mardi 25 juin 2013

Les papes face à la persécution anticatholique au XIXème siècle

De telles histoires sont excellentes pour exaspérer les imbéciles et rafraîchir l’imagination des bons chrétiens.
Léon Bloy
J’ai déjà indiqué que Swift recense la destruction du christianisme en Angleterre au début du XVIIIe siècle. Montesquieu écrit ensuite dans ses lettres moins persanes qu’anglaises que le pape est « une vieille idole que l’on encense par habitude ». Puis il y eut la révolution française et son invraisemblable et systématique caractère antichrétien.
Le dix-neuvième siècle semble plus paisible. Mais les papes au XIXe siècle ont pourtant subi toutes les avanies ; dans un monde déjà positiviste, laïque, agressif, tourné vers le matériel et les manipulations, ils n’ont eu de cesse de défendre la Foi et leur autorité, mais aussi les Etats de la papauté, menacés par l’inquiétant Etat italien qui les a dépourvus de tout en plusieurs fois. Cet Etat italien profitera de la défaite de Napoléon III pour détruire ce qui restait des Etats de l’Eglise. Napoléon III et son idiosyncrasie avaient réussi l’exploit bonapartiste d’être à la fois du côté des agresseurs, en aidant Cavour et le Piémont, et des agressés... Les émeutes, les rebellions, grossièrement et surtout inutilement violentes, toutes fabriquées ou manipulées, ont créé de façon récurrente des situations extrêmement douloureuses. Deux grands papes ont bien écrit à ce sujet, comme s’ils cherchaient à nous consoler par avance des épreuves que nous traversons. Il s’agit de Pie IX, que j’ai déjà cité, et de Grégoire XVI.
Ce dernier écrit dans une encyclique célèbre, Mirari Vos, en 1832 :
« A ce motif de silence, s’en joignit un nouveau : l’insolence des factieux qui s’efforcèrent de lever une seconde fois l’étendard de la rébellion. A la vue de tant d’opiniâtreté de leur part en considérant que leur fureur sauvage, loin de s’adoucir, semblait plutôt s’aigrir et s’accroître par une trop longue impunité et par les témoignages de notre paternelle indulgence, nous avons dû enfin, quoique l’âme navrée de douleur, faire usage de l’autorité qui nous a été confiée par Dieu, les arrêter la verge à la main (I Cor. IV,21), et depuis, comme vous pouvez bien conjecturer, notre sollicitude et nos fatigues n’ont fait qu’augmenter de jour en jour. »
Au début de son texte, le Saint-Père est même très ému ; Grégoire décrit une espèce de fin des Temps, de chaos organisé et généralisé ; on est déjà en mai 68, avec le sang en plus des violences révolutionnaires de l’époque, qui ne s’éteindront qu’avec la fin du nazisme et les agonies du communisme. C’est le monde moderne en plein :
« Nous pouvons dire en toute vérité, c’est maintenant l’heure accordée à la puissance des ténèbres pour cribler, comme le froment, les enfants d’élection (LUC. XXII,53). "La terre est vraiment dans le deuil ; elle se dissout, infectée par ses habitants ; ils ont en effet transgressé les lois, changé la justice et rompu le pacte éternel" (ISAI. XXIV,5). Nous vous parlons, vénérables Frères, de maux que vous voyez de vos yeux, et sur lesquels par conséquent nous versons des larmes communes. La perversité, la science sans pudeur, la licence sans frein s’agitent pleines d’ardeur et d’insolence ; la sainteté des mystères n’excite plus que le mépris, et la majesté du culte divin, si nécessaire à la foi et si salutaire aux hommes, est devenue, pour les esprits pervers, un objet de blâme, de profanation, de dérision sacrilège. »
Soixante millions de morts, des décennies de dictature, aujourd’hui une piteuse chute de la civilisation continentale, ce sera le prix à payer pour la société postchrétienne en Europe. L’expression très belle de dérision sacrilège annonce bien la culture actuelle libérale-libertaire : on est dans les temps sans foi et de l’éclat de rire. Grégoire XVI fait même une pudique allusion au mariage des prêtres que l’on exige déjà entre froncements de sourcils et deux éclats de rire :
« De là, la sainte doctrine altérée et les erreurs de toute espèce semées partout avec scandale. Les rites sacrés, les droits, les institutions de l’Eglise, ce que sa discipline a de plus saint, rien n’est plus à l’abri de l’audace des langues d’iniquité. On persécute cruellement notre Chaire de Rome, ce Siège du bienheureux Pierre sur lequel le Christ a posé le fondement de son Eglise ; et les liens de l’unité sont chaque jour affaiblis de plus en plus, ou rompus avec violence. La divine autorité de l’Eglise est attaquée ; on lui arrache ses droits ; on la juge d’après des considérations toutes terrestres, et à force d’injustice, on la dévoue au mépris des peuples, on la réduit à une servitude honteuse. L’obéissance due aux évêques est détruite et leurs droits sont foulés aux pieds. »
