vendredi 21 juin 2013

Un ouvrage intéressant sur la "révolution conservatrice"

 Richard FABER (Hrsg.), Konservatismus in Geschichte und Gegenwart, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1991, ISBN 3-88479-592-9.
Deux contributions de cet ouvrage collectif intéressent directement notre propos :
a) Richard FABER, «Differenzierungen im Begriff Konservatismus. Ein religionssoziologischer Versuch» et
b) Arno KLÖNNE, «"Rechts oder Links?". Zur Geschichte der Nationalrevolutionäre und Nationalbolschewisten». Richard Faber, dont nous connaissons déjà la concision, résume en treize points les positions fondamentales du "conservatisme" (entendu dans le sens allemand et non pas britannique):
1) le principe de "mortui plurimi", le culte des morts et des anciens, garant d'un avenir dans la continuité, de la durée.
2) Ce culte de la durée implique la nostalgie d'un ordre social stable, comme celui d'a­vant la révolution, la réfor­me et la re­nais­san­ce (Hugo von Hofmanns­thal).
3) Dans l'actualité, cette nostalgie doit con­duire l'homme politique à défendre un or­dre économique "sain", respectant la plu­ralité des forces sociales; à ce niveau, une con­tra­diction existe dans le conservatisme con­temporain, où Carl Schmitt, par exem­ple, dé­nonce ce néo-médiévisme social, com­me un "romantisme politique" inopé­rant, au nom d'un étatisme efficace, plus dur encore que le stato corporativo italien.
4) L'ordre social et politique dérive d'une re­­pré­sentation de l'empire (chinois, babylo­nien, perse, assyrien ou romain) comme un analogon du cosmos, comme un reflet mi­cro­cosmique du macrocosme. Le christia­nis­­me médiéval a retenu l'essentiel de ce cosmisme païen (urbs deis hominibusque com­munis). La querelle dans le camp con­ser­vateur, pour Faber, oppose ceux qui veu­­­lent un retour sans médiation aux sour­ces originales païen­­nes et ceux qui se con­tentent d'une ré­­pétition de la synthèse mé­dié­vale christia­ni­sée.
5) Les conservateurs perçoivent le fer­ment chrétien comme subversif: ils veu­lent une re­ligion qui ne soit pas opposée au fonction­nement du politique; à partir de là, se déve­loppe un anti-christia­nisme conservateur et néo-païen, ou on impose, à la suite de Jo­seph de Maistre, l'ex­pé­diant d'une infailli­bi­li­té pontificale pour bar­rer la route à l'impo­li­tis­me évangélique.
6) Les positivistes comtiens, puis les maur­ras­siens, partageant ce raisonnement, déjà présent chez Hegel, parient pour un catho­li­cis­me athée voire pour une théocratie a­thée.
7) Un certain post-fascisme (défini par Rü­diger Altmann), observable dans toutes les traditions politiques d'après 1945, vise l'in­té­gration de toutes les composantes de la so­ciété pour les soumettre à l'économie. Ainsi, le pluralisme, pourtant affiché en théo­rie, cè­­de le pas devant l'intégra­tion/ho­mo­loga­tion (option du conservatisme technocrate).
8) Dans ce contexte, se dé­ve­lop­pe un ca­tholicisme conservateur, hostile à l'auto­no­mie de l'économie et de la so­cié­té, les­quel­les doivent se soumettre à une "syn­thèse", celle de l'"organisme social" (suite p. 67).
9) Le contraire de cette synthèse est le néo-li­béralisme, expression d'un polythéis­me po­liti­que, d'après Faber. Les principaux re­pré­sentants de ce poly­théis­me libéral sont O­do Marquard et Hans Blumenberg.
10) Dans le cadre de la dialectique des Lu­mières, Locke estimait que l'individu devait se soumettre à la société civile et non plus à l'autorité po­litique absolue (Hobbes); l'exi­gence de soumission se mue en césarisme chez Schmitt. Dans les trois cas, il y a exi­gence de soumission, comme il y a exi­gen­ce de sou­mission à la sphère économique (Alt­mann). Le conservatisme peut s'en ré­jouir ou s'en insurger, selon les cas.
11) Pour Fa­ber, comme pour Walter Ben­jamin avant lui, le conservatisme représente une "tra­hi­son des clercs" (ou des intellec­tuels), où ceux-ci tentent de sortir du cul-de-sac des discussions sans fin pour débou­cher sur des décisions claires; la pensée de l'ur­gence est donc une caractéristique ma­jeu­re de la pensée conservatrice.
12) Faber cri­ti­que, à la suite d'Adorno, de Marcuse et de Ben­jamin, le "caractère affir­ma­teur de la cul­ture", propre du con­ser­va­tisme. Il re­mar­que que Maurras et Maulnier s'engagent dans le combat politique pour pré­server la culture, écornée et galvaudée par les idéo­logies de masse. Waldemar Gu­rian, disciple de Schmitt et historien de l'Ac­tion Fran­çai­se, constate que les sociétés ne peuvent sur­vivre si la Bildung disparaît, ce mé­lange de raffinement et d'éducation, pro­pre de l'é­li­te intellectuelle et créatrice d'une na­tion ou d'une civilisation.
13) Dans son dernier point, Faber revient sur la cosmologie du conservatisme. Celle-ci implique un temps cyclique, en appa­ren­ce différent du temps chrétien, mais un au­teur comme Erich Voe­gelin accepte explici­te­ment la "plus ancien­ne sagesse de l'hom­me", qui se soumet au rythme du devenir et de la finitude. Pour Voe­gelin, comme pour cer­tains conserva­teurs païens, c'est la pen­sée gnostique, an­cêtre directe de la moder­nité délétère, qui re­jette et nie "le destin cy­clique de toutes choses sous le soleil". La gnose christia­ni­sée ou non du Bas-Empire, cesse de per­ce­voir le monde comme un cos­mos bien or­don­né, où l'homme hellé­ni­que se sentait chez lui. Le gnostique de l'an­tiquité tardive, puis l'homme moderne qui veut tout mo­di­fier et tout dépasser, ne par­vient plus à re­gar­der le monde avec émerveillement. Le chré­tien catholique Voe­gelin, qui aime la cré­a­tion et en admire l'or­dre, rejoint ainsi le païen catholique Maur­ras. Albrecht Erich Günther, figure de la ré­vo­lution conserva­trice, définit le conserva­tis­me non comme une propension à tenir à ce qui nous vient d'hier, mais propose de vi­vre comme on a toujours vécu: quod sem­per, quod ubique, quod omnibus.      
Dans sa contribution, Arno Klönne évoque la démarche anti-système de personnalités comme Otto Strasser, Hans Ebeling, Ernst Niekisch, Beppo Römer, Karl O. Paetel, etc., et résume clairement cette démarche en­tre tous les fronts dominants de la pen­sée politique allemande des années 20 et 30.  Le refus de se laisser embrigader est une leçon de liberté, que semble reprendre la "Neue Rechte" allemande actuelle, sur­tout par les textes de Marcus Bauer, philo­so­phe et théologien de formation. Un ex­cel­lent résumé pour l'étudiant qui sou­hai­te s'i­ni­tier à cette matière hautement com­ple­xe (RS).

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