Deux contributions de cet ouvrage collectif intéressent directement notre propos :
a) Richard FABER, «Differenzierungen im Begriff Konservatismus. Ein religionssoziologischer Versuch» et
b)
Arno KLÖNNE, «"Rechts oder Links?". Zur Geschichte der
Nationalrevolutionäre und Nationalbolschewisten». Richard Faber, dont
nous connaissons déjà la concision, résume en treize points les
positions fondamentales du "conservatisme" (entendu dans le sens
allemand et non pas britannique):
1) le principe de "mortui plurimi", le culte des morts et des anciens, garant d'un avenir dans la continuité, de la durée.
2)
Ce culte de la durée implique la nostalgie d'un ordre social stable,
comme celui d'avant la révolution, la réforme et la renaissance
(Hugo von Hofmannsthal).
3)
Dans l'actualité, cette nostalgie doit conduire l'homme politique à
défendre un ordre économique "sain", respectant la pluralité des
forces sociales; à ce niveau, une contradiction existe dans le
conservatisme contemporain, où Carl Schmitt, par exemple, dénonce ce
néo-médiévisme social, comme un "romantisme politique" inopérant, au
nom d'un étatisme efficace, plus dur encore que le stato corporativo italien.
4)
L'ordre social et politique dérive d'une représentation de l'empire
(chinois, babylonien, perse, assyrien ou romain) comme un analogon
du cosmos, comme un reflet microcosmique du macrocosme. Le
christianisme médiéval a retenu l'essentiel de ce cosmisme païen (urbs deis hominibusque communis).
La querelle dans le camp conservateur, pour Faber, oppose ceux qui
veulent un retour sans médiation aux sources originales païennes
et ceux qui se contentent d'une répétition de la synthèse médiévale
christianisée.
5)
Les conservateurs perçoivent le ferment chrétien comme subversif: ils
veulent une religion qui ne soit pas opposée au fonctionnement du
politique; à partir de là, se développe un anti-christianisme
conservateur et néo-païen, ou on impose, à la suite de Joseph de
Maistre, l'expédiant d'une infaillibilité pontificale pour barrer
la route à l'impolitisme évangélique.
6)
Les positivistes comtiens, puis les maurrassiens, partageant ce
raisonnement, déjà présent chez Hegel, parient pour un catholicisme
athée voire pour une théocratie athée.
7)
Un certain post-fascisme (défini par Rüdiger Altmann), observable dans
toutes les traditions politiques d'après 1945, vise l'intégration de
toutes les composantes de la société pour les soumettre à l'économie.
Ainsi, le pluralisme, pourtant affiché en théorie, cède le pas devant
l'intégration/homologation (option du conservatisme technocrate).
8)
Dans ce contexte, se développe un catholicisme conservateur,
hostile à l'autonomie de l'économie et de la société, lesquelles
doivent se soumettre à une "synthèse", celle de l'"organisme social"
(suite p. 67).
9)
Le contraire de cette synthèse est le néo-libéralisme, expression d'un
polythéisme politique, d'après Faber. Les principaux représentants
de ce polythéisme libéral sont Odo Marquard et Hans Blumenberg.
10)
Dans le cadre de la dialectique des Lumières, Locke estimait que
l'individu devait se soumettre à la société civile et non plus à
l'autorité politique absolue (Hobbes); l'exigence de soumission se mue
en césarisme chez Schmitt. Dans les trois cas, il y a exigence de
soumission, comme il y a exigence de soumission à la sphère
économique (Altmann). Le conservatisme peut s'en réjouir ou s'en
insurger, selon les cas.
11)
Pour Faber, comme pour Walter Benjamin avant lui, le conservatisme
représente une "trahison des clercs" (ou des intellectuels), où
ceux-ci tentent de sortir du cul-de-sac des discussions sans fin pour
déboucher sur des décisions claires; la pensée de l'urgence est donc
une caractéristique majeure de la pensée conservatrice.
12)
Faber critique, à la suite d'Adorno, de Marcuse et de Benjamin, le
"caractère affirmateur de la culture", propre du conservatisme. Il
remarque que Maurras et Maulnier s'engagent dans le combat politique
pour préserver la culture, écornée et galvaudée par les idéologies de
masse. Waldemar Gurian, disciple de Schmitt et historien de l'Action
Française, constate que les sociétés ne peuvent survivre si la Bildung
disparaît, ce mélange de raffinement et d'éducation, propre de
l'élite intellectuelle et créatrice d'une nation ou d'une
civilisation.
13)
Dans son dernier point, Faber revient sur la cosmologie du
conservatisme. Celle-ci implique un temps cyclique, en apparence
différent du temps chrétien, mais un auteur comme Erich Voegelin
accepte explicitement la "plus ancienne sagesse de l'homme", qui se
soumet au rythme du devenir et de la finitude. Pour Voegelin, comme
pour certains conservateurs païens, c'est la pensée gnostique,
ancêtre directe de la modernité délétère, qui rejette et nie "le
destin cyclique de toutes choses sous le soleil". La gnose
christianisée ou non du Bas-Empire, cesse de percevoir le monde
comme un cosmos bien ordonné, où l'homme hellénique se sentait chez
lui. Le gnostique de l'antiquité tardive, puis l'homme moderne qui
veut tout modifier et tout dépasser, ne parvient plus à regarder le
monde avec émerveillement. Le chrétien catholique Voegelin, qui aime
la création et en admire l'ordre, rejoint ainsi le païen catholique
Maurras. Albrecht Erich Günther, figure de la révolution
conservatrice, définit le conservatisme non comme une propension à
tenir à ce qui nous vient d'hier, mais propose de vivre comme on a
toujours vécu: quod semper, quod ubique, quod omnibus.
Dans
sa contribution, Arno Klönne évoque la démarche anti-système de
personnalités comme Otto Strasser, Hans Ebeling, Ernst Niekisch, Beppo
Römer, Karl O. Paetel, etc., et résume clairement cette démarche entre
tous les fronts dominants de la pensée politique allemande des années
20 et 30. Le refus de se laisser embrigader est une leçon de liberté,
que semble reprendre la "Neue Rechte" allemande actuelle, surtout par
les textes de Marcus Bauer, philosophe et théologien de formation. Un
excellent résumé pour l'étudiant qui souhaite s'initier à cette
matière hautement complexe (RS).
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