Quelques
jours après le « Jour de colère » organisé le 26 janvier dernier à
Paris, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a audacieusement
comparé dans le Journal du Dimanche le climat politique actuel avec
celui de l'avant-guerre : « Le point commun avec les années 1930,
c'est cet anti-républicanisme et la détestation violente dans les mots
comme dans les actes de nos valeurs et de nos principes. » Ce
rapprochement appartient à l'imaginaire paranoïaque d'une gauche
française qui, n'ayant pas eu à combattre un fascisme qui n'exista
jamais dans notre pays, a construit ses fantasmes morbides autour de la
date du 6 février 1934, autre jour de colère grimé en tentative de coup
de force. Il existe toutefois un point commun entre notre bel
aujourd'hui et cette époque : les Français pensaient déjà que leurs élus
étaient « tous pourris ». C'est ce sentiment qui fut à l'origine des
manifestations de 1936, au lendemain de l'affaire Stavisky, née d'une
escroquerie dans laquelle avaient tripatouillé des magistrats, des
parlementaires et un ministre.
Né en 1886 près de Kiev, dans une famille juive, et arrivé en France à l'âge de 12 ans, Alexandre Stavisky a déjà derrière lui, en 1933, une solide carrière d'aigrefin, cumulant les arnaques les plus variées. Arrêté en 1926 et libéré l'année suivante, il s'est refait une vertu en toc et strass, a investi dans des journaux, fréquenté les salons parisiens en vue et cultivé d'utiles relations dans les milieux politiques. Il commet pourtant une escroquerie de trop en détournant plus de 200 millions de francs au détriment du Crédit municipal de Bayonne, avec la complicité, entre autres, du député de cette ville. L'affaire éclate fin décembre 1933. Menée par Albert Prince, conseiller à la Cour d'appel de Paris, l'enquête met à jour les multiples connivences et protections dont l'escroc bénéficie dans les milieux politiques et judiciaires, mouillant, entre autres, le ministre des Colonies Albert Dalimier, radical et franc-maçon, et le procureur général Pressard, beau-frère du président du Conseil Camille Chautemps.
Multiplication de « suicides »
Recherché, Stavisky se réfugie dans un chalet qu'il possède à Chamonix, où il meurt, « suicidé » de deux balles dans la tête, lorsque les policiers viennent l'y arrêter, le 8 janvier 1934. L'affaire connaîtra un épilogue non moins sanglant avec la découverte, le 20 février, près de Dijon, du corps déchiqueté du conseiller Prince, attaché aux rails du chemin de fer: second « suicide »(1). Entretemps, c'est à Paris que le sang aura coulé.
Tout au long du mois de janvier, la ligue d'Action française y organise des manifestations presque quotidiennes, qui conduisent Camille Chautemps à démissionner, le 27 avril. Le président de la République, Albert Lebrun, demande alors à Edouard Daladier de former un cabinet. L'une des premières mesures que prend le nouveau président du Conseil est de relever de ses fonctions le préfet de police Jean Chiappe, qui avait la confiance des ligues et des anciens combattants. Cette décision apparaît comme une provocation et l'Union nationale des combattants (UNC) appelle à manifester le 6 février. Le quotidien L'Action française titre à la une : « Contre les voleurs, contre le régime abject, tous, ce soir, devant la Chambre ! »
Les gendarmes tirent ; les premiers morts tombent
Au jour dit, les principales ligues : AF, Solidarité française, Jeunesses patriotes, Croix-de-feu, la Fédération des contribuables, les anciens combattants de l'UNC, descendent dans la rue. Les gendarmes mobiles, gardes républicains à cheval et gardiens de la paix barrent la route à la foule pour l'empêcher d'atteindre le Palais-Bourbon. Vers 19 heures se produisent les premières échauffourées avec les manifestants, qui, massés sur la place de la Concorde, bombardent les forces de police de projectiles divers. Les gendarmes tirent ; les premiers morts tombent. Peu avant 22 heures, les gardes à cheval chargent la foule, qui riposte en jetant des pétards sous les ventres des chevaux et des billes d'acier sous leurs sabots. Les gendarmes ouvrent de nouveau le feu pour chasser définitivement les manifestants de la place de la Concorde. Le bilan de la soirée est lourd : 664 blessés et un tué du côté des forces dites de l'ordre; parmi les manifestants, 650 blessés et 16 morts - auxquels s'ajouteront six autres victimes, décédées des suites de leurs blessures.
