Une des preuves que le
cours de l’histoire n’a pas suivi, en dehors du plan purement matériel,
une direction de progrès, c’est la pauvreté des langues modernes par
rapport à de nombreuses langues anciennes. Pas une seule des « langues
vivantes » occidentales ne peut soutenir la comparaison, en matière
d’organicité, de précision et de souplesse, avec, par exemple, le latin
ou le sanskrit. Parmi toutes les langues européennes, il n’y a peut-être
que l’allemand qui ait conservé quelque chose de la structure archaïque
(et c’est pour cela que la langue allemande a la réputation d’être « si
difficile »), alors que la langue anglaise et celles des peuples
scandinaves ont également subi un processus d’érosion et
d’affaiblissement. D’une manière générale, on peut dire que les langues
anciennes étaient tridimensionnelles, tandis que les langues modernes
sont bidimensionnelles. Le temps a agi, ici aussi, dans un sens corrosif
; il a rendu les langues « fluides » et « pratiques » au détriment,
justement, du caractère organique. Ceci n’est qu’un reflet de ce qui
s’est vérifié dans bien d’autres domaines de la culture et de
l’existence. Les mots, eux aussi, ont leur histoire et, souvent, le
changement qu’ont subi leurs contenus est un indice barométrique
intéressant de modifications correspondantes de la sensibilité générale
et de la vision du monde. En particulier, il serait intéressant de
comparer le sens qu’eurent certains mots dans la vieille langue latine
et le sens propre à des termes, restés pratiquement les mêmes, de la
langue italienne et d’autres langues romanes également. On observe
généralement une chute de niveau. Le sens le plus ancien a été perdu, ou
ne survit sous une forme résiduelle que dans certaines acceptions
ou locutions particulières, mais ne correspond plus au sens désormais
courant ou, encore, semble tout à fait déformé et fréquemment banalisé.
Nous donnerons ici quelques exemples.
1 – Le cas le plus typique et le plus
connu, c’est peut-être celui du mot virtus. La « vertu » au sens moderne
n’a rien à voir avec la virtus antique. Virtus désignait la force de
caractère, le courage, la prouesse, la fermeté virile. Ce terme dérivait
de vir, l’homme véritable, non l’homme dans un sens général et
naturaliste. Le même terme a pris, dans la langue moderne, un sens
essentiellement moraliste, très souvent associé à des préjugés d’ordre
sexuel, au point que, se référant à lui, Vilfredo Pareto a forgé le
terme « vertuisme » pour désigner la morale bourgeoise puritaine et
sexophobe. Quant on dit une « personne vertueuse », on pense aujourd’hui
à quelque chose de bien différent de ce que pouvaient signifier par
exemple, à l’aide d’une réitération efficace, des expressions comme
celle-ci : vir virtute praeditus. II n’est pas rare que la différence se
transforme en opposition. En effet, une âme forte, fière, intrépide,
héroïque est le contraire de ce que veut dire une personne « vertueuse »
au sens moraliste et conformiste moderne. Le sens de virtus comme force
efficiente ne s’est maintenu que dans certaines locutions particulières
: la « vertu » d’une plante ou d’un médicament, « en vertu » de ceci ou
de cela.
2 – Honestus. Lié à l’idée d’honos, ce
terme eut pour les Anciens le sens prédominant d’honorable, noble, de
noble rang. De cela, que s’est-il conservé dans le terme moderne
correspondant ? Une personne « honnête », c’est aujourd’hui un
représentant « bien-pensant » de la société bourgeoise, quelqu’un qui ne
se livre pas à de mauvaises actions. L’expression « né de parents
honnêtes » a même de nos jours une nuance quasiment ironique, tandis que
dans la Rome antique elle servait à désigner précisément une noblesse
de naissance, qui était souvent liée aussi à une noblesse biologique.
Vir honesta facie signifiait en effet un homme de belle prestance, de
même qu’en sanskrit le terme arya se référait à la fois à une personne
digne d’être honorée et à une noblesse aussi bien intérieure que
physique.
3 – Gentilis, gentilitas. Aujourd’hui
chacun pense à une personne courtoise, affable, bien élevée. Le terme
antique renvoyait par contre à la notion de gens, la race, la caste ou
le lignage. Pour les Romains, était « gentil » celui qui possédait les
qualités dérivant d’un lignage et d’un sang bien différenciés,
lesquelles peuvent éventuellement, et comme par réflexion, déterminer
une attitude de courtoisie détachée, chose très différente des « bonnes
manières » que peut aussi posséder le parvenu après avoir lu un manuel
de savoir-vivre – et différente, également, de la vague notion moderne
de « gentillesse ». Peu de gens sont aujourd’hui capables de saisir le
sens le plus profond d’expressions comme « un esprit gentil » et autres,
restées comme des prolongements isolés chez des écrivains d’autres
temps que le nôtre.
