Il semble qu’il y ait encore beaucoup de parties qui préféreraient
que la mort d’Arafat continue à être traitée comme un mystère plutôt que
comme un assassinat. Il est difficile, cependant, d’éviter de tirer la
conclusion logique de la découverte la semaine dernière par des
scientifiques suisses que le corps du leader palestinien contenait des
niveaux élevés d’un isotope radioactif, le polonium – 210. Une étude
concluante et beaucoup plus limitée par une équipe russe publiée
immédiatement après l’annonce suisse suggère également qu’Arafat est
mort d’un empoisonnement.
Il est temps d’énoncer une évidence :
Arafat a été tué. Et les soupçons tombent carrément sur Israël. Seul
Israël avait les moyens, les antécédents, l’intention déclarée et le
motif. Sans les empreintes digitales d’Israël sur l’arme du crime, ce
sera insuffisant pour obtenir une condamnation devant une cour de
justice, mais ce devrait être une preuve suffisante pour condamner
Israël devant la cour de l’opinion mondiale. Israël avait accès au
polonium de son réacteur nucléaire de Dimona, et il a une longue
expérience dans la réalisation d’assassinats politiques, certains
ostentatoires et d’autres secrets, souvent à l’aide d’agents chimiques
difficiles à tracer. Plus notoirement, Israël a essayé de tuer
tranquillement un autre leader palestinien, Khaled Mechaal du Hamas en
Jordanie en 1997, en injectant un poison dans l’oreille. Mechaal n’a été
sauvé que parce que les assassins ont été arrêtés et Israël a été forcé
de fournir un antidote.
Les
dirigeants israéliens se sont succédé pour nier qu’il y ait jamais eu la
moindre intention maligne du côté d’Israël envers Arafat. Silvan
Shalom, le ministre de l’énergie, a affirmé la semaine dernière : « Nous n’avons jamais pris la décision de lui nuire physiquement ». Shalom doit souffrir d’un trou de mémoire. Il y a plusieurs preuves qu’Israël voulait, dans l’euphémisme de cette époque, ‘’retirer’’
Arafat. En Janvier 2002, Shaul Mofaz, chef d’état-major de l’armée
israélienne, a été surpris au micro chuchotant au Premier ministre
israélien, Ariel Sharon, parlant d’Arafat : « Nous devons nous débarrasser de lui ».
Avec le dirigeant palestinien enfermé pendant plus de deux ans dans son
enceinte dévastée à Ramallah, entouré de tanks israéliens, le débat au
sein du gouvernement israélien était centré sur le fait de savoir s’il
devait être exilé ou tué. En Septembre 2003, alors que Shalom était
ministre des Affaires étrangères, le cabinet a même émis un
avertissement qu’Israël » supprimerait cet obstacle d’une manière ou d’une autre et au moment de son choix « . Le vice-Premier ministre d’alors, Ehud Olmert, a précisé que tuer Arafat était » une des options
« . Ce qui retenait la main d’Israël, et alimentait son ton équivoque,
était la vive opposition de Washington. Dans le sillage de ces menaces,
Colin Powell, le secrétaire d’Etat américain, a averti qu’un mouvement
contre Arafat déclencherait » la rage partout dans le monde arabe, le monde musulman et dans de nombreuses autres parties du monde
« . En Avril 2004, cependant, Sharon a déclaré qu’il n’était plus tenu
par son engagement antérieur avec le président George Bush de ne pas « nuire physiquement à Arafat « . « Je suis libéré de cet engagement
« , avait-t-il observé. La Maison Blanche a aussi montré un
fléchissement de sa position : un porte-parole anonyme a timidement
répondu que les Etats-Unis » sont opposés à toute action de cette nature« .
L’inconnu est de savoir si Israël était en mesure de mener à bien
l’assassinat seul, ou s’il a eu besoin de recruter un ou plusieurs
membres de l’entourage d’Arafat, qui étaient avec lui dans son QG de
Ramallah, en tant que complices pour livrer le poison radioactif.
