Il
faut que je l’écrive d’emblée : je n’ai guère connu Dominique Venner
personnellement. Je suis, plus simplement, un lecteur très attentif de
ses écrits, surtout des revues “Enquête sur l’histoire” et “La nouvelle
revue d’histoire”, dont les démarches correspondent très nettement à mes
propres préoccupations, bien davantage que d’autres revues de la
“mouvance”, tout bonnement parce qu’elles exhalent un double parfum de
longue mémoire et de géopolitique. Lire les revues que publiait
Dominique Venner, c’est acquérir au fil du temps, un sens de la
continuité européenne, de notre continuité spécifique, car je me sens
peut-être plus “continuitaire” qu’“identitaire”, plus imbriqué dans une
continuité que prostré dans une identité figée, mais c’est là un autre
débat qui n’implique nullement le rejet des options dites “identitaires”
aujourd’hui dans le langage courant, des options “identitaires” qui
sont au fond “continuitaires”, puisqu’elles veulent conserver intactes
les matrices spirituelles des peuples, de tous les peuples, de manière à
pouvoir sans cesse générer ou régénérer les Cités de la Terre. Lire “La
nouvelle revue d’histoire”, c’est aussi, surtout depuis l’apport
régulier d’Ayméric Chauprade, replacer ces continuités historiques dans
les cadres d’espaces géographiques précis, dans des lieux quasi
immuables qui donnent à l’histoire des constantes, à peine modifiées par
les innovations technologiques et ballistiques.
J’ai
découvert pour la première fois un livre de Dominique Venner dans une
librairie bizarre, qui vendait des livres et tout un bric-à-brac
d’objets des plus hétéroclites: elle était située Boulevard Adolphe Max
et n’existe plus aujourd’hui. Ce livre de Dominique Venner s’intitulait
“Baltikum”. Nous étions en août 1976 : je revenais d’un bref séjour en
Angleterre, d’une escapade rapide à Maîche, j’avais vingt ans et huit
bons mois, la chaleur de ce mois des moissons était caniculaire,
torride, l’herbe de notre pelouse était rôtie comme en Andalousie, le
plus magnifique bouleau de notre jardin mourrait en dépit des efforts
déployés pour le sauver coûte que coûte. J’allais rentrer en septembre,
le jour où l’on a inauguré le métro de Bruxelles, à l’Institut Marie
Haps, sous les conseils avisés du Professeur Jacques Van Roey, l’éminent
angliciste de l’UCL. C’est à ce moment important de mon existence, où
j’allais me réorienter et trouver ma voie, que j’ai acheté ce livre de
Venner. L’aventure des “Corps francs” du Baltikum ouvrait des
perspectives historiques nouvelles au lecteur francophone de base, peu
frotté aux souvenirs de cette épopée, car les retombées à l’Est de la
première guerre mondiale étaient quasi inconnues du grand public qui ne
lit qu’en français; l’existence des Pays Baltes et de la communauté
germanophone de Courlande et d’ailleurs, fidèle au Tsar, avait été
oubliée; en cette époque de guerre froide, les trois républiques baltes
faisaient partie d’une Union Soviétique perçue comme un bloc homogène,
pire, homogénéisé par l’idéologie communiste. Personne n’imaginait que
les langues et les traditions populaires des ethnies finno-ougriennes,
tatars, caucasiennes, etc. étaient préservées sur le territoire de
l’autre superpuissance, finalement plus respectueuse des identités
populaires que l’idéologie du “melting pot” américain, du “consumérisme
occidental” ou du jacobinisme parisien. La spécificité du “Baltikum”
était tombée dans une oubliette de notre mémoire occidentale et ne
reviendra, pour ceux qui n’avaient jamais lu le livre de Venner,
qu’après 1989, qu’après la chute du Mur de Berlin, quand Estoniens,
Lettons et Lituaniens formeront de longues chaînes humaines pour
réclamer leur indépendance. Pour l’épopée des Corps francs et des
premières armées baltes indépendantes, tout lecteur assidu de “La
nouvelle revue d’histoire” pourra se rendre au Musée de l’Armée de
Bruxelles, où de nombreuses vitrines sont consacrées à ces événements :
j’y ai amené un excellent ami, homme à la foi tranquille, homme de
devoir et de conviction, le Dr. Rolf Kosieck, puis, quelques années plus
tard, un jeune collaborateur de Greg Johnson; ils ont été ravis.
Liberté et rupture disloquante
Outre ces pages d’histoire qui revenaient bien vivantes à nos esprits, grâce à la plume de Dominique Venner, il y avait aussi, magnifiquement mise en exergue, cette éthique de l’engagement pour la “continuité” (russe, allemande ou classique-européenne) contre les ruptures disloquantes, que les protagonistes de celles-ci posaient évidemment comme “libératrices” sans s’apercevoir tout de suite qu’elles engendraient des tyrannies figeantes, inédites, qui broyaient les âmes et les corps, mêmes ceux de leurs plus féaux serviteurs (cf. les mémoires d’Arthur Koestler et la figure de “Roubachov” dans “Le Zéro et l’infini”). Il n’y a de liberté que dans les continuités, comme le prouve par exemple le maintien jusqu’à nos jours des institutions helvétiques dans l’esprit du “Serment du Rütli”: quand on veut “faire du passé table rase”, on fait disparaître la liberté dans ce nettoyage aussi atroce que vigoureux, dans ces “purgations” perpétrées sans plus aucune retenue éthique, semant la mort dans des proportions inouïes. Aucune vraie liberté ne peut naître d’une rupture disloquante de type révolutionnaire ou trotskiste-bolchevique, sauf peut-être celle, d’un tout autre signe, qui fera table rase des sordides trivialités qui forment aujourd’hui l’idéologie de l’établissement, celle du révolutionarisme institutionalisé qui, figé, asseoit sans résistance notable son pouvoir technocratique, parce que tous les repères sont brouillés, parce que les “cives” de nos Cités n’y voient plus clair… Rétrospectivement, après 37 ans, c’est la première leçon que le Prof. Venner m’a enseignée…
Outre ces pages d’histoire qui revenaient bien vivantes à nos esprits, grâce à la plume de Dominique Venner, il y avait aussi, magnifiquement mise en exergue, cette éthique de l’engagement pour la “continuité” (russe, allemande ou classique-européenne) contre les ruptures disloquantes, que les protagonistes de celles-ci posaient évidemment comme “libératrices” sans s’apercevoir tout de suite qu’elles engendraient des tyrannies figeantes, inédites, qui broyaient les âmes et les corps, mêmes ceux de leurs plus féaux serviteurs (cf. les mémoires d’Arthur Koestler et la figure de “Roubachov” dans “Le Zéro et l’infini”). Il n’y a de liberté que dans les continuités, comme le prouve par exemple le maintien jusqu’à nos jours des institutions helvétiques dans l’esprit du “Serment du Rütli”: quand on veut “faire du passé table rase”, on fait disparaître la liberté dans ce nettoyage aussi atroce que vigoureux, dans ces “purgations” perpétrées sans plus aucune retenue éthique, semant la mort dans des proportions inouïes. Aucune vraie liberté ne peut naître d’une rupture disloquante de type révolutionnaire ou trotskiste-bolchevique, sauf peut-être celle, d’un tout autre signe, qui fera table rase des sordides trivialités qui forment aujourd’hui l’idéologie de l’établissement, celle du révolutionarisme institutionalisé qui, figé, asseoit sans résistance notable son pouvoir technocratique, parce que tous les repères sont brouillés, parce que les “cives” de nos Cités n’y voient plus clair… Rétrospectivement, après 37 ans, c’est la première leçon que le Prof. Venner m’a enseignée…
Ensuite,
toujours rétrospectivement, la liberté dans la continuité a besoin de
“katechons”, de forces “katechoniques”, qui peuvent se trouver dans
l’âme d’un simple volontaire étudiant, fût-il le plus modeste mais qui,
en passant de sa Burschenschaft à son Freikorps, donne son sang et sa
vigueur physique pour arrêter l’horreur liberticide qui avance avec le
masque de la liberté ou de la “dés-aliénation”, tandis que les
“bourgeois” comptent leurs sous ou se livrent à la débauche dans le
Berlin qu’a si bien décrit Christopher Isherwood: tous les discours sur
la liberté, qui cherchent à vendre une “liberté” qui permet la
spéculation ou qui fait miroiter le festivisme, une “liberté” qui serait
installée définitivement dans tous les coins et recoins de la planète
pour aplatir les âmes, sont bien entendu de retentissantes hypocrisies.
La liberté, on ne la déclame pas. La liberté, ce n’est pas une affaire
de déclamations. On la prend. On se la donne. On ne se la laisse pas
voler. En silence. Maxillaires fermées. Mais on la garde au fond du
coeur et on salue silencieusement tous ceux qui font pareil. Comme
Cinccinatus, on retourne à sa charrue dès que le danger mortel est passé
pour la Cité. Les “Corps francs”, qui fascinaient Venner, étaient une
sorte de “katechon” collectif, dont toutes les civilisations en grand
péril ont besoin.
