II- Une certaine idée de la guerre
Les
troupes de Vercingétorix sont dépeintes comme farouches et
indisciplinées, ignorantes de l’art de la guerre et étrangères à l’ordre
et à la rigueur. Même s’ils osnt largement erronés, ces stéréotypes
imprègnent profondément l’imaginaire national.
Chariot nervien avec escorte
« La rigueur germanique aura-t-elle raison de l’audace française ? « .
Un journaliste de radio décrivait en ces termes, mi-juin, la
compétition entre une Audi et une Peugeot engagées dans les 24 heures du
Mans. Quelques mots qu’on écoute sans qu’ils ne nous heurtent. Et pour
cause : ils donnent à entendre une idée si habituelle, si consensuelle,
qu’elle pourrait être inscrite au patrimoine national. Nous autre,
Français, sommes une nation farouche, dit-elle en substance. notre
talent et notre intrépidité suffisent parfois à pallier à notre peu
d’organisation. sur la piste du Mans, comme dans les aventures
d’Astérix, la même dramaturgie est à l’oeuvre. D’un côté la « rigueur »,
l’ordre des légionnaires en uniforme, de l’autre « l’audace », une
somme bruyante de courages individuels, une foule désordonnée qui
percute le carré des Romains pétrifiés. Dans l’antiquité, les auteurs
grecs et romains produisent quantité de textes sur ce thème. C’est
presque un genre littéraire à part entière : force brute, folie furieuse
contre violence légale et policée. L’historien grec Polybe (vers – 205 –
126) en donne un bel exemple dans une description – de seconde main –
de la bataille de Télamon, en – 225. « L’aspect de l’armée gauloise et le bruit qui s’y faisait gluaçaient [les Romains] d’épouvante, écrit-il. Le nombre des cors et des trompettes était incalculable (…). Une
chose non moins effrayante, c’était l’apparence et les mouvements des
hommes nus placés au premier rang: ils étaient tous d’une force et d’une
beauté extraordinaires, tous parés de colliers et de bracelets en or. »
Ces descriptions sont-elles crédibles ? La pensée antique oppose
l’ordre de la civilisation au désordre de la barbarie, dit l’archéologue
Michel Reddé (CNRS), coauteur des dernières fouilles d’Alésia. Il n’est
pas très étonnant qu’ils mettent leurs adversaires dans la seconde
catégorie ! Bien sûr, les descriptions de ces guerriers gaulois, nus sur
le champ de bataille, nous évoquent des peuples encore proche de l’état
de nature. Des hommes qui se jettent dans la mêlée avec une fougue
animale et un équipement rudimentaire. Des hommes qui ignorent tout de
l’art de la guerre. Et pourtant ! « on sait que les Gaulois ont été des mercenaires extrêmement efficaces et professionnels, raconte l’archéologue et historien Christian Goudineau (Collège de France). Toutes
les armées voulaient leur contingent de Gaulois ! Nous avons un texte
qui nous dit que pour une campagne, à l’époque hellénistique, une troupe
de 1000 cavaliers et de 4000 fantassins gaulois est payée en or, pour
un montant de l’ordre de la tonne. » En
bons professionnels, ils disposent de l’équipement « dernier cri » : ce
sont eux ,qui inventent la cotte de mailles, vers le IVe siècle avant
notre ère. Du coup, on comprend que la nudité sur le champ de bataille
est rituelle: elle est l’apanage « des guerriers d’élite qui se placent au premier rang pour impressionner l’ennemi et montrer leur mépris de la mort »,
dit M. Reddé. Pour « nos ancêtres les Gaulois », la guerre est d’autant
moins synonyme d’anarchie qu’elle s’inscrit, selon l’archéologue et
historien Jean-Louis Brunaux (CNRS), dans un ensemble de codes et de
rites complexes. Pour en saisir quelques-uns-dans toute leur étrangeté-
rien de tel que raconter une bataille. Une boucherie formidable
perpétrée vers – 260 dans le nord de la Gaule. Et ce ne sont pas des
Grecs ou des Romains qui en font la relation : l’affrontement se joue
entre des Armoricains – comme Astérix! – et des Ambiens, des Gaulois
belges installés depuis peu de ce côté-ci du Rhin… Qui raconte, alors,
puisque ni les uns ni les autres n’ont consigné leurs démêlés par écrit?
Ce sont les vestiges archéologiques mis au jour dans les années 1960
sur la commune de Ribemont-sur-Ancre (Somme), sur ce qui est considéré
comme l’un des plus vastes sanctuaires gaulois du IIIe siècle avant
J.-C. Des enclos remplis de milliers d’ossements humains, de centaines
d’armes, des monnaies… Que disent les vestiges ? Pour des questions
territoriales, une grande bataille éclate entre Ambiens et Armoricains.
