Enfin,
la troisième idée suisse, le principe de fraternité, constitutif du
régime cosmopolite, impose d’une part une complaisance sans bornes pour
tous les hommes à condition qu’ils habitent fort loin de nous, nous
soient bien inconnus, parlent une langue distincte de la nôtre, ou,
mieux encore, que leur peau soit d’une couleur différente ; mais,
d’autre part, il nous présente comme un monstre et comme un méchant
quiconque, fût-il notre concitoyen et notre frère, ne partage pas les
moindres accès de cette rage philanthropique. Ce principe de fraternité
planétaire, qui voudrait établir la paix de nation à nation, tourne vers
l’intérieur de chaque pays et contre des compatriotes ces furieux
mouvements de colère et d’inimitié qui sont secrètement inscrits par la
nature dans le mécanisme de l’homme, animal politique, mais politique
carnassier. Les Français sont ainsi induits à la guerre civile.
Charles MAURRAS
Ce texte tiré des Réflexions sur la Révolution de 1789, publié en 1948, ne manque pas de saveur. Son plaisant humour pourrait en masquer cependant, si on s’y arrêtait, tant la profondeur que les difficultés qu’il présente.
Commençons par ces dernières : l’idée suisse apparaît dans la suite immédiate comme relevant tout aussi bien de l’ « esprit juif ». Voilà qui pourrait sembler énigmatique. En fait, pour Maurras, le principe de fraternité en cause procède de cet anarchisme évangélique et prophétique dont il disait ailleurs que Rousseau, le citoyen de Genève, en était particulièrement infecté (et infectant). Nous retrouvons ici la propension de notre auteur à établir la généalogie des idées, c’est-à-dire à leur assigner des origines tâche nécessaire s’il en est (en même temps que hasardeuse, parfois).
Une autre difficulté est qu’on pourrait s’étonner que Maurras caractérise le principe de fraternité inscrit aux frontons de nos mairies par ce qui paraît être un détour : la fraternité ne concerne-t-elle pas les citoyens de la Nation souveraine, les différents ordres avec les privilèges afférents ayant été abolis ?
C’est ce que tout républicain de base s’imaginerait… comme nous d’ailleurs ! Et n’aurait-il pas été loisible à Maurras de mettre directement en pleine lumière la réalité historique de cette furieuse guerre civile que la prétendue fraternité républicaine engagea contre tous ses ennemis présumés (ou suspects , dans le langage de l’époque) ? Pourquoi donc donner ici pour seul sujet de querelle le fait que certains concitoyens ne partagent pas la rage philanthropique universelle ici considérée ?
La réponse à cette question est double. D’une part, c’était pour Maurras donner un exemple particulièrement frappant de l’inanité de la fraternité révolutionnaire : la haine des républicains trouve prétexte à s’enflammer pour des raisons qui sont extérieures à la vie de la Nation : en effet - remarquons-le bien - il n’est pas ici question d’immigrés présents sur notre sol mais d’étrangers, lesquels sont d’autant plus aimables qu’ils sont lointains et différents. Mais d’autre part - et surtout - c’était attirer l’attention sur le fait que le principe de fraternité est bien, comme l’énonce le début du texte, « constitutif du régime cosmopolite ». Autrement dit - et même s’il s’agit en principe d’établir la paix de nation à nation - la fraternité, loin d’être un ciment moral ou affectif national est planétaire et ne vise en fait que l’Humanité abstraite - non le Grand Être d’Auguste Comte, certes, mais l’entité métaphysique.
Cosmopolitisme
Maurras a donc vu juste : le principe de fraternité n’est pas un principe national mais « cosmopolite », c’est-à-dire destructeur des nations. Est-ce à dire que les sentiments de bienveillance - de fraternité bien comprise si l’on veut - à l’égard des compatriotes ne doivent pas exister ? Bien au contraire ! C’est ainsi que Maurras dira fortement que les nations sont des « amitiés ». Nul n’est besoin, non plus, de nier en l’autre homme son humanité ni le droit qu’il a à notre respect… et même, s’il en est digne, à notre amitié (en espérant que nous en soyons nous-mêmes dignes d’ailleurs).
Dépossession de soi
L’erreur est simplement de croire que ces sentiments et ces réquisits moraux (sans parler de lordre de la charité chrétienne) exigent préalablement que les appartenances nationales respectives soient déniées. Comme si elles faisaient nécessairement obstacle ! Mais cest la dépossession de soi, en l’occurrence celle de ces appartenances, qui doit conduire non à la fraternité rêvée mais à la haine.
Produisons un exemple plus actuel : comment un Français en attente d’un logement social pourrait-il nourrir des sentiments fraternels à l’endroit de l’immigré clandestin, certes respectable, qui, grâce à la mobilisation des bonnes consciences cosmopolites et humanistes, lui prendra sa place et à ses frais de contribuable direct ou indirect encore ? Que cette fraternité-là « induise » à la guerre civile, c’est clair.
