le monde contre laquelle il lutte globalement sans s’inquiéter de l’état de sa patrie où son prochain, au sens étymologique, risque de sombrer dans la misère.
La République se nourrit de haines civiques
Comme il fallait priver de liberté les ennemis de la Liberté, le moralisme démocratique a lui aussi besoin d’ennemis à dénoncer, à détester et à combattre. D’une part on aime le monde et de l’autre on hait le prochain qui ne partage pas l’idéologie de la fraternité universelle et on le présente « comme un monstre et comme un méchant ». C’est ce que le vocabulaire d’aujourd’hui appelle "diaboliser". Cette « haine fraternelle » a été parfaitement exprimée par un contemporain de la Révolution, le poète Lebrun-Ecouchard, auteur d’odes médiocres mais qui a frappé quelques belles épigrammes :
Bon Dieu ! l’aimable siècle, où [l’homme dit à l’homme : "Soyons Frères… ou je t’assomme ! » ]
Le système fondé sur la Liberté, l’Égalité et la Fraternité est donc un système de guerre civile. En appelant l’homme animal politique, « mais carnassier », Maurras pense, au-delà d’Aristote, à la formule d’Hobbes « l’homme est un loup pour l’homme ». Au-delà de la Fraternité qui déchire la Patrie, l’Action française veut en restaurer l’unité dans l’Ordre pacificateur et bienfaisant.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 n° 2744 – du 20 mars au 2 avril 2008
Enfin, la troisième idée révolutionnaire, le principe de fraternité, constitutif du régime cosmopolite imposa d’une part une complaisance sans borne pour tous les hommes à condition qu’ils habitassent fort loin de nous, nous fussent bien inconnus, parlassent une langue différente de la nôtre, ou, mieux encore, que leur peau fût d’une autre couleur ; mais, en revanche, ce beau principe nous présentait comme un monstre et comme un méchant quiconque, fût-il notre concitoyen, notre frère, ne partageait pas tous nos moindres accès de rage philanthropique. Le principe de fraternité planétaire, qui voudrait établir la paix de nation à nation, tourna vers l’intérieur de chaque pays et contre les compatriotes ces furieux mouvements de colère et d’inimitié qui sont secrètement gravés par la nature dans le mécanisme de l’homme, animal politique, mais politique carnassier. Les Français ont été induits à la guerre civile.
Charles Maurras
Romantisme et Révolution, Préface
Homme de paix s’il en fut, Charles Maurras se méfie du pacifisme dont les bons sentiments mènent à des massacres, et il en voit l’origine dans le troisième terme de la devise républicaine, Fraternité.
Actualité du texte
Quand Maurras publie en 1922 le volume Romantisme et Révolution qui unit L’Avenir de l’Intelligence à Trois Idées politiques et dont nous étudions un extrait de la préface, il ne peut certes imaginer de manière précise et concrète la rapidité et la facilité des transports que nous connaissons et qui, en conjonction avec l’idéologie mondialiste, fait de notre temps une époque de migrations humaines comparable aux derniers siècles de l’Empire romain d’Occident. Mais si nous adaptons le vocabulaire, si nous traduisons cette langue pure, dense, élégante dans le jargon du journalisme politique d’aujourd’hui, le texte brille d’une modernité qui ne surprendra que ceux qui ignorent la puissance d’analyse et de prévision de Maurras. « Paix de nation à nation » s’appelle mondialisme, la « fraternité planétaire » peut avoir pour équivalent la « maison commune » où certains idéologues veulent contraindre l’humanité à vivre, la « rage philanthropique » est devenue la doctrine des Droits de l’homme.
La fraternité républicaine, forme dévoyée de la charité devenue folle, ignore les hiérarchies de sentiments, de devoirs et de nécessités contingentes. Le coeur innombrable du démocrate bat pour la faim dans le monde contre laquelle il lutte globalement sans s’inquiéter de l’état de sa patrie où son prochain, au sens étymologique, risque de sombrer dans la misère.
La République se nourrit de haines civiques
Comme il fallait priver de liberté les ennemis de la Liberté, le moralisme démocratique a lui aussi besoin d’ennemis à dénoncer, à détester et à combattre. D’une part on aime le monde et de l’autre on hait le prochain qui ne partage pas l’idéologie de la fraternité universelle et on le présente « comme un monstre et comme un méchant ». C’est ce que le vocabulaire d’aujourd’hui appelle "diaboliser". Cette « haine fraternelle » a été parfaitement exprimée par un contemporain de la Révolution, le poète Lebrun-Ecouchard, auteur d’odes médiocres mais qui a frappé quelques belles épigrammes :
Bon Dieu ! l’aimable siècle, où [l’homme dit à l’homme : "Soyons Frères… ou je t’assomme ! » ]
Le système fondé sur la Liberté, l’Égalité et la Fraternité est donc un système de guerre civile. En appelant l’homme animal politique, « mais carnassier », Maurras pense, au-delà d’Aristote, à la formule d’Hobbes « l’homme est un loup pour l’homme ». Au-delà de la Fraternité qui déchire la Patrie, l’Action française veut en restaurer l’unité dans l’Ordre pacificateur et bienfaisant.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 n° 2744 – du 20 mars au 2 avril 2008
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