premier poète moderne et patriote fervent.
Il meurt dans son prieuré de saint Cosme (près de Tours). Ce parent
de Bayard et de la reine Elizabeth d’Angleterre était né au château de
la Possonnière dans la paroisse de Couture-sur-Loir en 1524. Devenu
sourd très jeune et donc privé de carrière militaire, il se consacra
alors à la littérature. Fondateur du groupe de la Pléiade avec Joachim
du Bellay, il a renouvelé l’inspiration et la forme de la poésie
française (Odes, Amours, Hymnes, etc.)
Les Italiens le mettent au-dessus de leurs plus grands poètes ; dans
l’Europe entière, il est lu et admiré. Lorsqu’il traverse Paris, la
jeunesse l’acclame et les étudiants touchent sa robe pour devenir
poètes. Ses seuls adversaires seront les protestants. En 1562, Ronsard,
expert à l’escrime et à l’équitation, devait réunir une bande de garçons
pour massacrer des Réformés qui venaient de saccager des œuvres d’art.
Et ce bien qu’il fut initié (cf livres d’Alain Pascal).
Voici de ses vers qui n’ont rien perdu de leur actualité :
Des Turcs, des Mammeluks, des Perses, des Tartares ;
Bref, par tout l’univers tant craint et redouté,
Faut-il que par les siens luy-mesme soit donté ?
France, de ton malheur tu es cause en partie ;
Je t’en ay par mes vers mille fois advertie :
Tu es marastre aux tiens et mere aux estrangers,
Qui se mocquent de toy quand tu es aux dangers,
Car sans aucun travail les estrangers obtiennent
Les biens qui à tes fils justement appartiennent.
in Discours à Guillaume des-Autels, Œuvres complètes de Ronsard, éd. La Pléiade, tome II, p.568.
Ci-dessous, une intéressante critique littéraire - avec superbes citations – parue dans La Muse française en 1924, sous la plume de Gustave Cohen, sur le thème Ronsard, poète de la patrie.
« Un Ronsardisant de qualité, M. H. Vaganay, a publié naguère, dans la Revue d’Histoire littéraire de la France de 1920, ce qu’il a appelé l’Acte de Naissance du mot « patrie ».
Qu’on ne croie pas qu’il soit aussi ancien que notre pays. Le premier
emploi est de 1539, encore ne figure-t-il que dans une traduction du Songe de Scipion, où il est signalé comme un hardi néologisme : « Et pourquoy globe ne sera aussi bien reçu que la patrie ? de laquelle diction je voy aujourd’huy plusieurs usurper. »
De fait, il faut attendre le XVIe siècle, et en particulier le règne de François Ier,
pour voir la France, enfin échappée intacte et comme par miracle aux
luttes intérieures et extérieures, prendre conscience de son unité et de
sa puissance, qu’elle va porter au delà des monts. Là se réchauffe et
s’épanouit, au soleil de la pensée italienne et de la pensée romaine
qu’elle reflète, notre sentiment national. C’est en effet un phénomène
singulier que l’Antiquité, ressuscitée non dans sa lettre, qui était
connue au moyen âge, mais dans son esprit, qui y était souvent ignoré, a
servi à accroître en nous l’amour de la patrie, de la petite, qui est
le lieu de notre naissance, et de la grande, qui est le lieu de notre
pensée.
Si un Pierre de Ronsard entonne la louange du Vendômois, s’il célèbre
la forêt de Gastine, au pied de laquelle il est né, et « ses antres
secrets, de frayeur tout couverts », ou la fontaine Bellerie, que les
habitants du hameau de Vauméan-lez-Couture appellent la fontaine de la
Belle Iris ; s’il fait, dans l’Isle Verte, au confluent du Loir et de la
Braie, Élection de son sépulcre, c’est uniquement parce que
Virgile a célébré Mantoue en Cisalpine, Horace, Venouse en Apulie. De
ses deux premiers maîtres de poésie, il a retenu la leçon, et «
l’argentine fonteine vive » ne sera plus aperçue par lui qu’à travers le
cristal du Fons Bandusiae.
