«
L’homme, dit Spinoza, est quelque chose en soi, alors que l’État ne
doit son existence qu’à l’action concertée de la collectivité. De même
que les parties sont avant le tout, ainsi l’individu est avant
l’État. » Voilà la formule commentée et justifiée. Par un
sophisme, il est vrai ; mais c’est sur un tel sophisme que repose la
Révolution, et tout ce qui en découle.
Comment ? un sophisme ! s’exclamera-t-on. Prétendriez-vous quil nest point juste de dire que les parties soient avant le tout. Il est juste de le dire, mais seulement si vous parlez d’un ouvrage fait de main d’homme. Il est clair que pour faire un tout, l’homme doit travailler à chaque partie de ce tout. Le statuaire ne peut faire une statue qu’en sculptant successivement chaque partie de la statue… Mais la nature ne procède pas ainsi. Or l’homme et la société ne sont pas l’ouvrage de l’homme mais l’ouvrage de la nature. Aussi l’ordre se trouve-t-il renversé, et si nous reprenons la classification de cause, moyen, effet, nous dirons : cause, la nature ; moyen, la société ; effet, l’homme… Or la famille, c’est une société, société embryonnaire, il est vrai, mais déjà société… Réunies, les familles forment ce qu’on appelle véritablement la société.
Léon de Montesquiou
Dans La Raison d’État, livre de 1902 dédié à Paul Bourget, Léon de Montesquiou ne parle pas essentiellement de cette raison d’État qui justifie des mesures exceptionnelles par la sûreté de l’État, il montre avant tout la raison de l’existence de l’État. Il s’adresse aux bons Français de son temps, aux Français patriotes qui ont accepté la République, pour leur montrer que cette acceptation entraînera inéluctablement chez eux une altération de la notion d’État. Ils finiront dans le désordre en utilisant des mots qui donneront l’illusion de l’ordre. Il leur dit que « les principes révolutionnaires, en hypnotisant sur l’Homme, ont fait perdre de vue la notion de l’État. » Il ajoute : « Les besoins de la lutte électorale vous ont obligés à vous affirmer républicains. Et comme vous n’êtes pas arrivés, et pour cause, à affirmer la République au nom de la raison d’État, et comme la République ne se peut affirmer qu’au nom de principes révolutionnaires, vous avez été obligés de recourir à ces principes. »
Ainsi, des Français qui voulaient avant tout le salut de la France furent amenés à parler avant tout de Liberté, de Démocratie, de Droits de l’Homme. « Je n’hésite pas à dire qu’à partir de ce moment le nationalisme avait perdu tout son sens fécond. C’est ce sens fécond que je veux reprendre en disant la raison d’État. » Ces pages sont toujours d’une brûlante actualité. Les bonnes élections, la bonne République sont, en France, une illusion, en 2006 comme en 1902.
Les démocrates posent la question de l’État dune manière faussée par l’idéologie. La pensée classique et réaliste constate que la société passe avant l’homme, mais que l’accomplissement terrestre de l’homme est le but de la société tandis que l’État n’est quun moyen, mais un moyen indispensable.
La loi du Nombre
En raisonnant sur un Homme abstrait, la Révolution inverse les perspectives. Elle proclame les Droits de l’Homme mais aboutit à un résultat complètement différent : en faisant éclater les cadres naturels, les hiérarchies, toutes les cellules essentielles, en posant comme principe la liberté première de l’individu, la conception révolutionnaire de la société livre les hommes isolés à la collectivité divinisée. L’homme démocratique est fait pour la Société.
De la viennent toutes les formes du totalitarisme, dont celle dans laquelle nous vivons est la plus subtile : l’esclavage dans l’illusion de toutes les permissivités. L’État-Providence écrase ses esclaves d’impôts, de taxes, de lois et de règlements qui organisent jusqu’à leur vie privée tout en les berçant dans le paupérisme hédoniste du supermarché, des loisirs de masse, de la sous-culture vulgaire et abrutissante. Il cherche même à organiser l’éradication de la vie intérieure parce quelle échappe à son contrôle. La pensée, la vie morale ne sauraient être que collectives.
En posant comme premier l’ordre de l’État, en respectant les hiérarchies naturelles, on respecte des espaces de liberté pour les familles, pour les particuliers, à l’intérieur d’une société que cet État protège. En mettant l’Homme en premier, on pose le principe démocratique et révolutionnaire et les particuliers se retrouvent écrasés sous l’aveugle tyrannie de la loi du Nombre.
Il faut le répéter et le démontrer inlassablement : seul l’ordre naturel, politique et social, assure aux hommes leurs libertés légitimes. Le Nombre ne mène qu’à l’asservissement total, puisque, comme le montre le livre prophétique de Maurras, le triomphe de la démocratie pose le problème de l’Avenir de l’Intelligence.
