jeudi 1 août 2013

Philippe Delorme à L’Action Française : « Remettre l’histoire à sa place »

L’Action Française - Alors que vous êtes un historien renommé, voilà que vous vous mettez à contester, à travers un ouvrage très argumenté et étayé mais d’une lecture passionnante, l’authenticité d’une tête retrouvée chez un collectionneur que, pourtant, une équipe pluridisciplinaire d’historiens et de scientifiques a validée comme étant celle d’Henri IV ? Pourquoi ? Vous n’avez pourtant pas besoin de ce coup de pub !
Philippe Delorme - A mes yeux, la renommée ou la reconnaissance sont des éléments secondaires. Je me veux un esprit libre, mais il faut avoir le courage d’assumer cette liberté en affirmant ses convictions haut et fort, sans souci des conséquences. Loin d’être pour moi un « coup de pub », cet ouvrage – qui m’a demandé plus de deux années de recherches – remet l’Histoire à sa place. Ce qui m’importe avant tout, c’est de déterminer « comment les choses se sont vraiment passées », selon l’adage de l’Allemand Leopold von Ranke, l’un des pères de la science historique au XIXe siècle. Sans cette exigence préalable, aucune réflexion sur le passé n’a de sens. Or, dans cette affaire, la méthode historique a été gravement lésée. Car cette prétendue « découverte » a été orchestrée à la façon d’un spectacle médiatique et relayée par la presse unanime sans une once d’esprit critique.
On touche là ce que Charles Maurras dénonçait déjà en son temps dans « L’Avenir de l’intelligence » : l’asservissement de la pensée par l’intérêt financier et la quête du profit immédiat. Pour que le sujet soit « vendeur », pour que le documentaire soit attrayant, il fallait absolument que cette tête anonyme soit celle de Henri IV, quitte à tordre le cou à la réalité. Ainsi, l’enquête historique de 2010, chapeautée par un médecin-légiste hôte assidu des plateaux télévisés, a été réduite à la portion congrue et les historiens cantonnés dans un rôle de faire-valoir. En effet, comment expliquer que ce crâne ne soit pas scié, alors que les embaumements royaux, codifiés depuis la fin du Moyen Âge, prévoyaient l’extraction du cerveau ? D’ailleurs, dans leurs traités de chirurgie, Jacques Guillemeau et Pierre Pigray, deux des principaux praticiens ayant préparé le corps du Vert Galant en 1610, expliquent clairement qu’il convient de « vuider les trois ventres » - c’est-à-dire l’abdomen, le thorax et la tête, ou « ventre supérieur ». L’hypothétique « art des Italiens » avec lequel le crâne royal aurait été traité est une fiction, dénoncée par les archéologues italiens eux-mêmes ! D’autre part, aucune relation des profanations des tombes de Saint-Denis, en 1793, n’évoque l’hypothétique décapitation de la momie de Henri IV. Au rebours, tous les témoins disent que le cadavre a été jeté entier dans la fosse commune, avec ceux de ses descendants, et recouvert de chaux vive. L’un des témoins oculaires de ces exactions, Alexandre Lenoir, fondateur du musée des Monuments français, décrit le crâne du Béarnais « ouvert et rempli d’aromates ». Enfin, aucun document, aucune archive, ne vient expliquer comment cette relique soi-disant dérobée lors de la Révolution, serait arrivée en 1919 dans une vente aux enchères à l’hôtel Drouot. Car la véritable histoire de la tête qu’on nous a présentée comme celle de Henri IV ne commence qu’à cette date, lorsqu’elle est achetée pour 3 francs par un certain Joseph-Emile Bourdais. C’est ce personnage excentrique et mythomane qui décrétera, sans l’ombre d’un indice, que ce crâne anonyme aurait reposé sur les épaules du premier roi Bourbon…
Quant aux « preuves » scientifiques, elles s’effondrent dès qu’on les observe d’un peu plus près. La datation au carbone 14, qui donne une fourchette de 1450-1650, est bien trop vague. Le grain de beauté qui figurerait sur l’aile droite du nez n’apparaît pas sur le moulage mortuaire du roi. La blessure faite par le couteau de Châtel en 1594 avait laissé une cicatrice à la lèvre droite de Henri IV… mais c’est au maxillaire gauche qu’elle semble se retrouver sur le crâne Bourdais. L’oreille droite percée ? Elle ne figure que sur un seul portrait de fantaisie, réalisé vingt ans après l’assassinat du Vert Galant. Sur aucun autre, celui-ci ne porte de boucle d’oreille… Enfin, l’ADN, loin de confirmer l’identité de cette « relique », démontre le contraire, comme l’a révélé récemment le professeur Jean-Jacques Cassiman, de l’université de Louvain.

Il s’agit donc à vos yeux d’un devoir de vérité historique d’autant plus important qu’il s’agit de la prétendue tête d’un roi de France... Nous touchons là à la mémoire nationale...
Au mot de « vérité » - qui peut recouvrir une signification morale, voire spirituelle – je préfère celui, plus technique, de « véridicité ». Comme je le disais, c’est là la tâche essentielle de l’historien. Tâche ingrate, qui exige de passer davantage de temps penché sur les grimoires des archives et des bibliothèques que devant les projecteurs de la télévision ! Quant au terme de « mémoire », il ne me plaît pas beaucoup non plus. La mémoire est sujette à déformation, à manipulation. Elle pêche volontiers par anachronisme. Elle est pétrie de sentiments et d’affectivité, elle est éminemment partiale. Pour éclairer le présent et l’avenir, cette mémoire brute doit être « digérée » par les historiens, dont le métier consiste à la passer au crible d’une analyse dépassionnée. Je ne prétends pas bien sûr que l’historien saurait atteindre une neutralité absolue ! A travers ses études, transparaissent toujours ses préférences, ses a-priori, ses préventions. Mais il doit poursuivre sans relâche une exigence d’impartialité, et utiliser pour ce faire les outils d’une méthodologie rigoureuse. C’est en cela qu’à mon sens, l’Histoire est un art qui respecte une démarche scientifique, à la manière de la médecine…
Déjà à propos de Louis XVII, vous avez, en vous aidant d’analyses ADN, cherché à identifier le cœur du jeune roi-martyr... [...]
Propos recueillis par François Marcilhac - La suite dans L’Action Française 2868
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