La
date de 1453 peut-elle marquer, comme certains l'ont fait, la fin du
Moyen Age ? De fait, la disparition de l'Empire byzantin
survient alors que la Renaissance a déjà commencé en Italie.
Depuis un demi-siècle, les érudits byzantins arrivent en nombre en
Occident. La conquête de l'Egypte par les Ottomans a davantage de
répercussions pour les transactions commerciales, en particulier
celles des cités italiennes, que la chute de Constantinople. En
Europe, si beaucoup sont choqués par la tombée de la ville, les
Etats et les souverains sont préoccupés par des problèmes plus
immédiats géographiquement. La papauté essaie de mener la
contre-attaque mais sans y parvenir véritablement. En réalité, la
chute de Constantinople est importante d'abord pour les deux camps
concernés. Les Ottomans assurent la pérennité de leur empire en
Europe en prenant la ville. Ils convoitent alors la Roumélie (« le
pays des Romains ») de la même façon que les
conquistadors espagnols convoiteront plus tard le Nouveau
Monde. Pour les Grecs, c'est la fin d'un empire mais pas d'une
civilisation, dont le souvenir perdure jusqu'à la renaissance de la
Grèce en tant qu'Etat au XIXème siècle.
Stéphane Mantoux
Le
long déclin de l'Empire byzantin...
Lorsque
l'armée ottomane se presse sous les remparts de Constantinople, en
1453, l'Empire byzantin est alors réduit à une peau de chagrin. La
IVème croisade (1204) et le sac de la capitale par les Latins ont
brisé l'Etat puissant qu'était Byzance. Quand l'Empire de Nicée
reprend Constantinople en 1261, le basileus n'est plus qu'un
souverain grec parmi d'autres : l'empire de Trébizonde et le
despotat d'Epire, eux aussi grecs, lui sont hostiles. La Bulgarie et
la Serbie, émancipées, rivalisent dans les Balkans. Nicée a dû
faire appel aux Génois pour reprendre Constantinople aux Latins :
les Génois, désormais installés à Galata/Péra sur la rive de la
Corne d'Or, monopolise le commerce de l'empire. Au XIVème siècle,
Byzance manque de succomber sous les coups des Serbes, de la révolte
de la fameuse compagnie mercenaire catalane, tout en étant affaiblie
par les épidémies de peste noire. Ironiquement, ce siècle est
aussi celui d'une grande vitalité culturelle et intellectuelle.
Cependant, l'union avec Rome sur le plan religieux, que certains
empereurs tentent de mettre en oeuvre à des fins politiques, pour
sauver l'empire, n'est jamais acceptée par le gros de la population
byzantine. Constantinople ne compte plus alors que 100 000 habitants
(contre un million au XIIème siècle !) à l'intérieur de ses 22 km
d'enceinte : les quartiers sont séparés par des espaces en
friche ou de jardins. Seule Sainte-Sophie est correctement entretenue
par un Empire privé ou presque de ressources financières.
Source : Larousse.fr |
Manuel
II, qui devient empereur en 1391, a été l'otage du sultan turc. Il
a même dû commander un régiment byzantin pour participer à la
prise de Philadelphie en Asie Mineure, la dernière ville byzantine
encore libre dans cette région. Réaliste, il refuse l'union des
Eglises qu'il juge inacceptable par la population. Il tente de
solliciter l'aide de l'Occident mais la croisade de 1396 s'achève en
désastre devant Nicopolis. En 1402, l'armée ottomane s'approche une
première fois de Constantinople mais Manuel II est sauvé par
l'intervention de Tamerlan, qui met hors-jeu les Turcs pour une
vingtaine d'années. Un nouveau siège en 1422 par le sultan Mourad
II n'est pas plus concluant. Mais personne en Occident ne se soucie
alors du sort de Byzance, livrée à elle-même.
Manuel
II meurt en 1425. Son fils Jean VIII cherche la solution dans l'union
des Eglises, alors que la papauté sort enfin du Grand Schisme
d'Occident. Au concile de Ferrare/Florence (1438-1439), l'empereur
parvient à faire signer un édit d'union à une collation
d'écclésiastiques et érudits byzantins, plus ou moins de bon gré.