À bas la tyrannie, à bas la République, vivent les libertés, et donc vive le Roi !
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 2 au 15 novembre 2006
* Léon de Montesquiou : La Raison d’État, Plon, 1902.
Comment ? un sophisme ! s’exclamera-t-on. Prétendriez-vous quil nest point juste de dire que les parties soient avant le tout. Il est juste de le dire, mais seulement si vous parlez d’un ouvrage fait de main d’homme. Il est clair que pour faire un tout, l’homme doit travailler à chaque partie de ce tout. Le statuaire ne peut faire une statue qu’en sculptant successivement chaque partie de la statue… Mais la nature ne procède pas ainsi. Or l’homme et la société ne sont pas l’ouvrage de l’homme mais l’ouvrage de la nature. Aussi l’ordre se trouve-t-il renversé, et si nous reprenons la classification de cause, moyen, effet, nous dirons : cause, la nature ; moyen, la société ; effet, l’homme… Or la famille, c’est une société, société embryonnaire, il est vrai, mais déjà société… Réunies, les familles forment ce qu’on appelle véritablement la société.
Léon de Montesquiou
Dans La Raison d’État, livre de 1902 dédié à Paul Bourget, Léon de Montesquiou ne parle pas essentiellement de cette raison d’État qui justifie des mesures exceptionnelles par la sûreté de l’État, il montre avant tout la raison de l’existence de l’État. Il s’adresse aux bons Français de son temps, aux Français patriotes qui ont accepté la République, pour leur montrer que cette acceptation entraînera inéluctablement chez eux une altération de la notion d’État. Ils finiront dans le désordre en utilisant des mots qui donneront l’illusion de l’ordre. Il leur dit que « les principes révolutionnaires, en hypnotisant sur l’Homme, ont fait perdre de vue la notion de l’État. » Il ajoute : « Les besoins de la lutte électorale vous ont obligés à vous affirmer républicains. Et comme vous n’êtes pas arrivés, et pour cause, à affirmer la République au nom de la raison d’État, et comme la République ne se peut affirmer qu’au nom de principes révolutionnaires, vous avez été obligés de recourir à ces principes. »
Ainsi, des Français qui voulaient avant tout le salut de la France furent amenés à parler avant tout de Liberté, de Démocratie, de Droits de l’Homme. « Je n’hésite pas à dire qu’à partir de ce moment le nationalisme avait perdu tout son sens fécond. C’est ce sens fécond que je veux reprendre en disant la raison d’État. » Ces pages sont toujours d’une brûlante actualité. Les bonnes élections, la bonne République sont, en France, une illusion, en 2006 comme en 1902.
Les démocrates posent la question de l’État dune manière faussée par l’idéologie. La pensée classique et réaliste constate que la société passe avant l’homme, mais que l’accomplissement terrestre de l’homme est le but de la société tandis que l’État n’est quun moyen, mais un moyen indispensable.
La loi du Nombre
En raisonnant sur un Homme abstrait, la Révolution inverse les perspectives. Elle proclame les Droits de l’Homme mais aboutit à un résultat complètement différent : en faisant éclater les cadres naturels, les hiérarchies, toutes les cellules essentielles, en posant comme principe la liberté première de l’individu, la conception révolutionnaire de la société livre les hommes isolés à la collectivité divinisée. L’homme démocratique est fait pour la Société.
De la viennent toutes les formes du totalitarisme, dont celle dans laquelle nous vivons est la plus subtile : l’esclavage dans l’illusion de toutes les permissivités. L’État-Providence écrase ses esclaves d’impôts, de taxes, de lois et de règlements qui organisent jusqu’à leur vie privée tout en les berçant dans le paupérisme hédoniste du supermarché, des loisirs de masse, de la sous-culture vulgaire et abrutissante. Il cherche même à organiser l’éradication de la vie intérieure parce quelle échappe à son contrôle. La pensée, la vie morale ne sauraient être que collectives.
En posant comme premier l’ordre de l’État, en respectant les hiérarchies naturelles, on respecte des espaces de liberté pour les familles, pour les particuliers, à l’intérieur d’une société que cet État protège. En mettant l’Homme en premier, on pose le principe démocratique et révolutionnaire et les particuliers se retrouvent écrasés sous l’aveugle tyrannie de la loi du Nombre.
Il faut le répéter et le démontrer inlassablement : seul l’ordre naturel, politique et social, assure aux hommes leurs libertés légitimes. Le Nombre ne mène qu’à l’asservissement total, puisque, comme le montre le livre prophétique de Maurras, le triomphe de la démocratie pose le problème de l’Avenir de l’Intelligence.
À bas la tyrannie, à bas la République, vivent les libertés, et donc vive le Roi !
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 2 au 15 novembre 2006
* Léon de Montesquiou : La Raison d’État, Plon, 1902.
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