Nous ne savions rien des aventures politiques de Venner
Nous ignorions tout bien entendu des aventures politiques de Dominique Venner quand nous lisions “Baltikum”: elles s’étaient déroulées en France, pays que nous ne connaissions pas à l’époque, où la télévision n’était pas encore câblée, même si ce pays est voisin, tout proche, et que nous parlions (partiellement) la même langue que lui. Je n’avais jamais été que dans une toute petite ville franc-comtoise, en “traçant” sur la route sans aucun arrêt, parce que mon père, homme toujours pressé, le voulait ainsi et qu’il n’y avait pas moyen de sortir une idée de sa tête (le seul arrêt de midi se résumait à un quart d’heure, dûment minuté, pour avaler deux tartines, un oeuf dur et une pomme le long d’un champ). De la France, hormis Maîche en Franche-Comté et un séjour très bref à Juan-les-Pins (avril 1970) dans un immeuble dont tous les locataires étaient belges, je n’avais vu que quelques coquelicots dans l’un ou l’autre champ le long des routes lorraines ou comtoises et n’avais entendu que le bourdonnement d’abeilles champêtres, à part, c’est vrai, une seule visite à l’Ossuaire de Douaumont et un arrêt de dix minutes devant la “Maison de la Pucelle” à Domrémy. En 1974, aucun de nous, à l’école secondaire, n’avait jamais mis les pieds à Paris.
Nous ignorions tout bien entendu des aventures politiques de Dominique Venner quand nous lisions “Baltikum”: elles s’étaient déroulées en France, pays que nous ne connaissions pas à l’époque, où la télévision n’était pas encore câblée, même si ce pays est voisin, tout proche, et que nous parlions (partiellement) la même langue que lui. Je n’avais jamais été que dans une toute petite ville franc-comtoise, en “traçant” sur la route sans aucun arrêt, parce que mon père, homme toujours pressé, le voulait ainsi et qu’il n’y avait pas moyen de sortir une idée de sa tête (le seul arrêt de midi se résumait à un quart d’heure, dûment minuté, pour avaler deux tartines, un oeuf dur et une pomme le long d’un champ). De la France, hormis Maîche en Franche-Comté et un séjour très bref à Juan-les-Pins (avril 1970) dans un immeuble dont tous les locataires étaient belges, je n’avais vu que quelques coquelicots dans l’un ou l’autre champ le long des routes lorraines ou comtoises et n’avais entendu que le bourdonnement d’abeilles champêtres, à part, c’est vrai, une seule visite à l’Ossuaire de Douaumont et un arrêt de dix minutes devant la “Maison de la Pucelle” à Domrémy. En 1974, aucun de nous, à l’école secondaire, n’avait jamais mis les pieds à Paris.
De
l’aventure de l’OAS, nous ne savions rien car elle ne s’était pas
ancrée dans les mémoires de nos aînés à Bruxelles et personne n’évoquait
jamais cette aventure, lors des veillées familiales ou après la poire
et le fromage, ni n’émettait jamais un avis sur l’Algérie: les
conversations politiques dont je me souviens portaient sur la marche
flamande sur Bruxelles en 1963, sur l’assassinat de Kennedy la même
année, sur le déclin de l’Angleterre (à cause des Beatles, disait un
oncle), sur le Shah d’Iran (mon père était fasciné par l’Impératrice),
sur Franco (et sur la “Valle de los Caidos” et sur l’Alcazar de Tolède
qui avait tant marqué mon père, touriste en mai 1962) voire, mais plus
rarement, sur le Congo (lors de l’affaire de Stanleyville, car une de
mes cousines germaines avait épousé un parachutiste…). Les traces de la
guerre d’Algérie, la tragédie des Pieds-Noirs, les aventures politiques
du FLN et de l’OAS sont très présentes dans les débats
politico-historiques français: je ne m’en apercevrai que très tard, ce
qui explique sans doute, pour une bonne part, le porte-à-faux permanent
dans lequel je me suis retrouvé face à des interlocuteurs français qui
faisaient partie de la même mouvance que Dominique Venner. Mais ce
porte-à-faux, finalement, concerne presque tous mes compatriotes, a
fortiori les plus jeunes (maroxellois compris!), qui n’ont jamais
entendu parler des événements d’Algérie: combien d’entre eux, à qui les
professeurs de français font lire des livres d’Albert Camus, ne
comprennent pas que cet auteur était Pied-Noir, a fortiori ce qu’était
le fait “pied-noir”, ne perçoivent pas ce que cette identité (brisée)
peut signifier dans le coeur de ceux qui l’ont perdue en perdant le sol
dont elle avait jailli, ni quelles dimensions affectives elle peut
recouvrir dans la sphère politique, même après un demi-siècle.
Attitude altière
Au cours de toutes les années où j’ai côtoyé les protagonistes français du “Groupement de Recherche et d’Etudes sur la Civilisation Européenne”, c’est-à-dire de 1979 (année de ma première participation à une journée de débats auprès du cercle “Etudes & Recherches”, présidé à l’époque par Guillaume Faye) à 1992 (date de mon départ définitif), je n’ai vu ni aperçu Dominique Venner, sauf, peut-être, en 1983, lors d’une “Fête de la Communauté” près des Andelys, à la limite de l’Ile-de-France et de la Normandie. Cette fête avait été organisée par le regretté Jean Varenne, le grand spécialiste français de l’Inde et du monde védique, qui avait invité une célèbre danseuse indienne pour clore, avec tout le panache voulu, cette journée particulièrement réussie, bien rythmée, avec un buffet gargantuesque et sans aucun couac. Ce jour-là, un homme engoncé dans une parka kakie (tant il pleuvait), correspondant au signalement de Dominique Venner, est venu se choisir deux ou trois numéros d’ “Orientations” dans le stand que j’animais, sans mot dire mais en braquant sur ma personne son regard bleu et perçant, avant de tourner les talons, après un bref salut de la tête. Cette attitude altière — besser gesagt diese karge Haltung — est le propre d’un vrai croyant, qui ne se perd pas en vains bavardages. De toutes les façons, je pense qu’on s’était compris, lui le Francilien qui avait des allures sévères et jansénistes (mais l’évêque Jansen était d’Ypres, comme ma grand-mère…), moi le Brabançon, plus baroque, plus proche de la Flandre espagnole de Michel de Ghelderode qui pense souvent qu’il faut lever sa chope de gueuze ou de faro pour saluer, ironiquement, irrespectueusement, les cons du camp adverse car leurs sottises, finalement, nous font bien rire: il faut de tout pour faire une bonne Europe. C’est le sentiment que j’ai eu, après avoir croisé pour la première fois le regard vif et silencieux de Venner, un sentiment dont je ne me suis jamais défait.
Au cours de toutes les années où j’ai côtoyé les protagonistes français du “Groupement de Recherche et d’Etudes sur la Civilisation Européenne”, c’est-à-dire de 1979 (année de ma première participation à une journée de débats auprès du cercle “Etudes & Recherches”, présidé à l’époque par Guillaume Faye) à 1992 (date de mon départ définitif), je n’ai vu ni aperçu Dominique Venner, sauf, peut-être, en 1983, lors d’une “Fête de la Communauté” près des Andelys, à la limite de l’Ile-de-France et de la Normandie. Cette fête avait été organisée par le regretté Jean Varenne, le grand spécialiste français de l’Inde et du monde védique, qui avait invité une célèbre danseuse indienne pour clore, avec tout le panache voulu, cette journée particulièrement réussie, bien rythmée, avec un buffet gargantuesque et sans aucun couac. Ce jour-là, un homme engoncé dans une parka kakie (tant il pleuvait), correspondant au signalement de Dominique Venner, est venu se choisir deux ou trois numéros d’ “Orientations” dans le stand que j’animais, sans mot dire mais en braquant sur ma personne son regard bleu et perçant, avant de tourner les talons, après un bref salut de la tête. Cette attitude altière — besser gesagt diese karge Haltung — est le propre d’un vrai croyant, qui ne se perd pas en vains bavardages. De toutes les façons, je pense qu’on s’était compris, lui le Francilien qui avait des allures sévères et jansénistes (mais l’évêque Jansen était d’Ypres, comme ma grand-mère…), moi le Brabançon, plus baroque, plus proche de la Flandre espagnole de Michel de Ghelderode qui pense souvent qu’il faut lever sa chope de gueuze ou de faro pour saluer, ironiquement, irrespectueusement, les cons du camp adverse car leurs sottises, finalement, nous font bien rire: il faut de tout pour faire une bonne Europe. C’est le sentiment que j’ai eu, après avoir croisé pour la première fois le regard vif et silencieux de Venner, un sentiment dont je ne me suis jamais défait.
