À Paris, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant a déclaré le 4
février 2012, devant des représentants d’une association étudiante : «Contrairement
à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les
civilisations ne se valent pas (…). Celles qui défendent l'humanité nous
paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent
la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à
celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine
sociale ou ethnique».
Le propos a fait polémique en raison du flou qui entoure le mot «civilisations» (au pluriel). Que recouvre ce mot, que le ministre français a employé sciemment en lieu et place du mot «sociétés» ?
Pour nous éclairer, nous nous sommes tournés vers nos grands ancêtres
et vers l’un des historiens les plus illustres du XXe siècle, le
britannique Arnold Toynbee (1889-1975), auteur d’une Étude de l’Histoire en 12 volumes. Ainsi comprendrons-nous un peu mieux notre monde, au passé, au présent et au futur.
André Larané, avec la contribution d'Isabelle Grégor
Pas de «civilisation» avant le XVIIIe siècle !
Bien que d’apparence commune, le mot «civilisation» n’a que trois siècles d’existence. Il est issu du latin civis, c'est-à-dire citoyen, et de civitas,
qui désigne la cité, autrement dit l’ensemble des citoyens. Il apparaît
d’abord dans le vocabulaire juridique pour désigner le fait de rendre
civile une matière criminelle.
Au siècle des Lumières, il commence à se montrer dans un sens moderne. On le repère en 1758 dans L’Ami des Hommes, un essai politique de Victor Riqueti de Mirabeau, le père du tribun révolutionnaire : «C'est la religion le premier ressort de la civilisation», c'est-à-dire qui rend les hommes plus aptes à vivre ensemble.
On le retrouve en 1770 dans L’Histoire des Deux Indes, un ouvrage majeur du siècle des Lumières, attribué à l’abbé de Raynal et plus probablement à Diderot : «La civilisation d'un empire est un ouvrage long et difficile».
Dans cet ouvrage, le mot «civilisation» est employé comme synonyme de «rendre policé» (de polis, cité en
grec). Il exprime le processus qui permet aux hommes de s’élever
au-dessus de l’état de nature, en corrélation avec le développement des
villes. À ce propos, il n’est pas anodin d’observer que les adjectifs
apparentés «civilisé», «policé» et «urbain» (au sens d’urbanité) viennent de mots latins ou grecs qui désignent tous la ville ou la cité : civitas, polis, urbs.
En 1795, à la fin de la Révolution, le mot civilisation a les
honneurs du dictionnaire de l'Académie française avec la définition
suivante : «Action de civiliser, ou état de ce qui est civilisé».
L'édition de 1872 est plus précise : «État de ce qui est
civilisé, c'est-à-dire ensemble des opinions et des mœurs qui résulte de
l'action réciproque des arts industriels, de la religion, des
beaux-arts et des sciences». Elle ne porte pas de jugement de valeur ni n’établit de comparaison entre différentes formes de civilisations.
Le barbare n'est pas celui qu'on croit...
Les jugements de valeur ont longtemps été étrangers à la pensée occidentale. Quand les anciens Grecs inventent le mot barbare, il s’agit simplement d'une onomatopée par laquelle ils désignent les gens qui ne parlent pas leur langue.
Le sens du mot évolue à la fin de l’Antiquité quand, choqués par la
violence des invasions germaniques, les Romains commencent à opposer sauvagerie et civilisation (humanitas). Le mot barbare prend alors une consonance péjorative en désignant l'ensemble des peuples hostiles qui vivent aux confins de l'empire.
Mais les Romains et leurs héritiers, chrétiens à l’ouest,
majoritairement musulmans à l’est, demeurent étrangers aux jugements de
valeur et plus encore aux catégories raciales. Au Moyen Âge, pour les
disciples du Christ comme pour ceux de Mahomet, tous les hommes ont
vocation à rejoindre leur foi.
