En 390 av J.-C., les Gaulois sont aux portes de Rome où il ne
reste plus que les jeunes, les femmes et les vieillards. On décide de
ne laisser dans la ville que les vieillards ainsi que les vieux consuls,
volontaires pour attendre les envahisseurs. Assis dans le vestibule de
leurs maisons vides, impavides, ils attendent la mort.
Comme on ne pouvait pas se flatter avec un si petit nombre de soldats
de défendre la ville, on prit le parti de faire monter dans la
citadelle et au Capitole, outre les femmes et les enfants, la jeunesse
en état de porter les armes et l’élite du Sénat ; et, après y avoir
réuni tout ce qu’on pourrait amasser d’armes et de vivres, de défendre,
de ce poste fortifié, les dieux, les hommes et le nom romain.
Le flamine et les prêtresses de Vesta emportèrent loin du meurtre,
loin de l’incendie, les objets du culte public, qu’on ne devait point
abandonner tant qu’il resterait un Romain pour en accomplir les
rites. Si la citadelle, si le Capitole, séjour des dieux, si le sénat,
cette tête des conseils de la république, si la jeunesse en état de
porter les armes venaient à échapper à cette catastrophe imminente, on
pourrait se consoler de la perte des vieillards qu’on laissait dans la
ville abandonnés à la mort.
Et pour que la multitude se soumît avec moins de regret, les vieux
triomphateurs, les vieux consulaires déclarèrent leur intention de
mourir avec les autres, ne voulant point que leurs corps, incapables de
porter les armes et de servir la patrie, aggravassent le dénuement de
ses défenseurs.
Ainsi se consolaient entre eux les vieillards destinés à la mort.
Ensuite ils adressent des encouragements à la jeunesse, qu’ils
accompagnent jusqu’au Capitole et à la citadelle, en recommandant à son
courage et à sa vigueur la fortune, quelle qu’elle dût être, d’une cité
victorieuse pendant trois cent soixante ans dans toutes ses guerres.
Mais au moment où ces jeunes gens, qui emportaient avec eux tout
l’espoir et toutes les ressources de Rome, se séparèrent de ceux qui
avaient résolu de ne point survivre à sa ruine, la douleur de cette
séparation, déjà par elle-même si triste, fut encore accrue par les
pleurs et l’anxiété des femmes, qui, courant incertaines tantôt vers les
uns, tantôt vers les autres, demandaient à leurs maris et à leurs fils à
quel destin ils les abandonnaient : ce fut le dernier trait à ce
tableau des misères humaines.
Cependant une grande partie d’entre elles suivirent dans la Citadelle
ceux qui leur étaient chers, sans que personne les empêchât ou les
rappelât; car cette précaution qui aurait eu pour les assiégés
l’avantage de diminuer le nombre des bouches inutiles, semblait trop
inhumaine.
L’entrée des Gaulois dans Rome
Toutes les précautions une fois prises, autant que possible, pour la
défense de la citadelle, les vieillards, rentrés dans leurs maisons,
attendaient, résignés à la mort, l’arrivée de l’ennemi; et ceux qui
avaient rempli des magistratures curules, voulant mourir dans les
insignes de leur fortune passée, de leurs honneurs et de leur courage,
revêtirent la robe solennelle que portaient les chefs des cérémonies
religieuses ou les triomphateurs, et se placèrent au milieu de leurs
maisons, sur leurs sièges d’ivoire. Quelques-uns même rapportent que,
par une formule que leur dicta le grand pontife Marcus Folius, ils se
dévouèrent pour la patrie et pour les citoyens de Rome.
Pour les Gaulois, ils entrèrent dans Rome le lendemain par la porte
Colline, laissée ouverte, et arrivèrent au forum, promenant leurs
regards sur les temples des dieux et la citadelle qui, seule, présentait
quelque appareil de guerre. Puis, ayant laissé près de la forteresse
un détachement peu nombreux pour veiller à ce qu’on ne fît point de
sortie pendant leur dispersion, ils se répandent pour piller dans les
rues où ils ne rencontrent personne : les uns se précipitent en foule
dans les premières maisons, les autres courent vers les plus éloignées,
les croyant encore intactes et remplies de butin.
Mais bientôt, effrayés de cette solitude, craignant que l’ennemi ne
leur tendît quelque piège pendant qu’ils erraient çà et là, ils
revenaient par troupes au forum et dans les lieux environnants. Là,
trouvant les maisons des plébéiens fermées avec soin, et les cours
intérieures des maisons patriciennes tout ouvertes, ils hésitaient
encore plus à mettre le pied dans celles-ci qu’à entrer de force dans
les autres. Ils éprouvaient une sorte de respect religieux à l’aspect
de ces nobles vieillards qui, assis sous le vestibule de leur maison,
semblaient à leur costume et à leur attitude, où il y avait je ne sais
quoi d’auguste qu’on ne trouve point chez des hommes, ainsi que par la
gravité empreinte sur leur front et dans tous leurs traits, représenter
la majesté des dieux. Les Barbares demeuraient debout à les contempler
comme des statues ; mais l’un d’eux s’étant, dit-on, avisé de passer
doucement la main sur la barbe de Marcus Papirius, qui, suivant l’usage
du temps, la portait fort longue, celui-ci frappa de son bâton d’ivoire
la tête du Gaulois, dont il excita le courroux : ce fut par lui que
commença le carnage, et presque aussitôt tous les autres furent égorgés
sur leurs chaises curules. Les sénateurs massacrés, on n’épargna plus
rien de ce qui respirait; on pilla les maisons, et, après les avoir
dévastées, on les incendia.
TITE-LIVE, Histoire Romaine, Livre V : les événements des années 403 à 396
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