La
carte d’identité de Venner s’est constituée dans ma tête
progressivement: je découvrais ses ouvrages militaires, ses volumes sur
les armes de poing ou de chasse, les armes blanches et les armes à feu,
et surtout sa “Critique positive”, rédigée après les aventures
politiques post-OAS, etc. Je découvrais aussi son livre “Le Blanc soleil
des vaincus”, sur l’héroïsme des Confédérés lors de la Guerre de
Sécession, sentiment que l’on partageait déjà en toute naïveté, enfants,
quand on alignait nos soldats Airfix, les gris de la Confédération —nos
préférés— et les bleus de l’Union sans oublier les bruns du train
d’artillerie (Nordistes et Sudistes confondus), sur la table du salon,
quand il pleuvait trop dehors, notamment avec mon camarade d’école
primaire, Luc François, devenu fringant officier au regard plus bleu que
celui de Venner, alliant prestance scandinave et jovialité toujours
franche et baroque, bien de chez nous, puis pilote de Mirage très jeune,
et tué à 21 ans, en sortant de sa base, sur une route verglacée de la
Famenne, laissant une jeune veuve et une petite fille…
Cependant, Venner n’est devenu une présence constante dans mon
existence quotidienne que depuis la fondation des revues “Enquête sur
l’histoire” et “La nouvelle revue d’histoire” parce que le rythme
parfait, absolument régulier, de leur parution amenait, tous les deux
mois, sur mon bureau ou sur ma table de chevet, un éventail d’arguments,
de notes bibliographiques précieuses, d’entretiens qui permettait des
recherches plus approfondies, des synthèses indispensables, qui ouvrait
toujours de nouvelles pistes. Ces revues me permettaient aussi de suivre
les arguments de Bernard Lugan, d’Ayméric Chauprade, de
François-Georges Dreyfus, de Bernard Lugan, de Philippe Conrad, de
Jacques Heers, etc. Chaque revue commençait par un éditorial de Venner,
exceptionnellement bien charpenté: son éditeur Pierre-Guillaume de Roux
ferait grande oeuvre utile en publiant en deux volumes les éditoriaux
d’“Enquête sur l’histoire” et de “La nouvelle revue d’histoire”, de
façon à ce que nous puissions disposer de bréviaires utiles pour méditer
la portée de cette écriture toute de clarté, pour faire entrer la
quintessence du stoïcisme de Venner dans les cerveaux hardis, qui
entretiendront la flamme ou qui créeront un futur enfin nettoyé,
expurgé, de toute la trivialité actuelle.
Historien méditatif
Récemment, Dominique Venner se posait comme un “historien méditatif”. C’est une belle formule. Il était bien évidemment l’exemple —et l’exemple le plus patent que j’ai jamais vu— du “civis romanus” (du “civis europaeus”) stoïque qui se pose comme l’auxiliaire volontaire du “katechon”, surtout quand celui-ci est un “empereur absent”, dormant sous les terres d’un Kyffhäuser tenu secret. L’historien méditatif est un historien tacitiste (selon la tradition de Juste Lipse) qui dresse les annales de l’Empire, les consigne dans ses tablettes, espère faire partager un maximum de ses sentiments “civiques” aux meilleurs de ses contemporains, sans pouvoir se mettre au service d’un Prince digne de ce nom puisqu’à son grand dam il est condamné à vivre dans une période particulièrement triviale de l’histoire, une période sombre, sans aura aucun, où la patrie et l’Empire, le mos majorum et la civilisation, sombrent dans un Kali Yuga des plus sordides. Il y a un parallèle à tracer entre la démarche personnelle, stoïque et tacitiste de Venner, et les grands travaux de Pierre Chaunu, qui voyait, lui aussi, l’histoire comme héritage et comme prospective: histoire et sacré, histoire et foi, histoire et décadence, tels sont les mots qui formaient les titres de ses livres.
Récemment, Dominique Venner se posait comme un “historien méditatif”. C’est une belle formule. Il était bien évidemment l’exemple —et l’exemple le plus patent que j’ai jamais vu— du “civis romanus” (du “civis europaeus”) stoïque qui se pose comme l’auxiliaire volontaire du “katechon”, surtout quand celui-ci est un “empereur absent”, dormant sous les terres d’un Kyffhäuser tenu secret. L’historien méditatif est un historien tacitiste (selon la tradition de Juste Lipse) qui dresse les annales de l’Empire, les consigne dans ses tablettes, espère faire partager un maximum de ses sentiments “civiques” aux meilleurs de ses contemporains, sans pouvoir se mettre au service d’un Prince digne de ce nom puisqu’à son grand dam il est condamné à vivre dans une période particulièrement triviale de l’histoire, une période sombre, sans aura aucun, où la patrie et l’Empire, le mos majorum et la civilisation, sombrent dans un Kali Yuga des plus sordides. Il y a un parallèle à tracer entre la démarche personnelle, stoïque et tacitiste de Venner, et les grands travaux de Pierre Chaunu, qui voyait, lui aussi, l’histoire comme héritage et comme prospective: histoire et sacré, histoire et foi, histoire et décadence, tels sont les mots qui formaient les titres de ses livres.
En
effet, Pierre Chaunu, dans “De l’histoire à la prospective”, posait
comme thèse centrale que “la méditation du futur, c’est la connaissance
du présent”. Et du passé, bien évidemment, puisque le présent en est
tributaire, puisque, dixit encore Chaunu, le présent devient passé dès
qu’on l’a pensé. Chaunu plaidait, on le sait, pour une “histoire
sérielle”, capable de récapituler toutes les données économiques,
sociales et culturelles, de la manière la plus exhaustive qui soit, de
manière à disposer d’un instrument d’analyse aussi complet que possible,
donc non réduit et, partant, très différent de tous les réductionnismes
à la mode. Chaunu, par cet instrument que devait devenir l’histoire
sérielle, entendait réduire les “à-coups” contre lesquels butent
généralement les politiques, si elles ne sont pas servies par une
connaissance complète, ou aussi complète que possible, du passé, des
acquis, des dynamiques à l’oeuvre dans la Cité, que celle-ci soient de
dimensions réduites ou aient la taille d’un Empire classique. Chaunu est
donc l’héritier des tacitistes de Juste Lipse, armé cette fois d’un
arsenal de savoirs bien plus impressionnants que celui des pionniers du
16ème siècle. L’objectif des revues “Enquête sur l’histoire” et “La
nouvelle revue d’histoire” a été de faire “oeuvre de tacitisme”. Dans
l’éditorial du n°1 de “La nouvelle revue d’histoire”, Venner écrivait:
“L’héritage spirituel ne devient conscient que par un effort de
connaissance, fonction par excellence de l’histoire, avec l’enseignement
du réel et le rappel de la mémoire collective”. Oeuvre nécessaire car
comme l’écrit par ailleurs Chaunu, dans “De l’histoire à la
prospective”: “La nouvelle histoire (…) n’a pas réussi à pénétrer la
culture des milieux de la décision technocratique” (p. 39). Chaunu
écrivait cette phrase, raisonnait de la sorte, en 1975, quand le
néo-libéralisme de la “cosmocratie” (vocable forgé par Venner dans “Le
siècle de 1914”) n’avait pas encore accentué les ravages, n’avait pas
encore établi la loi de l’éradication totale de toutes les mémoires
historiques. Trois ans plus tard, en 1978, Chaunu, dans “Histoire
quantitative, histoire sérielle”, était déjà plus pessimiste: il
n’espérait plus “historiciser” les technocrates. Son inquiétude
s’exprimait ainsi: “Nous sommes arrivés au point où l’Occident peut
tout, même se détruire. Une civilisation se détruit en se reniant. Elle
se défait comme une conscience de soi, sous la menace, plus grave que la
mort, de la schizophrénie” (p. 285). Nous y sommes… Dans “Histoire et
décadence”, paru en 1981, Chaunu constate que les bases de la vie sont
désormais atteintes, que la décadence occidentale, partie des Etats-Unis
pour envelopper progressivement la planète entière par cercles
concentriques, avec pour élément perturbateur premier, voire moteur, ce
que Chaunu appelait le “collapsus” de la vie, la réduction
catastrophique des naissances dans la sphère occidentale (Etats-Unis et
Europe, URSS comprise). Pour lui, ce collapsus démographique (qui ne se
mesurera pleinement, annonçait-il, que dans les années 1990-2000), est
un phénomène de “décadence objective” (p. 328). Avec la détérioration de
plus en plus accélérée des systèmes éducatifs, “l’acquis ne passe plus,
le vieillissement [de la population] s’accompagne d’une viscosité qui
empêche l’écoulement de l’acquis” (p. 329).
Du “civis” au zombi
Chaunu était un pessimiste chrétien qui enseignait à la Faculté de Théologie Réformée d’Aix-en-Provence, un protestant proche du catholicisme, un combattant contre l’avortement, qui inscrivait sa démarche dans sa foi (cf. “Histoire et foi – deux mille ans de plaidoyer pour la foi”, 1980). Venner alliait le paganisme immémorial, sans épouser les travers des folkloristes néo-païens, à un stoïcisme qui le fascinait comme le prouvent d’ailleurs de nombreuses pages d’“Histoire et traditions des Européens”. Chaunu et Venner partageaient toutefois la notion de déclin par schizophrénie, amnésie et collapsus démographique. Les années 1990 et la première décennie du 21ème siècle n’ont apporté aucun remède à la maladie, malgré l’espoir, finalement fort mince, de Chaunu: on a titubé de mal en pire, jusqu’aux folies du festivisme, dénoncées par Muray, pour aboutir à la mascarade du “mariage pour tous” qu’un peuple, auparavant indolent, refuse instinctivement aujourd’hui (mais cette révolte durera-t-elle?). On est arrivé au moment fatidique du Kali Yuga, quand tous les phénomènes de déclin s’accélèrent, se succèdent en une sarabande infernale, en un cortège monstreux comme sur les peintures de Hieronymus Bosch, dans les salles du Prado à Madrid: c’est sans nul doute un âge particulièrement horrible pour le “civis” traditionnel qui voit s’évanouir dans la Cité toutes les formes sublimes de “dignitas”, que la “viscosité” du festivisme décadent ne permet plus de transmettre. Le “civis” cède la place au “zombi” (Venner in “Le siècle de 1914”, p. 355).