Le pape Eugène IV parvient bien à lancer une croisade, conduite
principalement par les Hongrois et par son légat, le cardinal
Césarini, mais celle-ci s'achève de nouveau en désastre en 1444, à
Varna, face à l'armée du sultan Mourad II. La mort de Jean VIII, en
1448, laisse mal augurer de la survie de l'empire, malgré le
renforcement des remparts de Constantinople.
… et
la naissance et l'ascension d'un nouvel empire, les Ottomans
Byzance
est de longue date en relation avec les populations d'origine turque.
Depuis le VIème siècle, les migrations turques vers l'ouest avaient
fourni à l'empire un vivier commode d'alliés de circonstance ou de
mercenaires, parfois convertis au christianisme : Khazars -qui
eux choisissent le judaïsme, Coumans ou Pétchénègues. Mais la
peuplade des Oghouz a, elle, migré vers la Perse et les terres du
calife musulman. Les Turcs se convertissent progressivement à
l'islam et en 1055, Tughril Bey, le chef de la tribu Seldjouk, domine
complètement le califat abasside. Son successeur et neveu, Alp
Arslan, inflige aux Byzantins la terrible défaite de Manzikert, en
1071. Les ghazis, combattants de la foi et barons frontaliers
seldjoukides, s'installent progressivement en Asie Mineure, dont la
population compte désormais de plus en plus de Turcs. Mais les
Seldjoukides se querellent entre eux, l'Empire byzantin se ressaisit
sous les Comnènes et la première croisade met un coup d'arrêt à
l'expansion turque. Celle-ci ne reprend vraiment qu'au XIIIème
siècle après le sac de Constantinople. Le sultan de Roum, dont la
capitale est Konya, est alors la puissance dominante en Asie Mineure.
Source : Larousse.fr |
Les
Seldjoukides sont pourtant définitivement balayés par l'invasion
mongole de 1243. Battus, tributaires du khan, ils ne tardent pas à
perdre leur domination sur l'Asie Mineure. Les émirs frontaliers et
autres ghazis, au contraire, en profitent pour étendre leur
influence en Asie Mineure, à tel point qu'en 1300, Byzance ne
contrôle plus que quelques enclaves minuscules sur la rive asiatique
des détroits. L'émir de Menteshe, au sud-ouest de l'Asie Mineure,
lance des raids maritimes mais doit faire face aux Hospitaliers de
Rhodes. L'émir d'Aydin prend le relais et commence à piller la mer
Egée. Le prince de Sarakhan règne sur Magnésie et celui de Karasi
sur la plaine de Troie. L'émir de Sinope mène ses pirates en mer
Noire. A l'intérieur des terres, les émirs de Karaman et de
Germiyan se disputent la successsion seldjoukide. Les Karamanides
prennent Konya en 1327 et parviennent à se faire reconnaître comme
suzerains par la plupart des ghazis. Sauf par un petit Etat
fondé dans la seconde moitié du XIIIème siècle en Bithynie, par
Erthugrul, un personnage dont on sait fort peu de choses et qui à sa
mort, en 1281, laisse le pouvoir à Osman.
Osman
va profiter de sa situation géographique. Il est en effet le seul
ghazi frontalier de territoires peuplés de Byzantins, en
mesure d'attirer à lui ceux qui sont intéressés par la guerre et
le pillage. L'empire ne prête pas suffisamment attention à la
puissance d'Osman et un premier corps byzantin est battu entre Nicée
et Nicomédie en 1301. Quatre ans plus tard, les mercenaires catalans
écrasent à leur tour les Turcs mais se révoltent ensuite contre
l'empereur. Osman fournit des mercenaires à l'une et l'autre partie.
