Après
avoir été donné à la France par le traité de Paris, le 30 mai 1814,
Dakar devint, en 1904, la capitale de l’Afrique Occidentale Française
(AOF). Située à l’extrémité occidentale de l’Afrique, elle occupait, en
1940, une position stratégique considérable qui faisait bien des
envieux.
Au
point de séparation de l’Atlantique Nord et Sud, en avancée face à
l’Amérique Latine, sur le chemin entre l’Afrique du Sud et l’Europe,
Dakar intéressait tout le monde et en premier lieu les Britanniques qui,
sur le chemin traditionnel de l’Afrique australe et de l’Asie par le
Cap, retrouvaient là l’un des enjeux de leurs rivalités coloniales avec
la France et voulaient profiter de son écrasement.
En
septembre 1940, le Maréchal Pétain avait confié au général Weygand la
délégation générale du gouvernement en Afrique et le commandement en
chef des troupes. Ainsi se trouvait affirmée la volonté de défendre l’Afrique mais aussi de préparer les moyens de la revanche.
Le
31 Août 1940, soit près de deux mois après la lâche agression commise
par ces mêmes britanniques sur la flotte française au mouillage et
désarmée, dans le port de Mers El-Kébir (Algérie) et près d’un mois
après l’entretien Churchill – De Gaulle (6 août 1940) sur les modalités
d’une éventuelle attaque contre les forces françaises stationnées au
Sénégal et demeurées fidèles au Maréchal Pétain, la force navale M (M
comme « Menace ») britannique où se trouvait de Gaulle quitta les ports
britanniques pour Freetown en Sierra Leone qu’elle atteignit le 16
Septembre.
Cette expédition reposait sur deux principes et deux ambitions :
-
Churchill espérait mettre la main sur l’or de la Banque de France et
des banques nationales belges et polonaises, représentant plus de 1000
tonnes d’or… et sur le cuirassé Richelieu, redoutable par sa puissance
de feu (bien que son armement ne fût pas terminé), fleuron de la flotte
française.
-
De Gaulle désirait s’imposer comme le chef suprême de l’empire français
en guerre… empire d’importance que le gouvernement de Vichy tenait, par
ailleurs, à défendre ardemment.
Partie
de Freetown le 21 septembre, la force M se présenta devant Dakar le 23 à
l’aube. A 6 heures, un message de De Gaulle était adressé à la garnison
en lui demandant de se rendre… sans effet. Sa seule présence qu’il
espérait suffisante, ne provoqua pas à son grand dam les ralliements
escomptés… le traumatisme de Mers El-Kébir était trop vif. Le gouverneur
général de l'A.O.F., Pierre Boisson, commandant la Place, résolument
rangé derrière Pétain, refusa catégoriquement de se rallier, affirmant
sa volonté de défendre Dakar « jusqu'au bout » La décision de De Gaulle
ne se fit pas attendre : Il fallait débarquer ! Une première tentative
de débarquement se solda par un fiasco suivie de deux autres qui
subirent le même sort. Une tentative de persuasion politique échoua et
Thierry d’Argenlieu, arrivé par mer pour parlementer avec un drapeau
blanc, fut accueilli par un tir de mitrailleuse qui le blessa mais son
embarcation parvint à s'échapper. Il en résultait que de l’avis de De
Gaulle et de l’amiral Cunningham, le patron de la flotte anglaise, la
résistance allait être farouche…
En
effet, face à l’armada britannique qui se préparait au combat, la
France disposait, cette fois, de solides moyens navals ainsi qu’une
sérieuse défense côtière. On en n’était plus aux conditions dramatiques
de Mers El-Kebir où la flotte désarmée avait été littéralement
assassinée ; cette fois, les marins français étaient prêts au combat et
animés, de surcroît, d’un esprit de revanche parfaitement perceptible…
et compréhensible. Avant la tragédie de Mers El-Kébir, la flotte
française était la 4ème plus puissante flotte du monde ; elle était
décidée à le prouver et cela d’autant plus qu’elle n’avait jamais été
vaincue…
Sur
cette résistance, de Gaulle écrira dans ses mémoires : « Décidément,
l’affaire était manquée ! Non seulement le débarquement n’était pas
possible, mais encore il suffirait de quelques coups de canons, tirés
par les croiseurs de Vichy, pour envoyer par le fond toute l’expédition
française libre. Je décidai de regagner le large, ce qui se fit sans
nouvel incident. »
Ainsi se passa la première journée, celle du 23 septembre.
