Le mécontentement contre l’impôt n’est pas un sentiment
nouveau. Par le passé, il a provoqué de nombreuses jacqueries, des
mouvements sociaux et même des rébellions ouvertes contre l’État.
En 2014, le taux de prélèvements obligatoires atteindra 46,1 % du
PIB. Pour mémoire, il était de 10 % en 1900, époque où le Parlement
retentissait des polémiques opposant partisans et adversaires de l’impôt
sur le revenu, qui ne sera voté qu’en 1914 !
Les Français ont de solides raisons, aujourd’hui,
de penser que les impôts sont trop lourds, mal répartis ou mal
utilisés. Ce sentiment n’est cependant pas nouveau dans l’histoire.
Toute la question est de savoir s’il peut conduire à des attitudes
ouvertes de refus de l’impôt, ou même à des révoltes antifiscales comme
on a pu en voir dans le passé.
Après l’effondrement de l’Empire romain, il faut plusieurs siècles
pour retrouver une fiscalité d’État. Jusqu’au XIIe siècle, la fiscalité
est donc seigneuriale, ecclésiastique et municipale. Les Capétiens, qui
règnent sur la France, ne sont d’abord que des seigneurs parmi d’autres
seigneurs. En vertu d’un principe du droit féodal, le roi « vit du sien
», c’est-à-dire du revenu de son domaine. Mais en étendant son pouvoir,
la dynastie, progressivement, entreprend de reconstruire un État
central, qui va être conduit par la nécessité à lever des impôts. A la
fin du XIIe siècle, la royauté impose les biens du clergé en vue de
financer la croisade, mesure qui provoque, sous Saint Louis et plus
encore sous Philippe le Bel, un conflit avec la papauté, cette dernière
refusant que le clergé soit soumis à l’impôt sans son consentement.
En 1382, Paris se révolte contre les impôts indirects
Dans une deuxième phase, à partir du XIIIe siècle, la défense du royaume justifie l’imposition des sujets, cet appel étant conçu comme un rachat du service en armes. Mais au XIVe siècle, le conflit franco-anglais accroît les exigences fiscales. Les Capétiens sollicitent les villes et l’Église afin qu’elles leur cèdent une partie du produit de leurs impôts, et demandent l’aide des grands féodaux pour percevoir de nouveaux impôts. La fiscalité royale est toujours regardée comme une contribution exceptionnelle, qui suppose d’être négociée. Les états provinciaux ou les états généraux, qui réunissent les délégués des barons, de l’Église et des « bonnes villes », mènent les tractations qui conduisent à un accord avec le roi sur le montant exigé.
Dans une deuxième phase, à partir du XIIIe siècle, la défense du royaume justifie l’imposition des sujets, cet appel étant conçu comme un rachat du service en armes. Mais au XIVe siècle, le conflit franco-anglais accroît les exigences fiscales. Les Capétiens sollicitent les villes et l’Église afin qu’elles leur cèdent une partie du produit de leurs impôts, et demandent l’aide des grands féodaux pour percevoir de nouveaux impôts. La fiscalité royale est toujours regardée comme une contribution exceptionnelle, qui suppose d’être négociée. Les états provinciaux ou les états généraux, qui réunissent les délégués des barons, de l’Église et des « bonnes villes », mènent les tractations qui conduisent à un accord avec le roi sur le montant exigé.
En 1380, à un moment où la guerre avec les Anglais s’apaise, Charles
V, avant de mourir, décide d’abolir les aides, c’est-à-dire la fiscalité
indirecte. Ce geste généreux néglige le fait que l’État royal s’est
renforcé et réclame des moyens permanents pour soutenir l’administration
et la justice. Les aides sont donc rétablies, ce qui provoque, en 1382,
les deux premières révoltes antifiscales importantes de l’histoire de
France : la Harelle à Rouen et la révolte des Maillotins à Paris, où des
demeures de bourgeois, de changeurs et d’officiers royaux sont brûlées.
L’affaire se clôt par la pendaison d’une douzaine d’émeutiers, suivie
d’une amnistie générale, mais Philippe le Hardi, régent et oncle du roi
mineur, Charles VI, maintient les aides.
