« L’empire, sans la
France ce n’est rien. La France sans l’empire, ce n’est rien » (Amiral Darlan – Novembre 1942)
« L'âme de nos marins
plane sur l'Océan, je l'ai vue ce matin, sous l'aile d'un goéland » (Freddie Breizirland)
Après avoir été
donné à la France par le traité de Paris, le 30 mai 1814, Dakar devint, en 1904, la capitale de
l’Afrique Occidentale Française (AOF). Située
à l’extrémité occidentale de l’Afrique, elle occupait, en 1940, une position
stratégique considérable qui faisait bien des envieux. Au point de séparation
de l’Atlantique Nord et Sud, en avancée face à l’Amérique Latine, sur le chemin
entre l’Afrique du Sud et l’Europe, Dakar intéressait tout le monde et en
premier lieu les Britanniques qui, sur le chemin traditionnel de l’Afrique
australe et de l’Asie par le Cap, retrouvaient là l’un des enjeux de leurs
rivalités coloniales avec la France et voulaient profiter de son écrasement.
En
septembre 1940, le Maréchal Pétain avait confié au général Weygand la
délégation générale du gouvernement en Afrique et le commandement en chef des
troupes. Ainsi se trouvait affirmée la volonté de défendre l’Afrique mais aussi
de préparer les moyens de la revanche.
Le
31 Août 1940, soit près de deux mois après la lâche agression commise par ces
mêmes britanniques sur la flotte française au mouillage et désarmée, dans le
port de Mers El-Kébir (Algérie) et près d’un mois après l’entretien Churchill –
De Gaulle (6 août 1940) sur les modalités d’une éventuelle attaque contre les
forces françaises stationnées au Sénégal et demeurées fidèles au Maréchal
Pétain, la force navale M (M comme
« Menace ») britannique
où se trouvait de Gaulle quitta les ports britanniques pour Freetown en Sierra
Leone qu’elle atteignit le 16 Septembre.
Cette expédition reposait sur deux principes et deux ambitions :
- Churchill espérait mettre la main sur l’or de la Banque de France et des banques nationales belges
et polonaises, représentant plus de 1000 tonnes d’or… et sur le
cuirassé Richelieu, redoutable par
sa puissance de feu (bien que son armement ne fût pas terminé), fleuron de la
flotte française.
- De Gaulle désirait s’imposer comme le chef suprême de l’empire
français en guerre… empire d’importance que le gouvernement de Vichy tenait,
par ailleurs, à défendre ardemment.
Partie de Freetown le 21
septembre, la force M se présenta
devant Dakar le 23 à l’aube. A 6 heures, un message de De Gaulle était adressé
à la garnison en lui demandant de se rendre… sans effet. Sa seule présence
qu’il espérait suffisante, ne provoqua pas à son grand dam les ralliements
escomptés… le traumatisme de Mers El-Kébir était trop vif. Le gouverneur
général de l'A.O.F., Pierre Boisson, commandant la Place, résolument rangé
derrière Pétain, refusa catégoriquement de se rallier, affirmant sa volonté de
défendre Dakar « jusqu'au
bout » La décision de De Gaulle ne se fit pas
attendre : Il fallait débarquer ! Une première tentative de
débarquement se solda par un fiasco suivie de deux autres qui subirent le même
sort. Une tentative de persuasion politique échoua et Thierry d’Argenlieu,
arrivé par mer pour parlementer avec un drapeau blanc, fut accueilli par un tir
de mitrailleuse qui le blessa mais son embarcation parvint à s'échapper. Il en
résultait que de l’avis de De Gaulle et de l’amiral Cunningham, le patron de la
flotte anglaise, la résistance allait être farouche…
En
effet, face à l’armada britannique qui se préparait au combat, la France
disposait, cette fois, de solides moyens navals ainsi qu’une sérieuse défense
côtière. On en n’était plus aux conditions dramatiques de Mers El-Kebir où la
flotte désarmée avait été littéralement assassinée ; cette fois, les
marins français étaient prêts au combat et animés, de surcroît, d’un esprit de
revanche parfaitement perceptible… et compréhensible. Avant la tragédie de Mers
El-Kébir, la flotte française était la 4ème plus puissante flotte du
monde ; elle était décidée à le prouver et cela d’autant plus qu’elle
n’avait jamais été vaincue…
Sur
cette résistance, de Gaulle écrira dans ses mémoires :
« Décidément, l’affaire était
manquée ! Non seulement le débarquement n’était pas possible, mais encore
il suffirait de quelques coups de canons, tirés par les croiseurs de Vichy,
pour envoyer par le fond toute l’expédition française libre. Je décidai de
regagner le large, ce qui se fit sans nouvel incident. »
Ainsi se passa la première journée, celle du 23 septembre.