Il avance jusqu'à la mer de Marmara, conquiert les villes le long de
la côte de la mer Noire. Ne disposant pas encore de matériel de
siège, car ses soldats sont encore surtout des cavaliers, Osman doit
mener de longs blocus. Brousse tombe ainsi en 1326 après dix ans de
siège, parce que l'empereur byzantin n'a pu envoyer de secours.
Cette
même année meurt Osman, qui a fait d'un petit émirat turc
frontalier la puissance montante en Asie Mineure. Son fils Orhan va
consolider l'oeuvre déjà accomplie. Nicée tombe en 1329 après
plusieurs années de siège, puis Nicomédie, de la même façon, en
1337. Orhan profite des guerres civiles à Byzance, entre
l'empereur-enfant Jean V et ses régents et Jean Cantacuzène, pour
expédier des mercenaires qui demeurent ensuite en Thrace. Jean
Cantacuzène, monté sur le trône, est renversé en 1355 :
Orhan en prend prétexte et envoie l'année suivante un corps
expéditionnaire au-delà des détroits, sur la rive européenne, qui
s'empare de la Thrace occidentale et d'Andrinople. Il meurt en 1362 :
il lègue à son successeur un Etat plus organisé et une armée
désormais non plus composée uniquement de cavalerie légère. En
effet, il a mis en place une levée locale de type féodal, complétée
par des troupes régulières soldées, dont fait déjà partie le
régiment des janissaires. Chaque branche a son uniforme et la
mobilisation d'un grand nombre d'hommes en armes est devenue beaucoup
plus rapide.
Source : Memo.fr |
Mourad
Ier, qui est le premier à s'intituler sultan, succède à Orhan :
après avoir maté quelques révoltes parmi les émirs orientaux, il
revient en Europe et isole Constantinople dès 1365 : les
faubourgs asiatiques de la ville sont entre les mains des Turcs.
C'est seulement alors qu'en Occident, on commence à s'inquiéter de
la poussée ottomane contre Byzance. Jean V tente de recruter des
troupes en Europe, mais, sans le sou, doit reconnaître le sultan
comme son suzerain en 1373 et envoyer comme otage à sa cour son fils
Manuel. Mourad Ier n'est gêné que par l'action des Hospitaliers de
Rhodes. En 1371, il défait sur la Maritza le roi de Serbie
méridionale. Il s'empare de la Bulgarie et de la Macédoine serbe :
le roi de Bulgarie, le prince de Serbie septentrionale deviennent ses
vassaux. L'immigration turque fait son oeuvre comme elle l'avait déjà
fait en Asie Mineure. Thessalonique tombe en 1387. Mourad Ier doit
alors affronter le défi posé par les Serbes : ceux-ci sont
écrasés à Kosovo, en 1389, non sans que le sultan ait été
assassiné avant la bataille par un déserteur. Mourad est le premier
souverain ottoman à s'être considéré comme un véritable
empereur.
Son
fils Bayezid Ier, auréolé de la victoire de Kosovo, fait tomber la
Bulgarie, envahit le Péloponnèse en 1394 et songe, dès 1396, à
marcher sur Constantinople. Mais il doit faire volte-face vers le
nord pour contrer une nouvelle croisade, qui s'achève en carnage
sous les murs de Nicopolis. Le prince de Valachie devient son vassal.
Une première tentative contre la capitale byzantine en 1402 échoue
devant l'irruption de Tamerlan, descendant de Gengis Khan, qui a fait
régulièrement irruption dans l'est de l'Asie Mineure à partir de
1386. L'armée ottomane est écrasée à Ankara, en Anatolie, par
Tamerlan, mais l'empire n'est pas détruit : au contraire, la
colonisation turque est, vers 1410, plus importante en Europe qu'en
Asie Mineure. Mehmet Ier, après de sanglantes luttes de pouvoir,
monte sur le trône en 1413. Jusqu'à sa mort, en 1421, il bâtit des
forteresses, consolide l'administration et embellit les villes de son
empire.
