Ouverte
en 1701, la guerre de succession d'Espagne épuisa la France et l'Europe
jusqu'en 1714, où elle se conclut par une paix favorable à Louis XIV,
dans la continuité d'une victoire décisive obtenue à Denain, deux ans
plus tôt, par le maréchal de Villars.
Cette année-là, le soixante-neuvième de son règne, Louis XIV, soixante-quatorze ans, engagé dans la guerre dite de Succession d'Espagne, voyait se liguer contre lui l'Europe presque tout entière. L'heure était grave : pour le royaume, pas encore guéri des méfaits matériels et moraux causés par l'hiver terrible de 1709, et pour la famille royale elle-même, éprouvée par des deuils tragiques. Mais le roi de France, qui avait accepté, en 1700, la couronne d'Espagne pour son petit-fils le duc d'Anjou, lequel devint alors Philippe V, entendait maintenir coûte que coûte un Bourbon sur le trône d'outre-Pyrénées, non par orgueil familial ou national, mais tout simplement pour empêcher qu'un jour la France fût à nouveau prise en tenaille et que fût rompu le difficile équilibre européen. L'enjeu était de très grande politique.
L'appel de Louis XIV
L'intention de l'Europe coalisée était bel et bien de ruiner et de démembrer le royaume capétien. Il fallait résister jusqu'au bout, quel que fût le désir de paix, et expliquer à l'opinion publique que c'étaient les ennemis qui nous obligeaient à poursuivre la guerre... On conseilla au roi de réunir les états généraux, mais il ne voulut point recourir à ce remède dangereux. Il préféra écrire une lettre, un appel aux Français qui fut lu dans toutes les églises et placardé sur tous les murs publics du royaume. Les Français répondirent par un nouvel élan, montrant une nouvelle fois la faculté de redressement qui leur est propre.
Cette résistance ne fut pas vaine, car les ennemis eux-mêmes commençaient à s'essouffler. Or la France n'était envahie qu'au nord et, sur nos lignes de défense, nous ne reculions que pied à pied. Depuis notre désastreuse défaite de Malplaquet (11 septembre 1709) qui leur coûta très cher, les Anglais manifestaient un réel désir de reprendre les pourparlers de paix, car cette guerre continentale, en fin de compte, ne leur rapportait pas grand chose... Le 10 décembre 1710, la victoire des troupes franco-espagnoles, sous le commandement du duc de Vendôme, arrière-petit-fils d'Henri IV, à Villaviciosa de Tajuña en Castille, fit réfléchir les Anglais, lesquels, en fin de compte, ne trouvaient pas si mal la séparation des deux couronnes de France et d'Espagne que proposait Louis XIV. Restaient les Hollandais parmi les plus intransigeants, et aussi les troupes du nouvel empereur romain germanique Charles VI, celui-là même qui, en tant qu'archiduc et petit neveu, comme le duc d'Anjou, du vieux roi d'Espagne Charles II (1661-1700), voulait régner sur l'Espagne. Il aurait donc été à la fois empereur et roi d'Espagne, comme jadis Charles Quint ; c'est ce que l'obstination de Louis XIV évitait pour la paix de l'Europe entière. Privés de leur appui principal, l'Angleterre, les troupes hollando-impériales grignotaient peu à peu les dernières places françaises qui contenaient l'invasion depuis des années et osaient appeler leur route ainsi déblayée le "chemin de Paris". Quant aux Anglais, voyant mourir, à la suite du Grand Dauphin, tant de princes du sang français, ils se mirent à craindre que Philipppe V fût un jour appelé, malgré les promesses de Louis XIV, à régner à Paris et à Madrid simultanément..
Alors, le prince Eugène de Savoie-Carignan, au service des Habsbourg, força la frontière du nord en 1712 : il commandait cent trente mille hommes ; face à lui, le maréchal de Villars disposait de soixante dix mille vieux soldats français, la dernière réserve du royaume... Louis XIV déclara qu'en cas de revers, il se rendrait à Péronne et ou à Saint-Quentin : « Mieux vaut périr ensemble et sauver l'État. Je ne consentirai jamais à laisser l'ennemi approcher de ma capitale. » Un vent de panique souffla sur Versailles. On voulut presser le roi de ne pas s'exposer à être capturé : il répondit avec hauteur, et très royalement, qu'il refuserait d'abandonner son poste devant l'ennemi. Or le prince Eugène, trop sûr de lui, commit une imprudence en installant ses magasins un peu trop loin du principal corps d'armée : le camp de Denain, près de Valenciennes. Un habitant du pays s'en aperçut et courut le dire au général de Montesquiou qui le rapporta à son supérieur, le maréchal de Villars. Celui-ci fit simuler une attaque de Denain : les défenseurs du camp furent tous pris. Et quand le prince Eugène arriva, le 24 juillet 1712, il fut repoussé vigoureusement. Privé de vivres et de munitions, il n'eut plus qu'à se replier vers les Pays-Bas.
