Récemment,
nous avons parlé de la peine de mort dans l’antiquité gréco-romaine
avec la recension du livre d’Eva Cantarella ; voici maintenant un
ouvrage sur le même sujet mais traitant plus spécifiquement de celui qui
exécute la peine de mort : le bourreau. Comme le sous-titre du livre
l’indique, c’est à une histoire chronologique des bourreaux en France à
laquelle nous avons droit ici. Sont étudiés ici tant les fonctions et le
métier de bourreau que la place de ce dernier dans la société, ce qui
donne à l’ouvrage de Frédéric Armand un côté sociologique certain, étant
entendu qu’on ne considère pas le bourreau de la même façon à toutes
les époques et que l’évolution des mentalités joue énormément sur la
façon dont est considéré l’exécuteur selon les époques.
Il a toujours existé
des bourreaux mais, pendant des siècles, ils n’étaient pas les seuls à
exécuter les condamnés à mort (cas de la Grèce antique et de Rome).
Durant une bonne partie du Moyen Age, on trouve bien des bourreaux mais
ils sont loin d’avoir le monopole des exécutions car celles-ci sont
également du ressort de certains magistrats et de leurs sergents ou
peuvent être imposées par les seigneurs à leurs vassaux à titre de
corvée. Par ailleurs, il subsiste jusqu’à la fin du Moyen Age une
tradition de justice privée équivalant selon les cas au droit de tuer au
nom de la légitime défense (une tradition de bon sens évident…) ou à se
venger sous certaines conditions. Les « hors-la-loi » peuvent
également, à cette époque, être tués par n’importe qui. Contrairement à
une idée fort répandue, les exécutions au Moyen Age n’étaient pas si
nombreuses que ça et la justice avait souvent recours au bannissement et
aux amendes.
Tout cela change à la
fin du Moyen Age : l’Etat moderne commence à prendre racine. La justice
est particulièrement visée et la royauté compte bien renforcer son
contrôle sur celle-ci. Le roi Charles VII réorganise la justice et fait
du bourreau le seul exécuteur des sentences criminelles. Toutes les
juridictions de haute justice doivent se pourvoir d’un bourreau. Ce
dernier est désormais un officier de justice de l’Etat, un fonctionnaire
œuvrant dans une circonscription donnée. Il prête serment de loyauté à
l’autorité et se contente d’exécuter les ordres. La première crapule
venue ne risque pas d’être engagée car on veille à ne donner la charge
d’exécuteur qu’à des gens de bonne moralité et réputés bons chrétiens…
Cette bonne réputation
avalisée par les autorités ne fait cependant pas le poids face au
ressenti populaire : le bourreau est un paria et il est méprisé. Mis à
l’écart de la communauté, sa vie sociale est très difficile et autant
lui que sa famille sont victimes de nombre de préjugés. Il est impur
et on ne veut pas avoir affaire à lui ni vivre dans son voisinage. Par
tradition, il vit donc en dehors des murs de la ville et il a un banc
séparé à l’église. Marginalisé, le bourreau a de grandes difficultés
pour scolariser ses enfants et pour ensuite les marier. Cela explique
deux faits fondamentaux. Le premier est que les enfants du bourreau
deviennent ses aides très jeunes et finissent la plupart du temps par
succéder à leur père, ce sont donc dès la fin du Moyen Age de vraies
dynasties de bourreaux qui se mettent en place dans de nombreuses villes
de France. Par ailleurs, ses enfants n’ont souvent d’autre choix que
celui de se marier avec ceux d’un collègue, c’est donc une endogamie
sociale (ainsi qu’une relative consanguinité) que la société impose à
ses exécuteurs.