Dans
la nuit du 23 au 24 septembre, plusieurs télégrammes furent échangés entre
l’amiral Cunningham et Churchill, décidé à poursuivre l’affaire jusqu’à son
terme : « Que
rien ne vous arrête ! » Dans cette même nuit, un
ultimatum anglais fut adressé aux autorités françaises de Dakar leur enjoignant
de livrer la place au général de Gaulle. Le texte était fort maladroit et
accusait les forces de Dakar de vouloir livrer leurs moyens aux Allemands. Il
ne pouvait que provoquer l’indignation des défenseurs et ne recevoir d’autres
réponses que le refus. Le gouverneur général Boisson,
se remémorant la mise en garde que Georges Clemenceau adressa, le 9 août 1926,
au président américain Coolidge : « La France n’est
pas à vendre, même à ses amis. Nous l’avons reçue indépendante, indépendante
nous la laisserons », répondit avec fermeté : « La France m’a confié Dakar.
Je défendrai Dakar jusqu’au bout ! ».
Depuis la tragédie de Mers El-Kebir, Vichy avait décidé de défendre fermement
cette position stratégique française et avait envoyé à cet effet, de
Casablanca, des bombardiers, des chasseurs et des croiseurs. Il y avait
là : Un cuirassé (Richelieu),
deux croiseurs légers, quatre contre torpilleur, trois destroyers, six avisos,
cinq croiseurs auxiliaires, trois cargos et trois sous-marins. Par ailleurs, la
force de frappe aérienne n’était pas négligeable… et elle allait le prouver.
Du
côté anglais, la flotte était tout aussi impressionnante : Un porte avions
(Ark Royal qui avait déjà opéré à
Mers El-Kebir), deux cuirassés, trois croiseurs lourds, deux croiseurs légers,
dix destroyers, deux dragueurs de mines et une dizaine de navires transports de
troupes portant 4200 soldats –dont la fameuse 101ème brigade des Royal Marines… à laquelle s’ajoutait
l’armée gaulliste composée de trois avisos, un patrouilleur, quatre cargos et
2700 soldats français.
Toute la journée du 24 se passa en échanges de coups d’artillerie de marine
entre les deux flottes qui firent de nombreuses victimes parmi les marins des
deux camps et la population civile qui subit également ce pilonnage. Des obus
anglais de gros calibre (380m/m) tombèrent sur la ville, touchant, entre
autres, l’hôpital et la caserne du
6° RAC, faisant 27 morts et 45 blessés. En soirée, la situation
n’avait guère évolué…
Le
lendemain, 25 septembre, la ténacité britannique continua. Les navires de la
force M voulurent de nouveau
s’approcher afin de poursuivre leur œuvre de destruction, mais, comme
précédemment, ils durent se frotter aux bâtiments français (Vichystes, diront
les gaullistes !) qui leur infligèrent de sérieux dégâts et cela d’autant
plus que l’aviation française était maîtresse du ciel.
C’en
était trop ! De Gaulle écrira : « L’amiral
Cunningham décida d’arrêter les frais. Je ne pouvais que m’en accommoder. Nous
mîmes le cap sur Freetown. »
L’armée française sortait vainqueur de la bataille en dépit de ses 203 morts et
393 blessés. Les 1927 morts de Mers-El-Kébir étaient en partie vengés.
Cette opération constitua un tournant idéologique pour les gouvernements, bien
plus qu'un affrontement important du point de vue des forces en présence, du
nombre des victimes ou des pièces militaires détruites ou endommagées.
L’aventure anglo-gaulliste se solda ainsi par un cuisant échec et eut des
conséquences considérables.
- D’un côté, le régime de Vichy sortait renforcé de l’épreuve et
la cohésion des troupes de la marine –toujours invaincue- autour de la personne
du Maréchal Pétain, revigorée.