Mourad
II, son fils, un homme profondément pieux, n'en met pas moins le
siège devant Constantinople en 1422. Mais l'armé ottomane ne
dispose pas, alors, d'un matériel de siège et d'une artillerie
suffisamment efficaces pour emporter une agglomération aussi
fortifiée, comme cela sera aussi le cas devant Belgrade en 1440. Ce
dernier échec rend confiance à l'Occident : le pape monte une
croisade avec l'appui des Hongrois qui s'achève en défaite à
Varna, sur le Danube. Mourad II abdique ensuite pour se retirer dans
la vie contemplative en faveur de son fils Mehmet. Mais dès 1446,
les conseillers du sultan le rappellent sur le trône car Mehmet est
jugé trop instable, trop autoritaire : une armée turque ravage
le Péloponnèse, puis, en 1448, les Hongrois sont de nouveau battus.
Ils ne pourront aider Constantinople pendant le siège final. En Asie
Mineure, Mourad absorbe les émirats d'Aydin et de Germiyan, tient
les Karamanides en respect. Il réorganise les janissaires en un
corps composé d'esclaves chrétiens prélevés sur les populations
soumises et entièrement formés à la guerre à partir de leur
incorporation. Lorsqu'il meurt, le 13 février 1451, il laisse à son
fils Mehmet II un héritage qui reste à compléter par l'objectif de
longue date des Ottomans : la prise de Constantinople.
Mehmet
II face à Constantin XI : la marche à la guerre (1451-1453)
Jean
VIII était l'aîné de 6 frères. Deux, Andronic et Théodore, sont
morts avant lui. Deux autres, Dimitri et Thomas, sont éclipsés par
la personnalité de celui qui devient le dernier empereur byzantin,
Constantin. Né en 1404, il avait gardé Constantinople pendant
l'absence de Jean VIII au concile de Ferrare/Florence, avant de
s'effacer devant son autre frère Théodore, qui revendiquait la
succession. Devenu despote de Morée, dans le Péloponnèse, il
reconquiert l'ensemble de la péninsule à l'exception de quatre
villes vénitiennes. En 1444, il avance jusqu'au Pinde, mais deux ans
plus tard, l'armée de Mourad II, après sa victoire de Varna, ramène
Constantin en Morée. Son deuxième mariage lui a apporté des liens
avec les Génois. A la mort de Jean VIII, Constantin est à Mistra.
Il est désigné officieusement par l'impératrice-mère Hélène,
qui écarte Dimitri et Thomas. Constantin est couronné à Mistra,
une première pour un empereur byzantin si l'on excepte l'intermède
de Nicée... d'aucuns y verront un problème de légitimité. A la
recherche d'une troisième épouse, Constantin XI envoie George
Phrantzès à Trébizonde. C'est là que le conseiller apprend la
mort de Mourad II et l'avènement de Mehmet, ce qui l'inquiète
fortement.
Mehmet, né en 1432, est le fils d'une esclave turque de Mourad. Dédaigné par son père, il n'en reste pas moins, dès l'âge de 12 ans, le seul héritier possible pour le sultan, si l'on excepte un cousin, Orhan, alors en exil à Constantinople. Mourad envoie une armée de précepteurs pour compenser les lacunes d'une éducation jusqu'alors négligée. Sous la férule d'un Kurde, Ahmed Kurani, ceux-ci enseignent à Mehmet la philosophie et les sciences, aussi bien grecques qu'islamiques. En plus du turc, Mehmet apprend l'arabe, le grec, le latin, le persan et l'hébreu. Quand son père se retire, en 1444, Mehmet doit réprimer des soulèvement en Anatolie. Avec la croisade menée par les Hongrois, le grand vizir Halil Pacha, affolé par les ambitions d'indépendance de Mehmet à l'égard de tout conseil, rappelle son père de son exil contemplatif. Mais après le succès de Varna, Mourad retourne à ses prières. Il faut toute l'insistance d'Halil Pacha pour faire sortir à nouveau Mourad de sa retraite, en raison du mécontentement provoqué par Mehmet dans l'armée, en 1446. Cependant celui-ci, envoyé à Magnésie, prend part dès 1448 à une campagne contre les Hongrois. Il a eu un fils, Bayezid, d'une esclave turque, liaison qui son père désapprouve. Mourad force Mehmet à épouser la fille d'un grand seigneur turcoman, que son fils délaisse. Quand il monte sur le trône, Mehmet II éloigne les conseillers les plus influents de son père tout en gardant à ses côtés Halil Pacha, et en plaçant déjà des hommes à lui comme vizirs, notamment Zaganos Pacha et Shibab al-Din Pacha. Il fait également exécuter son jeune frère pour s'éviter une usurpation potentielle. Mehmet II n'a aucun désir de se rendre populaire, mais son intelligence et sa résolution servent sa première ambition : s'emparer de Constantinople.