4 – Genialitas. Qui est « génial » de nos
jours ? Un type d’homme foncièrement individualiste, riche de
trouvailles originales et de fantaisie. A la limite, on a le « génie »
dans le domaine artistique, auquel la civilisation bourgeoise et
humaniste a voué un culte fétichiste, si bien que le « génie » – plus
que le héros, l’ascète ou l’aristocrate – a souvent été considéré, dans
cette civilisation, comme le type humain le plus élevé. Le terme latin
genialis renvoie, lui, à quelque chose de fort peu individualiste et «
humaniste ». II provient du mot genius, qui désigna originellement la
force formatrice et génératrice, interne, spirituelle et mystique, d’une
certaine lignée. On peut donc affirmer que les qualités « géniales » au
sens antique eurent une certaine relation avec les qualités « raciales
», dans l’acception la plus haute du terme. En opposition au sens
moderne, ce qui est « génial » se distingue ici de ce qui est
individualiste et arbitraire ; il se rattache à une racine profonde,
obéit à une nécessité intérieure par une fidélité aux forces
supra-personnelles d’un sang et d’une lignée, donc à ces forces qui,
dans toute famille patricienne, étaient en rapport, on le sait, avec une
tradition sacrée.
5 – Pietas. Inutile de rappeler ce que
veut dire aujourd’hui une « personne pieuse ». On songe à une attitude
sentimentale plus ou moins humanitaire – et « pieux » est parfois
synonyme de compatissant. Dans la vieille langue latine, la pietas, par
contre, appartenait au domaine du sacré, désignait en premier lieu les
rapports que l’homme romain entretenait avec les divinités, en
second lieu ses rapports avec d’autres réalités liées au monde de la
Tradition, y compris l’État lui-même. Envers les dieux, il s’agissait
d’une vénération calme et digne : sentiment d’appartenance et,
simultanément, de respect, d’accord reconnaissant, de devoir et
d’adhésion aussi, comme renforcement du sentiment que faisait naître la
sévère figure du pater familias (ce qui explique aussi la pietas
filialis). La pietas pouvait également se manifester dans le domaine
politique : pietas in patriam voulait dire fidélité et sens du devoir
envers l’État et la patrie. Dans certains cas, le terme en question
connote aussi le sens de iustitia. Celui qui ne connaît pas la pietas,
celui-là est également l’injuste, presque l’impie, celui qui veut
ignorer la place qui est sienne et qu’il doit occuper dans le cadre d’un
ordre supérieur, à la fois humain et divin.
6 – Innocentia. Ce mot évoquait lui aussi
l’idée de clarté et de force ; son sens le plus courant dans
l’Antiquité exprimait la pureté de l’âme, l’intégrité, le désintérêt, la
droiture. Ce terme n’avait donc pas un sens purement négatif : « ne pas
être coupable ». II ignorait la nuance de banalité que présente
aussi l’expression « un esprit innocent », devenue presque synonyme de
simplet. Dans d’autres langues romanes, comme le français par exemple,
le même terme, innocent, finit par désigner les idiots, les tarés de
naissance, les faibles d’esprit.
7 – Patientia. Le sens moderne, par
rapport au sens ancien, est de nouveau émoussé et affaibli. Quelqu’un de
patient, c’est aujourd’hui quelqu’un qui ne se met pas en colère, qui
ne s’énerve pas, qui tolère. Dans la langue latine la patientia
désignait une des « vertus » fondamentales de l’homme romain :
elle connotait l’idée d’une force intérieure, d’une imperturbabilité,
faisait allusion à la capacité de tenir bon, de garder l’âme non
troublée devant n’importe quel échec et n’importe quelle adversité.
C’est pour cela qu’il fut dit de la race de Rome qu’elle avait en propre
le pouvoir d’accomplir de grandes choses et d’endurer des malheurs tout
aussi grands (cf. la fameuse formule de Livius : et facere et pati
fortia romanum est). Le sens moderne est, par rapport à l’autre,
complètement déformé. Aujourd’hui, comme exemple d’une
nature typiquement « patiente », on se réfère à l’âne.
8 – Humilitas. Avec la religion qui a
fini par prédominer en Occident, l’« humilité » est devenue une « vertu »
dans un sens fort peu romain et a été glorifiée par opposition à la
force, à la dignité, à l’attitude calmement composée dont nous avons
parlé plus haut. Dans la Rome antique elle désigna au contraire l’opposé
de toute virtus. Elle voulut dire bassesse, qui mérite le mépris, basse
condition, abjection, lâcheté, déshonneur – au point qu’il fallait
préférer la mort ou l’exil à l’« humilité » : humilitati vel exilium vel
mortem anteponenda esse. Les associations d’idées sont fréquentes,
comme par exemple mens humilis et prava, un esprit bas et mauvais.
L’expression humilitas causam dicentium se rapporte à la condition
inférieure et coupable de ceux qu’on mène devant un tribunal. On
rencontre ici aussi une interférence avec l’idée de race ou de caste.