Ces derniers sont lourdement défaits. Après l’affrontement, les Ambiens
transportent les cadavres – les leurs et ceux de leurs vaincus à
quelques centaines de mètres de la plaine sur laquelle les deux tribus
se sont massacrées. Ils érigent un sanctuaire. Les corps des défunts des
deux camps sont exposés dans des enclos séparés. Pendant plusieurs
années, plusieurs décennies peut-être, les Ambiens reviennent au
sanctuaire et accomplissent une manière de rituel commémoratif. Ils
outragent les restes de leurs vaincus: ils prennent des ossements, pour
les broyer, les brûler et en placent les esquilles dans des ossuaires
disposés dans les coins de l’enclos… Cité par Diodore de Sicile,
Poseidonios d’Apamée (- 135/ – 51) rapporte que « au sortir du combat
[les Gaulois] suspendent à l’encolure de leurs chevaux les têtes des
ennemis qu’ils ont tués et les rapportent avec eux comme trophée. Un
rite guerrier qui correspond bien aux découvertes de Ribemont: malgré
les centaines de cadavres entreposés et « traités » sur le sanctuaire,
aucun crâne n’y a été retrouvé… Certains exégètes de l’oeuvre de
Goscinny et Uderzo voient d’ailleurs dans la manie d’Obélix à
collectionner les casques, une métaphore aimable de cette terrible
habitude gauloise. « Poseidonios nous dit
aussi que les guerriers remettaient le corps de ceux qu’ils venaient de
tuer à leur servant d’armes que celui-ci emportait en procession
solennelle, explique Jean-Louis Brunaux, qui a mené les dernières fouilles sur le site. Il ne précise pas où, mais c’était sans doute dans des sanctuaires comme celui-ci. » Quant
à l’étude des ossements retrouvés sur le site, menée par Jannick
Ricard, légiste et praticien au CHU d’Amiens, elle en dit long sur la
force physique des belligérants – certains atteignent 1,90 m – et sur la
qualité de leurs armes. Certains os longs, fémur ou tibia, ont été
tranchés net, d’un seul coup d’épée. On comprend pourquoi, à Rome, à
l’époque de la République, leurs incursions en Italie suscitent la
terreur. Ils prennent la ville éternelle en -389 et rançonnent la
population. Un siècle plus tard, une coalition gauloise parvient jusque
dans le nord de la Grèce, en – 279, crime suprême et impardonnable
contre le monde « civilisé », le sanctuaire panhéllénique de Delphes est
mis à sac. Reste une question. Comment pareils soldats ont-ils pu, en
dépit de leur écrasante supériorité numérique, s’incliner devant Rome ?
« Du IVe au Ie siècle avant notre ère, le mouvement général, en Gaule, est à une démilitarisation de la société »
dit Jean Louis Brunaux. Ceux que rencontrent César dans les années – 50
ne sont plus les Gaulois de Télamon ou de Ribemont, qui combattent nus
et s’arrachent les membres d’un coup d’épée. Mais il y a aussi des
aspects bêtement techniques… Revenons en – 51. Vercingétorix vient
d’être battu à Alésia. Toute la Gaule est occupée. Toute ? Non ! Un
village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à
l’envahisseur. « Après Alésia, la guerre est considérée comme achevée, raconte Matthieu Poux (université Lyon II). César
emmène Vercingétorix à Rome et prépare son triomphe. Mais un évènement
imprévu survient : un peuple gaulois du sud ouest, les Cadurques, tente
un ultime sursaut. César y envoit Caninius, l’un de ses lieutenants pour
mâter la rébellion« . Mais celle-ci est
tenace. D’autant que les Gaulois peuvent tenir longtemps : ils disposent
d’une source au pied de leur place forte. De retour en Gaule, César se
rend sur place et mène le siège. « Il fait
construire une grande tour en bois du haut de laquelle les artilleurs
bombardent littéralement les assiégés de projectiles, à chaque fois
qu’ils vont se ravitailler en eau, raconte M. Poux. Puis il fait percer
la montagne sur laquelle est juchée la ville, pour détourner la source
en question. Le sapeurs romains y parviennent ;les Gaulois doivent se
rendre ». Le proconsul laisse la vie sauve
aux insurgés. Mais leur fait couper les mains. Au Puy d’Issolud (nom
moderne d’Uxellodunum), on a retrouvé les galeries des sapeurs de César,
creusées dans la roche. Les fouilles menées par Jean-Pierre Girault ont
permis d’exhumer d’impressionnantes quantités de projectiles. « Un
détail frappant sur les grands sites de bataille de la guerre des
Gaules, est que dans le corpus des armes retrouvées, on a 90 % d’armes
de jet et de projectiles romains, explique M. Poux. Des
traits de catapultes, des boulets de baliste, des pointes de flèches à
barbelure ou des balles de fronde en plomb qui fusent à 400 km/h et
peuvent fracasser un crâne à plusieurs centaines de m de distance.
» La victoire romaine fut-elle celle de l’artillerie et de l’art du
siège ? Fut-elle banalement technologique ? Les images forgées de longue
date nous ramènent plutôt à la victoire de l’ordre sur le désordre.
D’où vient cette idée tenace ? « César commence La Guerre des Gaules en distinguant la Belgique, la Celtique et l’Aquitaine », dit M. Goudineau. Dans ces trois ensembles, il décrit des peuples de langues et de coutumes différentes. « Puis à mesure qu’il rédige, une sorte de nation gauloise se dégage, qui s’incarnera en la personne de Vercingétorix… »
Alors ? Alors peut-être les Gaulois – mot forgé par les Romains –
n’ont-ils jamais existé en tant que tels. A dire « les Séquanes se
battent contre les Arvernes » ou « les Eduens s’affrontent aux Helvètes »
au lieu de dire « les Gaulois se battent entre eux », on cesserait
d’associer désordre et désunion à « nos ancêtres les Gaulois ». Et on
cesserait de penser que les automobiles allemandes sont plus fiables que
les françaises.
http://www.propagandes.info/blog/
A lire Le Dossier Vercingétorix, de Christian Goudineau, Actes Sud-Errance, 2001. Nos ancêtres les Gaulois, de Jean-Louis Brunaux, Seuil, 2008.
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