Le
comte de Chambord se dit prêt à tout sacrifier, hormis son honneur.
Aussi refuse-t-il qu'on lui arrache des mains le drapeau blanc,
l'étendard d'Henri IV, de François Ier et de Jeanne d'Arc.
Cette année-là, Henri V, comte de Chambord, dejure roi de France depuis le 2 août 1830, laissa passer l'occasion d'une restauration de la monarchie par son obstination, trop souvent mal comprise, à maintenir le drapeau blanc.
Les couleurs de la Révolution
Il est vrai qu'après tant de guerres où les Français s'élevèrent jusqu'à l'héroïsme sous les plis du drapeau bleu, blanc, rouge, cette attitude peut surprendre. Mais au XIXe siècle, ces couleurs étaient encore pour beaucoup celles de la Révolution et des guerres napoléoniennes. On avait oublié que, sous l'Ancien Régime, les drapeaux des régiments n'étaient pas uniformes et que le blanc était seulement la couleur du commandement. On avait aussi oublié que le drapeau tricolore était antérieur à la Terreur et que ce fut Jean-Frédéric de La Tour du Pin- Gouvernet, ministre de la Guerre en 1790 et d'une fidélité admirable à Louis XVI, qui en dota l'armée. Certains se souvenaient d'avoir vu Louis XVIII lui-même rentrant à Paris en 1814 une cocarde tricolore à son chapeau... qu'il enleva lorsqu'il vit les maréchaux de l'ex-Empire exhiber la cocarde blanche !
On a osé dire que le petit-fils de Charles X, exilé à Froshdorf, ne voulait pas vraiment régner. C'est si faux que lorsqu'en février 1871, les Français eurent élu, pour préparer le redressement après la défaite, une chambre de 400 monarchistes contre 240 républicains, Henri V s'était empressé, de venir en France et de lancer dès le 5 juillet, de son château de Chambord, un très beau manifeste où il disait aux Français désabusés par tant de ruines qu'« on ne revient pas à la vérité en changeant d'erreur », et qu'il était prêt pour aider son pays à tout sacrifier hormis son honneur, ajoutant : « Je ne laisserai pas arracher de mes mains l'étendard d'Henri IV, de François Ier et de Jeanne d'Arc. [...] C'est avec lui que s'est faite l'unité nationale. [...] Je l'ai reçu comme un dépôt sacré du vieux roi mon aïeul, mourant en exil ; il a toujours été pour moi inséparable du souvenir de la patrie absente ; il a flotté sur mon berceau, je veux qu'il ombrage ma tombe. »
La faute des "ducs"
Au-delà du tissu, il y avait donc une question de principe. Le comte de Chambord était loin d'être un personnage obtus. Nous avons lu dans notre dernier numéro sa Lettre aux ouvriers (1865) tout inspirée de la grande tradition capétienne du roi père de peuple ; il ne voulait pas, s'il devait régner, être privé de la liberté d'aider les humbles à se libérer de la chape de plomb que leur imposaient alors les grands industriels "libéraux", lesquels reconstituaient au moyen de l'argent- roi la grande féodalité. Or, précisément, la majorité élue était pour son malheur divisée entre légitimistes et orléanistes, et le parti de « MM. les ducs » (Audiffret-Pasquier, Decazes, Broglie...), en somme le parti orléaniste, entendait bel et bien imposer avec le centre-droit une monarchie à l'anglaise où l'assemblée serait souveraine ! Le prince refusait de monter sur le trône « ficelé comme un saucisson » ou comme une sorte de maire du palais. Il voulait régner et gouverner.
Le 5 août 1872, Philippe, comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe, s'était rendu à Froshdorf : il avait salué le comte de Chambord comme le « seul représentant du principe monarchique » ajoutant que « nulle compétition ne s'élèvera[it] dans notre famille ». La réconciliation entre Bourbons et Orléans était dès lors accomplie. Le problème dynastique était résolu.
Les élus royalistes crurent le moment venu de créer une commission en vue de préparer la constitution royale. Charles Chesnelong, député d'Orthez, alla le 14 octobre 1873 à Salzbourg la présenter au comte de Chambord qui l'approuva mais maintint sa position sur le drapeau. En dépit de quoi le comte de Damas fit façonner cinq carrosses pour le couronnement...
La République s'incruste
27 octobre : nouvelle déclaration de Prince, cette fois-ci plus explicite sur la question du drapeau : « Je ne puis consentir à inaugurer un règne réparateur et fort par un acte de faiblesse. » La commission mit fin alors, courageusement !, à ses travaux. Le comte de Chambord vint néanmoins incognito le 9 novembre à Versailles chez le comte de Vanssay et demanda à rencontrer le maréchal de Mac-Mahon, président de ce qui n'était encore ni en fait ni en droit une république. Le prince pensait se faire acclamer par la Chambre, mais Mac- Mahon n'osa pas tenter ce qui eût ressemblé à un coup d'État... C'est ainsi que la chambre vota le septennat du président, croyant laisser au comte de Chambord le temps de mourir et au comte de Paris, qui n'avait pas les mêmes soucis avec les couleurs, le temps de devenir l'héritier. Mais la République, passée à une voix de majorité par le biais de l'amendement Wallon le 30 janvier 1875, allait s'incruster... Des royalistes divisés, des féodaux voulant une monarchie selon eux et obligeant du fait même le Prince à se crisper sur le symbole du drapeau : voilà un aspect de ce que Maurras appelait le « guignon français ».
