Le chef du clan se leva parmi
ses guerriers assis dans la grande salle enfumée. Les bruits et
les conversations s'arrêtèrent, et tous les yeux se tournèrent
vers ce colosse moustachu qui était leur leader. Elevant sa corne
remplie d'hydromel au dessus de la cohue, il porta un toast au Grand Dieu,
celui qui possède une lance et qui est accompagné par deux
corbeaux. Tous clamèrent leur approbation, et un autre guerrier
se mit debout, éleva sa corne et loua le nom du Dieu Tonnant. Les
autres l'imitèrent, et dans la chaleur de leur camaraderie, ils
auraient bien pu être dans la grande salle où vont les guerriers
après leur mort, et où les vierges guerrières leur
servent le festin d'immortalité.
Une scène tirée de
l'histoire des Vikings ? Une beuverie typiquement germanique ? Non -- la
scène décrite ici est celle d'un festin chez leurs cousins,
les Celtes.
Comme pour la plupart d'entre nous,
il n'y avait pour moi rien de nouveau dans le fait que les deux principaux
groupes ethniques de l'ancienne Europe du Nord avaient beaucoup en commun.
Tous deux font partie de la grande famille des Indo-européens. Leurs
mythologies partagent une structure commune, les aspects matériels
de leurs cultures sont très proches, et une même conception
héroïque de la vie unit les Celtes et les Germains. [1]
Mais cela, comme nous allons le voir, n'est que le début !
La distinction que nous faisons
aujourd'hui entre ces deux branches de nos ancêtres provient en grande
partie des observations de Jules César. En résumé,
il donne le nom de Germains aux tribus qui sont sur la rive droite du Rhin,
et il nomme Celtes celles qui se trouvent sur l'autre rive. En fait, à
l'époque, ce n'était pas aussi simple. Aujourd'hui les spécialistes
pensent que quelques tribus que nous avons autrefois appelées Germains,
étaient en réalité des Celtes. D'autres tribus auraient
pu appartenir à l'un ou l'autre des deux groupes, parce que nous
ne savons pas quelle langue elles parlaient ! La conclusion que nous pouvons
en tirer, est que les traces matérielles que ces peuples ont laissées
sont difficilement définissables, et que la langue est la seule
différence marquée entre les deux groupes.
Leur apparence physique n'est pas
un critère de différenciation, parce que les auteurs romains
décrivent les peuples Germains et Celtes exactement selon les mêmes
termes. Tous deux étaient de grande taille, les cheveux tendant
vers le blond, et de peau très claire. Le mot «Teuton»,
à cet égard, est à rapprocher du mot celtique «Tuath»,
signifiant tribu; ce qui fait penser à une parenté proche
!
Pour moi, la question fut réglée
lorsque je lus le livre de Hilda Davidson Mythes et symboles dans l'Europe
païenne (Syracuse University Press, 1988). De manière significative,
le livre est sous-titré «anciennes religions Scandinave et
Celtique». Page après page et chapitre après chapitre,
l'auteur présente les similarités entre la mythologie, le
folklore et les rituels des peuples germanique et celtique. Je commençai
à en faire une liste tout en lisant, et rapidement je remplis plusieurs
pages de notes manuscrites. Je n'en garantis pas la minutie, mais quelques
comparaisons méritent d'être faites. Pour rendre plus accessible
cette masse de matériel, j'ai classé mes commentaires en
plusieurs grandes catégories :
Dieux et déesses
Le dieu celtique Lug et notre Odhinn
sont à peu près semblables. [2]
Odhinn est le père des dieux, est accompagné par deux corbeaux,
possède une lance magique, et il est borgne. Lug est le dieu souverain
dans la famille des dieux celtiques, il est associé aux corbeaux,
possède la Lance de la Victoire, et il ferme un oeil lorsqu'il accomplit
des actions magiques sur le champ de bataille.
Le
dieu germanique Thor, dont le nom signifie «le Tonnant», possède
un puissant marteau. Il chevauche dans les cieux, riant dans sa barbe rousse,
dans un chariot tiré par des boucs surnaturels. Le Taranis celtique,
dont le nom signifie également «le Tonnant», conduit
un chariot tiré par des taureaux. [3]
Il contrôle la foudre, dont le nom en vieux gaélique dérive
de la même racine indo-européenne que le nom du marteau de
Thor, Mjöllnir. Taranis est aussi représenté avec une
abondante chevelure rousse flottante. [Photo: Taranis, dieu celte du ciel,
maître de la guerre et du tonnerre, avec son symbole, la roue --
relief sur le chaudron de Gundestrup, premier siècle avant JC.]