Mehmet, né en 1432, est le fils d'une esclave turque de Mourad. Dédaigné par son père, il n'en reste pas moins, dès l'âge de 12 ans, le seul héritier possible pour le sultan, si l'on excepte un cousin, Orhan, alors en exil à Constantinople. Mourad envoie une armée de précepteurs pour compenser les lacunes d'une éducation jusqu'alors négligée. Sous la férule d'un Kurde, Ahmed Kurani, ceux-ci enseignent à Mehmet la philosophie et les sciences, aussi bien grecques qu'islamiques. En plus du turc, Mehmet apprend l'arabe, le grec, le latin, le persan et l'hébreu. Quand son père se retire, en 1444, Mehmet doit réprimer des soulèvement en Anatolie. Avec la croisade menée par les Hongrois, le grand vizir Halil Pacha, affolé par les ambitions d'indépendance de Mehmet à l'égard de tout conseil, rappelle son père de son exil contemplatif. Mais après le succès de Varna, Mourad retourne à ses prières. Il faut toute l'insistance d'Halil Pacha pour faire sortir à nouveau Mourad de sa retraite, en raison du mécontentement provoqué par Mehmet dans l'armée, en 1446. Cependant celui-ci, envoyé à Magnésie, prend part dès 1448 à une campagne contre les Hongrois. Il a eu un fils, Bayezid, d'une esclave turque, liaison qui son père désapprouve. Mourad force Mehmet à épouser la fille d'un grand seigneur turcoman, que son fils délaisse. Quand il monte sur le trône, Mehmet II éloigne les conseillers les plus influents de son père tout en gardant à ses côtés Halil Pacha, et en plaçant déjà des hommes à lui comme vizirs, notamment Zaganos Pacha et Shibab al-Din Pacha. Il fait également exécuter son jeune frère pour s'éviter une usurpation potentielle. Mehmet II n'a aucun désir de se rendre populaire, mais son intelligence et sa résolution servent sa première ambition : s'emparer de Constantinople.
L'empereur
byzantin, tout comme ses subordonnés tel le despote de Morée, est
alors devenu le vassal du sultan ottoman. La capitale de ce dernier
est à Andrinople, en Thrace, à 160 km à l'ouest de Constantinople.
L'empire de Trébizonde est dirigé par une famille concurrente et
quelques enclaves byzantines voisinent sur le pourtour de la mer
Noire autour des colonies génoises. Venise et Gênes sont deux
grandes puissances maritimes qui contrôlent la plupart des îles et
enclaves côtières importantes en mer Egée et en mer Noire. A
Athènes se trouvent les restes de l'ancien empire latin avec une
famille dirigeante d'ascendance à la fois italienne et catalane, et
liée au royaume d'Aragon, présent dans le sud de l'Italie.
Quant
aux Ottomans, leur pouvoir est encore loin d'être assuré comme il
le sera au XVIème siècle. Si les vassaux du nord de l'Anatolie,
autour de Sinope, sont loyaux, au sud, les Karamanides n'acceptent
qu'avec réticence la suzeraineté ottomane. La Horde d'Or, en se
dissolvant, a généré un nouveau khanat en Crimée. Le royaume de
Pologne-Lituanie a conquis une partie des terres russes jusqu'au
rivage de la mer Noire. Quant à la principauté de Moscou,
orthodoxe, l'avenir de Constantinople ne la concerne que de loin et
le métropolite a d'ailleurs proclamé l'autonomie de l'église russe
par rapport à l'Eglise byzantine...