À ce propos, retenons l’observation ironique d’Arnold Toynbee, publiée en 1972 : «Au
lieu de diviser l’humanité comme nous le faisons, en hommes de race
blanche et en hommes de couleur, nos ancêtres les divisaient en
chrétiens et en païens. Nous ne pouvons manquer d’avouer que leur
dichotomie valait mieux que la nôtre tant sur le plan de l’esprit que de
la morale» (L’Histoire, Elsevier, 1972, traduction : 1978).
Curieux de tout, les Européens du Moyen Âge, une fois qu’ils ont fait
le tour de leur monde imaginaire (bestiaire, gargouilles…), s’échappent
de l’étroite «fin de terre» dans laquelle ils sont piégés. Ils empruntent la seule voie qui leur est ouverte, la voie océanique, et ainsi découvrent «monter en un ciel ignoré/Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles» (José Maria de Heredia).
La rencontre avec les peuples du Nouveau Monde est brutale, d’autant
plus meurtrière que s’immisce le fléau des épidémies. Elle révèle aussi
aux Européens l’infinie diversité de la condition humaine : «Mais quoi, ils ne portent point de hauts-de-chausses !» Cette réflexion amusée conclut le passage des Essais rédigé par Montaigne après sa rencontre avec trois Indiens du Brésil, à Rouen, en 1562.
Montaigne ne s’en tient pas là. Décrivant les mœurs cruelles des «cannibales», il ajoute : «Je
trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de
sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté : sinon que chacun
appelle barbarie, ce qui n’est pas de son usage». Et précise : «Je
pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le
manger mort, à déchirer par tourments et par géhennes, un corps encore
plein de sentiment, à le faire rôtir par le menu».
La critique vise ses contemporains qui se déchirent dans les guerres
de religion. Montaigne les amène à réfléchir sur leur conduite par une
mise en parallèle avec une autre conduite, le cannibalisme, que son
éloignement permet d’observer avec détachement. Cette démarche sera
reprise un siècle plus tard par Montesquieu dans les Lettres persanes. Ses deux héros, Usbek et Rica, par leur questionnement sur la société française, amènent les lecteurs à remettre en question leurs certitudes.
Pour ces penseurs éclairés, il s’agit non pas de condamner ou
réprouver mais simplement de faire progresser des pratiques figées dans
l’habitude et la routine.
En prévenant les Occidentaux contre le péché d’arrogance et le
sentiment qu’ils n’ont rien à apprendre de quiconque, l’ouverture aux
sociétés étrangères devient un moteur de l’innovation. Elle s’avère
efficace si l’on en juge par la liste des emprunts étrangers dans les
sociétés de la Renaissance et du siècle des Lumières, depuis le tabac, originaire du Brésil, jusqu’au recrutement des hauts fonctionnaires par concours, selon la pratique chinoise du mandarinat.
L'Autre sous le projecteur des Lumières
Les Lumières ont su aussi observer les autres peuples, tantôt avec
dégoût ou admiration, toujours avec étonnement. C'est le temps des
grands voyages d'exploration à but non plus uniquement militaire ou
commercial mais également scientifique. Les circumnavigateurs (Bougainville, Cook, Lapérouse...)
s'empressent de coucher dans leurs carnets de route leurs observations
sur les peuples rencontrés, bien conscients qu’elles allaient être
épluchées par les grands esprits de l'époque.
Le XVIIIe siècle est en effet celui de l'étude de l'Homme, à la fois dans sa singularité et dans sa diversité.
Les voyageurs croient trouver au-delà des mers l'«état de nature» décrit par Rousseau de façon purement théorique : les Tahitiens ne sont-ils pas de «bons sauvages»
vivant dans un pays paradisiaque et ignorant la propriété, la violence,
le besoin ? Malgré les mises au point de Bougainville puis de Diderot,
le mythe prend de l'ampleur, faisant des Polynésiens les représentants
d'une humanité primitive idéale.
Cette empathie pour l’Autre se prolonge jusqu’à la moitié du XIXe
siècle. Ainsi en attestent les peintures de la société algérienne par
Fromentin et Delacroix et les écrits de voyageurs en Orient, de
Chateaubriand à Nerval. On la retrouve aussi dans la lutte pour
l’abolition de l’esclavage.