Mais Ronsard a un autre maître qu’il ne cite que rarement, à qui il
ne rend, et encore par occasion, qu’un hommage dédaigneux, sans qui
pourtant il n’existerait point, car il lui doit son métier, sa science
du rythme et des rimes, je veux dire Clément Marot. Or celui-ci, avant
de mourir et pour son chant du cygne, après avoir beaucoup raillé, d’une
satire qui va loin parfois, et loué Dieu, d’une louange qui monte haut
souvent, avait, éternel précurseur incapable de porter son art à sa
perfection, entonné, mais un peu gauchement, le péan de la bataille de
Cérisoles (14 avril 1544). Ronsard ramasse la lyre tombée des mains du
chantre expirant, et exalte, à son tour, François de Bourbon, le jeune
héros dont la victoire attendait
la main parfaite
D’un ouvrier ingenieus
Par qui elle seroit faite
Jusques au comble de son mieus.
C’est la première en date, sans doute, des Odes pindariques de
Ronsard, ces odes, si magnifiquement grandiloquentes et si oubliées, où
il loue la race des Valois. Mais, en même temps, avant de publier, en
1550, le fameux recueil, si impatiemment attendu par la jeunesse de
Coqueret et les lecteurs de la Deffence (avril 1549), il donne,
dans l’année même où celle-ci parut, et en une forme moins compliquée
que la triade, une pièce à rimes plates, sans alternances, intitulée l’Hymne de France.
Il nous plaît de voir le premier de nos poètes modernes entrer dans
la vie littéraire, en publiant la louange du pays qu’il devait illustrer
; cependant, la pièce ne répond ni à notre attente, ni à la promesse du
début :
Le Grec vanteur la Grece vantera,
Et l’Espaignol l’Espaigne chantera,
L’Italien les Itales fertiles,
Mais moy, Françoys, la France aux belles villes,
Et son sainct nom, dont le crieur nous sommes,
Ferons voler par les bouches des hommes.
À la bonne heure ! mais, après, on tombera sur des platitudes dans le genre de celle-ci :
Quoy ? nostre France, heureusement fertile,
Donne à ses filz ce qui leur est utile.
Le fer, l’airain, deux metaulx compaignons,
Ce sont les biens de ses riches roignons,
heureusement suivies de meilleures louanges à l’honneur de nos
femmes, de nos peintres, de nos « vainqueurs de laurier couronnéz »,
lesquelles se terminent par cette apostrophe :
Je te salue, ô terre plantureuse,
Heureuse en peuple et en princes heureuse.
Plus préoccupé de ses amours pour Cassandre ou pour Marie, et,
davantage encore, en véritable artiste, des modes les plus propres à les
honorer, Pierre de Ronsard, dans la période qui va de la publication
des Odes, en avril 1550, à celle des Hymnes, en
1555-1556, semble négliger le dessein qu’il avait manifesté de célébrer,
lui premier, « le loz » ou la louange de sa patrie. Pourtant le titre
seul aurait dû déjà le lui remettre en mémoire, mais les deux livres des
Hymnes sont plutôt consacrés à ces larges thèmes
philosophiques qui prennent alors pied dans notre poésie. Il y use aussi
de l’alexandrin à l’égard duquel il avait, jusqu’à 1555, partagé les
préjugés de ses prédécesseurs et de ses émules. Chose déconcertante, les
poètes trouvaient ce mètre, peut-être parce qu’il était long, trop
voisin de la prose. Ronsard, épris en même temps de Marie et de la
simplicité, sans qu’on puisse démêler exactement, dans ce cœur et ce
cerveau d’écrivain, laquelle des deux passions a précédé l’autre, s’est
avisé de le reprendre et, prodigieux musicien comme il l’était, il en a
mesuré d’un coup d’oreille toutes les ressources et les sonorités, soit
qu’il les appliquât à envelopper d’harmonie ses tendresses, soit qu’il
l’employât à porter l’idée sur les ailes du son. Aussi lui doit-on ces
vers somptueux adressés aux étoiles :
Je vous salue, enfants de la premiere nuit,
ou à Dieu :
Tu es premier chaisnon de la chaisne qui pend.