En
Occident, on se réjouit de l'accession de Mehmet au trône, au vu de
ses débuts peu prometteurs. Toutes les ambassades sont bien reçues :
le sultan renouvelle les traités avec Venise et la Hongrie, se
montre cordial avec les Byzantins, promet d'entretenir le prince
Orhan en exil. Mais les ambassadeurs byzantins ont surtout cultivé
des relations étroites avec Halil Pacha, que Mehmet garde bon gré
mal gré, car il ne lui a jamais pardonné son éviction du pouvoir
et le rappel de son père. En Occident, tout le monde se satisfait de
cette attitude conciliatrice qui n'est que de façade. La France et
l'Angleterre terminent encore la guerre de Cent Ans, l'empereur
Frédéric III est préoccupé par son couronnement impérial, et
Alphonse V d'Aragon, roi de Naples depuis 1443, cherche à devenir...
empereur de Constantinople. Le pape Nicolas V, homme de paix et
érudit, sensible à la culture grecque, souhaite avant toute chose
l'édit d'union et n'a pas l'appui d'une puissance séculière.
Mehmet
ne tarde pas à montrer ses véritables intentions. A l'été 1451,
l'émir kamaranide Ibrahim Bey fomente une révolte en Anatolie avec
d'autres émirats vassaux des Ottomans. Mehmet arrive promptement
avec son armée et Ibrahim Bey doit faire amende honorable. Sur le
chemin du retour, le sultan mate une révolte de ses janissaires,
accepte certaines de leurs demandes, mais démet leur commandant et
place des hommes à lui dans ce corps d'élite. Constantin XI pousse
alors l'audace jusqu'à demander un versement plus important pour le
prince Orhan. Mehmet garde l'affaire en suspens pour s'en servir
comme prétexte. Bloqué dans la traversée des Dardanelles par la
présence d'une escadre italienne, il passe le Bosphore au niveau de
la forteresse d'Anatolu Hisar, édifiée par Bayezid. En Europe, on
est encore en terre byzantine, mais Mehmet se dit qu'il serait fort
judicieux d'implanter là une autre forteresse.
Pendant
l'hiver, il fait recruter un millier de manoeuvres et de maçons pour
commencer la construction au printemps, à l'endroit où le Bosphore
est le plus étroit. Les ambassadeurs byzantins qui viennent se
plaindre auprès du sultan sont éconduits et les travaux débutent
le 15 avril 1452. Constantin XI fait alors arrêter tous les Turcs à
Constantinople. Puis, se ravisant, comprenant qu'il a été trop
loin, il envoie une ambassade chargée de cadeaux à Mehmet, qui
n'est pas écoutée. Une dernière ambassade en juin tourne à la
déclaration de guerre : le sultan fait exécuter les
émissaires.
Le
31 août 1452, Rumeli Hisar, le « coupe-gorge » ou
« coupe-détroit », est achevé. Il est pourvue
d'une garnison de 400 hommes commandés par Firuz Bey : tout
navire passant dans les détroits doit s'acquitter d'une taxe, faute
de quoi il risque d'être tiré à vue par les canons turcs expédiant
des projectiles de plus de 200 kg ! Mehmet avance alors jusque
sous les murs de Constantinople, avec toute son armée. A l'automne
1452, les régiments des provinces de Roumélie rejoignent autour
d'Andrinople les troupes d'élite du sultan. Les fabriquants d'armes
s'activent tandis que Mehmet étudie les questions militaires,
conseillé par un Italien expatrié, Cyriaque d'Ancône, érudit,
voyageur et collectionneur d'antiquités. Mehmet s'est également
attaché les services d'Urban, un fondeur de canons que l'empereur
byzantin a laissé échapper faute de pouvoir lui fournir
suffisamment d'argent et de matériaux. C'est Urban qui conçoit les
pièces destinées à Rumeli Hisar, puis celles qui doivent détruire
les murailles de Constantinople. Le 10 novembre, les canons de la
forteresse ouvrent le feu sur deux navires vénitiens qui réussisent
à forcer le passage en venant de mer Noire, non sans avoir éprouvé
une grande crainte face aux tirs turcs. Le 25 novembre en revanche,
le navire vénitien d'Antonio Erizzo est coulé, les survivants sont
capturés et empalés sur les rives du détroit. Mehmet ordonne alors
à Urban de fabriquer des canons deux fois plus gros, capables de
tirer des projectiles de 450 kg !