Il
faut bien avouer que les tâches allouées aux bourreaux ne sont pas
d’ordre à lui attirer toutes les sympathies. En plus d’exécuter les
condamnés par des peines jugées parfois comme infamantes, il est d’usage
qu’il chasse des rues mendiants, lépreux et animaux errants. Il touche
une taxe sur la prostitution. C’est lui qui nettoie la place du marché
une fois celui-ci terminé. Il dispose de plus du droit de havage
sur toutes les marchandises entrant dans la ville, c'est-à-dire qu’il
prélève une certaine quantité de denrées à chaque marchand venant vendre
au marché, ce qui est très mal accepté par ceux-ci en vertu de
l’impureté supposée de l’exécuteur. Le bourreau se bat continuellement
contre les préjugés et les violences éventuelles dont il peut être
l’objet de la part de la population et il a, comme les nobles, le droit
de porter l’épée (plus pour se protéger que par honneur…). Certaines
personnes passent outre cette marginalité pour aller se faire soigner
chez les bourreaux qui, en complément de leur activité, pratiquent la
médecine ou la chirurgie, forts de leur connaissance du corps humain.
Les cadavres des condamnés leur servent parfois de complément de
revenus : ils les revendent aux chirurgiens (pratique longtemps
interdite par l’Eglise), en prélèvent la graisse pour la revendre à ceux
qui veulent soigner leurs varices…
Quant aux tâches plus
officielles du bourreau, elles sont diverses : amputations, marquage au
fer rouge, torture, exécutions, disposition des cadavres. Les peines
sont très variées sous l’Ancien Régime et le bourreau se doit d’être un
grand professionnel et de savoir utiliser les différentes méthodes de
mise à mort dont la plus ardue est certainement la décapitation
(réservée aux nobles en général). Les peines les plus en vogue sont la
pendaison, le bûcher, la chaudière, la décapitation ainsi que la roue,
peine dans laquelle le condamné se fait rompre les articulations à coups
de barre de fer avant d’être « replié » sur une roue qui sera ensuite
hissée sur un poteau où il agonisera lentement… Les bourreaux sont
également garants d’une tradition en vogue depuis l’antiquité et
considérée comme pire que la mort : l’interdiction de sépulture. Selon
les cas, les corps sont abandonnés ou exposés en public car de nombreux
endroits sont destinés à cette exhibition morbide : les fourches
patibulaires à la sortie des villes, les gibets des seigneurs, les
arbres sur certaines routes... Le lieu le plus notable était l’énorme
gibet de Montfaucon, « grande justice de Paris » de son surnom, où
plusieurs dizaines de corps pouvaient être exposées, parfois pendant des
mois…
L’ « âge classique » des bourreaux pour reprendre les mots de l’auteur prend fin au 18ème
siècle où, les mentalités évoluant, on remet en cause la justice, ses
inégalités et la cruauté des supplices. Sur ce dernier point, il faut
bien dire que certaines exécutions avaient largement dégoûté l’opinion
de l’époque telle celle de Damiens, coupable d’un attentat contre Louis
XV en 1757. Après avoir été torturé, entre autres à la tenaille et au
plomb fondu, il avait fallu plus de deux heures pour réussir à
l’écarteler et les 16 ( !) bourreaux présents avaient dû lui sectionner
les tendons pour faciliter le travail des chevaux… A cette époque, la
France suit l’air du temps qui souffle sur l’Europe : on remplace de
plus en plus la peine de mort par d’autres sanctions telles la galère ou
l’enfermement ; on cesse d’exposer les cadavres en public tant par
hygiène que par souci « humaniste » ; on devient plus indulgent sur
certains types de délits (mœurs par exemple) ; on abolit pratiquement la
torture sous Louis XVI etc.
Les
grands changements continuent avec la Révolution. La loi du 13 juin
1793 adoptée par la Convention impose un bourreau par département.
Celui-ci recevra un salaire fixe et ne pourra plus prétendre à ses
anciens droits féodaux, abolis. Le
fait le plus notable est que le bourreau est désormais considéré comme
un citoyen comme les autres, ce qui a tendance à faire reculer son
statut de paria aux yeux de la population. En 1790, l’Assemblée
Nationale décrète l’abolition de la torture, de l’exposition des corps
ainsi que l’égalité des supplices, ce qui a comme conséquence de
modifier en profondeur les activités des exécuteurs. Ceux-ci utilisent
dès 1792 un mode d’exécution unique : la guillotine. Alors que la France
est attaquée à ses frontières et que la Révolution se radicalise, le
bourreau et sa machine deviennent peu à peu très populaires, ils sont
les grands symboles de la libération du peuple et de l’épuration de la
société. Le bourreau, qui désormais se salit bien moins les mains avec
le nouveau mode d’exécution, devient
le « vengeur du peuple » et sa machine à décapiter le « glaive de la
liberté ». Il faut dire que la guillotine fonctionne entre 1792 et 1794 à
plein régime. A la différence des procédés anciens, elle permet des
exécutions continues voire industrielles. Le célèbre bourreau de Paris,
Charles-Henri Sanson, décapite ainsi plus de 3000 personnes en 2 ans
(dont le roi Louis XVI et nombre de révolutionnaires)… Finalement
dégoûtée par les excès sanglants de la période révolutionnaire, la
population va vite reprendre à l’égard des bourreaux son antique mépris.