Villars, le chanceux
Dans l'affaire, Villars eut beaucoup de chance, mais il manoeuvra habilement. Sa gloire est surtout d'avoir obéi aux ordres formels de Louis XIV en livrant cette bataille désespérée. Le vieux Capétien, en faisant taire tous les défaitistes, avait tiré son royaume du désastre. Désormais le traité d'Utrecht pouvait être signé : la France n'était pas en position de faiblesse. Elle conservait les frontières qu'elle avait acquises, mais elle fut écartée de la Flandre belge qui passa à la maison d'Autriche, laquelle reçut mission, avec la Hollande de Guillaume d'Orange, de veilller à ce que les Français ne cherchassent pas à imposer leur présence ici. L'Angleterre, maîtresse des mers, le devint aussi des colonies : les espagnoles, d'Amérique latine, mais aussi les autres qui nous échappèrent, Terre-Neuve, Acadie ; même notre Canada fut menacé. Quant à la renonciation de Philippe V et de ses descendants à leurs droits de princes français, elle allait de soi et cela deviendrait évident au fur et à mesure que s'hispaniserait cette branche des Bourbons...
Un tournant en Europe
Mais les Hohenzollern, les plus actifs et les plus ambitieux des princes allemands, devinrent rois de Prusse et allaient par la suite chercher à reconstituer à leur profit l'unité allemande. Comme dit Jacques Bainville, « Louis XIV avait compris que la rivalité des Bourbons et des Habsbourg était finie, qu'elle devenait un anachronisme, que des bouleversements continentaux ne pourraient plus se produire qu'au détriment de la France et au profit de l'Angleterre pour qui chaque conflit européen serait l'occasion de fortifier son empire colonial ».
Quand le vieux roi allait mourir en 1715, la France était très fatiguée ayant dû payer d'un haut prix l'acquisition de ses frontières et de sa sécurité. Les générations à venir sauraient-elles rendre hommage comme il le fallait à ces hommes de tradition qui gardèrent le sol natal au prix des pires sacrifices ? Cette année 1712 est aussi celle qui vit naître, le 28 juin, un mois avant le sauvetage inespéré de Denain, Jean-Jacques Rousseau, l'homme le plus asocial qui fût jamais et qui allait se mettre dans l'idée de dresser les plans d'une société révolutionnaire à laquelle il ne croyait même pas lui-même, mais à laquelle allaient croire les hommes de 1789... En quelques mois c'en serait (presque) fini de l'oeuvre de nos rois, pour le plus grand malheur de la France...
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 1er au 14 mars 2012
Cette année-là, le soixante-neuvième de son règne, Louis XIV, soixante-quatorze ans, engagé dans la guerre dite de Succession d'Espagne, voyait se liguer contre lui l'Europe presque tout entière. L'heure était grave : pour le royaume, pas encore guéri des méfaits matériels et moraux causés par l'hiver terrible de 1709, et pour la famille royale elle-même, éprouvée par des deuils tragiques. Mais le roi de France, qui avait accepté, en 1700, la couronne d'Espagne pour son petit-fils le duc d'Anjou, lequel devint alors Philippe V, entendait maintenir coûte que coûte un Bourbon sur le trône d'outre-Pyrénées, non par orgueil familial ou national, mais tout simplement pour empêcher qu'un jour la France fût à nouveau prise en tenaille et que fût rompu le difficile équilibre européen. L'enjeu était de très grande politique.
L'appel de Louis XIV
L'intention de l'Europe coalisée était bel et bien de ruiner et de démembrer le royaume capétien. Il fallait résister jusqu'au bout, quel que fût le désir de paix, et expliquer à l'opinion publique que c'étaient les ennemis qui nous obligeaient à poursuivre la guerre... On conseilla au roi de réunir les états généraux, mais il ne voulut point recourir à ce remède dangereux. Il préféra écrire une lettre, un appel aux Français qui fut lu dans toutes les églises et placardé sur tous les murs publics du royaume. Les Français répondirent par un nouvel élan, montrant une nouvelle fois la faculté de redressement qui leur est propre.
