Editeur
chez Bouquins (Robert Laffont), Christophe Parry a dirigé la
publication d’un Dictionnaire de la Légion étrangère, sous la direction
d’André-Paul Comor.
Les 4 Vérités : Avec le commandant Hélie Denoix de Saint Marc, ancien déporté, vétéran de l’Indochine et de l’Algérie, qui engagea le 1er
régiment étranger de parachutistes dans le putsch des généraux en avril
1961, vient de disparaître l’une des figures les plus prestigieuses de
la Légion. Comment se rattache-t-il à l’histoire et à l’esprit de cette
troupe d’élite ?
Christophe
Parry : Personne mieux que le commandant de Saint Marc, à mon avis, n’a
illustré à la fois la devise de la Légion étrangère : « Honneur et
Fidélité », le code d’honneur du légionnaire, qui stipule notamment que
la mission est sacrée et qu’il faut l’exécuter jusqu’au bout, « s’il le faut, en opérations, au péril de [s]a vie », mais également le code d’honneur « de l’ancien légionnaire », et en particulier son article 4 : « Fidèle à mon passé à la Légion étrangère, l’honnêteté et la loyauté sont les guides permanents de ma conduite. »
C’est
en son sein qu’il est parvenu à se reconstruire après Buchenwald – et
ce alors qu’en Indochine nombre de ses camarades de combat parlaient la
langue de ses bourreaux ; en son sein aussi qu’il a retrouvé la
fraternité qui unit ceux qui mettent leur peau au bout de leurs idées,
pour paraphraser un autre ancien du 1er REP, Pierre Sergent.
En son sein encore, malheureusement, alors qu’il a l’ordre d’abandonner
aux Viêt-minh les combattants thôs qu’il a formés, qu’il éprouve la
honte de « la trahison, l’abandon, la parole bafouée » – il l’éprouvera une nouvelle fois en Algérie…
La Légion étrangère, a-t-il écrit dans ses Mémoires, fut « la grande affaire »
de sa vie. Issu d’une famille catholique caparaçonnée de valeurs
ancestrales, il n’a pu rester indifférent à cette foi légionnaire si
particulière, qui anime des hommes venus d’horizons et de cultures
différents afin de se mettre au seul service de la France. L’on évoque
souvent une « mystique » du devoir : le terme prend tout son sens à la
Légion. Il suffit d’assister à la commémoration de la bataille de
Camerone, à Aubagne, pour comprendre : c’est une véritable liturgie.
L’Ancien qui a l’honneur de porter la main articulée du capitaine Danjou
jusqu’au monument aux morts remonte la « Voie sacrée », entouré de deux
camarades, en une procession des plus émouvantes.
Saint
Marc, qui a naturellement une notice dans notre livre, a eu le temps de
nous faire passer deux mots de commentaire, par son ami Étienne de
Montety : « Bravo et merci ». Autant vous dire que nous en sommes
particulièrement fiers…
Vous
avez supervisé la publication dans la collection « Bouquins » (Robert
Laffont) d’un dictionnaire de la Légion étrangère. Pourquoi ce livre ?
Qu’apporte-t-il de nouveau par rapport à la bibliographie déjà
importante consacrée à la Légion ?
La Légion, avec près de 150 nationalités représentées en ses rangs, appartient nolens volens
au patrimoine mondial de l’humanité. Ne serait-ce qu’à ce titre, il est
normal qu’elle fasse l’objet d’une étude historique comme celle-ci,
dont l’ampleur – près de 50 historiens français et étrangers, plus de
850 entrées – est sans précédent. Il y a effectivement de nombreux
ouvrages consacrés à la Légion, mais ce sont le plus souvent des
panégyriques, des mémoires d’anciens, voire des pamphlets : il manquait
une étude historique dépassionnée et documentée (les archives de la
Légion étrangère, souvent inédites, ont été exploitées pour notre plus
grand profit), qui ne traite pas seulement des glorieux faits d’armes,
des opex contemporaines, des unités et des « grandes gueules » de la
Légion – ils y sont bel et bien –, mais aussi des aspects sociaux,
économiques, cultuels et culturels – une étude en somme qui participe au
renouveau de l’histoire militaire. Figurent ainsi dans ce « Bouquin »,
outre le dictionnaire proprement dit, une imposante bibliographie, des
cartes, des illustrations et des partitions (celle du fameux Boudin notamment),
une filmographie et une discographie, toutes deux inédites, ainsi
qu’une anthologie – quelques morceaux choisis de littérature
légionnaire. « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir, et plus encore, sur la Légion étrangère, sans oser le demander ! »,
a pu écrire le lieutenant-colonel Rémy Porte sur son blog
(http://guerres-et-conflits.over-blog.com). Mais André-Paul Comor – le
maître d’œuvre – et moi-même avons choisi surtout de n’occulter aucun
sujet, même ceux qui « fâchent » les bonnes consciences contemporaines :
les meilleurs spécialistes traitent donc aussi de la désertion, de la
reddition, des bordels de campagne et des maladies (et pas seulement du
« cafard »…), d’espionnage ou encore de l’usage de la torture.
Naturellement, la guerre d’Algérie, le putsch de 1961 et l’OAS sont
longuement étudiés, mais au même titre que la Commune, la Résistance ou
la France Libre. À cet égard, qu’il me soit permis de remercier ici tous
les auteurs, civils et militaires, français et étrangers, qui ont
accepté de participer à cette aventure sous la direction éclairée
d’André-Paul Comor.
Pourquoi la Légion étrangère continue-t-elle de susciter autant d’intérêt, en France comme à l’étranger ?
La
réputation de la Légion n’est plus à faire, et le succès qu’elle
rencontre sur les Champs-Élysées, tous les ans, dit assez l’estime que
lui portent les Français. D’ailleurs, le CD qu’a enregistré la Musique
de la Légion étrangère, Héros, paru en avril 2013 à l’occasion du 150e
anniversaire de la bataille de Camerone, était disque d’or trois mois
après sa sortie : succès d’estime, donc, mais aussi commercial. La
Légion fait assurément vendre !
Mais
au-delà de sa réputation militaire – établie –, ou sociale – école de
la deuxième chance, la Légion est un parfait modèle d’intégration –,
l’institution fascine parce qu’elle est la parfaite illustration du
dénuement, de l’anonymat et de l’abnégation, alors que ne sont plus
vénérés aujourd’hui que le fric, l’individualisme et l’indifférence…
Et puis, Étienne de Montety, par ailleurs 1re
classe d’honneur de la Légion étrangère, l’explique très bien dans sa
magnifique préface : « la littérature à ne pas en douter » confère à
cette institution « son essence particulière ». Plus que tout autre, en
effet, le légionnaire est présent dans les romans, mais aussi au cinéma,
dans les chansons : le mythe du légionnaire au passé mystérieux,
tatoué, cafardeux, bagarreur et amateur de femmes et de pinard fait
florès. Il sent bon le sable chaud et a mauvaise réputation…
La Légion étrangère, histoire et dictionnaire, sous la direction d’André-Paul Comor, coll. Bouquins, Robert Laffont, 2013. 1152 p, 32 €.
http://euro-synergies.hautetfort.com/
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