Les
conquêtes du Front populaire... Laissez nous rire ! Tout juste des
mesures, certes pas toutes mauvaises, mais accordées par des démagogues
aux abois à des semeurs de troubles beaucoup plus désireux d’exploiter
la misère ouvrière que de lui porter remède. En fait, plusieurs des lois
votées en 1936-1937 auraient pu lêtre depuis longtemps, si les débats
navaient été bloqués par la gauche, et, bien souvent, le centre.
À cela rien d’étonnant pour quiconque fait remonter la question sociale à sa véritable origine, cest-à-dire 1789. Il sest agi cette année-là de conditionner les Français à être libres, libres non plus au rythme des vieilles libertés, naturelles, familiales, corporatives, provinciales, paroissiales, mais de la Liberté d’hommes sans attaches et sans transcendance, réduits à létat dindividus, libres de tout, même de mourir de faim. Cet individualisme forcené eut sa charte dans la Déclaration des droits de lhomme du 26 août 1789, au nom de laquelle furent votés, deux ans plus tard, le décret Allarde supprimant les corporations et jurandes, ainsi que les maîtrises, les octrois et les aides, et surtout ce monstre de sottise que fut, le 14 juin 1791, la loi Le Chapelier proclamant : « L’anéantissement de toutes espèces de corporations de citoyens du même état ou profession étant l’une des bases fondamentales de la Constitution française, il est défendu de les rétablir en fait sous quelque prétexte ou quelque forme que ce soit. » Donc interdiction aux citoyens de prendre délibérations ou conventions sur « leurs prétendus intérêts communs » (sic) lesquelles seraient « inconstitutionnelles, attentatoires à la Liberté et à la Déclaration des droits de l’homme et de nul effet ».
Martyrologe ouvrier
De ce jour, l’historien Jean Dumont a daté le commencement d’un « martyrologe ouvrier ». Car la loi fut votée sur fond de répression de grèves douvriers réclamant du pain ! Les décennies qui suivirent furent celles de la révolution industrielle : plus les patrons devenaient puissants, plus l’ouvrier restait isolé. Le travail devint une marchandise dont le prix variait selon le mécanisme de la libre concurrence. Le règne absolu de Mammon… avec le retour à l’esclavage : enfants de dix ans douze heures par jour à l’usine, hommes et femmes trimant quatorze à seize heures par jour pour des salaires de misère, pas même de repos dominical, menace constante de chômage… Pratiquement personne dans le monde politique ni dans celui des affaires navait conscience de la cruauté d’un tel sort. C’était l’avènement du libéralisme, cette philosophie issue des principes de 1789, fondée sur la raison individuelle divinisée, toute tournée vers l’exaltation de l’individu, considérant toute solidarité comme une contrainte, et professant que de la recherche par chacun de son bien particulier sortirait le bien général, comme si le Progrès faisait automatiquement concourir l’addition des égoïsmes à l’intérêt général.
Dans ce monde soumis à la loi d’airain, et, qui plus est, en train de se déchristianiser, apparut au XIXe siècle le socialisme, lequel n’était quun avatar du libéralisme profitant de la destruction des sociétés concrètes pour préconiser l’étatisme, la lutte des classes, et pour les plus avancés, l’idée que seule la violence peut arracher aux patrons des concessions. Pour quiconque s’enferme dans une telle optique, le Front populaire peut évidemment apparaître comme une victoire du peuple… Lequel déchanta bien vite !
À la pointe du combat social
Il serait temps de rendre justice à ceux qui, les premiers, voulurent briser cette spirale infernale, et à qui les classes laborieuses ne savent pas qu’elles doivent beaucoup plus qu’aux hommes de 1936. N’oublions jamais que le premier grand texte social date du 20 avril 1865, deux ans avant le Capital de Karl Marx ; il émanait de l’héritier des Capétiens, Henri V, Comte de Chambord, et, sous forme d’une Lettre sur les Ouvriers, réclamait contre les nouveaux féodaux la reconstitution de corporations libres, sous l’arbitrage d’un État fort et indépendant. En somme, des organisations de métiers, au sein desquelles, dans la complémentarité des services, patrons et employés se rencontreraient pour résoudre, dans le souci du bien commun et sans tout attendre de l’État, les questions relatives aux salaires, aux heures de travail, à l’entraide, aux caisses de retraite, à l’apprentissage, etc.