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 4 au 17 novembre 2010
Cette année-là, Henri V, comte de Chambord, dejure roi de France depuis le 2 août 1830, laissa passer l'occasion d'une restauration de la monarchie par son obstination, trop souvent mal comprise, à maintenir le drapeau blanc.
Les couleurs de la Révolution
Il est vrai qu'après tant de guerres où les Français s'élevèrent jusqu'à l'héroïsme sous les plis du drapeau bleu, blanc, rouge, cette attitude peut surprendre. Mais au XIXe siècle, ces couleurs étaient encore pour beaucoup celles de la Révolution et des guerres napoléoniennes. On avait oublié que, sous l'Ancien Régime, les drapeaux des régiments n'étaient pas uniformes et que le blanc était seulement la couleur du commandement. On avait aussi oublié que le drapeau tricolore était antérieur à la Terreur et que ce fut Jean-Frédéric de La Tour du Pin- Gouvernet, ministre de la Guerre en 1790 et d'une fidélité admirable à Louis XVI, qui en dota l'armée. Certains se souvenaient d'avoir vu Louis XVIII lui-même rentrant à Paris en 1814 une cocarde tricolore à son chapeau... qu'il enleva lorsqu'il vit les maréchaux de l'ex-Empire exhiber la cocarde blanche !
On a osé dire que le petit-fils de Charles X, exilé à Froshdorf, ne voulait pas vraiment régner. C'est si faux que lorsqu'en février 1871, les Français eurent élu, pour préparer le redressement après la défaite, une chambre de 400 monarchistes contre 240 républicains, Henri V s'était empressé, de venir en France et de lancer dès le 5 juillet, de son château de Chambord, un très beau manifeste où il disait aux Français désabusés par tant de ruines qu'« on ne revient pas à la vérité en changeant d'erreur », et qu'il était prêt pour aider son pays à tout sacrifier hormis son honneur, ajoutant : « Je ne laisserai pas arracher de mes mains l'étendard d'Henri IV, de François Ier et de Jeanne d'Arc. [...] C'est avec lui que s'est faite l'unité nationale. [...] Je l'ai reçu comme un dépôt sacré du vieux roi mon aïeul, mourant en exil ; il a toujours été pour moi inséparable du souvenir de la patrie absente ; il a flotté sur mon berceau, je veux qu'il ombrage ma tombe. »
La faute des "ducs"
Au-delà du tissu, il y avait donc une question de principe. Le comte de Chambord était loin d'être un personnage obtus. Nous avons lu dans notre dernier numéro sa Lettre aux ouvriers (1865) tout inspirée de la grande tradition capétienne du roi père de peuple ; il ne voulait pas, s'il devait régner, être privé de la liberté d'aider les humbles à se libérer de la chape de plomb que leur imposaient alors les grands industriels "libéraux", lesquels reconstituaient au moyen de l'argent- roi la grande féodalité. Or, précisément, la majorité élue était pour son malheur divisée entre légitimistes et orléanistes, et le parti de « MM. les ducs » (Audiffret-Pasquier, Decazes, Broglie...), en somme le parti orléaniste, entendait bel et bien imposer avec le centre-droit une monarchie à l'anglaise où l'assemblée serait souveraine ! Le prince refusait de monter sur le trône « ficelé comme un saucisson » ou comme une sorte de maire du palais. Il voulait régner et gouverner.
Le 5 août 1872, Philippe, comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe, s'était rendu à Froshdorf : il avait salué le comte de Chambord comme le « seul représentant du principe monarchique » ajoutant que « nulle compétition ne s'élèvera[it] dans notre famille ». La réconciliation entre Bourbons et Orléans était dès lors accomplie. Le problème dynastique était résolu.
Les élus royalistes crurent le moment venu de créer une commission en vue de préparer la constitution royale. Charles Chesnelong, député d'Orthez, alla le 14 octobre 1873 à Salzbourg la présenter au comte de Chambord qui l'approuva mais maintint sa position sur le drapeau. En dépit de quoi le comte de Damas fit façonner cinq carrosses pour le couronnement...
La République s'incruste
27 octobre : nouvelle déclaration de Prince, cette fois-ci plus explicite sur la question du drapeau : « Je ne puis consentir à inaugurer un règne réparateur et fort par un acte de faiblesse. » La commission mit fin alors, courageusement !, à ses travaux. Le comte de Chambord vint néanmoins incognito le 9 novembre à Versailles chez le comte de Vanssay et demanda à rencontrer le maréchal de Mac-Mahon, président de ce qui n'était encore ni en fait ni en droit une république. Le prince pensait se faire acclamer par la Chambre, mais Mac- Mahon n'osa pas tenter ce qui eût ressemblé à un coup d'État... C'est ainsi que la chambre vota le septennat du président, croyant laisser au comte de Chambord le temps de mourir et au comte de Paris, qui n'avait pas les mêmes soucis avec les couleurs, le temps de devenir l'héritier. Mais la République, passée à une voix de majorité par le biais de l'amendement Wallon le 30 janvier 1875, allait s'incruster... Des royalistes divisés, des féodaux voulant une monarchie selon eux et obligeant du fait même le Prince à se crisper sur le symbole du drapeau : voilà un aspect de ce que Maurras appelait le « guignon français ».
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 4 au 17 novembre 2010
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