- De l’autre, le crédit du général de Gaulle dégringolait en chute
libre. L’homme se retrouvait isolé. Soudainement mis à l’écart, il fut
politiquement menacé par l'amiral Muselier accusé à tort d'avoir été à
l'origine des fuites qui empêchèrent le débarquement. Il ne s’en cacha pas dans
ses mémoires : « A Londres, une tempête de colères, à
Washington, un ouragan de sarcasmes, se déchaînèrent contre moi. Pour la presse
américaine et beaucoup de journaux anglais, il fut aussitôt entendu que l’échec
de la tentative était imputable à de Gaulle. » … « C’est lui, répétaient
les échos, qui avait inventé cette absurde aventure, trompé les Britanniques
par des renseignements fantaisistes sur la situation à Dakar, exigé par
donquichottisme, que la place fût attaquée alors que les renforts envoyés par
Darlan rendaient tout succès impossible… »
De son côté, Churchill, lui aussi, sortait de l’aventure en fâcheuse
posture. Il dut subir les sarcasmes de la Chambre des Communes et fut à deux
doigts d’être démissionné. S’il lui avait été facile de détruire, à Mers
El-Kebir, une flotte désarmée (et pourtant alliée) causant la mort de 1927
marins, manifestement, avec Dakar ce fut tout autre et son désir de s’emparer
de l’excellente et cohérente flotte française ou de la détruire se solda par un
échec retentissant.
José CASTANO
e-mail :
joseph.castano0508@orange.fr
N.B : - Concernant
la tragédie de Mers El-Kebir, certains ont cru bon de justifier l’agression
britannique par le fait que nos bâtiments seraient, inéluctablement, tombés
entre les mains des Allemands. Je rappelle ce que j’écrivais à ce
propos sur cette agression :
« L’armistice
franco-allemand du 25 juin 1940 consacre l’échec de nos armées sur terre ;
notre flotte, une des plus puissantes -qui n’avait pas été vaincue- est libre.
Ni l’amiral Darlan, ni le général Weygand n’ont l’intention « …de livrer à l’ennemi une unité quelconque de notre
flotte de guerre » et de Gaulle le dira, le 16 juin à Churchill
en ces termes « La flotte ne sera
jamais livrée, d’ailleurs, c’est le fief de Darlan ; un féodal ne livre
pas son fief. Pétain lui-même n’y consentirait pas ».
Les Anglais,
de leur côté, désirent que notre flotte, riche en unités lourdes et légères, se
rende dans leurs ports. Elle aurait pu le faire, le 16 juin 1940, mais personne
ne lui en donne l’ordre et la Marine reçoit l’assurance, « qu’en aucun cas, la flotte ne sera livrée intacte »,
mais qu’elle se repliera probablement en Afrique ou sera coulée précise
l’Amiral Darlan. Hitler ne demande pas livraison de notre flotte (le projet
d’armistice ne le prévoyant d’ailleurs pas), pas plus que de nos colonies,
sachant qu’il n’est pas dans nos intentions d’accepter de telles
exigences. »
Cet épisode sur Dakar
confirme la justesse de mes propos car si la France
métropolitaine était vaincue, l’Empire
ne considérait nullement l’être. Si la France
métropolitaine avait capitulé, l’Empire
s’y était refusé et la marine française (ce qu’il en restait), comme elle s’y était
engagée, avait rejoint les ports africains composant l’Empire afin de poursuivre le combat.
- Les alliés ayant débarqué le 8 Novembre 1942 en Afrique du Nord
(opération « Torch »), les
autorités Vichystes d’AOF, convaincues par l’amiral Darlan, signèrent le 7
décembre 1942, un accord avec les alliés, qui remit l’empire colonial français
dans la guerre en formant « l’Armée d’Afrique » dans laquelle firent
merveille les « tirailleurs sénégalais ».
Lors de la constitution du Comité Français de la Libération nationale (CFLN),
le gouverneur général Boisson démissionnera et sera remplacé le 1er
juillet 1943 par le gaulliste Pierre Cournarie.
- Le Richelieu
appareilla pour les Etat-Unis où son armement fut modernisé. Il participa au
côté des Alliés à la guerre contre l’Allemagne puis, dans le Pacifique, à celle
contre les Japonais. Il fut présent à la capitulation japonaise en rade de
Singapour.
Le 1er Octobre 1945, il fut de retour à Toulon après 52 mois
passés loin de la Métropole. Il participa à la guerre d’Indochine puis fut mis
en réserve en août 1959, désarmé en 1967 et démoli en 1968.
« Nous avions reçu un
empire ; nous laissons un hexagone » (Colonel Charles Lacheroy)
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