Ces leçons réalistes, tirées de la grande tradition royale et chrétienne, ne furent hélas pas écoutées par ceux qui, contre pourtant une forte opposition de gauche, votèrent en 1884 la loi Waldeck Rousseau autorisant les syndicats, mais sans préciser si ceux-ci seraient verticaux, donc mixtes, ou horizontaux, purement ouvriers, additionnant des individualismes dans un esprit de lutte des classes. C’est hélas ce mauvais esprit qui prévalut à une époque où, de toutes façons, les pères ou grands-pères des hommes de 36 se souciaient beaucoup plus de créer l’école laïque pour apprendre au peuple à penser républicain, que d’aider ce même peuple à vivre décemment dans ses familles, ses usines et ses ateliers.
Toutefois, les grandes idées lancées par le comte de Chambord ne restèrent pas lettre morte, toute une cohorte de catholiques sociaux en était imprégnée : Frédéric Le Play, Maurice Maignen, Albert de Mun et surtout René de la Tour du Pin, marquis de La Charce, militèrent pendant des décennies pour un ordre social chrétien. Ils aidèrent largement le pape Léon XIII dans la préparation de son encyclique Rerum novarum (15 mai 1891) qui, juste un siècle après l’ignoble loi Le Chapelier, dénonçait la « misère imméritée » et rappelait aux États leur devoir de laisser se constituer des organisations professionnelles.
Pionniers des lois sociales
L’action des catholiques sociaux, presque tous royalistes, connut aussi une réelle efficacité au Parlement, et ce, dès le début du XIXe siècle. Le 22 décembre 1840, Alban de Villeneuve Bargemon, alors député du Nord, demandait de ramener la journée de travail de 15 à 12 heures, proposait un repas au milieu de la journée, et réclamait un jour de repos par semaine. Il fallut attendre 1848 pour que ses propositions aboutissent.
En 1872, tous les élus monarchistes soutinrent une proposition de loi d’Ambroise Joubert interdisant d’employer des enfants de moins de 10 ans et de faire travailler la journée entière des enfants de moins de 13 ans. La gauche y fit échec.
La même année, le baron Chaurand, député de l’Ardèche, déposait une proposition de loi sur le repos dominical. Projet refusé, les modérés s’étant courageusement abstenus.
Quant à Albert de Mun, il multiplia entre 1886 et 1891 les propositions de loi réduisant le temps de travail des enfants et des femmes. Il scandalisa ses collègues en préconisant dès 1890 la journée de 8 heures ! Ses propositions sur la suppression, par exemple, du travail de nuit pour les femmes et les enfants n’aboutirent qu’après 1900.
Il faut encore dire que c’est à la droite catholique et monarchiste qu’on doit les premières lois sur les logements insalubres (22 avril 1850), sur les caisses de retraite (18 juin 1850), sur les sociétés de secours mutuels (15 juillet 1850), sur les accidents du travail (1898), sur les retraites ouvrières (1902)… Citons aussi Léon Harmel qui prit la première initiative de salaire familial (1891) dans son usine de Val des Bois, suivi en 1910 par les Michelin à Clermont Ferrand. Émile de Romanet, à Grenoble, entre 1917 et 1920, alla plus loin : il mit au point avec d’autres patrons le système des caisses de compensation, premier exemple d’allocations familiales, suivi en 1921 par Charles de Montgolfier dans ses papeteries d’Annonay. Il fallut attendre 1932 pour que le système fût appliqué à tous les salariés.
En 1930, six ans avant le Front populaire, Xavier Vallat, député de l’Ardèche, s’acharnait à faire passer dans la loi sur les assurances sociales en discussion l’idée que le travailleur doit se préoccuper de l’avenir des siens, donc avoir l’esprit d’économie et la volonté d’épargne, et se créer un patrimoine. Son contre-projet fut repoussé, mais en dépit de son caractère individualiste, la loi fut votée contre l’opposition d’une grande partie du patronat, de l’extrême gauche, et de la CGT !
Qu’en conclure, sinon que comme apôtres du combat social, les bavards du Front populaire font bien pâle figure, et même une inquiétante figure, comparés aux Français fidèles aux grandes traditions capétiennes.