Tyr, comme le racontent les mythes,
perdit une main par la morsure du loup Fenrir. Il fut le dieu des cieux,
disent les spécialistes, jusqu'à ce que Odhinn prenne sa
place. Le dieu celtique Nuada perdit un bras dans la bataille contre les
géants Fomoré, et ainsi Lug -- l'équivalent celtique
d'Odhinn -- devint le dieu le plus important.
Dans le domaine de la fertilité
et de l'abondance, notre dieu Frey apparaît comme le plus important.
Un de ses animaux favoris est le cheval, qui est aussi sacré pour
le Dagda, le «dieu bienfaisant», qui est l'équivalent
celtique de Frey.
Autres êtres
surnaturels
Les géants ? Les Celtes
ont les leurs, tout comme les Scandinaves. Ils se nomment les Fomoré,
et les dieux celtiques doivent mener une dure bataille contre eux. Plus
précisément, le rôle qu'ils jouent est le même
que chez les nordiques : ils représentent les forces d'inertie et
d'entropie dans le cosmos.
Les Valkyries trouvent leur équivalent
dans la déesse Morrigan, féroce déesse qui accorde
la victoire sur le champ de bataille, tisse les destins dans la guerre,
et sert les héros dans leur vie après la mort. Ces deux aspects
jumelés -- le sang et la mort d'une part, l'amour d'autre part --
sont présents dans les deux cultures. De même, les récits
celtiques et les sagas scandinaves parlent de femmes guerrières
surnaturelles qui instruisent et initient les héros choisis par
le destin. Brünhild (Brunehilde) enseigne à Sigurd (Siegfried)
la connaissance magique, et la guerrière Scathach («l'ombre»)
prend en charge le héros irlandais Cûchulain et en fait le
guerrier qu'il est destiné à devenir. Ce n'est probablement
pas un hasard si Sigurd et Cûchulain sont liés à Odhinn
et à Lug, respectivement.
Considérons maintenant les
êtres surnaturels moins importants, dont les figures se rencontrent
plus rarement dans les mythes et la poésie, mais qui rendent la
vie plus supportable aux hommes. Les esprits de la nature, par exemple,
sont semblables dans les deux cultures. Les Elfes, et le lien entre ces
êtres et les âmes des ancêtres, étaient à
peu près les mêmes chez les anciens Germains et leurs contemporains
Celtes.
Pratiques religieuses
J'ai évoqué la ressemblance
entre les « paradis des guerriers » dans la scène au
début de cet article, mais la ressemblance entre les religions des
Celtes et des Germains va bien au-delà. [4]
Les marais de l'Europe du Nord
ont reçu les mêmes offrandes des Celtes et des Germains. Armes
capturées dans les combats, nourriture et gobelets, et divers objets
-- tout cela était déposé dans les lacs et les marais
de la même manière, au point qu'aujourd'hui nous ne pouvons
même pas dire quels objets découverts sont d'origine germanique
et lesquels sont celtiques.
Lorsque les Druides offraient un
sacrifice aux dieux, le sang d'un animal était projeté sur
l'assistance avec un rameau de verdure, pour que l'énergie divine
présente dans le sang puisse être directement transférée
aux gens. Dans la religion germanique, nos ancêtres faisaient exactement
la même chose pendant le sacrifice, le « Blot ». (Aujourd'hui,
les pratiquants des deux religions utilisent de l'hydromel ou quelqu'autre
boisson fermentée.)
Dans toute l'étendue de
notre patrie européenne, nos ancêtres honoraient les dieux
en plein air, parce qu'ils pensaient qu'il était insensé
de les enfermer dans des lieux fermés, comme (plus tard) les églises
chrétiennes. De la même manière, dans les temps anciens,
nos représentations des dieux et des déesses étaient
très simples -- souvent gravées sur des morceaux de bois
auquels la Nature avait déjà donné une forme étrange,
attendant seulement quelques raffinements de la main des hommes.
Toutes ces coutumes décrivent
aussi bien les pratiques des Celtes que celles des Germains.
Les hommes des deux groupes ethniques
utilisaient des boissons fermentées dans les rituels religieux.
Souvent c'était de l'hydromel, mais ce pouvait être aussi
de la bière. Et puisque nous nous intéressons à la
modification des états de la conscience, rappelons-nous la folie
furieuse des guerriers d'Odhinn, les «Bersekers». Dans l'ancienne
Irlande, cette folie des guerriers (les «Fianna») portait le
nom de «Ferg».
Les lecteurs des récits
nordiques se rappelleront comment Sigurd tua le dragon Fafnir et fit rôtir
son coeur. Lorsqu'il se brûla le doigt, il le porta à sa bouche
et constata qu'il pouvait comprendre la langue des oiseaux. Le héros
irlandais Fergus obtint le même pouvoir lorsqu'il se brûla
le doigt en faisant cuire un saumon au-dessus d'un feu. [On peut aussi
noter la similarité entre le récit germanique des «pommes
d'Idunn» et le thème celtique des pommes de l'île d'Avalon,
NDT.]