Vénitiens
et Génois hésitent à dégarnir leurs forces en Italie pour sauver
Byzance. Les Vénitiens souhaitent aussi maintenir leurs relations
commerciales avec le sultan. A Gênes, on s'inquiète surtout pour la
colonie de Galata et pour celles de la mer Noire. Le gouvernement ne
s'engage pas mais laisse libre cours aux initiatives privées :
on conseille au podestat de Galata de faire profil bas, de ne pas
provoquer les Turcs. Le pape voit enfin l'occasion de procéder à
l'incorporation de l'Eglise byzantine à l'Eglise de Rome. Le
cardinal Isidore, métropolite déchu de Kiev récupéré par
l'Eglise romaine, arrive à bord d'une galère vénitienne dès
novembre 1452. Il amène avec lui une compagnie d'archers, des
fabricants de canons de Naples et a aussi recruté des soldats à
Chios. Les 200 hommes d'Isidore sont vus par les Byzantins comme
l'avant-garde d'une armée beaucoup plus importante... alors qu'en
fait, le peuple et une partie du clergé n'acceptent pas l'union avec
Rome. Le 12 décembre 1452, à Sainte-Sophie, le cardinal Isidore
officialise l'union entre Rome et Constantinople, mais l'acte est mal
vu par la population et même par de grands dignitaires comme Luc
Notaras, qui aurait déclaré préférer le turban des Turcs à la
mitre des Latins, bien que ces propos soient sans doute apocryphes.
En
janvier 1453, Mehmet II obtient l'approbation de son conseil pour la
prise de Constantinople. L'élite ottomane se divise cependant entre
les feudataires plutôt partisans d'une guerre frontalière plus ou
moins autonome inspirée par la tradition des ghazis, et les
hommes du sultan, « esclaves de la Porte », qui
lui doivent tout et qui penchent plutôt pour un renforcement de
l'Etat toujours plus centralisé. Le sultan Mehmet II a auprès de
lui des partisans des deux politiques. Les armées islamiques rêvent
de conquérir Constantinople depuis le VIIème siècle. D'ailleurs,
Mehmet II et ses prédécesseurs se sont intitulés « sultan
des Romains », ce qui montre bien leurs ambitions. Les
musulmans plus orientaux appellent fréquemment les Ottomans du noms
de « Rumiyun ». Pour jauger le soutien que la
population apporte à son entreprise contre Constantinople, Mehmet
n'hésite pas à se déguiser en soldat pour parcourir les tavernes
d'Andrinople avec ses conseillers.
Le
gouverneur militaire des provinces européennes, Dayi Karadja Bey,
reçoit l'ordre de lever une armée pour s'emparer des villes de la
côte de Thrace. Les cités au bord de la mer Noire se rendent pour
éviter la mise à sac. Sélybrie et Périnthe, sur la mer de
Marmara, tentent de résister : elles sont prises, pillées,
leurs murailles démantelées. En octobre 1452, Mehmet a envoyé dans
le Péloponnèse une armée pour occuper les troupes du despotat de
Morée et les empêcher de soutenir Constantinople. Le sultan
construit également une flotte : concentrée à Gallipoli, elle
regroupe des trirèmes, des birèmes, des fustes, d'autres galères
et des navires de transport. Elle est commandée par le gouverneur de
Gallipoli, Suleiman Baltoglu. Fin mars, la flotte remonte les
Dardanelles et débouche en mer de Marmara, à la consternation des
Byzantins. Les chiffres varient selon les sources mais elle comprend
au moins 6 galères, 18 galiotes et 16 navires de ravitaillement,
avec une myriade de navires plus petits, fustes et autres.