Cette ignominie est venue du contact entre Méditerranéens de tous
bords sur les marchés du Maghreb et de l’Orient au XVe siècle. Quand ils
ont voulu exploiter les terres du Nouveau Monde, Espagnols et Portugais
y ont tout naturellement transporté le système des grandes plantations
sucrières esclavagistes qu’ils avaient découvert en Orient. Les Anglais
ont pris le relais et, pour se protéger du risque de se dissoudre dans
le métissage face à un flux grandissant d’Africains, ont érigé au XVIIe
siècle la barrière du racisme.
Mais en Europe même, l’esclavage a été condamné par le pape dès le
XVe siècle et le racisme n’a jamais eu de prise sur la société jusque
dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Le mouvement en faveur de son
abolition débute bien avant la Révolution. L’abbé de Raynal, dans l’Histoire des Deux Indes
déjà citée, en appelle à un nouveau Spartacus. Dès son avènement, le
jeune roi Louis XVI demande à Turgot d’abolir cette institution mais il
doit reculer devant les menaces des planteurs. À l’ouverture des états
généraux, en 1789, il récidive et par la voix de son ministre Necker,
émet le vœu qu’il y soit mis fin.
L’on commence aussi au XVIIIe siècle à cultiver le désir de policer
les sociétés «sauvages» et les amener à la civilisation. L’Europe se
passionne pour l'expérience menée par les Jésuites au Paraguay, au cœur
du continent sud-américain, où ils ont rassemblé les Indiens dans des
communautés paisibles et ordonnées : «Rien ne fait plus honneur à la religion que d'avoir civilisé ces nations», dit le naturaliste Buffon, admiratif devant les résultats des missions religieuses.
Quand la science s'en mêle
Le siècle des Lumières est aussi le siècle de la raison et de la
science. Dans L’Esprit des Lois (1748), Montesquieu emprunte au grec
Hippocrate la «théorie des climats» pour expliquer de façon «rationnelle» les différences entre les sociétés humaines : «Les
peuples des pays chauds sont timides comme les vieillards le sont ;
ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens (…)». On entre ici dans le jugement de valeur.
Dans son Histoire naturelle, qu’il écrit à partir de 1749,
Buffon traite du règne animal. Comme le botaniste suédois Linné, il se
pique de mettre en fiches la Nature. Travail utile. Mais il n'oublie pas
l'homme et effectue une étude approfondie des «Variétés dans l'espèce humaine».
L'homme, qui se distingue de l'animal par sa capacité à réfléchir, lui
est aussi supérieur par son désir de créer des sociétés et de les
développer. Mais si l'homme est unique, ajoute Buffon, il varie en
fonction de la couleur, de la taille et des mœurs. Certains
représentants «paraissent avoir dégénéré de l'espèce humaine»,
notamment à cause des conditions climatiques, de la nourriture et des
coutumes. Pour s'améliorer, l'homme doit donc être capable de se
détacher de son milieu naturel.
C'est pourquoi, pour Buffon, on trouve au sommet les peuples d'Europe
«policés», sociables, capables de développement, puis au bas de
l'échelle les groupes américains «grossiers», «brutes»,
vivant nus en pleine nature, y compris sous les climats rigoureux
(Fuégiens). Pour asseoir sa réflexion, le savant se base sur une
différence des cultures et non des corps : le degré de perfection des
sociétés se mesure à l’éloignement par rapport à «l'état de nature» en prenant toujours comme repère idéal la société européenne.
L’aboutissement de ces travaux de classification, c’est d'abord en 1854 la publication par le comte de Gobineau de l'Essai sur l'inégalité des races humaines (tout est dit dans le titre) puis, en 1859, la publication de L’Origine des Espèces.
Cette théorie de la sélection naturelle, exposée avec brio par Charles
Darwin, est pleinement acceptée par l'opinion publique qui y voit le
fondement de ses conceptions politiques et sociales, alors que
triomphent le libéralisme et la foi dans le progrès, sur fond
d'agnosticisme.
