« Plus
la raison humaine confine en elle-même, plus elle cherche à tirer tous
ses moyens d’elle-même et plus elle est absurde, plus elle montre son
impuissance. C’est pourquoi le plus grand fléau de l’univers a toujours
été, dans tous les siècles, ce qu’on appelle philosophie. »
Joseph de MAISTRE
(Étude sur la Souveraineté I, 8)
Ce texte court, que nous sommes allés “cueillir” dans Les Maîtres de la Contre-Révolution au XIXe siècle, leçons données par Louis Dimier à l’Institut d’Action française dans la Chaire Rivarol en 1906, pose le problème des fondements intellectuels du politique. On pourrait lui donner un sens anti-intellectualiste, ce qui serait, à notre avis, une erreur.
Maurras et la philosophie
« L’esprit philosophique consiste proprement à avoir conscience des démarches de son esprit. Le philosophe sait qu’il ignore une chose ou qu’il la sait mal ou qu’il la possède complètement… En politique où les questions sont si nombreuses et si variées que la mémoire humaine les contient difficilement, c’est l’instrument d’étude et de contrôle infiniment précieux » (Soleil, 30 juin 1897). Mais n’oublions pas l’avertissement : « Usons, n’abusons pas de la philosophie » (Maurras, Réforme sociale, 1er septembre 1887).
La politique ne se fait pas en chambre
Le philosophe idéaliste peut vous bâtir une constitution : régime présidentiel, régime d’assemblée ? Monocamérisme, bicamérisme ? Fédéralisme ou centralisation ? Vous n’avez qu’à exprimer vos préférences. C’est si simple à mettre au point pour un philosophe qui pense comme le faisait Condorcet « qu’une bonne loi doit être bonne pour tous les hommes, comme une proposition géométrique est vraie pour tous ». La philosophie, en effet, a tendance à traiter de l’universel. Or « c’est une erreur de croire qu’une constitution est un ouvrage d’esprit comme une ode ou une tragédie » (Joseph de Maistre, Esprit sur le Principe générateur des Constitutions politiques) et, ajoute Montesquieu, les lois « doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre » (Montesquieu, Esprit de Lois, I, 3).
La politique n’est donc point rationnelle, comme la métaphysique, elle doit être raisonnable, ce qui est encore plus difficile à réaliser : c’est là toute la différence entre l’esprit de système et l’empirisme organisateur. L’histoire, la géographie, et bien d’autres éléments dont la psychologie des individus, des foules et des peuples ne sont point les moindres, entrent en ligne de compte.
« Une Constitution ne vaut ni par son texte, ni même par les intentions du constituant. Elle vaut par les réalités dont elle est le signe. La charte anglaise était le signe de la puissance des barons, alliés aux communes, avec lesquels le roi compta. En revanche, nos législateurs de 1875 ont “donné” au président de la République le pouvoir de dissoudre la Chambre ; mais leur don était illusoire, parce qu’ils faisaient élire ce président par les élus du peuple : un magistrat ainsi créé ne pouvait pas dissoudre une assemblée dont il dépendait en partie, sans risquer la mésaventure du Maréchal ». (Maurras, Action française, 9 juin 1910). Il s’agit bien évidemment du Maréchal de Mac Mahon à qui l’opposition républicaine dit qu’il lui fallait se soumettre ou se démettre.
Fragile rigidité
Nous citerons pour conclure le comte de Saint-Aulaire, grand diplomate, historien distingué injustement méconnu qui a publié de belles études dans La Revue universelle. À un moment de sa pénétrante biographie de Talleyrand, lorsqu’il nous montre les hommes qui avaient traversé la Révolution et l’Empire travailler, après la chute de Napoléon, à élaborer la constitution qu’on appellera la Charte, il fait cette réflexion qu’on aurait pu trouver sous la plume d’un Bainville, et c’est peut-être d’ailleurs la leçon de Bainville qui l’inspire : « La rigidité des constitutions est leur fragilité. C’est peut-être pour avoir voulu faire avec précision du définitif que les constituants libéraux de 1814 ont fait du provisoire, alors que les constituants monarchistes de 1875, en élaborant un texte vague et en croyant faire du provisoire, ont fondé une république durable ».