Alors qu’en est-il du mobile? Que gagne Israël à » retirer
» Arafat ? Pour comprendre la pensée d’Israël, il faut revenir à un
autre débat qui fait rage en ce moment, parmi les Palestiniens. La
direction palestinienne a été scindée en deux camps, centrés sur Arafat
et Mahmoud Abbas, l’héritier apparent d’Arafat. Le couple avait des
stratégies nettement divergentes pour faire face à Israël. De l’avis de
M. Arafat, Israël avait renié les engagements qu’il avait pris dans les
accords d’Oslo. Il était donc réticent à investir de manière exclusive
dans le processus de paix. Il voulait une double stratégie : maintenir
les canaux ouverts pour des entretiens tout en conservant l’option de la
résistance armée pour faire pression sur Israël. Pour cette raison, il a
gardé une emprise personnelle serrée sur les forces de sécurité
palestiniennes. Abbas, en revanche, estimait que la résistance armée
était un cadeau à Israël, et délégitimait la lutte palestinienne. Il
voulait se concentrer exclusivement sur les négociations et le
renforcement de l’État, dans l’espoir d’exercer une pression indirecte
sur Israël en prouvant à la communauté internationale que les
Palestiniens pouvaient inspirer la confiance avec un Etat. Sa priorité
était de coopérer étroitement avec les Etats-Unis et Israël en matière
de sécurité. Israël et les Etats-Unis préféraient nettement l’approche
d’Abbas, forçant même Arafat pendant un certain temps à réduire son
influence en nommant Abbas au poste nouvellement créé de Premier
ministre.
La principale préoccupation d’Israël était que, bien
qu’Arafat soit leur prisonnier, il reste une figure unificatrice pour
les Palestiniens. En refusant de renoncer à la lutte armée, Arafat a
réussi à contenir, un tant soit peu – les tensions croissantes entre son
propre mouvement, le Fatah, et son principal rival, le Hamas. Avec
Arafat disparu, et le conciliant Abbas installé à sa place, ces tensions
ont violemment éclaté dans la foulée, comme Israël avait certainement
prévu qu’il se passerait. Qui a abouti à une scission qui a déchiré le
mouvement national palestinien et a conduit à un schisme territorial
entre la Cisjordanie contrôlée par le Fatah et Gaza sous la domination
du Hamas. Dans la terminologie souvent utilisée par Israël, Arafat était
à la tête de l ‘«infrastructure de la terreur». Mais la
préférence d’Israël pour Abbas ne provient pas du respect qu’il aurait
pour lui ou d’une croyance qu’il pourrait réussir à convaincre les
Palestiniens d’accepter un accord de paix. Sharon a eu cette déclaration
célèbre que Abbas n’était pas plus impressionnant qu’un » poulet plumé « .
Les
intérêts d’Israël en tuant Arafat sont évidents quand on considère ce
qui s’est passé après sa mort. Non seulement le mouvement national
palestinien s’est effondré, mais la direction palestinienne a de nouveau
été ramenée dans une série de pourparlers de paix futiles, laissant à
Israël le champ libre pour se concentrer sur l’accaparement des terres
et la construction de colonies. Revenant sur la question de savoir si
Israël a bénéficié de la perte d’Arafat, l’analyste palestinien Mouin
Rabbani observe : » l’engagement exemplaire d’Abu Mazen [ Abbas ]
vis-à-vis des accords d’Oslo au fil des années , et le maintien de la
coopération sécuritaire avec Israël contre vents et marées, n’ont-ils
pas déjà répondu à cette question? »
La stratégie d’Abbas
peut être confrontée à son test ultime maintenant, alors que l’équipe de
négociation palestinienne essaie une fois de plus de cajoler Israël
pour la concession du strict minimum pour un Etat, au risque d’être
accusée d’être responsable de l’inévitable échec des négociations.
L’effort semble déjà profondément mal orienté. Alors que les
négociations n’ont accordé aux palestiniens qu’une poignée de vieux
prisonniers politiques, Israël a déjà annoncé, en retour, une expansion
massive des colonies et la menace d’expulsion de quelque 15000
Palestiniens de leurs maisons à Jérusalem-Est. C’est indubitablement un
compromis qu’Arafat aurait amèrement regretté.
Jonathan COOK
Traduction Avic
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