Humilis parentis natus signifiait être né du peuple au sens péjoratif,
né de la « plèbe », par opposition à la naissance noble, donc avec une
différence sensible par rapport au sens moderne de l’expression « de
condition humble », surtout si l’on songe que le critère exclusif de la
position sociale est aujourd’hui le critère économique. De toute façon,
jamais un Romain de la meilleure Rome n’aurait eu l’idée de faire
de l’humilitas une vertu, encore moins de s’en vanter et de la prêcher.
Quant à une certaine « morale de l’humilité » , on pourrait rappeler la
remarque d’un empereur roman, selon laquelle rien n’est plus méprisable
que l’orgueil de ceux qui se disent humbles, ce qui ne doit pas être
pris pour une façon d’encourager l’arrogance et la prétention.
9 – Ingenium. Le sens ancien du terme ne
s’est conservé que partiellement, et, de nouveau, sous son aspect le
moins intéressant. Ingenium désignait aussi en latin la perspicacité,
l’agilité d’esprit, la sagacité, la clairvoyance – mais, en même temps,
ce terme renvoyait au caractère, à ce qui est, chez chacun, organique,
inné, vraiment personnel. Vana ingenia put donc désigner des personnes
sans caractère ; redire ad ingenium put signifier revenir à sa propre
nature, à un mode de vie conforme à ce que l’on est vraiment. Ce sens
profond a été perdu dans le terme moderne, ce qui a donné naissance à
une antithèse. En effet, si l’on entend par « intelligence » quelque
chose d’intellectualiste et de dialectique, on est alors très loin du
second sens inclus dans le terme antique, qui se rapporte aussi au
caractère, à un style en accord avec la nature propre ; l’intelligence
est alors ce qui est superficiel par rapport à ce qui est organique,
elle est mouvement inquiet, brillant et inventif de l’esprit, au
lieu d’être un style de pensée rigoureux qui adhère parfaitement au
caractère.
10 – Labor. En ce qui concerne certains
changements de valeur des mots qui indiquent clairement un changement
radical de la vision du monde, le cas le plus caractéristique est
peut-être celui du terme labor. En latin, ce terme avait essentiellement
un sens négatif. II pouvait désigner dans certains cas l’activité en
général – comme par exemple dans l’expression labor rei militaris,
activité dans l’armée. Mais son sens courant exprimait une idée de
fatigue, d’épuisement, d’effort désagréable, et parfois même de
disgrâce, de tourment, de poids, de peine. [...] Ainsi, laborare pouvait
aussi signifier souffrir, être angoissé, tourmenté. Quid ego laboravi ?
veut dire : pourquoi me suis-je tourmenté ? Laborare ex renis,
ex capite signifie : souffrir du mal de reins ou de tête. Labor itineris
: la fatigue, le désagrément du voyage. Et ainsi de suite. De sorte que
jamais le Romain n’aurait pensé à faire du labor une espèce de vertu et
d’idéal social. Et qu’on ne vienne pas nous dire que la
civilisation romaine a été une civilisation de lambins, de fainéants et
d’« oisifs ». La vérité, c’est qu’à l’époque on avait le sens des
distances. Au « travailler » s’opposait l’agere, l’agir au sens
supérieur. Le « travail » correspondait aux formes sombres, serviles,
matérielles, anodines de l’activité humaine, en référence à ceux chez
qui l’activité n’était provoquée que par un besoin, une nécessité ou un
destin malheureux (car l’Antiquité connut aussi une métaphysique de
l’esclavage). A eux s’opposaient ceux qui agissent au sens propre du
terme, ceux qui entretiennent des formes d’activité libres,
non physiques, conscientes, voulues, dans une certaine mesure
désintéressées. Pour celui qui exerçait une activité matérielle, certes,
mais possédant un certain caractère qualitatif, et qui le faisait à
partir d’une vocation authentique et libre, on ne parlait déjà plus de «
travail » ; celui-là était un artifex (il y avait également le terme
opifexl, et ce point de vue fut aussi conservé dans l’atmosphère et le
style des corporations artisanales traditionnelles. Le changement de
sens et de valeur du terme en question est par conséquent un signe très
clair de la vulgarité plébéienne qui a gagné le monde occidental, une
civilisation qui repose toujours plus sur les couches les plus basses
de toute hiérarchie sociale complète. Le « culte du travail » moderne
est d’autant plus aberrant qu’aujourd’hui plus que jamais, avec
l’industrialisation, la mécanisation et la production anonyme de masse,
le travail a nécessairement perdu ce qu’il pouvait avoir de meilleur.
Cela n’a pourtant pas empêché certains de parler de « religion du
travail », d’« humanisme du travail » et même de souhaiter un « État du
travail ». On en est arrivé à faire du travail une sorte d’impératif
éthique et social insolent, applicable à tous, devant lequel on a envie
de répondre par ce proverbe espagnol : El hombre que trabaja perde un
tiempo precioso (l’homme qui travaille perd un temps précieux). En une
autre occasion, nous avions déjà relevé l’opposition suivante entre le
monde traditionnel et le monde moderne : dans le premier, même le «
travail » put prendre la forme d’une « action », d’une « oeuvre », d’un
art ; dans le second, même l’action et l’art prennent parfois la forme
du « travail », c’est-à- dire d’une activité obligatoire, opaque et
intéressée, d’une activité qu’on ne poursuit pas en fonction d’une
vocation, mais du besoin et, surtout, en vue du profit, du lucre.