Le lendemain, la gauche crie au complot « fasciste » visant à renverser la République. Faut-il y croire ? Comme l'a écrit Eric Vatré dans un article publié par la revue Enquête sur l’histoire(2), la marche sur le Palais-Bourbon, d'ailleurs désert ce soir-là, « ressortit avant tout au symbole, et ne pouvait constituer un objectif stratégique de coup d’État », d'autant moins que les manifestants n'étaient pas armés. En outre, « ce qui caractérise cette journée tragique, c'est une absence complète de coordination entre les ligues. (...) Ni programme ni chef susceptible de rassembler les opposants au régime, ni plan ni désir de prise de pouvoir. » Le colonel de La Rocque, chef des Croix-de-feu, fondamentalement républicain, a même refusé tout contact avec les autres responsables. Ses militants se dispersent d'ailleurs sans affronter la police.
Pour chercher autre chose, dans les événements du 6 février 1934, qu'une explosion de colère populaire, il faut donc lire l'histoire après qu'elle a été écrite : si, ce jour-là, la gendarmerie n'avait pas tiré sur le peuple, qui se souviendrait aujourd'hui de cette « nuit de sacrifice, qui reste dans notre souvenir avec son odeur, son vent froid, ses pâles figures courantes, ses groupes humains au bord des trottoirs... » ?(3)
Hervé Bizien monde & vie 25 février 2014
1) Pierre Bonny, policier véreux qui co-dirigera plus tard la gestapo de la rue Lauriston, avouera à son fils, avant d'être fusillé en décembre 1944, sa responsabilité dans le meurtre du conseiller Prince « pour défendre la République ».
2) Enquête sur l'histoire n° 6, printemps 1993.
3) Robert Brasillach, in Notre avant-guerre. L'écrivain sera fusillé le 6 février I945 : « Sur onze ans de retard, serai-je donc des vôtres ? je pense à vous ce soir, ô morts de février ».
Né en 1886 près de Kiev, dans une famille juive, et arrivé en France à l'âge de 12 ans, Alexandre Stavisky a déjà derrière lui, en 1933, une solide carrière d'aigrefin, cumulant les arnaques les plus variées. Arrêté en 1926 et libéré l'année suivante, il s'est refait une vertu en toc et strass, a investi dans des journaux, fréquenté les salons parisiens en vue et cultivé d'utiles relations dans les milieux politiques. Il commet pourtant une escroquerie de trop en détournant plus de 200 millions de francs au détriment du Crédit municipal de Bayonne, avec la complicité, entre autres, du député de cette ville. L'affaire éclate fin décembre 1933. Menée par Albert Prince, conseiller à la Cour d'appel de Paris, l'enquête met à jour les multiples connivences et protections dont l'escroc bénéficie dans les milieux politiques et judiciaires, mouillant, entre autres, le ministre des Colonies Albert Dalimier, radical et franc-maçon, et le procureur général Pressard, beau-frère du président du Conseil Camille Chautemps.
Multiplication de « suicides »
Recherché, Stavisky se réfugie dans un chalet qu'il possède à Chamonix, où il meurt, « suicidé » de deux balles dans la tête, lorsque les policiers viennent l'y arrêter, le 8 janvier 1934. L'affaire connaîtra un épilogue non moins sanglant avec la découverte, le 20 février, près de Dijon, du corps déchiqueté du conseiller Prince, attaché aux rails du chemin de fer: second « suicide »(1). Entretemps, c'est à Paris que le sang aura coulé.