Au
total, l'armée de Mehmet regroupe alors 80 000 soldats réguliers et
peut-être 20 000 irréguliers. L'élite est constituée de 12 000
janissaires. Mais si Mehmet se risque à attaquer Constantinople,
c'est que ses fondeurs de canons lui donnent enfin la possibilité
d'ébranler les murailles. Urban, après avoir fondu le canon de
Rumeli Hisar qui coule le navire vénitien, en fabrique un second en
janvier 1453. Long de 8 mètres, il est tiré par 60 boeufs et 700
hommes le manoeuvrent. Mehmet assiste au premier tir à Andrinople :
le boulet parcourt un kilomètre et demi avant de toucher sa cible.
En
face, Constantin XI s'active frébrilement pour mettre Constantinople
en état de défense. Pendant l'hiver 1452-1453, il envoie des
navires en mer Egée pour accumuler les provisions. Les défenses de
Constantinople sont renforcées, l'argent des églises confisqué
pour payer la troupe. La population dégage d'elle-même les douves.
Mais les alliés potentiels sont sous la menace du Turc ou se
désintéressent du sort de la ville. Le despote Georges de Serbie
soutient les Ottomans et envoie même un contingent à Mehmet. Les
Vénitiens répondent dès février 1452 qu'ils fourniront seulement
des fournitures militaires, rien de plus. La Sérénissime est en
effet plus préoccupée de favoriser les relations commerciales avec
la puissance montante ottomane que de secourir un empire byzantin
déjà considéré comme perdu. Cependant, la colonie vénitienne,
dirigée par son bailli Girolamo Minotto, reste pour défendre
Constantinople, avec 1 000 hommes et des grands noms de la
Sérénissime : Cornaro, Mocenigo, Contarini, Venier. Le médecin
de bord Nicolo Barbaro a laissé un des compte-rendus les plus
honnêtes du siège. Parmi les Vénitiens, Giacomo Coco, qui
commandait l'un des navires ayant échappé à Rumeli Hisar.
Cependant, le 26 février 1453, 6 navires et 700 Vénitiens
désobéissent à la volonté de Minotto et s'enfuient de
Constantinople. Des Génois, Maurice Cattaneo, Jérôme et Léonard
de Langasco, les trois frères Bocchiardo, équipent et amènent à
leurs frais une petite compagnie de soldats. Le 29 janvier 1453
arrive Giovanni Gustiniani Longo, jeune noble génois, avec 700
hommes, 400 recrutés à Gênes et 300 à Chio et Rhodes. Etant donné
qu'il a une réputation de bon défenseur des villes fortifiées,
l'empereur le nomme commandant des murailles terrestres avec le rang
de protostrator, lui donnant également l'île de Lemnos en
récompense de ses services. Gustiniani parvient, tant bien que mal,
à obtenir le concours des Vénitiens. La colonie catalane de
Constaninople, avec son bailli Péré Julia, participe aussi à la
défense. Un aristocrate de Castille, Don Francisco de Tolède, est
également présent. Le prince turc Orhan offre ses services et ceux
de sa maison à Constantin XI.
Les
Vénitiens sont cependant préoccupés d'assurer la sécurité de
leurs convois jusqu'en mer Noire. Gabriele Trevisan est envoyé à
Constantinople pour aider à la défense de la ville si nécessaire.
Le Sénat vénitien décide aussi d'envoyer deux transports avec
chacun 400 hommes, escortés par 15 galères, pour le 8 avril. Les
Vénitiens de Crète expédient également deux navires en Eubée
commandés par Zaccario Grioni. Finalement, c'est Giacomo Loredan qui
prend la tête du convoi destiné à Constantinople. Mais cette
flotte ne sera pas rassemblée avant la conclusion du siège.
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