11 – Otium. Ce terme a subi le sort
exactement contraire du précédent. Il a de nos jours, pratiquement sans
exception, un sens négatif. Est oisif, selon l’acception moderne, celui
qui est inutile à lui-même et aux autres. Etre oisif et être indolent,
distrait, inattentif, paresseux, enclin au « dolce farniente »
de l’Italie des mandolines pour touristes, reviennent plus ou moins au
même aujourd’hui. Le latin otium avait par contre le sens de temps
libre, correspondant essentiellement à un état de recueillement, de
calme, de contemplation transparente. L’oisiveté au sens négatif – sens
connu aussi de l’Antiquité – n’était que ce à quoi elle peut conduire
quand elle est mal employée : dans ce cas uniquement on put dire, par
exemple, hebescere otio ou otio dif luere, s’abrutir ou se laisser aller
par oisiveté. Mais ce n’est pas le sens courant. Cicéron, Sénèque et
d’autres auteurs classiques comprirent l’otium comme la contrepartie,
saine et normale, de tout ce qui est activité, et même comme la
condition nécessaire afin que l’action soit vraiment activité, non
agitation, affairement (negotium), « travail ». On peut aussi se référer
aux Grecs puisque Cicéron écrivit : Graeci non solum ingenio atque
doctrina, sed etiam otio studioque abundantes – «Les Grecs sont riches
non seulement en dons innés et en doctrine, mais aussi en oisiveté et
en application ». D’un personnage comme Scipion l’Ancien on avait
l’habitude de dire : Nunquam se minus otiosum esse quam cum otiosus
esset, aut minus solum esse quam cum solus esset – « II n’était jamais
aussi peu oisif que lorsqu’il ne faisait rien, et jamais aussi peu seul
que lorsqu’il jouissait de la solitude », ce qui met en évidence une
variante « active », au sens supérieur, de l’« oisiveté » et de la
solitude. Et Salluste : « Maius commodum ex otio meo quam ex aliorum
negotiis reipublicae venturum » – « Mon oisiveté sera plus utile à
l’État que l’affairement des autres ». On doit à Sénèque un traité qui
s’intitule justement De otio, dans lequel l’« oisiveté » est décrite
comme menant progressivement à la contemplation pure. Certaines idées
caractéristiques de ce traité valent la peine d’être rapportées ici.
Selon Sénèque, il y a deux États : l’un, grand et privé de limites
extérieures et contingentes, contient à la fois les hommes et les dieux ;
l’autre est l’État particulier, terrestre, auquel on appartient par la
naissance. Or, dit Sénèque, il y a des hommes qui servent les deux États
à la fois, d’autres qui ne servent que le plus grand, d’autres encore
qui ne servent que l’État terrestre. L’État le plus grand, on peut le
servir aussi par l’« oisiveté », pour ne pas dire surtout par l’oisiveté
– en cherchant donc en quoi consiste la virtus, la force et la dignité
viriles : huis maiori rei publicae et in otio deservire possumus, imno
vero nescio an in otium melius, ut quaeremus quid sit virtus. L’otium
est étroitement lié à la tranquillité d’âme du sage, à ce calme
intérieur qui permet d’atteindre les sommets de la contemplation ;
laquelle contemplation, pour peu qu’on la comprenne dans son sens juste,
traditionnel, n’est ni évasion du monde ni divagation, mais
approfondissement intérieur et élévation jusqu’à la perception de
l’ordre métaphysique que tout homme véritable ne doit cesser de voir
dans sa vie même et dans son combat au sein d’un État terrestre. Du
reste, dans le catholicisme lui-même (quand on n’avait pas encore pensé
au Christ travailleur qu’il faut honorer le 18 mai et quand on ne
pratiquait pas encore l’« ouverture à gauche ») a figuré l’expression
sacrum otium, « oisiveté sacrée », en référence, précisément, à une
activité contemplative. Mais dans une civilisation où l’action a fini
par revêtir les aspects ternes, physiques, mécaniques et mercenaires
d’un travail, même quand celui-ci doit tout à la tête (les «
travailleurs intellectuels » qui ont naturellement leurs « syndicats »
et qui font valoir, eux aussi, des « revendications catégorielles »), le
sens positif et traditionnel de la contemplation devait inéluctablement
disparaître. C’est pourquoi la civilisation moderne ne doit pas être
considérée comme une civilisation « active », mais comme une
civilisation d’agités et de névropathes. Comme compensation du « travail
» et de l’usure d’une vie qui s’abrutit dans une agnation et une
production vaines, l’homme moderne, en effet, ne connaît pas l’otium
classique, le recueillement, le silence, l’état de calme et de pause qui
permettent de revenir à soi-même et de se retrouver. Non : il ne
connaît que la « distraction » (au sens littéral, distraction signifie «
dispersion ») ; il cherche des sensations, de nouvelles tensions, de
nouveaux excitants, comme autant de stupéfiants psychiques. Tout, pourvu
qu’il échappe à lui-même, tout, pourvu qu’il ne se retrouve pas seul
avec lui-même, isolé du vacarme du monde extérieur et de la promiscuité
avec son « prochain ». D’où radio, télévision, cinéma, croisières
organisées, frénésie de meetings sportifs ou politiques dans un régime
de masse, besoin d’écouter, chasse au fait nouveau et sensationnel, «
supporters » en tout genre et ainsi de suite. Chaque expédient semble
avoir été diaboliquement disposé pour que toute vie intérieure soit
détruite, pour que toute défense interne de la personnalité
soit interdite dès le départ, pour que, tel un être artificiellement
galvanisé, l’individu se laisse porter par le courant collectif, lequel,
évidemment, selon le fameux « sens de l’histoire », avance vers un
progrès illimité.