Chaunu était un pessimiste chrétien qui enseignait à la Faculté de Théologie Réformée d’Aix-en-Provence, un protestant proche du catholicisme, un combattant contre l’avortement, qui inscrivait sa démarche dans sa foi (cf. “Histoire et foi – deux mille ans de plaidoyer pour la foi”, 1980). Venner alliait le paganisme immémorial, sans épouser les travers des folkloristes néo-païens, à un stoïcisme qui le fascinait comme le prouvent d’ailleurs de nombreuses pages d’“Histoire et traditions des Européens”. Chaunu et Venner partageaient toutefois la notion de déclin par schizophrénie, amnésie et collapsus démographique. Les années 1990 et la première décennie du 21ème siècle n’ont apporté aucun remède à la maladie, malgré l’espoir, finalement fort mince, de Chaunu: on a titubé de mal en pire, jusqu’aux folies du festivisme, dénoncées par Muray, pour aboutir à la mascarade du “mariage pour tous” qu’un peuple, auparavant indolent, refuse instinctivement aujourd’hui (mais cette révolte durera-t-elle?). On est arrivé au moment fatidique du Kali Yuga, quand tous les phénomènes de déclin s’accélèrent, se succèdent en une sarabande infernale, en un cortège monstreux comme sur les peintures de Hieronymus Bosch, dans les salles du Prado à Madrid: c’est sans nul doute un âge particulièrement horrible pour le “civis” traditionnel qui voit s’évanouir dans la Cité toutes les formes sublimes de “dignitas”, que la “viscosité” du festivisme décadent ne permet plus de transmettre. Le “civis” cède la place au “zombi” (Venner in “Le siècle de 1914”, p. 355).
On
peut comprendre que cet enlisement hideux ait révulsé Venner: c’en
était trop, pour un esprit combattant, au seuil de sa huitième décennie;
il n’aurait plus eu, à ses propres yeux, la force surhumaine nécessaire
(celle que nous allons tous devoir déployer) pour endiguer dans un
combat quotidien, inlassable et exténuant, le flot de flétrissures
morales qui va encore nous envahir, au risque de nous noyer
définitivement. Il a voulu donner un exemple, le seul qu’il pouvait
encore pleinement donner, et nous allons interpréter ce geste comme il
se doit. Exactement comme Mishima, à coup sûr l’un de ses modèles, il ne
pouvait voir disparaître un monde qui n’a eu d’heures de gloire que
tant que la “dignitas” romaine demeurait, même atténuée et marginalisée,
comme l’écrivain japonais ne pouvait se résoudre à voir sombrer le
Japon traditionnel dans la “culture-distraction” made in Hollywood et
ailleurs aux “States”. Une telle société ne convient ni à un “civis”,
dressé par la haute morale du stoïcisme et de Sénèque, ni à un “coeur
rebelle”, marqué par la lecture d’Ernst Jünger.
Venner, exégète de Jünger
Dans “Ernst Jünger – Un autre destin européen”, Venner nous a légué le livre le plus didactique, le plus clair et le plus sobre, sur l’écrivain allemand, incarnation de l’anarque et ancien combattant des “Stosstruppen”. Cet ouvrage de 2009 s’inscrit dans le cadre d’une véritable renaissance jüngerienne, avec, pour apothéose, le travail extrêmement fouillé de Jan Robert Weber (“Ästhetik der Entschleunigung – Ernst Jüngers Reisetagebücher 1934-1960”) et surtout l’ouvrage chaleureux de Heimo Schwilk (“Ernst Jünger – Ein Jahrhundertleben”), où l’auteur se penche justement sur les linéaments profonds du “nationalisme révolutionnaire” d’Ernst Jünger et de son “anti-bourgeoisisme”, un “anti-bourgeoisisme” qui critique précisément cette humanité qui sort de l’histoire pour s’adonner à des passe-temps stériles comme la spéculation, la distraction sans épaisseur éthique ou civique, le confort matériel, etc., bref ce que Venner appelait, dans “Pour une critique positive”, “la décomposition morbide d’un certain modernisme”, qui “engage l’humanité dans une impasse, dans la pire des régressions”. Les esprits et les forces “kathéchoniques” participent, disait Venner dans “Pour une critique positive”, d’un “humanisme viril”, assurément celui de Brantôme, garant d’un “ordre vivant” (et non pas mortifère comme celui dont Chaunu redoutait l’advenance). Jünger: “Cette engeance [bourgeoise, ndt] n’a pas appris à servir, n’a pas appris à surmonter le porc qu’elle a en son intériorité, à maîtriser son corps et son caractère par une auto-disciple [Zucht] rigoureuse et virile. C’est ainsi qu’advient ce type-mollusque: mou, verbeux, avachi, non fiable, qui fait spontanément horreur au soldat du front” (EJ: in “Der Jungdeutsche”, 27 août 1926). Je ne sais si Venner avait lu cette phrase, issue d’une revue nationale-révolutionnaire du temps de la République de Weimar, que peu de germanistes méticuleux ont retrouvée (pas même Schwilk qui cite une source secondaire); en tout cas, cette “Zucht” permanente, que Jünger appelait de ses voeux, Venner l’a toujours appliquée à lui-même: en cela, il demeurera toujours un modèle impassable.
Dans “Ernst Jünger – Un autre destin européen”, Venner nous a légué le livre le plus didactique, le plus clair et le plus sobre, sur l’écrivain allemand, incarnation de l’anarque et ancien combattant des “Stosstruppen”. Cet ouvrage de 2009 s’inscrit dans le cadre d’une véritable renaissance jüngerienne, avec, pour apothéose, le travail extrêmement fouillé de Jan Robert Weber (“Ästhetik der Entschleunigung – Ernst Jüngers Reisetagebücher 1934-1960”) et surtout l’ouvrage chaleureux de Heimo Schwilk (“Ernst Jünger – Ein Jahrhundertleben”), où l’auteur se penche justement sur les linéaments profonds du “nationalisme révolutionnaire” d’Ernst Jünger et de son “anti-bourgeoisisme”, un “anti-bourgeoisisme” qui critique précisément cette humanité qui sort de l’histoire pour s’adonner à des passe-temps stériles comme la spéculation, la distraction sans épaisseur éthique ou civique, le confort matériel, etc., bref ce que Venner appelait, dans “Pour une critique positive”, “la décomposition morbide d’un certain modernisme”, qui “engage l’humanité dans une impasse, dans la pire des régressions”. Les esprits et les forces “kathéchoniques” participent, disait Venner dans “Pour une critique positive”, d’un “humanisme viril”, assurément celui de Brantôme, garant d’un “ordre vivant” (et non pas mortifère comme celui dont Chaunu redoutait l’advenance). Jünger: “Cette engeance [bourgeoise, ndt] n’a pas appris à servir, n’a pas appris à surmonter le porc qu’elle a en son intériorité, à maîtriser son corps et son caractère par une auto-disciple [Zucht] rigoureuse et virile. C’est ainsi qu’advient ce type-mollusque: mou, verbeux, avachi, non fiable, qui fait spontanément horreur au soldat du front” (EJ: in “Der Jungdeutsche”, 27 août 1926). Je ne sais si Venner avait lu cette phrase, issue d’une revue nationale-révolutionnaire du temps de la République de Weimar, que peu de germanistes méticuleux ont retrouvée (pas même Schwilk qui cite une source secondaire); en tout cas, cette “Zucht” permanente, que Jünger appelait de ses voeux, Venner l’a toujours appliquée à lui-même: en cela, il demeurera toujours un modèle impassable.
J’ai
travaillé récemment sur Moeller van den Bruck et j’aurais voulu
transmettre le texte final (loin d’être achevé) à Venner; je travaille
aussi, à la demande d’un jeune Français —certainement un lecteur de
Venner— sur maints aspects de l’oeuvre de Jünger (et ce jeune doit me
maudire car je ne parviens pas à achever l’entretien en six questions
clefs qu’il m’a fait parvenir il y à a peu près vingt mois… mais
pourquoi irai-je répéter ce que Venner a dit, mieux que ne pourrai
jamais le dire… il faut donc que j’aborde des aspects moins connus, que
je fasse connaître les recherches allemandes récentes sur l’auteur du
“Travailleur”). Le “coeur rebelle”, soit l’attitude propre à l’humanisme
viril qui rejette le type-mollusque et les inauthentiques passe-temps
bourgeois, est aussi le titre du livre-manifeste que Dominique Venner a
fait paraître aux “Belles-Lettres” en 1994. La rébellion de Venner est
naturellement tributaire de celle de Jünger, du moins quand, comme
Jünger, Venner a fait un pas en arrière au début des années 70, a pris,
lui aussi, la posture de l’anarque: fin des années 20, voyant que
l’agitation nationale-révolutionnaire sous la République de Weimar, ne
donne pas les résultats immédiats escomptés, Jünger amorce, en son âme,
le processus de décélération que Jan Robert Weber vient de nous
décortiquer avec toute la minutie voulue. Ce processus de décélération
fait de l’ancien combattant des “Stosstruppen” un voyageur dans des pays
aux paysages encore intacts, aux modes de vie non encore “modernisés”.