Michel Fromentoux L’Action Française 2000 du 18 au 31 mai 2006
* Lire :
- Xavier Vallat : La Croix, les Lys et la peine des Hommes, Éditions Ulysse, Bordeaux, 1982.
- Antoine Murat : Le catholicisme social en France, Éditions Ulysse, 1980.
À cela rien d’étonnant pour quiconque fait remonter la question sociale à sa véritable origine, cest-à-dire 1789. Il sest agi cette année-là de conditionner les Français à être libres, libres non plus au rythme des vieilles libertés, naturelles, familiales, corporatives, provinciales, paroissiales, mais de la Liberté d’hommes sans attaches et sans transcendance, réduits à létat dindividus, libres de tout, même de mourir de faim. Cet individualisme forcené eut sa charte dans la Déclaration des droits de lhomme du 26 août 1789, au nom de laquelle furent votés, deux ans plus tard, le décret Allarde supprimant les corporations et jurandes, ainsi que les maîtrises, les octrois et les aides, et surtout ce monstre de sottise que fut, le 14 juin 1791, la loi Le Chapelier proclamant : « L’anéantissement de toutes espèces de corporations de citoyens du même état ou profession étant l’une des bases fondamentales de la Constitution française, il est défendu de les rétablir en fait sous quelque prétexte ou quelque forme que ce soit. » Donc interdiction aux citoyens de prendre délibérations ou conventions sur « leurs prétendus intérêts communs » (sic) lesquelles seraient « inconstitutionnelles, attentatoires à la Liberté et à la Déclaration des droits de l’homme et de nul effet ».
Martyrologe ouvrier
De ce jour, l’historien Jean Dumont a daté le commencement d’un « martyrologe ouvrier ». Car la loi fut votée sur fond de répression de grèves douvriers réclamant du pain ! Les décennies qui suivirent furent celles de la révolution industrielle : plus les patrons devenaient puissants, plus l’ouvrier restait isolé. Le travail devint une marchandise dont le prix variait selon le mécanisme de la libre concurrence. Le règne absolu de Mammon… avec le retour à l’esclavage : enfants de dix ans douze heures par jour à l’usine, hommes et femmes trimant quatorze à seize heures par jour pour des salaires de misère, pas même de repos dominical, menace constante de chômage… Pratiquement personne dans le monde politique ni dans celui des affaires navait conscience de la cruauté d’un tel sort. C’était l’avènement du libéralisme, cette philosophie issue des principes de 1789, fondée sur la raison individuelle divinisée, toute tournée vers l’exaltation de l’individu, considérant toute solidarité comme une contrainte, et professant que de la recherche par chacun de son bien particulier sortirait le bien général, comme si le Progrès faisait automatiquement concourir l’addition des égoïsmes à l’intérêt général.
Dans ce monde soumis à la loi d’airain, et, qui plus est, en train de se déchristianiser, apparut au XIXe siècle le socialisme, lequel n’était quun avatar du libéralisme profitant de la destruction des sociétés concrètes pour préconiser l’étatisme, la lutte des classes, et pour les plus avancés, l’idée que seule la violence peut arracher aux patrons des concessions. Pour quiconque s’enferme dans une telle optique, le Front populaire peut évidemment apparaître comme une victoire du peuple… Lequel déchanta bien vite !
À la pointe du combat social
Il serait temps de rendre justice à ceux qui, les premiers, voulurent briser cette spirale infernale, et à qui les classes laborieuses ne savent pas qu’elles doivent beaucoup plus qu’aux hommes de 1936. N’oublions jamais que le premier grand texte social date du 20 avril 1865, deux ans avant le Capital de Karl Marx ; il émanait de l’héritier des Capétiens, Henri V, Comte de Chambord, et, sous forme d’une Lettre sur les Ouvriers, réclamait contre les nouveaux féodaux la reconstitution de corporations libres, sous l’arbitrage d’un État fort et indépendant. En somme, des organisations de métiers, au sein desquelles, dans la complémentarité des services, patrons et employés se rencontreraient pour résoudre, dans le souci du bien commun et sans tout attendre de l’État, les questions relatives aux salaires, aux heures de travail, à l’entraide, aux caisses de retraite, à l’apprentissage, etc.
