Verser
des flots de pleurs sur les victimes des massacres de 1793 et en même
temps se croire tenu de chanter les mérites des hommes qui ont déclenché
la Révolution au nom de la tolérance et de la fraternité est faire
preuve au mieux de débilité mentale, au pire d’ignoble hypocrisie.
Une étude objective et profonde des Philosophes des Lumières chez qui s’abreuvaient les manipulateurs d’émeutiers est éclairante à ce sujet. Suivons un guide sûr, qui, écartant toutes les idées reçues et sans rien expurger, dissèque sans ménagement la littérature du XVIIIe siècle : Xavier Martin, professeur des universités, historien des idées politiques, révèle, dans son nouveau livre, autour de Voltaire méconnu, les Aspects cachés de lhumanisme des Lumières (1750-1800) (1)
Mépris élitiste
La documentation est foisonnante et époustouflante. On ne saurait imaginer à quel point Voltaire et ses amis se sont exprimés sur le mode du mépris, d’un mépris confinant bien souvent à une haine débordante. Ces auteurs ont exalté l’Homme, mais ils éprouvaient pour les hommes concrets une aversion inouïe : ceux-ci n’étaient à leurs yeux que des « bêtes brutes » ou « puantes » auxquels l’on doit préférer les insectes... Les femmes valaient encore moins (2). Quant au peuple il se situait pour Voltaire « entre l’homme et la bête ». Ainsi le maître de Ferney manifestait-il un élitisme jouisseur (« Il faut jouir, tout le reste est folie »), savourant le plaisir de « mentir comme un diable », et ne reconnaissant que des « vérités utiles ». Et Xavier Martin de préciser, textes à lappui, que ce mépris élitiste est un élément constitutif de l’œuvre voltairienne.
Mépris des écrivains autres que lui-même, allant jusquà se comporter avec un jeune auteur en véritable tyran, usant de la délation pour le faire embastiller, instituant dans les lettres de son temps ce que Xavier Martin n’hésite pas à appeler une véritable « police de la pensée ». La pensée unique na pas été inventée au XXe siècle...
Mépris de ceux qui passaient pour ses amis, par exemple le roi de Prusse Frédéric II, envers qui son mépris se faisait scatologique..., ou des autres philosophes… au sujet desquels le mépris et la haine devenaient une sorte de libre échange sous le sceau de l’hypocrite amitié. Jean-Jacques Rousseau en a fait les frais, nous ne le plaindrons pas...
Le rejet de la nature humaine
Mépris exacerbé de la religion : « Je recommande l’infâme à votre sainte haine », écrivait Voltaire qui achevait ses lettres par ces mots « Écrasons l’infâme », c’est-à-dire le christianisme. L’infâme, explique Xavier Martin, était le vecteur d’une lourde charge de dégoût. Il voyait dans le christianisme la pire des superstitions, et pour en purger la terre, il aimait se référer à un « représentant éclairé », Julien l’Apostat, l’empereur qui s’éleva aux raffinements de la persécution.
Nous ne pouvons citer tous les termes orduriers par lesquels Voltaire désignait le catholicisme, mais Xavier Martin analyse en profondeur cette haine anti-chrétienne corrélative d’une autre haine, celle de la nature humaine. « Il y a la haine claire d’un dogme biblique bien identifié : l’homme créé à l’image de Dieu et à sa ressemblance. Son rejet de ce dogme se fait viscéral : il préfère l’homme image du singe. » D’où les termes ignobles dans lesquels il parle de la transsubstantiation. Ce qui, ajoute Xavier Martin, « le prive de tout frein sur la pente du racisme », le rejet méprisant du monogénisme de la Genèse le conduisant « à un violent rapetissement de l’être humain ».
Il en arrivait même à se haïr lui-même, haïssant en fait en lui « la nature humaine, avec son libre arbitre et son pouvoir d’aimer - image de Dieu dont l’hypothèse étonnamment le met en transe ». La haine de la nature humaine, n’est-ce pas déjà le fondement de la Révolution ?
Tolérant par haine
Ajoutons que le même Voltaire n’était pas tendre non plus pour les autres religions. Son mépris anti-juif était inlassable : pour lui les juifs étaient des poux, des porteurs de lèpre, des voleurs qui souillaient la terre... Autre part il parle de « l’honneur de haïr le Croissant » et se livre sur l’islam à des « pulsions homicides » à côté desquelles l’affaire des caricatures de Mahomet de l’an dernier n’est que jeu d’enfant… Les protestants ne valaient pas mieux, et il eut même des paroles odieuses sur les personnes, comme la famille Calas, qu’il se donna l’allure de défendre à grand renfort publicitaire...
De toutes façons, pour lui comme pour d’Holbach, d’Alembert, Diderot, etc, toutes les religions se valaient et « le seul moyen de neutraliser les religions c’est de les tolérer toutes sans aucune exception et de les décrier les unes par les autres ». C’est clair : la tolérance tant vantée des philosophes était elle-même une composante du mépris. Tolérance instrumentalisée, utilitaire. La voie du laïcisme moderne était déjà toute tracée.