A partir du 19ème
siècle commence peu à peu le réel déclin de la profession. Le mouvement
de substitution à la peine de mort de sanctions différentes, amorcé dès
le siècle précédent, continue de plus belle. Le mouvement favorable à
l’abolition totale se renforce et la société française s’interroge
durablement sur la peine de mort, entre autres sous l’impulsion de
Victor Hugo et de son Dernier jour d’un condamné.
Les autorités sont de plus en plus embarrassées par la guillotine et
les exécutions publiques. Elles cherchent à les rendre plus discrètes
car elles sont de moins en moins bien vues par l’opinion publique malgré
le fait qu’elles attirent encore, comme les siècles précédents, les
foules. Ce sera en 1939, à la suite d’un scandale, que le caractère
public des exécutions sera supprimé. Le corps des bourreaux fait, en
parallèle, face à de grandes difficultés car on exécute de moins en
moins de condamnés au fur et à mesure du temps. Cette baisse du travail
se répercute dans les postes disponibles, de moins en moins nombreux :
un bourreau par département à la Révolution puis un par cour d’appel
(donc 27 en France métropolitaine) en 1849 sur décision de
Louis-Napoléon Bonaparte et enfin un seul pour la France entière sous
l’impulsion de Crémieux en 1870 (l’Algérie gardera un bourreau propre).
Nombre de bourreaux se retrouvent au chômage et doivent être aidés par
l’Etat, ne parvenant pas à se reconvertir et ne pouvant se satisfaire
des quelques places d’adjoints allouées à la charge de l’unique bourreau
métropolitain… La France ne compte plus qu’un exécuteur qui, de 1870 à
1981, va voir sa charge de travail diminuer continuellement (en 25 ans,
de 1951 à 1976, seuls 51 condamnés sont guillotinés), tant et si bien
qu’il exerce souvent un métier parallèle à son emploi premier ; Marcel
Chevalier, dernier bourreau français étant par exemple imprimeur
typographe.
A l’aube de années
1970, alors que la publicité autour des exécutions est inexistante (au
contraire du Guatemala où elles sont retransmises à la télévision !!),
Valéry Giscard d’Estaing se prononce contre l’abolition, non pas à titre
personnel mais parce que 69% des Français restent favorables à la peine
capitale. Inscrit dans le programme de Mitterrand pour les élections
présidentielles de 1981, l’abolition sera effectuée par le sinistre
Robert Badinter par la loi du 9 octobre 1981, mettant ainsi fin en
France à une tradition judiciaire immémoriale qui avait su évoluer
« avec son temps »…
Frédéric Armand a
réussi à écrire une étude très détaillée, faisant appel à de nombreux
documents d’archive, mais néanmoins claire et fort plaisante à lire. Il
montre bien comment les bourreaux ont fondé de réelles dynasties autour
de leur activité (et ce jusqu’au 20ème siècle, ce sont
souvent les mêmes grandes familles que l’on retrouve chez les bourreaux
ou leurs adjoints) et surtout comment ceux-ci n’ont toujours été qu’un
simple rouage de la justice. Ils exécutent et n’ont aucun pouvoir
décisionnel, ce qui explique pourquoi les mêmes bourreaux sont restés en
place malgré les changements politiques et ont parfois œuvré à exécuter
leurs maîtres de la veille ! Hommes de leur époque, ils ont dû s’y
soumettre docilement et laisser, de temps à autres, leurs opinions de
côté car « la pitié fait trembler la main ».
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