Cette résistance ne fut pas vaine, car les ennemis eux-mêmes commençaient à s'essouffler. Or la France n'était envahie qu'au nord et, sur nos lignes de défense, nous ne reculions que pied à pied. Depuis notre désastreuse défaite de Malplaquet (11 septembre 1709) qui leur coûta très cher, les Anglais manifestaient un réel désir de reprendre les pourparlers de paix, car cette guerre continentale, en fin de compte, ne leur rapportait pas grand chose... Le 10 décembre 1710, la victoire des troupes franco-espagnoles, sous le commandement du duc de Vendôme, arrière-petit-fils d'Henri IV, à Villaviciosa de Tajuña en Castille, fit réfléchir les Anglais, lesquels, en fin de compte, ne trouvaient pas si mal la séparation des deux couronnes de France et d'Espagne que proposait Louis XIV. Restaient les Hollandais parmi les plus intransigeants, et aussi les troupes du nouvel empereur romain germanique Charles VI, celui-là même qui, en tant qu'archiduc et petit neveu, comme le duc d'Anjou, du vieux roi d'Espagne Charles II (1661-1700), voulait régner sur l'Espagne. Il aurait donc été à la fois empereur et roi d'Espagne, comme jadis Charles Quint ; c'est ce que l'obstination de Louis XIV évitait pour la paix de l'Europe entière. Privés de leur appui principal, l'Angleterre, les troupes hollando-impériales grignotaient peu à peu les dernières places françaises qui contenaient l'invasion depuis des années et osaient appeler leur route ainsi déblayée le "chemin de Paris". Quant aux Anglais, voyant mourir, à la suite du Grand Dauphin, tant de princes du sang français, ils se mirent à craindre que Philipppe V fût un jour appelé, malgré les promesses de Louis XIV, à régner à Paris et à Madrid simultanément..
Alors, le prince Eugène de Savoie-Carignan, au service des Habsbourg, força la frontière du nord en 1712 : il commandait cent trente mille hommes ; face à lui, le maréchal de Villars disposait de soixante dix mille vieux soldats français, la dernière réserve du royaume... Louis XIV déclara qu'en cas de revers, il se rendrait à Péronne et ou à Saint-Quentin : « Mieux vaut périr ensemble et sauver l'État. Je ne consentirai jamais à laisser l'ennemi approcher de ma capitale. » Un vent de panique souffla sur Versailles. On voulut presser le roi de ne pas s'exposer à être capturé : il répondit avec hauteur, et très royalement, qu'il refuserait d'abandonner son poste devant l'ennemi. Or le prince Eugène, trop sûr de lui, commit une imprudence en installant ses magasins un peu trop loin du principal corps d'armée : le camp de Denain, près de Valenciennes. Un habitant du pays s'en aperçut et courut le dire au général de Montesquiou qui le rapporta à son supérieur, le maréchal de Villars. Celui-ci fit simuler une attaque de Denain : les défenseurs du camp furent tous pris. Et quand le prince Eugène arriva, le 24 juillet 1712, il fut repoussé vigoureusement. Privé de vivres et de munitions, il n'eut plus qu'à se replier vers les Pays-Bas.
Villars, le chanceux
Dans l'affaire, Villars eut beaucoup de chance, mais il manoeuvra habilement. Sa gloire est surtout d'avoir obéi aux ordres formels de Louis XIV en livrant cette bataille désespérée. Le vieux Capétien, en faisant taire tous les défaitistes, avait tiré son royaume du désastre. Désormais le traité d'Utrecht pouvait être signé : la France n'était pas en position de faiblesse. Elle conservait les frontières qu'elle avait acquises, mais elle fut écartée de la Flandre belge qui passa à la maison d'Autriche, laquelle reçut mission, avec la Hollande de Guillaume d'Orange, de veilller à ce que les Français ne cherchassent pas à imposer leur présence ici. L'Angleterre, maîtresse des mers, le devint aussi des colonies : les espagnoles, d'Amérique latine, mais aussi les autres qui nous échappèrent, Terre-Neuve, Acadie ; même notre Canada fut menacé. Quant à la renonciation de Philippe V et de ses descendants à leurs droits de princes français, elle allait de soi et cela deviendrait évident au fur et à mesure que s'hispaniserait cette branche des Bourbons...
Un tournant en Europe
Mais les Hohenzollern, les plus actifs et les plus ambitieux des princes allemands, devinrent rois de Prusse et allaient par la suite chercher à reconstituer à leur profit l'unité allemande. Comme dit Jacques Bainville, « Louis XIV avait compris que la rivalité des Bourbons et des Habsbourg était finie, qu'elle devenait un anachronisme, que des bouleversements continentaux ne pourraient plus se produire qu'au détriment de la France et au profit de l'Angleterre pour qui chaque conflit européen serait l'occasion de fortifier son empire colonial ».
Quand le vieux roi allait mourir en 1715, la France était très fatiguée ayant dû payer d'un haut prix l'acquisition de ses frontières et de sa sécurité. Les générations à venir sauraient-elles rendre hommage comme il le fallait à ces hommes de tradition qui gardèrent le sol natal au prix des pires sacrifices ? Cette année 1712 est aussi celle qui vit naître, le 28 juin, un mois avant le sauvetage inespéré de Denain, Jean-Jacques Rousseau, l'homme le plus asocial qui fût jamais et qui allait se mettre dans l'idée de dresser les plans d'une société révolutionnaire à laquelle il ne croyait même pas lui-même, mais à laquelle allaient croire les hommes de 1789... En quelques mois c'en serait (presque) fini de l'oeuvre de nos rois, pour le plus grand malheur de la France...
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 1er au 14 mars 2012
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