Dans
la nuit du 23 au 24 septembre, plusieurs télégrammes furent échangés
entre l’amiral Cunningham et Churchill, décidé à poursuivre l’affaire
jusqu’à son terme : « Que rien ne vous arrête ! » Dans cette même nuit,
un ultimatum anglais fut adressé aux autorités françaises de Dakar leur
enjoignant de livrer la place au général de Gaulle. Le texte était fort
maladroit et accusait les forces de Dakar de vouloir livrer leurs moyens
aux Allemands. Il ne pouvait que provoquer l’indignation des défenseurs
et ne recevoir d’autres réponses que le refus. Le gouverneur général
Boisson, se remémorant la mise en garde que Georges Clemenceau adressa,
le 9 août 1926, au président américain Coolidge : « La France n’est pas à
vendre, même à ses amis. Nous l’avons reçue indépendante, indépendante
nous la laisserons », répondit avec fermeté : « La France m’a confié
Dakar. Je défendrai Dakar jusqu’au bout ! ».
Depuis
la tragédie de Mers El-Kebir, Vichy avait décidé de défendre fermement
cette position stratégique française et avait envoyé à cet effet, de
Casablanca, des bombardiers, des chasseurs et des croiseurs. Il y avait
là : Un cuirassé (Richelieu), deux croiseurs légers, quatre contre
torpilleur, trois destroyers, six avisos, cinq croiseurs auxiliaires,
trois cargos et trois sous-marins. Par ailleurs, la force de frappe
aérienne n’était pas négligeable… et elle allait le prouver.
Du
côté anglais, la flotte était tout aussi impressionnante : Un
porte-avions (Ark Royal qui avait déjà opéré à Mers El-Kebir), deux
cuirassés, trois croiseurs lourds, deux croiseurs légers, dix
destroyers, deux dragueurs de mines et une dizaine de navires transports
de troupes portant 4200 soldats –dont la fameuse 101ème brigade des
Royal Marines… à laquelle s’ajoutait l’armée gaulliste composée de trois
avisos, un patrouilleur, quatre cargos et 2700 soldats français.
Toute
la journée du 24 se passa en échanges de coups d’artillerie de marine
entre les deux flottes qui firent de nombreuses victimes parmi les
marins des deux camps et la population civile qui subit également ce
pilonnage. Des obus anglais de gros calibre (380m/m) tombèrent sur la
ville, touchant, entre autres, l’hôpital et la caserne du 6° RAC,
faisant 27 morts et 45 blessés. En soirée, la situation n’avait guère
évolué…
Le
lendemain, 25 septembre, la ténacité britannique continua. Les navires
de la force M voulurent de nouveau s’approcher afin de poursuivre leur
œuvre de destruction, mais, comme précédemment, ils durent se frotter
aux bâtiments français (Vichystes, diront les gaullistes !) qui leur
infligèrent de sérieux dégâts et cela d’autant plus que l’aviation
française était maîtresse du ciel.
C’en
était trop ! De Gaulle écrira : « L’amiral Cunningham décida d’arrêter
les frais. Je ne pouvais que m’en accommoder. Nous mîmes le cap sur
Freetown. »
L’armée
française sortait vainqueur de la bataille en dépit de ses 203 morts et
393 blessés. Les 1927 morts de Mers-El-Kébir étaient en partie vengés.
Cette
opération constitua un tournant idéologique pour les gouvernements,
bien plus qu'un affrontement important du point de vue des forces en
présence, du nombre des victimes ou des pièces militaires détruites ou
endommagées. L’aventure anglo-gaulliste se solda ainsi par un cuisant
échec et eut des conséquences considérables.
-
D’un côté, le régime de Vichy sortait renforcé de l’épreuve et la
cohésion des troupes de la marine –toujours invaincue- autour de la
personne du Maréchal Pétain, revigorée.
-
De l’autre, le crédit du général de Gaulle dégringolait en chute libre.