Qui dira, chez le poète, si, dans les profondeurs de son âme, c’est
le rythme qui suscite la pensée, ou la pensée qui appelle le rythme ?
Toujours est-il que, dès 1560, date de la première édition collective
des Œuvres, à la lyre qu’il avait, en 1550, montée « de cordes
et d’un fust », il avait ajouté une corde d’airain, à laquelle les
malheurs de la patrie allaient arracher des accents inconnus. L’Élégie à Guillaume des Autels
les annonce déjà. L’écrivain gémit de la querelle religieuse qui ruine
la France et il accuse les réformés de la détruire « pour un poil de
bouc », c’est-à-dire pour la longue barbe pointue de Calvin, rompant
ainsi l’unité morale et traditionnelle du pays :
Las ! pauvre France, helas ! comme une opinion
Diverse a corrompu ta première union !…
Tes enfants, qui devroient te garder, te travaillent,
Et pour un poil de bouc entre eux-mesmes bataillent !
Et comme reprouvéz, d’un courage meschant,
Contre ton estomac tournent le fer tranchant…
Ou par l’ire de Dieu ou par la destinée,
Qui te rend par les tiens, ô France, exterminée ?
L’exhortation est impuissante à dompter la tempête. Que peut contre
elle un pilote qui chante dans le vent ? Pourtant il ne se découragera
pas ; il enfle sa voix, crie, gémit, insulte. La vague furieuse la
domine, mais, par delà la vague qui bave et meurt, cette voix atteindra
la postérité qui écoute.
Le 1er juin 1562, paraît le Discours des Miseres de ce temps, suivi vers le 1er octobre, de la Continuation du Discours des Miseres de ce temps et, deux mois après, vers le 1er décembre, de la Remonstrance au peuple de France.
Le but du discours est bien précisé par son exorde :
Ô toy, historien, qui d’ancre non menteuse
Escris de nostre temps l’histoire monstrueuse,
Raconte à nos enfans tout ce malheur fatal,
Afin qu’en te lisant ils pleurent nostre mal,
Et qu’ils prennent exemple aux pechés de leurs peres,
De peur de ne tomber en pareilles miseres.
Ce qui perd « nostre France », et l’on sentira la caresse du
possessif, c’est la présomption, l’orgueil, qui permet à l’individu de
s’ériger en juge et qui fait la nation sans frein ni loi : « morte est
l’autorité ». Inventant l’image que retrouvera Barbier, il la compare à
un cheval emporté :
Tel voit-on le poulain dont la bouche trop forte,
Par bois et par rochers son escuyer emporte
Et, maugré l’esperon, la houssine et la main,
Se gourme de sa bride et n’obeist au frein :
Ainsi la France court, en armes divisée,
Depuis que la raison n’est plus autorisée.
La Continuation du Discours des Miseres de ce temps a plus
d’ampleur et d’éloquence encore. À mesure que le danger augmente et que
s’accroît le tragique du spectacle, l’âme d’un poète s’émeut davantage
et, pour la première fois peut-être dans notre histoire, s’identifie
avec celle de la patrie. « Madame », dit-il à la reine Catherine de
Médicis,
Madame je serois, ou du plomb ou du bois
Si moy que la Nature a fait naistre François,
Aux siecles advenir je ne contois la peine
Et l’extreme malheur dont rostre France est pleine.
Je veux, maugré les ans, au monde publier,
D’une plume de fer sur un papier d’acier,
Que ses propres enfans l’ont prise et devestue,
Et jusques à la mort vilainement batue.