L’Europe est alors au sommet de sa puissance et ses élites ne doutent plus de la supériorité de «leur»
civilisation. Le mot lui-même se décline désormais au pluriel et l’on
regarde avec condescendance ou mépris les autres grandes civilisations
universelles qui, au même moment, sont au plus mal, qu’il s’agisse des
Indes, de la Chine ou des empires musulmans, pour ne rien dire de
l’Afrique. Leurs différences et leur retard paraissent trop grands pour
qu’elles puissent un jour rattraper l’Occident.
Revenus de leurs illusions après le cataclysme de la Grande Guerre,
les Européens prêtent davantage d’attention aux travaux des pionniers
en ethnologie et anthropologie qui mettent en évidence la richesse
symbolique des sociétés dites primitives. Les préhistoriens montrent que
le génie inventif de Cro-Magnon supporte la comparaison avec celui de
l’Occidental.
La psychanalyse donne à penser, suprême humiliation, que les
performances de nos sociétés seraient le fruit de nos frustrations.
C’est en tout cas ce qu’affirme Sigmund Freund en 1929 dans Malaise dans la civilisation (en allemand : Das Unbehagen in der Kultur).
Après la Seconde Guerre mondiale et ses horreurs, l’ethnologue Claude
Lévi-Strauss en rajoute en réduisant les différences entre les sociétés
humaines à des variations de structures élémentaires (préférences
matrimoniales…).
Plus fort que tout, bien sûr, le formidable rattrapage de l’Occident
par le Japon, la Chine, l’Inde et quelques pays musulmans renvoie aux
oubliettes l’arrogance passée de la bourgeoisie européenne. Il remet en
selle la vision d’un monde multipolaire, fragmenté entre plusieurs aires
de civilisation. Fragmenté ou soudé ?
Une civilisation mondialisée ?
Héritier de l’historiographie européenne du XIXe siècle, Arnold
Toynbee a consacré sa vie à disséquer les civilisations. Comment se
définissent-elles ? Comment grandissent-elles et meurent-elles ?
L’historien en a recensé une trentaine au cours des cinq millénaires
qui se sont écoulés depuis l’apparition des premières cités-États, dont
plusieurs qui ont avorté. Par exemple la civilisation nestorienne, issu
d’un rameau oriental du christianisme : elle était sur le point de
séduire l’Asie centrale quand elle a été détruite par l’irruption de
l’islam.
Parmi les civilisations les plus durables, il y a la civilisation
chinoise et ses satellites : les civilisations vietnamienne, coréenne
et japonaise ; la civilisation occidentale et la civilisation orthodoxe,
la civilisation russe, cousine de la précédente ; la civilisation
pharaonique et la civilisation hellénique, qui a réuni la Grèce et Rome…
C’est beaucoup moins que le nombre de cultures et de sociétés.
La distinction entre civilisation, culture et société ne va pas de
soi. Le concept de «culture» est issu du mouvement romantique allemand ;
il désigne tout ce qui fait l’essence d’une société humaine : langue,
mœurs, habitudes, rites et souvenirs communs…
Au sein d’une civilisation peuvent cohabiter plusieurs variantes culturelles. Arnold Toynbee définit une «civilisation» comme «un champ intelligible d’études historiques».
Ainsi l’Angleterre a une culture propre, avec sa langue, ses rituels
sportifs et sa gastronomie particulière, son humour so british, mais
elle ne constitue pas pour autant une civilisation parce que son
Histoire est incompréhensible si on ne la relie pas à celle de ses
voisins européens.
Toynbee n’en admet pas moins des affinités et des passerelles plus ou
moins intenses entre les civilisations elles-mêmes. Ainsi entre la
civilisation occidentale, la civilisation orthodoxe et la civilisation
islamique, toutes les trois issues de ce qu’il appelle le rameau
syro-hellénique (pensée grecque et monothéismes orientaux).
On peut porter un jugement de valeur sur une société et considérer
par exemple que la société fédérale allemande est plus estimable que la
société hitlérienne. On le peut d’autant mieux qu’une société se définit
par des choix politiques (au sens large) et que tout individu est en
mesure de récuser ceux-ci, par la révolte ou la fuite.