La vision de l'Univers
Lorsque nous regardons la cosmogonie
des Germains et celle des Celtes, nous ne pouvons pas trouver d'équivalence
directe, mais nous pouvons voir une ressemblance. Tous deux avaient l'arbre
géant, le centre du Cosmos, la structure dans laquelle tous les
mondes sont contenus. Chez les nordiques, c'était Yggdrasil. Les
Celtes l'appelaient Bile. [5]
[Cf. aussi et surtout «l'If de Mugna», NDT].
L'autre clé de l'univers
chez les anciens nordiques était le Puits du Destin («Well
of Wyrd»), contenant les actions qui constituent le passé.
Boire l'eau de ce puits donnait la sagesse, et Odhinn sacrifia un de ses
yeux pour obtenir ce privilège. Comme l'on sait, les Celtes avaient
un puits presque identique : des noisettes tombaient à l'intérieur
et étaient avalées par le Saumon de la Sagesse.
En conclusion
Les seules vraies différences
entre les religions germanique et celtique semblent être les noms
donnés aux dieux. [6]
Un Viking du 10ème siècle se serait senti assez à
l'aise dans un rituel celtique en Gaule un millier d'années plus
tôt. La religion celtique s'écarte de la religion nordique
guère plus que par exemple, une prêtresse de Freya en Islande
et un guerrier invoquant Wotan dans la Germanie du temps d'Arminius. [7]
En effet, on a envie de dire qu'il existe seulement une seule «religion
européenne», et que les croyances germaniques et celtiques
en sont deux expressions.
Ainsi quelles sont les implications
de tout cela ? Eh bien, cela signifie que de nos jours, un Irlandais n'a
pas de raison de se sentir mal à l'aise lorsqu'il invoque des dieux
plus souvent associés aux fjords norvégiens qu'aux collines
et aux vallées des Iles d'Emeraude. En fait, tous les peuples du
Nord sont apparentés aussi bien spirituellement que génétiquement.
Aussi l'unité celto-germanique
s'oppose à la thèse parfois entendue que depuis que les européens
sont partagés entre des nations différentes, nous aurions
des ancêtres différents. Combien de fois avons nous entendu
quelqu'un dire «je suis de sang irlandais et suédois, avec
un peu de sang anglais et germain» ? En réalité il
n'y a là aucun mélange, parce que les peuples de la famille
nordique ne forment en fait qu'un seul peuple, à la fois par leur
aspect physique et par leurs anciennes religions. Nous ne devons pas laisser
les gens se diviser pour des raisons superficielles !
Enfin, la gamme de nos similarités
signifie que nous pouvons en utiliser une pour approfondir notre connaissance
des autres. Si nous essayons de reconstituer la tapisserie de nos anciennes
croyances nordiques, il y aura des «trous» à cause du
passage du temps et des persécutions chrétiennes. Mais si
nous en connaissons le fond commun, et de quelle manière il est
exprimé chez nos cousins Celtes, nous pouvons alors rapiécer
les trous avec une grande confiance.
Assez pour aujourd'hui ! Toutes
ces savantes démonstrations m'ont donné soif ! Je vais remplir
ma corne avec une bonne rasade de Guiness, et porter un toast à
nos ancêtres Celtes et Nordiques.
«Skoal», et «Slainte»
!
Stephen McNallen
Stephen
McNallen est né le 15 octobre 1948 au Texas. Il est diplômé
en sciences politiques et lieutenant de réserve dans l'US Army.
Ayant découvert l'ancienne religion nordique, il fonda la «Viking
Brotherhood» à la fin de l'année 1971. Ce fut l'une
des premières tentatives de faire revivre l'ancienne religion scandinave-germanique,
sous une forme modernisée, connue à présent sous le
nom générique d' «Asatru» (parallèlement,
et sans liens entre eux, d'autres groupes nordisants furent fondés
au Canada, en Angleterre, et enfin en Islande, où l'«Asatru»
fut reconnu officiellement comme religion par l'Etat dès 1972).
Après quelques péripéties , McNallen a fondé
la «Asatru Folk Assembly» (AFA) en 1994, qui est définie
sur une base religieuse, mais ne dédaigne pas d'aborder les problèmes
politiques (ce qui n'est pas toujours du goût d'autres groupes nordisants
!). McNallen est toujours très actif, notamment dans le domaine
politique, et a écrit de nombreux textes, souvent passionnants,
dont on peut avoir un aperçu -- en anglais -- sur le
site Internet de l'AFA.
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