«
Certaines personnes se croient d’autant mieux cultivées qu’elles ont
étouffé la voix du sang et l’instinct du terroir. Elles prétendent se
régler sur des lois qu’elles ont choisies délibérément et qui,
fussent-elles très logiques, risquent de contrarier nos énergies
profondes. Quant à nous, pour nous sauver d’une stérile anarchie, nous
voulons nous relier à notre terre et à nos morts…Voilà déjà qui nous
rabat l’orgueil individuel. Le “Moi” s’anéantit sous nos regards d’une
manière plus terrifiante encore si nous distinguons notre automatisme.
Quelque chose d’éternel gît en nous dont nous n’avons que l’usufruit,
mais cette jouissance même est réglée par les morts. Tous les maîtres
qui nous ont précédés et que j’ai tant aimés, et non seulement les Hugo,
les Michelet, mais ceux qui font transition, les Taine et les Renan,
croyaient à une raison indépendante existant en chacun de nous et qui
nous permet d’approcher de la vérité. L’individu, son intelligence, sa
faculté de saisir les lois de l’univers ! Il faut en rabattre. Nous ne
sommes pas les maîtres des pensées qui naissent en nous… Il n’y a pas
d’idées personnelles ; les idées, même les plus rares, les jugements,
même les plus abstraits, les sophismes de la métaphysique la plus
infatuée, sont des façons de sentir générales et apparaissent
nécessairement chez tous les êtres de même organisme assiégés par les
mêmes images. Notre raison, cette reine enchaînée, nous oblige à placer
nos pas sur les pas de nos prédécesseurs.
Dans cet excès d’humiliation, une magnifique douleur nous apaise, nous persuade d’accepter nos esclavages : c’est, si l’on veut bien comprendre – et non pas seulement dire du bout des lèvres, mais se représenter d’une manière sensible – que nous sommes le prolongement et la continuité de nos pères et mères. »
Maurice Barrès
Le deux novembre en Lorraine in Amori et dolori sacrum. Juven, Paris, 1903.
Sous le titre collectif de Culte du Moi, Maurice Barrès avait publié la trilogie qui comprend Sous l’oeil des Barbares (1888), Un Homme libre (1889) et Le Jardin de Bérénice (1891). Face au déterminisme matérialiste, face au naturalisme scientiste, Barrès cherchait à assurer l’épanouissement de son âme. Mais déjà, dans Le Jardin de Bérénice, il recherchait, au-delà de l’exaltation solitaire, des intercesseurs. La voix de la terre natale va l’arracher à l’individualisme romantique.
On peut s’arracher à l’erreur
Antérieur au livre qui l’a recueilli, Le deux novembre en Lorraine forme le point d’orgue d’Amori et dolori sacrum (1903). Le livre trouve son équilibre dans cette description de la Lorraine qui atteint un haut sommet du lyrisme en prose. Barrès dépasse son individualisme né du romantisme pour retrouver les plus vieilles traditions.
La réaction de Barrès nous réconforte : quel que soit le dévoiement de la pensée qu’ils aient pu subir et connaître à cause du milieu où ils ont été élevés et instruits, des esprits droits et vigoureux peuvent toujours réagir. Barrès a mené une réaction légitime contre un fatalisme naturaliste étouffant, et son effusion individualiste s’est transformée en un effort de discipline, de réorganisation mentale dès que la patrie fut retrouvée à travers l’approfondissement du Moi. L’examen de conscience se termina par une conversion au nationalisme. Barrès découvrit la vérité de l’être, qui est complexe, qui implique une solidarité entre les générations, une histoire, l’Histoire.
Aux sources du nationalisme
La doctrine nationaliste telle que la définira Charles Maurras se trouve en germe dans cette page. D’abord teintée de romantisme chez Barrès, la notion de “culte des morts” rejoindra le positivisme. Auguste Comte n’affirme-t-il pas : « les morts gouvernent les vivants » ? Robinson dans son île héritier de toute une civilisation, le célèbre petit poussin de La Politique naturelle (Mes Idées politiques), combien de comparaisons, combien d’images chères à Maurras nous viennent à l’esprit à la lecture de cette méditation de Barrès ! Scènes et doctrines du nationalisme confirmeront définitivement en 1902 l’évolution intellectuelle d’un homme qui s’est engagé depuis de longues années dans les luttes nationales.