12 – Par association d’idées, il nous
vient à l’esprit de faire remarquer le changement de sens subi par le
terme grec theoria. Quand on parle aujourd’hui de « théories », c’est
plus ou moins dans le sens d’« abstractions », de choses éloignées de la
réalité, d’affaires « intellectuelles » ; un grand poète a même écrit :
« Grise est toute théorie, mais toujours vert est l’arbre éternel de la
vie ». De nouveau, on est en présence d’une altération et d’un
affaiblissement du sens. Pour les Grecs, ??? [terme manquant, NDLR] ne
voulait pas dire intellectualité abstraite mais vision réalisatrice,
quelque chose de particulièrement actif, l’acte de ce qu’il y a de plus
élevé chez l’être humain, l’intellect olympien (sur lequel nous
reviendrons dans un autre chapitre).
13 – Servitium. Le verbe servio, servire a
aussi en latin le sens positif d’être fidèle. Mais la signification
négative – être serviteur – prévaut ; c’est ce sens, de toute façon,
qu’on retrouve dans servitium, qui désignait précisément l’esclavage, le
servage, car dérivé de servus = esclave. Dans les temps modernes, le
verbe « servir » s’est répandu de plus en plus en perdant
cette connotation négative et avilissante, au point qu’on a pu faire du
service en tant que « service social », surtout parmi les peuples
anglo-saxons, l’objet d’une éthique, de la seule éthique vraiment
moderne. De même qu’on n’a pas compris qu’il était absurde de parler de «
travailleurs intellectuels », de même on a pu voir dans le souverain «
le premier serviteur de la nation ». Nous avons dit que les Romains ne
se présentent pas du tout à nous comme un peuple d’« oisifs ». En ce qui
concerne le point qui nous occupe, on peut dire aussi qu’ils nous
offrent les exemples les plus élevés de loyalisme politique, de fidélité
à l’État et aux chefs. Mais l’atmosphère est très différente.
La transformation dé l’âme des mots n’est pas le produit du hasard. Que
des mots comme labor, servitium, otium se soient imposés dans l’usage
courant avec leur sens moderne, c’est un signe subtil, mais éloquent,
d’un changement de perspective qui s’est fait à rebours de toute
orientation virile, aristocratique, qualitative.
14 – Stipendium. N’insistons pas sur ce
que signifie le « salaire » de nos jours. On pense immédiatement au
petit employé, à la bureaucratie, au fameux 27 du mois des
fonctionnaires. Dans la Rome antique, ce terme, par contre, se référait
presque exclusivement à l’armée. Stipendium merere voulait dire être
militaire, être sous les ordres de tel ou tel chef ou condottiere.