Ces leçons réalistes, tirées de la grande tradition royale et chrétienne, ne furent hélas pas écoutées par ceux qui, contre pourtant une forte opposition de gauche, votèrent en 1884 la loi Waldeck Rousseau autorisant les syndicats, mais sans préciser si ceux-ci seraient verticaux, donc mixtes, ou horizontaux, purement ouvriers, additionnant des individualismes dans un esprit de lutte des classes. C’est hélas ce mauvais esprit qui prévalut à une époque où, de toutes façons, les pères ou grands-pères des hommes de 36 se souciaient beaucoup plus de créer l’école laïque pour apprendre au peuple à penser républicain, que d’aider ce même peuple à vivre décemment dans ses familles, ses usines et ses ateliers.
Toutefois, les grandes idées lancées par le comte de Chambord ne restèrent pas lettre morte, toute une cohorte de catholiques sociaux en était imprégnée : Frédéric Le Play, Maurice Maignen, Albert de Mun et surtout René de la Tour du Pin, marquis de La Charce, militèrent pendant des décennies pour un ordre social chrétien. Ils aidèrent largement le pape Léon XIII dans la préparation de son encyclique Rerum novarum (15 mai 1891) qui, juste un siècle après l’ignoble loi Le Chapelier, dénonçait la « misère imméritée » et rappelait aux États leur devoir de laisser se constituer des organisations professionnelles.
Pionniers des lois sociales
L’action des catholiques sociaux, presque tous royalistes, connut aussi une réelle efficacité au Parlement, et ce, dès le début du XIXe siècle. Le 22 décembre 1840, Alban de Villeneuve Bargemon, alors député du Nord, demandait de ramener la journée de travail de 15 à 12 heures, proposait un repas au milieu de la journée, et réclamait un jour de repos par semaine. Il fallut attendre 1848 pour que ses propositions aboutissent.
En 1872, tous les élus monarchistes soutinrent une proposition de loi d’Ambroise Joubert interdisant d’employer des enfants de moins de 10 ans et de faire travailler la journée entière des enfants de moins de 13 ans. La gauche y fit échec.
La même année, le baron Chaurand, député de l’Ardèche, déposait une proposition de loi sur le repos dominical. Projet refusé, les modérés s’étant courageusement abstenus.
Quant à Albert de Mun, il multiplia entre 1886 et 1891 les propositions de loi réduisant le temps de travail des enfants et des femmes. Il scandalisa ses collègues en préconisant dès 1890 la journée de 8 heures ! Ses propositions sur la suppression, par exemple, du travail de nuit pour les femmes et les enfants n’aboutirent qu’après 1900.
Il faut encore dire que c’est à la droite catholique et monarchiste qu’on doit les premières lois sur les logements insalubres (22 avril 1850), sur les caisses de retraite (18 juin 1850), sur les sociétés de secours mutuels (15 juillet 1850), sur les accidents du travail (1898), sur les retraites ouvrières (1902)… Citons aussi Léon Harmel qui prit la première initiative de salaire familial (1891) dans son usine de Val des Bois, suivi en 1910 par les Michelin à Clermont Ferrand. Émile de Romanet, à Grenoble, entre 1917 et 1920, alla plus loin : il mit au point avec d’autres patrons le système des caisses de compensation, premier exemple d’allocations familiales, suivi en 1921 par Charles de Montgolfier dans ses papeteries d’Annonay. Il fallut attendre 1932 pour que le système fût appliqué à tous les salariés.
En 1930, six ans avant le Front populaire, Xavier Vallat, député de l’Ardèche, s’acharnait à faire passer dans la loi sur les assurances sociales en discussion l’idée que le travailleur doit se préoccuper de l’avenir des siens, donc avoir l’esprit d’économie et la volonté d’épargne, et se créer un patrimoine. Son contre-projet fut repoussé, mais en dépit de son caractère individualiste, la loi fut votée contre l’opposition d’une grande partie du patronat, de l’extrême gauche, et de la CGT !
Qu’en conclure, sinon que comme apôtres du combat social, les bavards du Front populaire font bien pâle figure, et même une inquiétante figure, comparés aux Français fidèles aux grandes traditions capétiennes.
Michel Fromentoux L’Action Française 2000 du 18 au 31 mai 2006
* Lire :
- Xavier Vallat : La Croix, les Lys et la peine des Hommes, Éditions Ulysse, Bordeaux, 1982.
- Antoine Murat : Le catholicisme social en France, Éditions Ulysse, 1980.
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