Anti esclavagiste ?
On le voit, le vrai Voltaire n’a rien à voir avec celui que l’on enseigne dans les écoles de la République. Xavier Martin ouvre plusieurs pistes aux chercheurs de demain. Par exemple sur la question de l’esclavage, dont l’auteur du Candide passe pour avoir été l’un des dénonciateurs. D’abord, outre le fait qu’il tirait - peut-être - profit de la traite des Noirs, il a toujours feint de confondre servage et esclavage, condamnant le premier en ayant l’air de condamner le second... Ensuite il se désolait quand on lui disait qu’il n’y avait plus assez « de nègres pour travailler à nos sucreries ». De la servitude, du travail forcé, du fouet, des sanctions corporelles, des mutilations en tous genres, Voltaire ne se souciait guère : le passage du Candide sur le nègre du Surinam relève plus de l’autodérision dans un livre où il se plaisait à donner de tous ses personnages une image dégradée, que dune volonté de dénoncer l’esclavage.
Orgies sanguinaires
Après tant de haine lue et relue, cuite et recuite pendant des années par des penseurs qui méprisaient le peuple (la « canaille », selon Voltaire), faut-il s’étonner que le siècle se soit achevé sur les jouissances sanguinaires des têtes portées au bout des piques et des massacres vendéens ? La nature humaine avait perdu son prix, donc la vie aussi, et les esprits s’étaient avilis.
Et pourtant, au soir de ce siècle de haine, alors que la Révolution imposait même à des enfants des serments de haine, Xavier Martin place l’image sublime du roi Louis XVI victime de toute cette bestialité et demandant à son fils dans la prison de Temple, « d’oublier toute haine et tout ressentiment ». Cette « voie royale du pardon » appartient à un tout autre monde que celui de Voltaire, dit Xavier Martin. Avec lui nous nous honorons de penser que, deux cents ans plus tard, enseigner cette voie royale est plus digne de la France que d’exalter des philosophes qui se plurent à avilir l’espèce humaine.
Michel Fromentoux L’Action Française 2000 du 2 au 15 novembre 2006
(1) Xavier Martin : Voltaire méconnu. Aspects cachés de l’humanisme des lumières (1750-1800). Éd. Dominique Martin Morin, 352 pages, 26 euros.
(2) Voir du même auteur L’homme des Droits de l’Homme et sa compagne. Même éditeur, 2003.
Une étude objective et profonde des Philosophes des Lumières chez qui s’abreuvaient les manipulateurs d’émeutiers est éclairante à ce sujet. Suivons un guide sûr, qui, écartant toutes les idées reçues et sans rien expurger, dissèque sans ménagement la littérature du XVIIIe siècle : Xavier Martin, professeur des universités, historien des idées politiques, révèle, dans son nouveau livre, autour de Voltaire méconnu, les Aspects cachés de lhumanisme des Lumières (1750-1800) (1)
Mépris élitiste
La documentation est foisonnante et époustouflante. On ne saurait imaginer à quel point Voltaire et ses amis se sont exprimés sur le mode du mépris, d’un mépris confinant bien souvent à une haine débordante. Ces auteurs ont exalté l’Homme, mais ils éprouvaient pour les hommes concrets une aversion inouïe : ceux-ci n’étaient à leurs yeux que des « bêtes brutes » ou « puantes » auxquels l’on doit préférer les insectes... Les femmes valaient encore moins (2). Quant au peuple il se situait pour Voltaire « entre l’homme et la bête ». Ainsi le maître de Ferney manifestait-il un élitisme jouisseur (« Il faut jouir, tout le reste est folie »), savourant le plaisir de « mentir comme un diable », et ne reconnaissant que des « vérités utiles ». Et Xavier Martin de préciser, textes à lappui, que ce mépris élitiste est un élément constitutif de l’œuvre voltairienne.
Mépris des écrivains autres que lui-même, allant jusquà se comporter avec un jeune auteur en véritable tyran, usant de la délation pour le faire embastiller, instituant dans les lettres de son temps ce que Xavier Martin n’hésite pas à appeler une véritable « police de la pensée ». La pensée unique na pas été inventée au XXe siècle...
Mépris de ceux qui passaient pour ses amis, par exemple le roi de Prusse Frédéric II, envers qui son mépris se faisait scatologique..., ou des autres philosophes… au sujet desquels le mépris et la haine devenaient une sorte de libre échange sous le sceau de l’hypocrite amitié. Jean-Jacques Rousseau en a fait les frais, nous ne le plaindrons pas...
