dimanche 13 janvier 2013

Les écrivains rebelles Paul Morand

Paul Morand vient au monde le 13 mars 1888, à Paris. Son père, Eugène Morand, cultive, en marge  d'une carrière de haut fonctionnaire des Beaux-Arts, des talents de peintre, de graveur et d'auteur dramatique estimé. Ses amis se nomment Auguste Rodin, Stéphane Mallarmé, Marcel Schwob, Henri de Régnier, Segonzac... À la question : « Que voulez-vous faire de votre fils ? », il répondit : « Un homme heureux ». Parmi ses maximes favorites, que le jeune Paul retiendra, notons : « Il est plus facile de se passer des choses que de perdre son temps à les acquérir » ou encore « Dieu a raté ce monde, pourquoi voudrait-on qu'il ait réussi l'autre ? » Enfant unique, protégé, Paul Morand n'aime ni les contraintes, ni les conformismes, et les études l'ennuient. C'est un élève distrait plus attiré par les ballades dans Paris que par la contemplation d'un tableau noir. Il se passionne pour les écrivains esthètes (Marcel Schwob) ou sulfureux (Oscar Wilde). Il acquerra au contact des pessimistes, tels Renan, Maupassant, Schopenhauer, une vision du monde sans illusions, que d'aucuns qualifieront de cynique. Pessimiste, peut-être, mais pessimiste actif...
Sa vision de la vie le rapproche davantage de Nietzsche que de Cioran, tant son désabusement s'accompagne d'une formidable fringale de vie. Après son échec à l'oral de philosophie, en 1905, il devient d'un coup un élève sérieux, avec l'aide d'un précepteur prestigieux, Jean Giraudoux, et terminera premier au concours du Quai d'Orsay. Il débute ainsi dans la Carrière. Il va beaucoup voyager, au gré de ses affectations et va écrire de nombreux livres, récits de voyage, romans, nouvelles. Il a le génie de la formule qui fait mouche, sait animer un récit et décrit avec une grande finesse les pays traversés et les personnages rencontrés. Il écrira même des articles dans Le Figaro. Son style est syncopé, rapide, ses métaphores brutales. Il porte un regard froid sur le monde et évite tout jugement moral. Il dira : « Je suis simplement un écrivain et comme le Danube je charrie impartialement des cadavres et des fleurs. » Incapable de tenir en place, il finit par se mettre en congé des Affaires étrangères afin de satisfaire son besoin d'errance. Il commentera : « Ce n'est pas par avidité que je suis pressé, mais au contraire parce que je ne tiens pas assez aux choses pour les désirer longtemps. » Il aimait citer Gassendi : « Je suis né sans savoir pourquoi, j'ai vécu sans savoir comment. Je meurs sans savoir pourquoi ni comment. »
Morand, qui s'était tenu à l'écart de tout engagement politique estime en 1943 de son devoir de s'engager. Il est nommé, après le retour de Pierre Laval au gouvernement, ambassadeur de France en Roumanie, pays de son épouse. Jean Jardin, l’éminence grise de Laval, favorise son départ de Bucarest en 1944 devant l'avancée des troupes soviétiques, et le fait nommer en Suisse. Beaucoup, dont De Gaulle, ne lui pardonneront pas cette collaboration avec le régime de Vichy. La lecture de son Journal inutile conforte l'image d'un nostalgique de Vichy, antisémite, raciste et homophobe, que révulsent la France et l'Europe contemporaines. Contraint à l'exil à Vevey, en Suisse, durant dix ans, il sera cependant autorisé à revenir en France en 1955 et sera réintégré dans son corps d'origine. Il avait écrit : « L'exil est un lourd sommeil qui ressemble à la mort. » Il deviendra, avec Jacques Chardonne, le protecteur de cette nouvelle génération d'écrivains qu'on appellera les Hussards. De Gaulle, qui avait la rancune tenace s'était opposé à son élection à l'Académie française. Morand l'appelait avec mépris, dans sa correspondance avec Chardonne, "Gaulle". Il devra attendre 1968 pour que le veto soit levé et sera élu au fauteuil de Maurice Garçon le 24 septembre 1968, mais le chef de l'État, contrairement à la tradition, ne le recevra pas. Il meurt le 23 juillet 1976 à Paris, un an et demi après son épouse. Conformément aux dispositions de son testament, leurs cendres furent mêlées et déposées à Trieste. Il avait écrit dans Venises : « Là j'irai gésir, après ce long accident que fut ma vie. Ma cendre, sous ce sol, une inscription en grec en témoignera ; je serai veillé par cette religion orthodoxe vers quoi Venise m'a conduit. » Roger Nimier l'avait prédit : « Un jour il bondira, vieux sportif dans la mort ».
R. S. RIVAROL  11 JANVIER 2013

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