« Si l’impressionnisme, le naturalisme et toutes les autres formes d’un romantisme dégénéré ont été vaincus devant l’intelligence française entre 1885 et 1895, c’est à Barrès, à Barrès seul, qu’est dû le principal honneur du triomphe… » (Maurras, Gazette de France, 9 avril 1905) Maurras a reconnu sa dette, il est toujours resté intimement lié à Barrès, même si ce dernier n’a pas été capable de pousser son amour de l’héritage national jusqu’au nationalisme intégral qui est la monarchie. Les précurseurs ne vont pas toujours au bout du chemin.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 21 juin au 4 juillet 2007
Dans cet excès d’humiliation, une magnifique douleur nous apaise, nous persuade d’accepter nos esclavages : c’est, si l’on veut bien comprendre – et non pas seulement dire du bout des lèvres, mais se représenter d’une manière sensible – que nous sommes le prolongement et la continuité de nos pères et mères. »
Maurice Barrès
Le deux novembre en Lorraine in Amori et dolori sacrum. Juven, Paris, 1903.
Sous le titre collectif de Culte du Moi, Maurice Barrès avait publié la trilogie qui comprend Sous l’oeil des Barbares (1888), Un Homme libre (1889) et Le Jardin de Bérénice (1891). Face au déterminisme matérialiste, face au naturalisme scientiste, Barrès cherchait à assurer l’épanouissement de son âme. Mais déjà, dans Le Jardin de Bérénice, il recherchait, au-delà de l’exaltation solitaire, des intercesseurs. La voix de la terre natale va l’arracher à l’individualisme romantique.
On peut s’arracher à l’erreur
Antérieur au livre qui l’a recueilli, Le deux novembre en Lorraine forme le point d’orgue d’Amori et dolori sacrum (1903). Le livre trouve son équilibre dans cette description de la Lorraine qui atteint un haut sommet du lyrisme en prose. Barrès dépasse son individualisme né du romantisme pour retrouver les plus vieilles traditions.
La réaction de Barrès nous réconforte : quel que soit le dévoiement de la pensée qu’ils aient pu subir et connaître à cause du milieu où ils ont été élevés et instruits, des esprits droits et vigoureux peuvent toujours réagir. Barrès a mené une réaction légitime contre un fatalisme naturaliste étouffant, et son effusion individualiste s’est transformée en un effort de discipline, de réorganisation mentale dès que la patrie fut retrouvée à travers l’approfondissement du Moi. L’examen de conscience se termina par une conversion au nationalisme. Barrès découvrit la vérité de l’être, qui est complexe, qui implique une solidarité entre les générations, une histoire, l’Histoire.
Aux sources du nationalisme
La doctrine nationaliste telle que la définira Charles Maurras se trouve en germe dans cette page. D’abord teintée de romantisme chez Barrès, la notion de “culte des morts” rejoindra le positivisme. Auguste Comte n’affirme-t-il pas : « les morts gouvernent les vivants » ? Robinson dans son île héritier de toute une civilisation, le célèbre petit poussin de La Politique naturelle (Mes Idées politiques), combien de comparaisons, combien d’images chères à Maurras nous viennent à l’esprit à la lecture de cette méditation de Barrès ! Scènes et doctrines du nationalisme confirmeront définitivement en 1902 l’évolution intellectuelle d’un homme qui s’est engagé depuis de longues années dans les luttes nationales.
« Si l’impressionnisme, le naturalisme et toutes les autres formes d’un romantisme dégénéré ont été vaincus devant l’intelligence française entre 1885 et 1895, c’est à Barrès, à Barrès seul, qu’est dû le principal honneur du triomphe… » (Maurras, Gazette de France, 9 avril 1905) Maurras a reconnu sa dette, il est toujours resté intimement lié à Barrès, même si ce dernier n’a pas été capable de pousser son amour de l’héritage national jusqu’au nationalisme intégral qui est la monarchie. Les précurseurs ne vont pas toujours au bout du chemin.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 21 juin au 4 juillet 2007
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