Livre présenté par Camille Galic.
En ce soixantième anniversaire de la mort (dans son lit, et couvert d’honneurs) du « Petit Père des peuples », est-il enfin temps d’admettre que les similitudes « entre le nazisme et le stalinisme sont trop nombreuses pour être ignorées » et qu’ « en fin de compte », si Adolf Hitler fut un génocideur, Joseph Staline le fut aussi ? C’est la conclusion du grand universitaire américain Norman M. Naimark, spécialiste de l’ère soviétique à l’université de Stanford, dans son livre court et assez mal écrit mais dense, « Les génocides de Staline ». C.G.
Pour beaucoup d’entre nous, et bien avant la publication du Livre noir du communisme
(Robert Laffont, 1997) dû à Stéphane Courtois, le caractère génocidaire
des régimes issus du marxisme-léninisme était une évidence, l’ancien zek croate (et ci-devant trotskiste) Ante Ciliga l’ayant par exemple établi dès 1938 dans Au pays du grand mensonge (Gallimard). Mais le sujet reste explosif.
Peut-on comparer « crimes soviétiques » et « horreurs nazies » ?
Moins en raison, désormais, de l’opposition des communistes que de
l’OPA lancée par Israël et la diaspora sur le terme de génocide ainsi
que l’explique Naimark dans un premier chapitre (« La question du
génocide ») passablement embarrassé et plein de formules propitiatoires
sur la barbarie du IIIe Reich et l’unicité de la Shoah qui,
« pour nombre de raisons, doit être considéré comme le pire cas de
génocide de l’époque moderne » ainsi qu’il le répète in fine à
l’usage de ceux qui n’auraient pas compris. « L’horreur fondamentale
inspirée par l’Holocauste, insiste ainsi l’universitaire états-unien,
influence à juste titre notre appréhension d’un certain nombre de
questions politiques et morales importantes. Du fait précisément que
l’Union soviétique eut un rôle primordial dans la victoire sur le
nazisme et perdit 27 millions de citoyens contre le monstre qui engendra
Auschwitz et Babi Yar, il existe une réticence considérable et
compréhensible à classer les crimes soviétiques dans la même catégorie
que les horreurs nazies. »
Cela constaté, il faut passer aux choses sérieuses, c’est-à-dire à
l’examen des faits. Et ceux-ci sont accablants, qu’il s’agisse de la
liquidation des « ennemis de classe » ou de celle de peuples catalogués
comme potentiellement dangereux pour l’avenir radieux du socialisme.
Après la dékoulakisation, l’Holodomor
Parmi les premiers, les Koulaks, surnom d’ailleurs obscène donné aux
paysans aisés. Plusieurs « dizaines de milliers » d’entre eux furent
« rapidement éliminés » en 1929 et « plus de deux millions » envoyés au
Goulag où 250.000 succombèrent « dans la seule période 1932-1933 ». Une
cadence que l’on devait revoir au moment des grandes purges organisées
par Staline à la fin des années 1930 et destinées à décapiter toute
opposition… et toute concurrence, la famille et l’entourage (parfois
simplement professionnel) des adversaires et des rivaux potentiels du
maître du Kremlin étant sur son ordre exprès « exécutés comme des
chiens » et, dans le meilleur des cas, déportés dans ce que Soljenitsyne
devait appeler l’archipel.
Parmi les seconds, les Baltes, les Polonais (22.000 morts dont
Staline tenta jusqu’à Nuremberg de faire endosser la responsabilité au
chancelier allemand) et les Ukrainiens trop attachés à leurs traditions
et à leurs spécificités, religieuses notamment, et donc réputés
réfractaires à l’idéologie communiste. D’où la terrifiante
« Holodomor », famine systématiquement organisée en Ukraine par Lazare
Moïsseïevitch Kaganovitch – qui, lui aussi, mourut dans son lit, presque
centenaire. Cette disette sans précédent fit au minimum 6 à 7 millions
de morts et entraîna cannibalisme et nécrophagie dans « un cycle de
dé-civilisation » dûment programmé, selon Naimark.
La moitié des Tatars et 38% des Kazakhs anéantis !
Mais l’historien mentionne d’autres cas qui sont moins connus, tel
celui des Tatars de Crimée, des Tchétchènes et des Ingouches,
massivement déportés et dispersés dans des déserts d’Asie centrale car
« destinés à l’élimination, sinon physique, du moins en tant que
nationalités ayant leur identité propre ». Résultat : sur les 190.000
Tatars déplacés, « 70.000 à 90.000 moururent pendant les premières
années d’exil », du fait de la faim et des conditions climatiques
extrêmes succédant à d’interminables acheminements en train, sans eau ni
nourriture – ce qui devait être dix ans plus tard le lot des Allemands
chassés des territoires germaniques de l’Europe de l’Est et eux aussi
« expulsés » dans des conditions inhumaines, tragédie tacitement
occultée mais récemment dévoilée par un autre universitaire américain,
R. M. Douglas (*).
Autre région sinistrée et délibérément dépeuplée car on connaissait à
Moscou l’ampleur des réserves en hydrocarbures du territoire, le
Kazakhstan : « Le nombre de décès attribuables à la famine fut de 1,45
million, 38% de la population. » Si l’on ajoute que « beaucoup de
Kazakhs furent abattus parce qu’ils essayaient de fuir leur pays », le
génocide est ici aussi avéré. De même que dans le cas d’ethnies
sibériennes jugées par Staline « irrationnelles » car numériquement
insignifiantes… et donc non viables de toute façon !
Qu’en disent nos belles âmes toujours si sensibles, à juste titre, au
sort réservé aux Indiens des deux Amériques par les Espagnols puis les
Yankees ?
L’indécent hommage de L’Huma
Nonobstant, la plupart des démocrates patentés y allèrent le 5 mars
1953 de leur hommage ému au grand disparu. En France, cependant qu’une
minute de silence était observée à l’Assemblée nationale à la demande du
président Herrriot, Le Monde, déjà « quotidien de référence »,
célébrait en Staline « l’homme qui a réconcilié la Russie et la
révolution au point de les rendre inséparables » et qui « a aussi permis
à l’homme de remporter sur la nature quelques-unes de ses plus
magnifiques victoires » – on sait au prix de quels désastres pour
l’environnement, tel l’assèchement de la mer d’Aral. Et L’Humanité, fidèle à elle-même, titrait à sa une sur « Le deuil de tous les peuples ».
Ceux, du moins, qui avaient survécu au génocidaire Staline… Lequel
n’avait d’ailleurs rien inventé (M. Naimark n’insiste pas suffisamment
sur ce point) mais simplement porté à son paroxysme le système hérité de
Lénine, créateur dès son décret de décembre 1917 des Kontzentratzionyé lageri,
autrement dit des camps de concentration où devait périr, exécutés ou
malades, affamés et à bout de forces, plus du dixième de la population
soviétique de l’époque.
Normam M. Naimark, Les génocides de Staline, Ed. L’Arche 2012, 140 pages avec notes, 15 €. Traduction de Jean Pouvelle.
Note :
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