Emeritis sti- pendis signifiait : après avoir accompli le service
militaire ; homo nullius stipendii désignait celui qui n’avait pas connu
la discipline des armes. Stipendis multa habere voulait dire pouvoir
s’enorgueillir de nombreuses campagnes, de nombreuses entreprises
guerrières. Ici aussi, le glissement de sens n’est pas mince. Le sens
profond d’autres mots latins, comme studium et studiosus, n’est
aujourd’hui conservé que dans certaines locutions spéciales, comme par
exemple l’expression italienne « fare con studio », faire quelque chose
exprès ou avec une certaine application. Dans le terme latin était
présente l’idée de quelque chose d’intense, d’une chaleur, d’un intérêt
profond, qui a disparu dans le vocable moderne car celui-ci fait penser
surtout à des disciplines intellectuelles ou universitaires arides. Le
latin studium pouvait même dire amour, désir, vive inclination. In re
studium ponere signifiait prendre une chose à coeur, s’y intéresser
profondément et activement. Studium bellandi désignait le plaisir,
l’amour du combat. Homo agendi studiosus : celui qui aime l’action –
donc qui était l’opposé, si l’on se souvient de ce que nous avons dit au
sujet de labor, de celui pour qui l’action ne peut être que « travail »
. Que faut-il penser, aujourd’hui, d’une expression comme studiosi
Caesaris ? Elle ne voulait pas dire ceux qui étudient César, mais bien
ceux qui le suivent, qui l’admirent, qui se rangent à ses côtés, qui lui
sont dévoués et fidèles. Autres termes latins dont le sens antique a
été oublié : docilitas, qui ne voulait pas dire docilité mais surtout
bonne disposition, ou capacité d’apprendre, de faire sien un
enseignement ou un principe ; puis ingenuus, qui n’avait pas du tout le
sens d’ingénu, mais désignait l’homme né libre, de condition
non servile. Une chose assez connue maintenant : humanitas ne voulait
pas dire « humanité » au sens démocratique et fumeux d’aujourd’hui, mais
culture de soi- même, plénitude de vie et d’expérience, sans qu’il
faille voir là, du moins à l’origine, quelque chose d’« humaniste » à la
Humboldt. Un autre exemple assez important : certus. Dans la vieille
langue latine la notion de certitude, de chose certaine, était souvent
en relation avec l’idée d’une détermination consciente. Certum est mihi
veut dire : c’est ma ferme volonté. Certus gladio désigne celui qui peut
se fier à son épée, qui est sûr de savoir s’en servir. On connaît aussi
la formule diebus certis, qui ne veut pas dire « aux jours certains »,
mais aux jours fixés, établis. Ceci pourrait nous pousser à des
considérations sur une certaine conception de la certitude : conception
active, qui la fait dépendre de ce qui rentre dans notre pouvoir
déterminant. C’est ce qu’énonça également, en quelque sorte, Gian
Battista Vico avec la formule verum et factum convertuntur – mais tout
devait finir plus tard dans les divagations de l’« idéalisme absolu »
néo-hégélien. Nous mettrons fin à ces observations en examinant le
contenu original de trois notions romaines antiques, celles de fatum, de
felicitas et de fortuna.
15 – Fatum. Selon l’acception moderne la
plus courante, le « destin » est une puissance aveugle qui plane sur les
hommes, qui s’impose à eux en faisant que se réalise ce qu’ils
souhaitent le moins, en les poussant éventuellement vers la tragédie et
le malheur. Fatum a ainsi donné naissance au mot « fatalisme », qui est
l’opposé de toute initiative libre et efficace. Selon la vision
fataliste du monde, l’individu n’est rien ; son action, en dépit de
toute apparence de libre- arbitre, est prédestinée ou vaine, et les
événements se succèdent en obéissant à une puissance ou une loi qui le
transcende et qui ne le prend pas en compte. « Fatal » est un adjectif
qui a essentiellement une connotation négative : issue « fatale »,
accident « fatal », l’« heure fatale de la mort » , etc. Selon la
conception antique, le fatum correspondait par contre à la loi de
manifestation continue du monde ; cette loi n’était pas réputée
aveugle, irrationnelle et automatique – «fatale » au sens moderne du mot
– , mais chargée de sens et comme procédant d’une volonté intelligente,
surtout de la volonté des puissances olympiennes. Le fatum romain
renvoyait, de même que le rta indoeuropéen, à la conception du monde en
tant que cosmos, en tant qu’ordre, et en particulier à la conception de
l’histoire comme un développement de causes et d’événements reflétant
une signification supérieure. Même les Moires de la tradition grecque,
tout en présentant certains aspects maléfiques et « infernaux » (dus à
l’influence de cultes pré- helléniques et pré-indo-européens),
apparaissent souvent comme des personnifications de la loi intelligente
et juste qui préside au gouvernement de l’univers, dans certaines de ses
expressions. Mais c’est surtout à Rome que l’idée de fatum prend une
importance toute particulière. Et ce parce que la civilisation romaine
fut, de toutes les civilisations de caractère traditionnel et sacré,
celle qui se concentra le plus sur le plan de l’action et de la réalité
historique. Pour elle, il fut donc moins important de connaître l’ordre
cosmique comme une loi supra-temporelle et métaphysique que de le
connaître comme force en acte dans la réalité, comme vouloir divin qui
ordonne les événements. C’est à cela que se rattachait le fatum pour les
Romains. Ce terme vient du verbe fari, d’où dérive aussi le mot fas, le
droit comme loi divine. Ainsi, fatum renvoie à la « parole » – à la
parole révélée, surtout à celle des divinités olympiennes qui permet de
connaître la norme juste (fas) en tant que celle-ci annonce ce qui va
arriver. On doit ajouter, à propos de ce second aspect, que les oracles,
par lesquels un art traditionnel précis cherchait à saisir en germe des
situations devant se réaliser, s’appelaient aussi fata ; ils étaient
pratiquement la parole révélée de la divinité. Mais, pour bien
comprendre ce que nous sommes en train d’étudier, il faut se souvenir du
rapport que l’homme entretenait, dans la Rome antique et dans les
civilisations traditionnelles en général, avec l’ordre global du monde.