Eh quoi ! dit-il en se tournant cette fois vers les réformés :
Et quoy ! brusler maisons, piller et brigander,
Tuer, assassiner, par force commander,
N’obeir plus aux Roys, amasser des armées,
Appellez-vous cela Églises reformées ?
Puis, apostrophant leur chef, Théodore de Bèze, le bras droit de
Calvin à Genève, et faisant appel à ce sentiment patriotique vraiment
nouveau, ou, du moins, si profondément renouvelé au XVIe siècle, il l’adjure :
La terre qu’aujourd’hui tu remplis toute d’armes,
Et de nouveaux Chrestiens desguisés en gens d’armes…
Ce n’est pas une terre allemande ou gothique,
Ny une region Tartare ny Scythique,
C’est celle où tu nasquis, qui douce te receut,
Alors qu’à Vezelay ta mere te conceut,
Celle qui t’a nourry, et qui t’a fait apprendre
La science et les arts, dés ta jeunesse tendre…
Ne presche plus en France une Évangile armée,
Un Christ empistollé tout noirci de fumée,
Qui comme un Mehemet va portant en la main
Un large coutelas rouge de sang humain…
Car Christ n’est pas un Dieu de noise ny discorde,
Christ n’est que charité, qu’amour et que concorde.
Que n’a-t-il continué sur ce ton, que n’a-t-il, s’inspirant de son
illustre protecteur Michel de l’Hospital, continué à prêcher la
tolérance et la mansuétude, dont la France qu’il aimait avait tant
besoin ! Mais hélas ! c’est un Dieu de vengeance qu’à son tour il
invoque, c’est la destruction de ses ennemis et non leur conversion
qu’il implore du « Pere commun des Chrestiens et des Juifs, des Turcs et
d’un chacun », dont il parle au début de la Remonstrance au Peuple de France, de beaucoup plus agressive que les Discours.
Quand il s’y adresse aux princes protestants, à Louis de Condé en
particulier, il s’excuse du ton en ces termes si simples d’allure :
Mais l’amour du pays et de ses loix aussi
Et de la vérité me fait parler ainsi
et il termine par cette superbe exhortation :
Ha ! Prince, c’est assez, c’est assez guerroyé :
Vostre frere avant l’aage au sepulchre envoyé,
Les playes dont la France est par vous affligée,
Et les mains des larrons dont elle est saccagée,
Les loix et le pays, si riche et si puissant,
Depuis douze cens ans aux armes fleurissant,
L’extreme cruauté des meurtres et des flames,
La sport des jouvenceaux, la complainte des femmes,
Et le cry des vieillards qui tiennent embrassés
En leurs tremblantes mains leurs enfans trespassés,
Et du peuple mangé les souspirs et les larmes,
Vous devroient esmouvoir à mettre bas les armes…
Une dernière fois, Pierre de Ronsard devait prendre la plume, pour
exalter son pays et terminer le monument qu’il avait érigé à sa gloire :
les quatre premiers livres de la Franciade parurent en
septembre 1572. C’était au lendemain de la Saint-Barthélemy ; l’époque
était mal choisie, le sujet aussi, qui s’inspirait plus de l’Iliade et de l’Énéide
que de l’histoire de France. L’évocation, par la Sibylle Hyanthe, des
rois depuis Pharamond jusqu’à Pépin ne parvient pas à nous émouvoir,
parce que ces pseudo-descendants de Francus n’ont pas ému le poète, qui
laissa son œuvre incomplète. Il regretta sans doute, mainte fois, avant
de mourir, de n’avoir pas su donner à sa patrie cette épopée dont il
avait, dès 1550, résolu de lui faire hommage, oubliant assurément que,
sans dessein littéraire arrêté, sous la seule pression des
circonstances, dans le deuil des luttes fratricides, il lui avait dédié
ces Discours de 1562, véritable épopée d’amour filial, immortelle et brûlante, qu’il avait écrite pour elle
D’une plume de fer sur un papier d’acier. »