Le rejet de la nature humaine
Mépris exacerbé de la religion : « Je recommande l’infâme à votre sainte haine », écrivait Voltaire qui achevait ses lettres par ces mots « Écrasons l’infâme », c’est-à-dire le christianisme. L’infâme, explique Xavier Martin, était le vecteur d’une lourde charge de dégoût. Il voyait dans le christianisme la pire des superstitions, et pour en purger la terre, il aimait se référer à un « représentant éclairé », Julien l’Apostat, l’empereur qui s’éleva aux raffinements de la persécution.
Nous ne pouvons citer tous les termes orduriers par lesquels Voltaire désignait le catholicisme, mais Xavier Martin analyse en profondeur cette haine anti-chrétienne corrélative d’une autre haine, celle de la nature humaine. « Il y a la haine claire d’un dogme biblique bien identifié : l’homme créé à l’image de Dieu et à sa ressemblance. Son rejet de ce dogme se fait viscéral : il préfère l’homme image du singe. » D’où les termes ignobles dans lesquels il parle de la transsubstantiation. Ce qui, ajoute Xavier Martin, « le prive de tout frein sur la pente du racisme », le rejet méprisant du monogénisme de la Genèse le conduisant « à un violent rapetissement de l’être humain ».
Il en arrivait même à se haïr lui-même, haïssant en fait en lui « la nature humaine, avec son libre arbitre et son pouvoir d’aimer - image de Dieu dont l’hypothèse étonnamment le met en transe ». La haine de la nature humaine, n’est-ce pas déjà le fondement de la Révolution ?
Tolérant par haine
Ajoutons que le même Voltaire n’était pas tendre non plus pour les autres religions. Son mépris anti-juif était inlassable : pour lui les juifs étaient des poux, des porteurs de lèpre, des voleurs qui souillaient la terre... Autre part il parle de « l’honneur de haïr le Croissant » et se livre sur l’islam à des « pulsions homicides » à côté desquelles l’affaire des caricatures de Mahomet de l’an dernier n’est que jeu d’enfant… Les protestants ne valaient pas mieux, et il eut même des paroles odieuses sur les personnes, comme la famille Calas, qu’il se donna l’allure de défendre à grand renfort publicitaire...
De toutes façons, pour lui comme pour d’Holbach, d’Alembert, Diderot, etc, toutes les religions se valaient et « le seul moyen de neutraliser les religions c’est de les tolérer toutes sans aucune exception et de les décrier les unes par les autres ». C’est clair : la tolérance tant vantée des philosophes était elle-même une composante du mépris. Tolérance instrumentalisée, utilitaire. La voie du laïcisme moderne était déjà toute tracée.
Anti esclavagiste ?
On le voit, le vrai Voltaire n’a rien à voir avec celui que l’on enseigne dans les écoles de la République. Xavier Martin ouvre plusieurs pistes aux chercheurs de demain. Par exemple sur la question de l’esclavage, dont l’auteur du Candide passe pour avoir été l’un des dénonciateurs. D’abord, outre le fait qu’il tirait - peut-être - profit de la traite des Noirs, il a toujours feint de confondre servage et esclavage, condamnant le premier en ayant l’air de condamner le second... Ensuite il se désolait quand on lui disait qu’il n’y avait plus assez « de nègres pour travailler à nos sucreries ». De la servitude, du travail forcé, du fouet, des sanctions corporelles, des mutilations en tous genres, Voltaire ne se souciait guère : le passage du Candide sur le nègre du Surinam relève plus de l’autodérision dans un livre où il se plaisait à donner de tous ses personnages une image dégradée, que dune volonté de dénoncer l’esclavage.
Orgies sanguinaires
Après tant de haine lue et relue, cuite et recuite pendant des années par des penseurs qui méprisaient le peuple (la « canaille », selon Voltaire), faut-il s’étonner que le siècle se soit achevé sur les jouissances sanguinaires des têtes portées au bout des piques et des massacres vendéens ? La nature humaine avait perdu son prix, donc la vie aussi, et les esprits s’étaient avilis.
Et pourtant, au soir de ce siècle de haine, alors que la Révolution imposait même à des enfants des serments de haine, Xavier Martin place l’image sublime du roi Louis XVI victime de toute cette bestialité et demandant à son fils dans la prison de Temple, « d’oublier toute haine et tout ressentiment ». Cette « voie royale du pardon » appartient à un tout autre monde que celui de Voltaire, dit Xavier Martin. Avec lui nous nous honorons de penser que, deux cents ans plus tard, enseigner cette voie royale est plus digne de la France que d’exalter des philosophes qui se plurent à avilir l’espèce humaine.
Michel Fromentoux L’Action Française 2000 du 2 au 15 novembre 2006
(1) Xavier Martin : Voltaire méconnu. Aspects cachés de l’humanisme des lumières (1750-1800). Éd. Dominique Martin Morin, 352 pages, 26 euros.
(2) Voir du même auteur L’homme des Droits de l’Homme et sa compagne. Même éditeur, 2003.
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