C’était un rapport très différent de celui qui devait s’instaurer plus
tard. Pour l’homme antique, l’idée d’une loi universelle et d’un vouloir
divin n’annulait pas la liberté humaine ; mais sa préoccupation
constante était de mener sa vie et son action de sorte qu’elles fussent
la continuation de l’ordre global et, pour ainsi dire, comme le
prolongement ou le développement de cet ordre. A partir de la pietas,
c’est-à-dire, pour un Romain, de la reconnaissance et de la
vénération des forces divines, on se fixe comme tâche de pressentir la
direction de ces forces divines dans l’histoire de façon à pouvoir y
accorder opportunément l’action, à la rendre extrêmement efficace et
chargée de sens. D’où le rôle très important que jouèrent dans le monde
romain, jusque dans le domaine des affaires publiques et de l’art
militaire, les oracles et les augures. Le Romain avait la ferme
conviction que les pires mésaventures, et notamment les défaites
militaires, dépendaient moins d’erreurs, de faiblesses ou de travers
humains que du fait d’avoir négligé les augures, c’est-à-dire, pour en
revenir à l’essentiel, d’avoir agi de façon désordonnée et arbitraire,
en suivant de simples critères humains, en rompant les liens avec le
monde supérieur (donc, pour un Romain, cela voulait dire avoir agi sans
religio, sans « rattachement »), sans tenir compte des « directions
d’efficacité » et du « moment juste » indispensa- bles à une action
couronnée de succès. On remarque que la fortuna et la felicitas ne sont
souvent, dans la Rome antique, que l’autre face du fatum, sa face
proprement positive. L’homme, le chef ou le peuple qui emploient
leur liberté pour agir en conformité avec les forces divines cachées
dans les choses connaissent le succès, réussissent, triomphent – et cela
signifiait, dans l’Anti- quité, être «fortuné » et être « heureux » (ce
sens s’est conservé dans des locutions comme « une heureuse initiative »
, une « heureuse manoeuvre », etc.). Un historien contemporain, Franz
Altheim, a cru pouvoir déceler dans cette attitude la cause effective de
la grandeur de Rome. Pour éclairer encore mieux les rapports qui
unissent le « destin » à l’action humaine, on peut recourir à la
technique moderne. II y a certaines lois régissant choses et phénomènes,
qui peuvent être connues ou ignorées, dont on peut tenir compte ou ne
pas tenir compte. Face à ces lois l’homme reste foncièrement libre. II
peut même agir de façon contraire à ce que ces lois lui conseilleraient,
avec pour résultat l’échec ou l’atteinte du but après un gaspillage
d’énergie et d’innombrables difficultés. La technique moderne correspond
à la possibilité opposée : on cherche à connaître le mieux possible
les lois des choses pour pouvoir les exploiter, pour qu’elles montrent
le point de moindre résistance et donc d’efficacité maximale quant à la
réalisation d’un objectif donné. II en va de même sur un plan où il ne
s’agit plus des lois de la matière, mais de forces spirituelles et «
divines ». L’homme de l’Antiquité estimait essentiel de connaître ou, du
moins, de pressentir ces forces, afin de pouvoir se faire une idée des
conditions propices à une action donnée et, éventuellement, une idée de
ce qu’il devrait faire ou ne pas faire. Défier le destin, s’élever
contre le destin, n’avait pour lui rien de « prométhéen » , au sens
romantique de ce terme exalté par les modernes ; c’était tout simplement
une sottise. L’impiété (le contraire de la piété qui se rapporte donc à
l’être privé de religio, sans « rattachement » et sans compréhension
respectueuse de l’ordre cosmique) équivalait plus ou moins, pour l’homme
de l’Antiquité, à la stupidité, à l’infantilisme, à la fatuité. La
comparaison avec la technique moderne n’est défectueuse que sur un point
: parce que les lois de la réalité historique ne se présentaient pas
comme froidement « objectives », tout à fait détachées de l’homme et de
ses buts. On pourrait répondre ainsi : passée une certaine limite,
l’ordre divin objectif lié au « destin » cesse d’être déterminant et
devient incertain (ce que dit aussi la fameuse formule astrologique :
astra inclinant non determinant). Ici commence le monde humain et
historique au sens pro- pre. En toute rigueur, ce monde devrait
continuer le précédent, la volonté humaine devrait prolonger la volonté «
divine ». Que cela advienne, ou non, dépend essentiellement de la
liberté : il faut le vouloir. Dans le cas positif, ce qui était
seulement en puissance devient, grâce à l’action humaine, réalité. Le
monde humain se présentera alors comme une continuation de l’ordre divin
et l’histoire même revêtira les contours d’une révélation et d’une «
histoire sacrée » ; alors, l’homme ne vaut plus et n’agit plus pour
lui-même mais recouvert d’une dignité divine, et l’ordre humain
acquiert, d’une certaine façon, une dimension supérieure. On voit donc
qu’il ne s’agit pas ici de « fatalisme » . De même qu’une action contre
le « destin » est sotte et irrationnelle, de même une action harmonisée
avec le « destin » est non seulement efficace, mais aussi
transfigurante. Celui qui ne tient pas compte du fatum est presque
toujours emporté passivement par les événements ; celui qui le connaît,
l’assume et s’y conforme est par contre guidé vers un accomplissement
supérieur, chargé d’un sens qui dépasse l’individu. Telle est la
signification de la maxime selon laquelle les fata « nolentem trahunt,
volentem ducunt ». Dans le monde romain antique et dans l’histoire
romaine, on trouve un grand nombre d’épisodes, de situations et
d’institutions où est justement mise en lumière l’impression de
rencontres « fatidiques » entre le monde humain et le monde divin. Des
forces supérieures sont à l’oeuvre dans l’histoire et se manifestent à
travers les forces humaines. Pour nous contenter d’un seul exemple,
rappelons que « le moment culminant du culte romain de Jupiter était
constitué par un acte où le dieu affirme sa présence, chez un homme,
en qualité de vainqueur, de triomphateur. Ce n’est pas que Jupiter soit
la seule cause de la victoire, il est lui-même le vainqueur ; on ne
célèbre pas le triomphe en son honneur, mais c’est lui le triomphateur.