Notre troisième grand principe républicain heurte donc et le bon sens et le bon ordre. Cela ne pouvait naturellement pas échapper à un Maurras qui navait pas pour habitude de se laisser abuser par les nuées !
Francis Venant L’Action Française 2000 du 15 au 28 février 2007
* Charles Maurras : Réflexions sur la Révolution de 1789. Éd. des Îles d’Or, 1948.
Charles MAURRAS
Ce texte tiré des Réflexions sur la Révolution de 1789, publié en 1948, ne manque pas de saveur. Son plaisant humour pourrait en masquer cependant, si on s’y arrêtait, tant la profondeur que les difficultés qu’il présente.
Commençons par ces dernières : l’idée suisse apparaît dans la suite immédiate comme relevant tout aussi bien de l’ « esprit juif ». Voilà qui pourrait sembler énigmatique. En fait, pour Maurras, le principe de fraternité en cause procède de cet anarchisme évangélique et prophétique dont il disait ailleurs que Rousseau, le citoyen de Genève, en était particulièrement infecté (et infectant). Nous retrouvons ici la propension de notre auteur à établir la généalogie des idées, c’est-à-dire à leur assigner des origines tâche nécessaire s’il en est (en même temps que hasardeuse, parfois).
Une autre difficulté est qu’on pourrait s’étonner que Maurras caractérise le principe de fraternité inscrit aux frontons de nos mairies par ce qui paraît être un détour : la fraternité ne concerne-t-elle pas les citoyens de la Nation souveraine, les différents ordres avec les privilèges afférents ayant été abolis ?
C’est ce que tout républicain de base s’imaginerait… comme nous d’ailleurs ! Et n’aurait-il pas été loisible à Maurras de mettre directement en pleine lumière la réalité historique de cette furieuse guerre civile que la prétendue fraternité républicaine engagea contre tous ses ennemis présumés (ou suspects , dans le langage de l’époque) ? Pourquoi donc donner ici pour seul sujet de querelle le fait que certains concitoyens ne partagent pas la rage philanthropique universelle ici considérée ?
La réponse à cette question est double. D’une part, c’était pour Maurras donner un exemple particulièrement frappant de l’inanité de la fraternité révolutionnaire : la haine des républicains trouve prétexte à s’enflammer pour des raisons qui sont extérieures à la vie de la Nation : en effet - remarquons-le bien - il n’est pas ici question d’immigrés présents sur notre sol mais d’étrangers, lesquels sont d’autant plus aimables qu’ils sont lointains et différents. Mais d’autre part - et surtout - c’était attirer l’attention sur le fait que le principe de fraternité est bien, comme l’énonce le début du texte, « constitutif du régime cosmopolite ». Autrement dit - et même s’il s’agit en principe d’établir la paix de nation à nation - la fraternité, loin d’être un ciment moral ou affectif national est planétaire et ne vise en fait que l’Humanité abstraite - non le Grand Être d’Auguste Comte, certes, mais l’entité métaphysique.
Cosmopolitisme
Maurras a donc vu juste : le principe de fraternité n’est pas un principe national mais « cosmopolite », c’est-à-dire destructeur des nations. Est-ce à dire que les sentiments de bienveillance - de fraternité bien comprise si l’on veut - à l’égard des compatriotes ne doivent pas exister ? Bien au contraire ! C’est ainsi que Maurras dira fortement que les nations sont des « amitiés ». Nul n’est besoin, non plus, de nier en l’autre homme son humanité ni le droit qu’il a à notre respect… et même, s’il en est digne, à notre amitié (en espérant que nous en soyons nous-mêmes dignes d’ailleurs).
Dépossession de soi
L’erreur est simplement de croire que ces sentiments et ces réquisits moraux (sans parler de lordre de la charité chrétienne) exigent préalablement que les appartenances nationales respectives soient déniées. Comme si elles faisaient nécessairement obstacle ! Mais cest la dépossession de soi, en l’occurrence celle de ces appartenances, qui doit conduire non à la fraternité rêvée mais à la haine.
Produisons un exemple plus actuel : comment un Français en attente d’un logement social pourrait-il nourrir des sentiments fraternels à l’endroit de l’immigré clandestin, certes respectable, qui, grâce à la mobilisation des bonnes consciences cosmopolites et humanistes, lui prendra sa place et à ses frais de contribuable direct ou indirect encore ? Que cette fraternité-là « induise » à la guerre civile, c’est clair.
Notre troisième grand principe républicain heurte donc et le bon sens et le bon ordre. Cela ne pouvait naturellement pas échapper à un Maurras qui navait pas pour habitude de se laisser abuser par les nuées !
Francis Venant L’Action Française 2000 du 15 au 28 février 2007
* Charles Maurras : Réflexions sur la Révolution de 1789. Éd. des Îles d’Or, 1948.
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