Grégoire fait ensuite allusion à l’enseignement et à toutes les formes modernes de subversion éducative. Et il écrit sur ces sociétés conspiratrices qui corrompent la jeunesse, ou lui apprennent avec la théorie du genre qu’elle n’a plus à être déterminée :
« On entend retentir les académies et les universités d’opinions nouvelles et monstrueuses ; ce n’est plus en secret ni sourdement qu’elles attaquent la foi catholique ; c’est une guerre horrible et impie qu’elles lui déclarent publiquement et à découvert. Or dès que les leçons et les examens des maîtres pervertissent ainsi la jeunesse, les désastres de la religion prennent un accroissement immense, et la plus effrayante immoralité gagne et s’étend. Aussi, une fois rejetés les liens sacrés de la religion, qui seuls conservent les royaumes et maintiennent la force et la vigueur de l’autorité, on voit l’ordre public disparaître, l’autorité malade, et toute puissance légitime menacée d’une révolution toujours plus prochaine. Abîme de malheurs sans fonds, qu’ont surtout creusé ces sociétés conspiratrices dans lesquelles les hérésies et les sectes ont, pour ainsi dire, vomi comme dans une espèce de sentine, tout ce qu’il y a dans leur sein de licence, de sacrilège et de blasphème. »
Comme on voit, rien de nouveau sous le soleil, sinon un désir éternel et permanent de poursuivre et de persécuter, chez l’Adversaire, ce qui relève de la Divinité et de l’Autorité sacrée, mais aussi des droits les plus ordinaires.
***
Je laisse le grand et méconnu Grégoire XVI et termine en citant à nouveau Pie IX, ce héros de mon enfance (il a toujours dit non !), et son encyclique Etsi Multa. Je le fais en italien, car le Saint-Père écrit superbement cette langue, et que je suis fatigué de la mienne ; je traduis juste en français les mots moins compréhensibles pour donner au lecteur le loisir la prose du Saint-Siège. Ici le pape est épuisé par ses épreuves et il vient - et il l’écrit - à préférer la fin de ses jours à la vie dans l’affrontement avec l’increvable et modernité harcelante :
« Benché fin dagli stessi inizi (bien que dès le début) del Nostro lungo Pontificato abbiamo dovuto subire sofferenze e lutti, di cui Noi abbiamo trattato nelle encicliche a Voi spesso (souvent) inviate ; tuttavia in questi ultimi anni la mole (la quantité) delle miserie è venuta crescendo in maniera tale che quasi ne saremmo schiacciati (écrasés), se non Ci sostenesse la benignità divina. »
C’est ici qu’il dit préférer la mort à l’écoeurant affrontement avec les frères et les vénérables des loges et autres parlements dits libéraux :
« Anzi, le cose sono ora giunte a tal punto che la stessa morte sembra preferibile ad una vita sbattuta da tante tempeste, e spesso con gli occhi levati al cielo siamo costretti ad esclamare: "E meglio per Noi il morire, che vedere lo sterminio delle cose sante" (1Mac 3,59). »
Pie IX écrit ce merveilleux texte après la prise traîtresse de Rome, jusque là empêchée par les chevau-légers et les troupes chrétiennes françaises demeurées fidèles à la papauté. Voici comment il décrit cette prise :
« Certamente da quando questa Nostra nobile Città, per volere di Dio, fu presa con la forza delle armi, e assoggettata al governo di uomini che calpestano (piétinent) il diritto, e sono nemici (ennemis) della religione, per i quali non esiste distinzione alcuna fra le cose divine ed umane, non è trascorso quasi giorno alcuno, che al nostro cuore, già piagato (mortifié) per le ripetute offese e violenze, non s’infliggesse una nuova ferita (blessure). »
Ici le pape pleure le sort des religieux expulsés, hommes et vierges :
« Risuonano tuttora alle nostre orecchie i lamenti ed i gemiti degli uomini e delle vergini appartenenti a famiglie religiose che, cacciati dalle loro case e ridotti in povertà, vengono perseguitati e dispersi, come suole accadere (se passer) dovunque (partout où) domina quella fazione, la quale tende a sovvertire l’ordine sociale. »
Quella fazione... cette faction, écrit le Saint-Père, prend divers noms : les sectes maçonniques, les machinations, la synagogue de Satan. En utilisant ce verbe enflammé, le pape se préparait aussi à être fortement contesté par la science historique contemporaine, si objective et scientifique (le pape c’est Hitler, etc.), celle qui criminalisera à la suite de l’impayable Jules Isaac l’histoire de la pensée chrétienne, pères de l’Eglise et évangélistes compris..
Nous ne sommes pas sortis de l’auberge rouge de la modernité. On ressort la formule en italien, pour exaspérer les imbéciles !
« Da esse infatti è formata la sinagoga di Satana, che ordina il suo esercito contro la Chiesa di Cristo, innalza la sua bandiera e viene a battaglia. »

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