C’est pour cette raison que l’imperator revêt les insignes du dieu » (K.
Kerényi, F. Altheim). Actualiser le divin – parfois prudemment, parfois
audacieusement – dans l’action et dans l’existence fut un principe
directeur que la Rome antique appliqua aussi à l’ordre politique. C’est
pourquoi certains auteurs ont fait remarquer avec raison que Rome
ignora, à la différence d’autres civilisations, le mythe au sens
abstrait et anhistorique ; à Rome le mythe se fait histoire,
et l’histoire, à son tour, prend un aspect « fatal », devient mythique.
D’où une conséquence importante. Dans des cas comme celui évoqué, c’est
une identité véritable qui se réalise. Il ne s’agit pas d’une parole
divine qui peut être entendue ou non entendue. II s’agit d’un
déploiement des forces supérieures. On est ici en présence d’une
conception spéciale, objective, nous serions tenté de dire
transcendantale, de la liberté. En m’opposant au fatum, je peux bien sûr
revendiquer pour moi un libre-arbitre, mais celui-ci est stérile, est
un simple « geste » qui ne saurait avoir beaucoup d’incidence sur la
trame de la réalité. Par contre, quand je fais en sorte que ma volonté
continue un ordre supérieur, soit seulement l’instrument par lequel cet
ordre se réalise dans l’histoire, ce que je veux dans un tel état de
coïncidence ou de syntonie peut se traduire éventuellement par une
injonction adressée à des forces objectives qui, autrement, ne se
seraient pas pliées facilement ou qui n’auraient pas eu d’égard pour ce
que les hommes veulent et espèrent.
On peut maintenant se poser la question
suivante : comment en est-on arrivé à cette conception moderne qui fait
du destin une puissance obscure et aveugle ? Comme tant d’autres, un tel
glissement de sens n’a rien de fortuit. II reflète un changement de
niveau intérieur et s’explique, essentiellement, par l’avènement de
l’individualisme et de l’« humanisme » compris dans un sens général,
c’est- à-dire en rapport avec une civilisation et une vision du monde
uniquement fondées sur ce qui est humain et terrestre. II est évident
que, cette scission s’étant produite, on ne pouvait plus saisir un ordre
intelligible du monde, mais seulement un pouvoir obscur et étranger. Le
« destin » devint alors le symbole de toutes les forces les plus
profondes qui agissent et sur lesquelles l’homme, malgré sa maîtrise du
monde physique, ne peut pas grand-chose parce qu’il ne les comprend
plus, parce qu’il s’est détaché d’elles ; mais aussi d’autres forces que
l’homme, par son attitude même, a libérées et rendues souveraines dans
différents domaines de sa propre existence.
C’est avec cette étude des deux
conceptions, l’antique et la moderne, du fatum, que s’achève ce
chapitre. Notre étude pourra déjà donner une idée de l’intérêt et de
l’importance que présenterait une philologie éclairée. Nous le répétons :
les mots ont une âme et une vie, si bien que, dans ce secteur
également, se référer aux origines peut souvent ouvrir des perspectives
insoupçonnées. Ce travail, d’ailleurs, serait encore plus fécond s’il ne
se contentait pas de reculer jusqu’au latin en partant des langues «
romanes », mais si le latin lui-même était rattaché au tronc commun des
langues indo-européennes dont il n’est, dans ses éléments fondamentaux,
qu’une simple branche.
Julius Evola, Chapitre V de "L’arc et la massue" (PDF)http://la-dissidence.org/2013/07/26/julius-evola-laffaiblissement-des-mots/
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