A partir du XVe siècle, la monarchie ne négocie plus que les
modalités de l’assiette et de la levée des impôts avec les états. Mais
elle négocie. « Sous l’Ancien Régime, explique l’historien
Jean-Christian Petitfils, l’impôt direct reste considéré comme anormal. »
L’accroissement des besoins de l’État, la guerre, surtout, qui fait
bondir le budget royal, amènent une augmentation de la pression fiscale
qui se traduit, sous Richelieu, puis sous Mazarin, par de nombreuses
révoltes : Croquants du Quercy (1624), Lanturlus de Bourgogne (1630),
Nu-pieds de Normandie (1639). Ces mouvements sociaux réunissent parfois
le peuple, la petite noblesse et le clergé contre l’État mais ne
revêtent jamais un tour antimonarchique : les émeutiers incriminent les «
mauvais conseillers » du roi et se contentent de s’en prendre aux
collecteurs d’impôts. A partir du règne personnel de Louis XIV,
toutefois, les séditions de ce type, telle la révolte des Lustucrus dans
le Boulonnais (1662) ou celle du Papier timbré en Bretagne, dite des
Bonnets rouges (1675), sont réprimées sans pitié.
« Il faut distinguer la pression fiscale et le ressenti fiscal,
commente Jean-Christian Petitfils. Objectivement, le poids de la
fiscalité, sous l’Ancien Régime, n’est pas si considérable.
Des chercheurs britanniques ont montré que la
pression fiscale, à la mort de Louis XIV, était deux fois moindre en
France qu’en Angleterre. Mais l’injustice dans la répartition de la
taille (l’impôt direct), les multiples exemptions dont bénéficiaient
certaines catégories de la population allaient provoquer une aspiration à
l’égalité devant l’impôt qui ne ferait que s’exacerber, sous Louis XVI,
quand la monarchie échouerait à imposer cette réforme. »
Les vignerons de l’Aude, en 1907, font la grève de l’impôt
La Révolution réorganise et unifie la fiscalité, créant des taxes
dont certaines existent toujours. Napoléon, lui, met en place une
administration fiscale dont nous avons hérité. L’impôt moderne n’a plus
seulement pour but de financer les entreprises conduites par l’État, à
commencer par la guerre : il poursuit un but politique, social, moral.
Toutefois rien ne va de soi. Quand la révolution de 1848 crée une
contribution « exceptionnelle », les paysans de Cusset, dans l’Allier,
mettent le feu à la perception en s’écriant : « En République, on ne
doit plus rien payer ! » L’alcool et le vin sont taxés, à la fin du
siècle, au nom d’arguments qui mêlent l’impératif économique et les
considérations hygiénistes. Mais dans les années 1905-1907, les
vignerons du Jura puis de l’Aude, s’estimant surtaxés et insuffisamment
soutenus après la crise du phylloxéra, lancent une grève de l’impôt qui
dure plus de six mois.
Entre 1894 et 1914, la Chambre des députés vote plusieurs fois la
création de l’impôt sur le revenu, projet qui est repoussé par le Sénat,
puis adopté sous forme de compromis, en juillet 1914, et appliqué pour
la première fois en 1916. Le principe même de cet impôt sera combattu,
pendant l’entre-deux-guerres, par les groupes parlementaires de droite
et par diverses ligues des contribuables.
En 1955, Pierre Poujade, fondateur de l’Union de défense des
commerçants et artisans, appelle à la grève de l’impôt. Ses consignes
sont peu entendues, mais le poujadisme devient un mouvement politique
qui, en 1956, envoie 52 députés au Palais-Bourbon (parmi lesquels le
jeune Jean-Marie Le Pen). Quinze ans plus tard, Gérard Nicoud reprend le
flambeau de la défense des petits commerçants contre le fisc : après
avoir dévalisé une perception à La Tour-du-Pin (Isère), en 1969, il
appelle à la grève de l’impôt, en 1970, au cours d’un meeting qui réunit
40 000 manifestants au Parc des Princes.
Et aujourd’hui, sommes-nous en 1788 ?
Jean-Christian Petitfils ne le pense pas : « De nos jours, le
sentiment révolutionnaire n’existe pas. Nous sommes dans un État de
droit, et les institutions de la Ve République stabilisent le système :
c’est dans les urnes que s’exprime le mécontentement. Le ras-le-bol n’en
est pas moins réel, car il est provoqué par le sentiment que l’État
demande aux Français des sacrifices qu’il ne s’impose pas à lui-même, et
donc que la pression fiscale ne sert à rien. »
Nicolas Delalande, un historien qui a étudié les réactions de
l’opinion vis-à-vis de l’impôt depuis 1789, observe que le consentement à
l’impôt « repose sur un lien de confiance qu’il faut perpétuellement
reconstruire » (*). Si certains Français s’exilent aujourd’hui pour des
raisons fiscales, c’est parce que ce lien de confiance entre l’État et
eux a été rompu. Il ne sera pas rétabli en se contentant de traiter les
exilés de mauvais citoyens. Faut-il rappeler que la révocation de l’édit
de Nantes, en 1685, en chassant les élites économiques protestantes, a
coûté cher à la France ?
(*) Les Batailles de l’impôt. Consentement et résistances de 1789 à nos jours, Seuil, 2011.
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