Tout au long du mois de janvier, la ligue d'Action française y organise des manifestations presque quotidiennes, qui conduisent Camille Chautemps à démissionner, le 27 avril. Le président de la République, Albert Lebrun, demande alors à Edouard Daladier de former un cabinet. L'une des premières mesures que prend le nouveau président du Conseil est de relever de ses fonctions le préfet de police Jean Chiappe, qui avait la confiance des ligues et des anciens combattants. Cette décision apparaît comme une provocation et l'Union nationale des combattants (UNC) appelle à manifester le 6 février. Le quotidien L'Action française titre à la une : « Contre les voleurs, contre le régime abject, tous, ce soir, devant la Chambre ! »
Les gendarmes tirent ; les premiers morts tombent
Au jour dit, les principales ligues : AF, Solidarité française, Jeunesses patriotes, Croix-de-feu, la Fédération des contribuables, les anciens combattants de l'UNC, descendent dans la rue. Les gendarmes mobiles, gardes républicains à cheval et gardiens de la paix barrent la route à la foule pour l'empêcher d'atteindre le Palais-Bourbon. Vers 19 heures se produisent les premières échauffourées avec les manifestants, qui, massés sur la place de la Concorde, bombardent les forces de police de projectiles divers. Les gendarmes tirent ; les premiers morts tombent. Peu avant 22 heures, les gardes à cheval chargent la foule, qui riposte en jetant des pétards sous les ventres des chevaux et des billes d'acier sous leurs sabots. Les gendarmes ouvrent de nouveau le feu pour chasser définitivement les manifestants de la place de la Concorde. Le bilan de la soirée est lourd : 664 blessés et un tué du côté des forces dites de l'ordre; parmi les manifestants, 650 blessés et 16 morts - auxquels s'ajouteront six autres victimes, décédées des suites de leurs blessures.
Le lendemain, la gauche crie au complot « fasciste » visant à renverser la République. Faut-il y croire ? Comme l'a écrit Eric Vatré dans un article publié par la revue Enquête sur l’histoire(2), la marche sur le Palais-Bourbon, d'ailleurs désert ce soir-là, « ressortit avant tout au symbole, et ne pouvait constituer un objectif stratégique de coup d’État », d'autant moins que les manifestants n'étaient pas armés. En outre, « ce qui caractérise cette journée tragique, c'est une absence complète de coordination entre les ligues. (...) Ni programme ni chef susceptible de rassembler les opposants au régime, ni plan ni désir de prise de pouvoir. » Le colonel de La Rocque, chef des Croix-de-feu, fondamentalement républicain, a même refusé tout contact avec les autres responsables. Ses militants se dispersent d'ailleurs sans affronter la police.
Pour chercher autre chose, dans les événements du 6 février 1934, qu'une explosion de colère populaire, il faut donc lire l'histoire après qu'elle a été écrite : si, ce jour-là, la gendarmerie n'avait pas tiré sur le peuple, qui se souviendrait aujourd'hui de cette « nuit de sacrifice, qui reste dans notre souvenir avec son odeur, son vent froid, ses pâles figures courantes, ses groupes humains au bord des trottoirs... » ?(3)
Hervé Bizien monde & vie 25 février 2014
1) Pierre Bonny, policier véreux qui co-dirigera plus tard la gestapo de la rue Lauriston, avouera à son fils, avant d'être fusillé en décembre 1944, sa responsabilité dans le meurtre du conseiller Prince « pour défendre la République ».
2) Enquête sur l'histoire n° 6, printemps 1993.
3) Robert Brasillach, in Notre avant-guerre. L'écrivain sera fusillé le 6 février I945 : « Sur onze ans de retard, serai-je donc des vôtres ? je pense à vous ce soir, ô morts de février ».
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