De toute manière, à cause de la centralisation administrative qui a détruit tous les corps sociaux naturels, toutes les constitutions artificielles essayées en France depuis la Révolution sont insensées puisqu’elles cherchent à faire représenter un peuple organisé pour être seulement administré.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 19 juillet au 1 er août 2007
Joseph de MAISTRE
(Étude sur la Souveraineté I, 8)
Ce texte court, que nous sommes allés “cueillir” dans Les Maîtres de la Contre-Révolution au XIXe siècle, leçons données par Louis Dimier à l’Institut d’Action française dans la Chaire Rivarol en 1906, pose le problème des fondements intellectuels du politique. On pourrait lui donner un sens anti-intellectualiste, ce qui serait, à notre avis, une erreur.
Maurras et la philosophie
« L’esprit philosophique consiste proprement à avoir conscience des démarches de son esprit. Le philosophe sait qu’il ignore une chose ou qu’il la sait mal ou qu’il la possède complètement… En politique où les questions sont si nombreuses et si variées que la mémoire humaine les contient difficilement, c’est l’instrument d’étude et de contrôle infiniment précieux » (Soleil, 30 juin 1897). Mais n’oublions pas l’avertissement : « Usons, n’abusons pas de la philosophie » (Maurras, Réforme sociale, 1er septembre 1887).
La politique ne se fait pas en chambre
Le philosophe idéaliste peut vous bâtir une constitution : régime présidentiel, régime d’assemblée ? Monocamérisme, bicamérisme ? Fédéralisme ou centralisation ? Vous n’avez qu’à exprimer vos préférences. C’est si simple à mettre au point pour un philosophe qui pense comme le faisait Condorcet « qu’une bonne loi doit être bonne pour tous les hommes, comme une proposition géométrique est vraie pour tous ». La philosophie, en effet, a tendance à traiter de l’universel. Or « c’est une erreur de croire qu’une constitution est un ouvrage d’esprit comme une ode ou une tragédie » (Joseph de Maistre, Esprit sur le Principe générateur des Constitutions politiques) et, ajoute Montesquieu, les lois « doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre » (Montesquieu, Esprit de Lois, I, 3).
La politique n’est donc point rationnelle, comme la métaphysique, elle doit être raisonnable, ce qui est encore plus difficile à réaliser : c’est là toute la différence entre l’esprit de système et l’empirisme organisateur. L’histoire, la géographie, et bien d’autres éléments dont la psychologie des individus, des foules et des peuples ne sont point les moindres, entrent en ligne de compte.
« Une Constitution ne vaut ni par son texte, ni même par les intentions du constituant. Elle vaut par les réalités dont elle est le signe. La charte anglaise était le signe de la puissance des barons, alliés aux communes, avec lesquels le roi compta. En revanche, nos législateurs de 1875 ont “donné” au président de la République le pouvoir de dissoudre la Chambre ; mais leur don était illusoire, parce qu’ils faisaient élire ce président par les élus du peuple : un magistrat ainsi créé ne pouvait pas dissoudre une assemblée dont il dépendait en partie, sans risquer la mésaventure du Maréchal ». (Maurras, Action française, 9 juin 1910). Il s’agit bien évidemment du Maréchal de Mac Mahon à qui l’opposition républicaine dit qu’il lui fallait se soumettre ou se démettre.
Fragile rigidité
Nous citerons pour conclure le comte de Saint-Aulaire, grand diplomate, historien distingué injustement méconnu qui a publié de belles études dans La Revue universelle. À un moment de sa pénétrante biographie de Talleyrand, lorsqu’il nous montre les hommes qui avaient traversé la Révolution et l’Empire travailler, après la chute de Napoléon, à élaborer la constitution qu’on appellera la Charte, il fait cette réflexion qu’on aurait pu trouver sous la plume d’un Bainville, et c’est peut-être d’ailleurs la leçon de Bainville qui l’inspire : « La rigidité des constitutions est leur fragilité. C’est peut-être pour avoir voulu faire avec précision du définitif que les constituants libéraux de 1814 ont fait du provisoire, alors que les constituants monarchistes de 1875, en élaborant un texte vague et en croyant faire du provisoire, ont fondé une république durable ».
De toute manière, à cause de la centralisation administrative qui a détruit tous les corps sociaux naturels, toutes les constitutions artificielles essayées en France depuis la Révolution sont insensées puisqu’elles cherchent à faire représenter un peuple organisé pour être seulement administré.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 19 juillet au 1 er août 2007
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