Voir l’humanité intacte, voir des humanités non affligés par les tares
du “bourgeoisisme”, telle était la joie, forcément éphémère, que le
Lieutenant Jünger entendait se donner, après être sorti des univers
excitants de la marginalité politique extrémiste. Il poursuivra cette
quête de “non modernité” jusqu’à ses voyages des années 60 en Angola et
en Islande. Venner, lui, après les échecs du MNP (Mouvement Nationaliste
du Progrès) et du REL (Rassemblement Européen pour la Liberté), qui
auraient dû incarner rapidement les principes consignés dans “Pour une
critique positive” et procurer à la France les “mille cadres
révolutionnaires” pour contrôler les “rouages de l’Etat” (but de toute
métapolitique réaliste), s’adonne à la passion des armes et de la
chasse, pour devenir non pas tant l’anarque jüngerien, replié à
Wilflingen et apparemment détaché de toutes les vanités humaines, mais
l’historien méditatif qui publie d’abord des livres ensuite des revues
distribuées partout, capables de provoquer, chez “mille futurs cadres
révolutionnaires” (?), le déclic nécessaire pour qu’ils rejettent à
jamais, sans la moindre tentation, les chimères du système
“cosmocratique”, et qu’ils oeuvrent à sortir l’Europe de sa “dormition”.
Jünger, Mohler et le “Weltstaat”
Heimo Schwilk rappelle toutefois que Jünger, à partir de 1960, année où meurt sa femme Gretha, se détache d’idéaux politiques comme ceux de “grands empires nationaux” ou d’unité européenne: il estime qu’ils ne peuvent plus servir d’utopie concrète, réalisable au terme d’une lutte agonale, avec des hommes encore imbriqués dans l’histoire. C’est l’année de la rédaction de l’ “Etat universel” (“Der Weltstaat”), prélude à ce que Venner appelera la “cosmocratie”. Jünger est pessimiste mais serein, et même prophète. Je cite Schwilk: “Dans l’Etat universel, les victimes des guerres et des guerres civiles, les nivellements par la technique et la science, trouvent, en toute égalité, leur justification finale. Sur le chemin qui y mène, le citoyen-bourgeois moderne est tout entier livré aux forces matérielles et à l’accélération permanente des processus globaux. Avec la disparition des catégories historiques comme la guerre et la paix, la tradition et le limes, la sphère politique entre dans un stade expérimental, où les lois de l’histoire ne peuvent absolument plus revendiquer une quelconque validité – dans ce monde-système, même l’espèce humaine est remise en question. A la place de la libre volonté (du libre arbitre), craint Jünger, nous aurons, en bout de course, l’instinct brut qui consiste à fabriquer des ordres parfaits, comme on en connaît dans le monde animal” (Schwilk, op. cit., p. 486). Cette position jüngerienne de 1960 suscite l’étonnement à gauche, une certaine irritation à droite: le vieux compagnon de route, Armin Mohler, estime que son maître-à-penser a sombré dans l’“inhéroïque”, qu’il abandonne les positions sublimes qu’il a ciselées dans le “Travailleur”, qu’il a composé, à la façon d’un coiffeur, “une permamente pour son oeuvre ad usum democratorum”, qu’il est sorti du “flot du temps” pour s’accomoder de la “démocratie des occupants”. Pour Jünger, il faut regarder le spectacle avec mépris, attendre sereinement la mort, ne pas se faire d’illusions sur une humanité qui marche, heureuse, vers le destin de fourmi qu’on lui concocte.
Heimo Schwilk rappelle toutefois que Jünger, à partir de 1960, année où meurt sa femme Gretha, se détache d’idéaux politiques comme ceux de “grands empires nationaux” ou d’unité européenne: il estime qu’ils ne peuvent plus servir d’utopie concrète, réalisable au terme d’une lutte agonale, avec des hommes encore imbriqués dans l’histoire. C’est l’année de la rédaction de l’ “Etat universel” (“Der Weltstaat”), prélude à ce que Venner appelera la “cosmocratie”. Jünger est pessimiste mais serein, et même prophète. Je cite Schwilk: “Dans l’Etat universel, les victimes des guerres et des guerres civiles, les nivellements par la technique et la science, trouvent, en toute égalité, leur justification finale. Sur le chemin qui y mène, le citoyen-bourgeois moderne est tout entier livré aux forces matérielles et à l’accélération permanente des processus globaux. Avec la disparition des catégories historiques comme la guerre et la paix, la tradition et le limes, la sphère politique entre dans un stade expérimental, où les lois de l’histoire ne peuvent absolument plus revendiquer une quelconque validité – dans ce monde-système, même l’espèce humaine est remise en question. A la place de la libre volonté (du libre arbitre), craint Jünger, nous aurons, en bout de course, l’instinct brut qui consiste à fabriquer des ordres parfaits, comme on en connaît dans le monde animal” (Schwilk, op. cit., p. 486). Cette position jüngerienne de 1960 suscite l’étonnement à gauche, une certaine irritation à droite: le vieux compagnon de route, Armin Mohler, estime que son maître-à-penser a sombré dans l’“inhéroïque”, qu’il abandonne les positions sublimes qu’il a ciselées dans le “Travailleur”, qu’il a composé, à la façon d’un coiffeur, “une permamente pour son oeuvre ad usum democratorum”, qu’il est sorti du “flot du temps” pour s’accomoder de la “démocratie des occupants”. Pour Jünger, il faut regarder le spectacle avec mépris, attendre sereinement la mort, ne pas se faire d’illusions sur une humanité qui marche, heureuse, vers le destin de fourmi qu’on lui concocte.
Fidèle aux valeurs de droiture de son enfance
Venner, qui n’a pas l’extraversion exubérante de Mohler, n’a jamais cessé d’espérer un “réveil de l’Europe”: son geste du 21 mai 2013, d’ailleurs, le prouve. Venner n’a cessé de croire à une élite qui vaincra un jour, fidèle à son passé, capable de rétablir les valeurs européennes nées lors de la “période axiale “ de son histoire. Dans le “post scriptum” du “Siècle de 1914”, qu’il nous faudra méditer, Venner explique qu’il est sorti des “actions partisanes” de sa jeunesse, comme Jünger, pour demeurer “fidèle aux valeurs de droiture de son enfance”, pour plaider uniquement “pour le courage et la lucidité”, tout en se sentant “profondément européen au sens atavique et spirituel du mot”. Venner ne croyait plus aux actions politiques, dans les formes habituelles que proposent les polities occidentales ou, même, les marginalités hyper-activistes de ces sociétés. Il croyait cependant aux témoignages de héros, de militants, de combattants, qui, révélés, pouvaient éveiller, mobiliser les âmes pour sortir des “expérimentations” qui conduisent à l’avénement catamorphique des “zombis de la cosmocratie” ou des “unités de fourmilière”, envisagées par Jünger en 1960, quand Venner était engagé à fond dans le combat pour l’Algérie française.
Venner, qui n’a pas l’extraversion exubérante de Mohler, n’a jamais cessé d’espérer un “réveil de l’Europe”: son geste du 21 mai 2013, d’ailleurs, le prouve. Venner n’a cessé de croire à une élite qui vaincra un jour, fidèle à son passé, capable de rétablir les valeurs européennes nées lors de la “période axiale “ de son histoire. Dans le “post scriptum” du “Siècle de 1914”, qu’il nous faudra méditer, Venner explique qu’il est sorti des “actions partisanes” de sa jeunesse, comme Jünger, pour demeurer “fidèle aux valeurs de droiture de son enfance”, pour plaider uniquement “pour le courage et la lucidité”, tout en se sentant “profondément européen au sens atavique et spirituel du mot”. Venner ne croyait plus aux actions politiques, dans les formes habituelles que proposent les polities occidentales ou, même, les marginalités hyper-activistes de ces sociétés. Il croyait cependant aux témoignages de héros, de militants, de combattants, qui, révélés, pouvaient éveiller, mobiliser les âmes pour sortir des “expérimentations” qui conduisent à l’avénement catamorphique des “zombis de la cosmocratie” ou des “unités de fourmilière”, envisagées par Jünger en 1960, quand Venner était engagé à fond dans le combat pour l’Algérie française.
Mais pour éviter ce destin peu enviable de “fourmis”, homologuées,
homogénéisées dans leur comportement, il faut une “longue mémoire”,
celle que Venner nous esquisse en toute clarté dans “Histoire et
tradition des Européens”. Ce livre a, à mes yeux, une valeur
testamentaire, un peu comme celui, tout aussi important mais différent,
de Pino Rauti (à qui Venner rendait hommage dans la dernière livraison
de 2012 de “La nouvelle revue d’histoire”), intitulé “Le Idee che
mossero il mondo” (= “Les idées qui meuvent le monde”). Rauti nous
décrivait les grande idées qui avait mu le monde, avaient mobilisé et
enthousiasmé les peuples, les avaient extraits de leurs torpeurs, de
leurs dormitions; Venner nous expose les linéaments les plus profonds
d’une éthique européenne altière, romaine, pessimiste, stoïque et
politique. Il nous dit là quelles sont les traditions à méditer, à
intérioriser et à perpétuer. C’est donc un livre à lire et à relire, à
approfondir grâce aux références qu’il fournit, aux pistes qu’il
suggère: c’est dans les legs que Venner expose qu’il faudra recréer des
humanités dans nos écoles, aujourd’hui privées de valeurs fondatrices,
mêmes celles, de plus en plus rares, qui enseignent encore le latin.