L’homme se retrouvait isolé. Soudainement mis à l’écart, il fut
politiquement menacé par l'amiral Muselier accusé à tort d'avoir été à
l'origine des fuites qui empêchèrent le débarquement. Il ne s’en cacha
pas dans ses mémoires : « À Londres, une tempête de colères, à
Washington, un ouragan de sarcasmes, se déchaînèrent contre moi. Pour la
presse américaine et beaucoup de journaux anglais, il fut aussitôt
entendu que l’échec de la tentative était imputable à de Gaulle. » … «
C’est lui, répétaient les échos, qui avait inventé cette absurde
aventure, trompé les Britanniques par des renseignements fantaisistes
sur la situation à Dakar, exigé par donquichottisme, que la place fût
attaquée alors que les renforts envoyés par Darlan rendaient tout succès
impossible… »
De
son côté, Churchill, lui aussi, sortait de l’aventure en fâcheuse
posture. Il dut subir les sarcasmes de la Chambre des Communes et fut à
deux doigts d’être démissionné. S’il lui avait été facile de détruire, à
Mers El-Kebir, une flotte désarmée (et pourtant alliée) causant la mort
de 1927 marins, manifestement, avec Dakar ce fut tout autre et son
désir de s’emparer de l’excellente et cohérente flotte française ou de
la détruire se solda par un échec retentissant.¢
E-mail : joseph.castano0508@orange.fr
Notes
Le Mogador à Mers-el-Kebir |
- Concernant la tragédie de Mers El-Kebir,
certains ont cru bon de justifier l’agression britannique par le fait
que nos bâtiments seraient, inéluctablement, tombés entre les mains des
Allemands. Je rappelle ce que j’écrivais à ce propos sur cette agression
: « L’armistice franco-allemand du 25 juin 1940 consacre l’échec de nos
armées sur terre ; notre flotte, une des plus puissantes -qui n’avait
pas été vaincue- est libre. Ni l’amiral Darlan, ni le général Weygand
n’ont l’intention « …de livrer à l’ennemi une unité quelconque de notre
flotte de guerre » et de Gaulle le dira, le 16 juin à Churchill en ces
termes « La flotte ne sera jamais livrée, d’ailleurs, c’est le fief de
Darlan ; un féodal ne livre pas son fief. Pétain lui-même n’y
consentirait pas ».
Les
Anglais, de leur côté, désirent que notre flotte, riche en unités
lourdes et légères, se rende dans leurs ports. Elle aurait pu le faire,
le 16 juin 1940, mais personne ne lui en donne l’ordre et la Marine
reçoit l’assurance, « qu’en aucun cas, la flotte ne sera livrée intacte
», mais qu’elle se repliera probablement en Afrique ou sera coulée
précise l’Amiral Darlan. Hitler ne demande pas livraison de notre flotte
(le projet d’armistice ne le prévoyant d’ailleurs pas), pas plus que de
nos colonies, sachant qu’il n’est pas dans nos intentions d’accepter de
telles exigences. »
Cet
épisode sur Dakar confirme la justesse de mes propos car si la France
métropolitaine était vaincue, l’Empire ne considérait nullement l’être.
Si la France métropolitaine avait capitulé, l’Empire s’y était refusé et
la marine française (ce qu’il en restait), comme elle s’y était
engagée, avait rejoint les ports africains composant l’Empire afin de
poursuivre le combat.
-
Les alliés ayant débarqué le 8 Novembre 1942 en Afrique du Nord
(opération « Torch »), les autorités Vichystes d’AOF, convaincues par
l’amiral Darlan, signèrent le 7 décembre 1942, un accord avec les
alliés, qui remit l’empire colonial français dans la guerre en formant «
l’Armée d’Afrique » dans laquelle firent merveille les « tirailleurs
sénégalais ». Lors de la constitution du Comité Français de la
Libération nationale (CFLN), le gouverneur général Boisson démissionnera
et sera remplacé le 1er juillet 1943 par le gaulliste Pierre Cournarie.
-
Le Richelieu appareilla pour les États-Unis où son armement fut
modernisé. Il participa au côté des Alliés à la guerre contre
l’Allemagne puis, dans le Pacifique, à celle contre les Japonais. Il fut
présent à la capitulation japonaise en rade de Singapour.
Le
1er Octobre 1945, il fut de retour à Toulon après 52 mois passés loin
de la Métropole. Il participa à la guerre d’Indochine puis fut mis en
réserve en août 1959, désarmé en 1967 et démoli en 1968.
Citations
« L’empire, sans la France ce n’est rien. La France sans l’empire, ce n’est rien » (Amiral Darlan – Novembre 1942)
« L'âme de nos marins plane sur l'Océan, je l'ai vue ce matin, sous l'aile d'un goéland » (Freddie Breizirland)
« Nous avions reçu un empire ; nous laissons un hexagone » (Colonel Charles Lacheroy)
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