Il n’en va pas de même d’une civilisation ou d’une culture, qui sont
partie intégrante de chaque individu. Dès les premiers jours de
l’existence, nous sommes imprégnés par la langue, les bruits, les
odeurs, les couleurs et les rituels de notre culture. Nous ne pouvons
nous en défaire mais nous pouvons l’enrichir de notre expérience.
Un pays comme la France peut faire bon accueil au couscous et
accepter la préférence d'une fraction de ses habitants pour la
nourriture halal ou kasher. Il est par contre
impensable - sauf à se mutiler - qu'elle mette à l'index les fêtes et
traditions issues de son héritage chrétien ou encore les paroles de la Marseillaise, si rudes qu'elles nous paraissent.
En ce XXIe siècle mondialisé, peut-on concevoir que se forge une
civilisation planétaire ? L’idée est suggérée par certains penseurs mais
l’analyse des échanges et des mentalités permet d’en douter.
À mesure que se précise le rattrapage économique de l’Occident par
l’Extrême-Orient, ce dernier se redéfinit comme un monde clos : la mer
de Chine devient un foyer d’échanges privilégié entre Japon, Chine et
Corées, à l’égal de la mer du Nord pour l’Europe, et ces deux extrémités
de l'Eurasie tendent à se tourner le dos. Le sous-continent indien a
quant à lui toujours conservé son identité ; il limite ses échanges avec
l'extérieur et vit en quasi-autarcie.
Si l’on regarde sur un planisphère les pays qui mettent en avant les
droits des homosexuels ou abolissent la peine de mort, ils coïncident à
quelques exceptions près avec l’ancien monde européen (Europe,
Amériques, Océanie), preuve que les idées politiques elles-mêmes ont une
universalité toute relative. Enfin, le rêve d'un idiome universel, le «globish», version appauvrie de l’anglo-américain, ne devrait pas survivre au déclin des États-Unis.
Conclusion très provisoire
Les différentes civilisations de ce IIIe millénaire n'ont sans doute pas dit leur dernier mot.
La civilisation chinoise et ses satellites (Japon, Corée...) montrent
une étonnante capacité à se maintenir envers et contre tout (invasions,
guerres civiles, cataclysmes et infécondité...), sans doute grâce à des
anticorps que l'on appelle de ce côté-ci de la planète ethnocentrisme.
C'est ce que donne à croire l'historien Serge Gruzinski (L'Aigle et le Dragon, Fayard, 2012) dans un entretien au Nouvel Observateur (9 février 2012) : «(...)
les Chinois n'éprouvaient aucun intérêt ni attirance pour l'étranger,
qu'il soit européen ou mongol (...). Par l'intermédiaire de leur
bureaucratie tentaculaire et xénophobe, les Chinois se sont constitués
de formidables défenses immunitaires contre les Portugais. En revanche,
l'empereur aztèque Moctezuma est tombé dans le piège de sa curiosité
envers l'"autre" castillan, le conquistador, arrivé par bateau de nulle
part. Moctezuma a accordé une place à l'étranger et cela lui fut fatal».
Largement ouverte aux influences étrangères (invasions
islamo-mongoles, colonisation britannique), la civilisation indienne a
quant à elle su les digérer sans rien perdre de son identité
plurimillénaire.
La
civilisation occidentale, moins ancienne que les précédentes
puisqu'elle n'a que dix à quinze siècles d'existence, aura-t-elle la
même capacité de résistance que l'Extrême-Orient, tirera-t-elle de
nouveaux profits de son ouverture au monde comme les Indes, ou
succombera-t-elle à sa curiosité insatiable comme le Mexique des
Aztèques ?
Nul ne peut le dire mais l'on peut conclure sans trop de risque sur une antienne : «Nous
autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes
mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers,
d'empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ;
descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs
lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées (...). Tout
ne s'est pas perdu mais tout s'est senti périr. Un frisson
extraordinaire a couru la moelle de l'Europe (...)». Publié en avril 1919 dans La Crise de l'esprit, ce texte a été inspiré à Paul Valéry par la catastrophe de la Grande Guerre. http://www.herodote.net
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