Sans doute à son insu, Venner est aux humanités scolaires futures, qui
devront être impérativement transposées dans les curricula des
établissements d’enseignement faute de quoi nous basculerons dans
l’insignifiance totale, ce que fut jadis Jérôme Carcopino pour les
latinistes.
C’est lors d’une présentation de cet ouvrage, peu après sa sortie de
presse, que j’ai vu Venner pour la seconde et la dernière fois, en avril
2002. C’était à “La Muette”, dans le 16ème arrondissement de Paris, à
l’initiative d’un autre personnage irremplaçable dont nous sommes
orphelins: Jean Parvulesco, mort en novembre 2010. “Histoire et
tradition des Européens – 30.000 ans d’identité” est un livre qui nous
rappelle fort opportunément que nos sources “ont été brouillées”, que
nous devons forcément nous efforcer d’aller au-delà de ce brouillage,
que le retour à ces sources, à cette tradition, ne peut s’opérer par le
biais d’un “traditionisme”, soit par une répétition stérile et
a-historique de schémas figés, faisant miroiter un âge d’or
définitivement révolu et condamnant l’histoire réelle des peuples comme
une succession d’événements chaotiques dépourvus de sens. Pour Venner,
les racines immémoriales de l’Europe se situent dans la proto-histoire,
dans “l’histoire avant l’histoire”, dans une vaste époque aujourd’hui
étudiée dans tous les pays du “monde boréal” mais dont les implications
sont boudées en France, où quelques “vigilants”, appartenant au club des
“discoureurs sur les droits de l’homme” ou des “Pangloss de la
rhétorique nombrilique” (dixit Cornelius Castoriadis), barrent la route
aux savoirs historiques nouveaux, sous prétexte qu’ils ressusciteraient
une certaine horreur. Les racines de l’Europe sont grecques-homériques,
romaines, arthuriennes. Elles englobent l’amour courtois, où la polarité
du masculin et du féminin sont bien mises en exergue, où Mars et Vénus
s’enlacent. Nous verrons comment la revalorisation du féminin dans notre
imaginaire et dans nos traditions est un élément cardinal de la vision
d’Europe de Venner.
“Le siècle de 1914”
“Le siècle de 1914” commence par déplorer la disparition d’un “monde d’avant”, où les linéaments exposés dans “Histoire et tradition des Européens” étaient encore vivants, notamment dans l’espace de la monarchie austro-hongroise. S’ensuit une critique serrée, mais non incantatoire comme celle des “vigilants”, du bolchevisme, du fascisme italien et du national-socialisme hitlérien: une critique bien plus incisive que les proclamations, déclamations, incantations, vitupérations des anti-fascistes auto-proclamées qui hurlent leurs schémas et leurs bricolages à qui mieux mieux et sans interruption depuis septante ans, depuis que le loup a été tué. Cette critique lucide, sobre, équilibrée et dépourvue d’hystérie est récurrente —il faut le rappeler— depuis “Pour une critique positive”; elle est suivie d’une apologie retenue mais irréfutable de la figure de l’idéaliste espagnol José Antonio Primo de Rivera, dont les idées généreuses et pures se seraient, dit Venner, fracassées contre “le granit du pragmatisme”. La mort tragique et précoce de ce jeune avocat l’a préservé de “toute souillure”: il reste un modèle pour ceux qui veulent et qui voudront nettoyer la Cité de ses corruptions.
“Le siècle de 1914” commence par déplorer la disparition d’un “monde d’avant”, où les linéaments exposés dans “Histoire et tradition des Européens” étaient encore vivants, notamment dans l’espace de la monarchie austro-hongroise. S’ensuit une critique serrée, mais non incantatoire comme celle des “vigilants”, du bolchevisme, du fascisme italien et du national-socialisme hitlérien: une critique bien plus incisive que les proclamations, déclamations, incantations, vitupérations des anti-fascistes auto-proclamées qui hurlent leurs schémas et leurs bricolages à qui mieux mieux et sans interruption depuis septante ans, depuis que le loup a été tué. Cette critique lucide, sobre, équilibrée et dépourvue d’hystérie est récurrente —il faut le rappeler— depuis “Pour une critique positive”; elle est suivie d’une apologie retenue mais irréfutable de la figure de l’idéaliste espagnol José Antonio Primo de Rivera, dont les idées généreuses et pures se seraient, dit Venner, fracassées contre “le granit du pragmatisme”. La mort tragique et précoce de ce jeune avocat l’a préservé de “toute souillure”: il reste un modèle pour ceux qui veulent et qui voudront nettoyer la Cité de ses corruptions.
Un différentialisme dérivé de Claude Lévi-Strauss
Le portrait de “l’Europe en dormition”, proposée par Venner dans le dixième et dernier chapitre du “Siècle de 1914” est un appel à l’action: il énumère, avec la clarté des moralistes français du “Grand Siècle”, tant admirés par Nietzsche, les travers de l’Europe sous la tutelle des Etats-Unis, du libéralisme déchaîné (surtout depuis la disparition du Rideau de Fer), des oligarchies liées à la “Super-classe”. Venner se réfère à Heidegger, pour la critique du technocratisme propre aux matérialismes communiste et libéral, et justifie son “différentialisme”, son “ethno-différentialisme”, en se référant à la seule source valable pour étayer une telle option politico-philosophique: l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss. Nous mesurons, en lisant ces lignes de Venner, toute la perfidie et la mauvaise foi des critiques ineptes, prononcées par les “Vigilants” à l’encontre de cet aspect particulier du discours des “nouvelles droites”, qui n’a jamais puisé dans le corpus hitlérien —que Venner soumet, pour son racisme et son antisémitisme, à une critique dépourvue de toute ambigüité— mais chez ce philosophe et ethnologue d’origine israélite, qui mettait très bien en exergue les limites de la pensée progressiste. Venner rappelait aussi la trajectoire très personnelle de Victor Segalen (1878-1919), explorateur des “exotismes” qui avait écrit: “Ne nous flattons pas d’assimiler les moeurs, les races, les nations, les autres; mais au contraire réjouissons-nous de ne le pouvoir jamais” (cité par Venner, p. 389). Apparemmant, la triste “intellectuelle” du misérable club des “Vigilants”, qui a agité, sur internet, dans un essai aux allures soi-disant “savantes” mais à la “sagacité” plus que bancale, le spectre d’un Venner “rénovateur du racisme” dans les jours qui ont immédiatement suivi son suicide n’a jamais lu ce deuxième ouvrage testamentaire de Venner, “Le siècle de 1914”. Venner, et nous tous, avons des adversaires qui ne nous lisent pas, qui affirment péremptoirement leurs lubies, avec la complicité d’un pouvoir aux abois et de ses nouvelles militantes stipendiées, les “femens”.
Le portrait de “l’Europe en dormition”, proposée par Venner dans le dixième et dernier chapitre du “Siècle de 1914” est un appel à l’action: il énumère, avec la clarté des moralistes français du “Grand Siècle”, tant admirés par Nietzsche, les travers de l’Europe sous la tutelle des Etats-Unis, du libéralisme déchaîné (surtout depuis la disparition du Rideau de Fer), des oligarchies liées à la “Super-classe”. Venner se réfère à Heidegger, pour la critique du technocratisme propre aux matérialismes communiste et libéral, et justifie son “différentialisme”, son “ethno-différentialisme”, en se référant à la seule source valable pour étayer une telle option politico-philosophique: l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss. Nous mesurons, en lisant ces lignes de Venner, toute la perfidie et la mauvaise foi des critiques ineptes, prononcées par les “Vigilants” à l’encontre de cet aspect particulier du discours des “nouvelles droites”, qui n’a jamais puisé dans le corpus hitlérien —que Venner soumet, pour son racisme et son antisémitisme, à une critique dépourvue de toute ambigüité— mais chez ce philosophe et ethnologue d’origine israélite, qui mettait très bien en exergue les limites de la pensée progressiste. Venner rappelait aussi la trajectoire très personnelle de Victor Segalen (1878-1919), explorateur des “exotismes” qui avait écrit: “Ne nous flattons pas d’assimiler les moeurs, les races, les nations, les autres; mais au contraire réjouissons-nous de ne le pouvoir jamais” (cité par Venner, p. 389). Apparemmant, la triste “intellectuelle” du misérable club des “Vigilants”, qui a agité, sur internet, dans un essai aux allures soi-disant “savantes” mais à la “sagacité” plus que bancale, le spectre d’un Venner “rénovateur du racisme” dans les jours qui ont immédiatement suivi son suicide n’a jamais lu ce deuxième ouvrage testamentaire de Venner, “Le siècle de 1914”. Venner, et nous tous, avons des adversaires qui ne nous lisent pas, qui affirment péremptoirement leurs lubies, avec la complicité d’un pouvoir aux abois et de ses nouvelles militantes stipendiées, les “femens”.
La quintessence d’“Histoire et tradition des Européens” et du “Siècle
de 1914” paraissait et transparaissait dans les éditoriaux des revues
historiques de Venner, que traduisait, avec diligence, dévouement et
respect, l’ami américain Greg Johnson, permettant au monde entier de
lire le futur suicidé de Notre-Dame dans la “koiné” globale, dont il
maîtrise avec une belle élégance toutes les nuances, très éloignées du
sabir “basic” qui sert de lingua franca à tous les technocrates de la
planète. Venner a trouvé le traducteur qu’il mérite et l’éditeur qui,
j’espère, compilera bientôt les meilleures traductions de ses éditoriaux
en un volume.
21 mai 2013
Reste à tenter d’expliquer le geste de Dominique Venner en cet après-midi du 21 mai 2013. A mon retour du boulot, où une “Vigilante” particulièrement bête venait de monter une cabale contre moi, et après un bref détour à la librairie italienne du Quartier Schuman (où je devais me trouver quand Venner a appuyé sur la détente de son pistolet de Herstal, lieu d’origine des Pippinides), j’apprends en ouvrant mon ordinateur le suicide de Dominique Venner devant le maître-autel de Notre-Dame de Paris. Je ne vais pas cacher, ici, que j’étais d’abord très perplexe. Mais non étonné. Je connaissais les lignes de Venner sur les stoïques, qui quittent la vie sans regret quand ils ne peuvent plus oeuvrer dans la “dignitas” qu’ils se sont imposée, quand ils ne peuvent plus servir l’Empire comme ils le voudraient. Je savais aussi Venner guetté par la maladie: un de ses éditoriaux récents l’évoquait. Certaines photos trahissaient la présence sournoise d’une pathologie tenace. Ma perplexité était suscitée par le lieu: pourquoi Notre-Dame, pourquoi le choeur de la Cathédrale de Paris? Pourquoi pas Chartres, Château-Gaillard, Montségur? Dans sa dernière lettre, Venner écrivait: “C’est un endroit que j’admire et que je respecte”. Ces mots voilaient évidemment un sens précis. Notre-Dame est construite sur le site d’un temple romain de Lutèce, temple probablement bâti sur un sanctuaire gaulois antérieur. C’est donc là, dans la sacralité celtique la plus ancienne du lieu où Venner a vu le jour en 1935, que devait résider l’énigme. J’ai réfléchi et me suis rappelé d’un ouvrage de la série des “Voyages d’Alix” de Jacques Martin et de son collaborateur Vincent Henin, consacré à la Lutèce romaine. Aux pages 52 et 53 de cet ouvrage destiné principalement aux amoureux de la culture classique et aux latinistes —Martin a pris le relais, en quelque sorte, de Jérôme Carcopino en pubiant cette admirable série chez Casterman— nous trouvons quatre illustrations du “Pilier des Nautes”, une pour chacun de ses côtés. Martin et Henin rappellent que ce “Pilier des Nautes” a été découvert en 1711, exactement sous le choeur de Notre-Dame. Probablement surmonté d’une statue de Jupiter impérial, cette colonne montrait sur sa face antérieure le dieu celtique Cernunnos, Iovis (= Jupiter) et un couple divin, Mars et Minerve (ou la déesse celtique Boudana). Sur les autres faces, on trouve des représentations de Smertios, Esus, Tarvos Trigaranus (le taureau flanqué de trois grues), Castor, Pollux et Vulcain, de même qu’un autre couple divin, Mercure et Rosmerta, puis, à la base, des divinités féminines: Junon, Fortuna, Vénus et une figure mythologique non identifiée. C’est évidemment la présence, au-dessus de Iovis, de Cernunnos qui m’interpelle.
Reste à tenter d’expliquer le geste de Dominique Venner en cet après-midi du 21 mai 2013. A mon retour du boulot, où une “Vigilante” particulièrement bête venait de monter une cabale contre moi, et après un bref détour à la librairie italienne du Quartier Schuman (où je devais me trouver quand Venner a appuyé sur la détente de son pistolet de Herstal, lieu d’origine des Pippinides), j’apprends en ouvrant mon ordinateur le suicide de Dominique Venner devant le maître-autel de Notre-Dame de Paris. Je ne vais pas cacher, ici, que j’étais d’abord très perplexe. Mais non étonné. Je connaissais les lignes de Venner sur les stoïques, qui quittent la vie sans regret quand ils ne peuvent plus oeuvrer dans la “dignitas” qu’ils se sont imposée, quand ils ne peuvent plus servir l’Empire comme ils le voudraient. Je savais aussi Venner guetté par la maladie: un de ses éditoriaux récents l’évoquait. Certaines photos trahissaient la présence sournoise d’une pathologie tenace. Ma perplexité était suscitée par le lieu: pourquoi Notre-Dame, pourquoi le choeur de la Cathédrale de Paris? Pourquoi pas Chartres, Château-Gaillard, Montségur? Dans sa dernière lettre, Venner écrivait: “C’est un endroit que j’admire et que je respecte”. Ces mots voilaient évidemment un sens précis. Notre-Dame est construite sur le site d’un temple romain de Lutèce, temple probablement bâti sur un sanctuaire gaulois antérieur. C’est donc là, dans la sacralité celtique la plus ancienne du lieu où Venner a vu le jour en 1935, que devait résider l’énigme. J’ai réfléchi et me suis rappelé d’un ouvrage de la série des “Voyages d’Alix” de Jacques Martin et de son collaborateur Vincent Henin, consacré à la Lutèce romaine. Aux pages 52 et 53 de cet ouvrage destiné principalement aux amoureux de la culture classique et aux latinistes —Martin a pris le relais, en quelque sorte, de Jérôme Carcopino en pubiant cette admirable série chez Casterman— nous trouvons quatre illustrations du “Pilier des Nautes”, une pour chacun de ses côtés. Martin et Henin rappellent que ce “Pilier des Nautes” a été découvert en 1711, exactement sous le choeur de Notre-Dame. Probablement surmonté d’une statue de Jupiter impérial, cette colonne montrait sur sa face antérieure le dieu celtique Cernunnos, Iovis (= Jupiter) et un couple divin, Mars et Minerve (ou la déesse celtique Boudana). Sur les autres faces, on trouve des représentations de Smertios, Esus, Tarvos Trigaranus (le taureau flanqué de trois grues), Castor, Pollux et Vulcain, de même qu’un autre couple divin, Mercure et Rosmerta, puis, à la base, des divinités féminines: Junon, Fortuna, Vénus et une figure mythologique non identifiée. C’est évidemment la présence, au-dessus de Iovis, de Cernunnos qui m’interpelle.
Cernunnos, dieu à ramure de cervidé
Dans leur magnifique lexique de mythologie celtique, Sylvia et Paul F. Botheroyd mettent fort bien en évidence l’importance de Cernunnos, le dieu à la ramure de cervidé. On sait que Venner vouait un culte discret au Cerf et ornait la page d’accueil de son blog d’une belle image-silhouette de grand cerf. On sait aussi le grand intérêt que portait Venner à la vénerie. Cernunnos est un dieu campé comme celtique mais, disent Sylvia et Paul F. Botheroyd, on en trouve des représentations de l’Irlande à la Roumanie, toujours affublé d’une ramure et d’une torque et accompagné de serpents. Il est donc un dieu ancien de la très vieille Europe proto-historique. On l’appelle aussi le “dieu cornu” mais si “ker” est un terme indo-européen pour désigner les cornes animales, il désigne aussi les forces vitales, celles de la croissance. Il agit d’un lieu souterrain, d’un autre monde enfoui dans la Terre-Mère: il y accueille les morts et, chaque fois qu’un défunt se présente, Cernunnos libère de l’énergie vitale avec l’aide de la Déesse-Mère et lui donne une nouvelle forme. Il est aussi le dieu qui fait monter la sève dans les plantes, qui incite la volonté de reproduction des êtres. Il est donc un dieu de la Vie au sens le plus large. Une gravure rupestre du Val Camonica en Italie alpine représente le “Cornu” avec un sexe en forme de long serpent qui unit ce dieu dispensateur de Vie à la Déesse-Mère: il unit donc principe masculin et principe féminin, comme le bas du “Pilier des Nautes” représente, lui aussi, des couples divins. Le Cernunnos de Val Camonica, et tous les dieux cornus de la très vieille Europe, symbolise l’éternelle victoire de la Vie sur la mort. Il est, écrit Yann Brekilien dans “La mythologie celtique” (Jean Picollec, 1981), “l’époux de la Déesse-Mère, le principe masculin fécondant, le Verbe créateur” (p. 97). Mais, toujours pour Brekilien, “la matière trahit la force spirituelle qui l’a fécondée et se soumet à la destruction, jusqu’à ce que recommence le cycle” (ibid.). En tant que force spirituelle, Cernunnos est un “dieu de nature ignée” (cf. Myriam Philibert, “De Karnunos au roi Arthur”, Ed. du Rocher, 2007). Alliance donc du feu sacré, de l’esprit, du monde souterrain où se recrée la Vie, épousailles permanentes avec la Terre Mère: telle est la sacralité profonde du sol sous le choeur de Notre-Dame de Paris, où se dressait, dès le règne de l’Empereur Tibère, le “Pilier des Nautes”. Pour Venner, c’était là, et là seul pour un natif de Paris, qu’il fallait aller offrir sa vie, son enveloppe charnelle, pour que le principe vital de Cernunnos la transforme en nouvelle énergie, plus puissante encore.
Dans leur magnifique lexique de mythologie celtique, Sylvia et Paul F. Botheroyd mettent fort bien en évidence l’importance de Cernunnos, le dieu à la ramure de cervidé. On sait que Venner vouait un culte discret au Cerf et ornait la page d’accueil de son blog d’une belle image-silhouette de grand cerf. On sait aussi le grand intérêt que portait Venner à la vénerie. Cernunnos est un dieu campé comme celtique mais, disent Sylvia et Paul F. Botheroyd, on en trouve des représentations de l’Irlande à la Roumanie, toujours affublé d’une ramure et d’une torque et accompagné de serpents. Il est donc un dieu ancien de la très vieille Europe proto-historique. On l’appelle aussi le “dieu cornu” mais si “ker” est un terme indo-européen pour désigner les cornes animales, il désigne aussi les forces vitales, celles de la croissance. Il agit d’un lieu souterrain, d’un autre monde enfoui dans la Terre-Mère: il y accueille les morts et, chaque fois qu’un défunt se présente, Cernunnos libère de l’énergie vitale avec l’aide de la Déesse-Mère et lui donne une nouvelle forme. Il est aussi le dieu qui fait monter la sève dans les plantes, qui incite la volonté de reproduction des êtres. Il est donc un dieu de la Vie au sens le plus large. Une gravure rupestre du Val Camonica en Italie alpine représente le “Cornu” avec un sexe en forme de long serpent qui unit ce dieu dispensateur de Vie à la Déesse-Mère: il unit donc principe masculin et principe féminin, comme le bas du “Pilier des Nautes” représente, lui aussi, des couples divins. Le Cernunnos de Val Camonica, et tous les dieux cornus de la très vieille Europe, symbolise l’éternelle victoire de la Vie sur la mort. Il est, écrit Yann Brekilien dans “La mythologie celtique” (Jean Picollec, 1981), “l’époux de la Déesse-Mère, le principe masculin fécondant, le Verbe créateur” (p. 97). Mais, toujours pour Brekilien, “la matière trahit la force spirituelle qui l’a fécondée et se soumet à la destruction, jusqu’à ce que recommence le cycle” (ibid.). En tant que force spirituelle, Cernunnos est un “dieu de nature ignée” (cf. Myriam Philibert, “De Karnunos au roi Arthur”, Ed. du Rocher, 2007). Alliance donc du feu sacré, de l’esprit, du monde souterrain où se recrée la Vie, épousailles permanentes avec la Terre Mère: telle est la sacralité profonde du sol sous le choeur de Notre-Dame de Paris, où se dressait, dès le règne de l’Empereur Tibère, le “Pilier des Nautes”. Pour Venner, c’était là, et là seul pour un natif de Paris, qu’il fallait aller offrir sa vie, son enveloppe charnelle, pour que le principe vital de Cernunnos la transforme en nouvelle énergie, plus puissante encore.
Montée de l’insignifiance
Au moment où la France du Président Hollande enfreint les règles traditionnelles du mariage, édictées par l’Empereur Auguste sur base des vieilles traditions romaines, les bases du “Pilier des Nautes”, avec ses couples divins hétérosexuels, étaient ébranlées. La Cité frappée à la base même de ses facultés reproductrices, engendrant potentillement un “collapsus démographique” (Chaunu) plus accéléré et plus nocif que jamais… Sur fond d’une trivialité sociale en apparence sans remède: ce n’est pas seulement une idée ancrée dans la “droite” où l’on fourre un peu vite Dominique Venner, quand on l’évoque dans les salons des terribles simplificateurs. Constatons le même refus et le même dégoût chez des auteurs contemporains de la publication de “Coeur rebelle” (1994). Cornelius Castoriadis a fustigé la “montée de l’insignifiance”: “il ne peut pas y avoir d’‘autonomie’ individuelle s’il n’y a pas d’autonomie collective, ni de ‘création de sens’ pour sa vie par chaque individu qui ne s’inscrive dans le cadre d’une création collective de significations. Et c’est l’infinie platitude de ces significations dans l’Occident contemporain qui conditionne son incapacité d’exercer une influence” (“La montée de l’insignifiance”, Seuil-Points, n°565, 1996). Langage qui revendique le retour des identités collectives, tout simplement sans citer le terme “identité”. Gilles Châtelet est encore plus virulent dans les critiques qu’il consigne dans “Vivre et penser comme des porcs” (Folio-Actuel, n°73, 1998). Jacques Ellul fustige la transformation du politique en illusion, où “le peuple ne contrôle plus rien que des hommes politiques sans pouvoir réel” (”L’illusion politique”, La Table Ronde, 2004, 3ème éd.).
Au moment où la France du Président Hollande enfreint les règles traditionnelles du mariage, édictées par l’Empereur Auguste sur base des vieilles traditions romaines, les bases du “Pilier des Nautes”, avec ses couples divins hétérosexuels, étaient ébranlées. La Cité frappée à la base même de ses facultés reproductrices, engendrant potentillement un “collapsus démographique” (Chaunu) plus accéléré et plus nocif que jamais… Sur fond d’une trivialité sociale en apparence sans remède: ce n’est pas seulement une idée ancrée dans la “droite” où l’on fourre un peu vite Dominique Venner, quand on l’évoque dans les salons des terribles simplificateurs. Constatons le même refus et le même dégoût chez des auteurs contemporains de la publication de “Coeur rebelle” (1994). Cornelius Castoriadis a fustigé la “montée de l’insignifiance”: “il ne peut pas y avoir d’‘autonomie’ individuelle s’il n’y a pas d’autonomie collective, ni de ‘création de sens’ pour sa vie par chaque individu qui ne s’inscrive dans le cadre d’une création collective de significations. Et c’est l’infinie platitude de ces significations dans l’Occident contemporain qui conditionne son incapacité d’exercer une influence” (“La montée de l’insignifiance”, Seuil-Points, n°565, 1996). Langage qui revendique le retour des identités collectives, tout simplement sans citer le terme “identité”. Gilles Châtelet est encore plus virulent dans les critiques qu’il consigne dans “Vivre et penser comme des porcs” (Folio-Actuel, n°73, 1998). Jacques Ellul fustige la transformation du politique en illusion, où “le peuple ne contrôle plus rien que des hommes politiques sans pouvoir réel” (”L’illusion politique”, La Table Ronde, 2004, 3ème éd.).
Au-delà
des étiquettes de droite ou de gauche, Venner —comme d’autres,
innombrables, mais non élèves respectueux de Sénèque et des stoïques—
constate l’enlisement général de nos sociétés, affligées de cette
viscosité qui empêche toute transmission (Chaunu). Il n’est plus
possible de vivre selon les règles et les rites de la “dignitas”
romaine. Mais Venner, déçu jusqu’aux tréfonds de son âme, n’est pas un
fataliste: il offre à Cernunnos sa vie pour qu’il insuffle une charge
vitale plus forte encore que la sienne dans ce magma poisseux, en
espérant qu’un cycle nouveau s’enclenche. Ce cycle, ce sont ses
lecteurs, ses élèves qui devront l’animer avec la même constance et la
même fidélité que lui.
La disparition de Venner est une disparition de plus pour nous. La
génération fondatrice disparaît: celle du “grand refus” dans l’Europe
qui a chaviré dans l’indolence et le consumérisme. Son heure est venue.
Venner, homme libre, n’a fait que devancer la Grande Faucheuse, qui a
emporté Mohler, Tommissen, Dun, Rauti, Mabire, Schrenck-Notzing,
Kaltenbrunner, Parvulesco, Thiriart, Locchi, Romualdi, Fernandez de la
Mora, Willms, Eemans, Bowden (à 49 ans seulement!), Valla, Debay,
Varenne, Freund, et bien d’autres… La première tâche est de faire lire
les livres dont j’ai tenté, vaille que vaille, d’esquisser l’essentiel
dans cet hommage à Venner. Ensuite, il me paraît impératif de sauver à
tout prix “La Nouvelle revue d’histoire”. En mars 2006, nous avions
perdu un guide précieux, un excellent professeur de lettres, en la
personne de Jean Mabire: nul, à mon immense regret, n’a pu reprendre le
travail hebdomadaire du lansquenet normand, celui de fabriquer une fiche
synthétique sur un écrivain oublié et important. Qui reprendra “La
Nouvelle revue d’histoire”? Philippe Conrad, le plus apte à en perpétuer
l’esprit ? Quel que soit l’officier qui prendra le poste de Venner, à la
proue du meilleur navire de la mouvance, je lui souhaite le meilleur
vent, longue course.
J’écoutais, à côté d’Yvan Blot, la fille de Jean van der Taelen
prononcer quelques paroles lors des obsèques de son père à l’Abbaye de
la Cambre à Ixelles: elle nous demandait de lui parler comme s’il était
dans la pièce d’à côté, séparé seulement par une maigre cloison, de lui
poser les questions qu’on lui aurait posées de son vivant. Pour Venner,
je dirai ceci, dans le même esprit, et je souhaite que tous les amis
fassent de même; quand j’écrirai une phrase sur un thème cher à Venner,
sur une position que je prendrai, sur une innovation sur l’échiquier
international, je lui poserai la question: “Qu’en pensez-vous?”. De même
qu’en penseraient Locchi, Mohler, Schrenck-Notzing, Mabire, etc.?
Meilleure façon d’assurer l’immortalité de nos défunts.
Robert Steuckers http://robertsteuckers.blogspot.fr/
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