Commençons aujourd'hui par une considération toute personnelle.
Le travail d’éditeur de votre chroniqueur préféré (?) s'est investi ces
derniers temps mois autour de deux œuvres historiques. (1)⇓ Contemporaines l'une
de l'autre, elles ont été écrites dans les années 1840.
Il s'agissait d'une part du fameux roman "Coningsby"
de Disraëli.
Beaucoup plus cruciale, d'autre part, du moins pour la droite
française, et beaucoup plus volumineuse pour le maquettiste, "L'Histoire
de la Vendée Militaire" de Jacques Crétineau-Joly mérite par ailleurs le
petit rapport d'étape d'aujourd'hui.
Il faut en effet revenir sur la naissance du parti conservateur
britannique. Depuis la publication de notre chronique du 19 septembre (2)⇓
l'actualité politique hexagonale a confirmé notre observation. Elle nous a
malheureusement montré combien la transformation du panier de crabes, qui nous
tient actuellement lieu de droite, en organisation durable et crédible, peut
recevoir des leçons de nos amis d'outre-Manche.
Certains pourront éventuellement tenir son livre pour
"conspirationniste" (3)⇓. Mais ce fut bien Disraëli qui en jeta les
bases dans ses écrits, dans ce qu'on présentait à l'époque comme "le roman de la Jeune
Angleterre" (4)⇓. L'auteur s'employait alors, à partir de 1837, au
renouvellement du vieux parti tory, apparu au XVIIe siècle. Il
réconciliera, au temps heureux de la reine Victoria, les héritiers de la
gentilhommerie rurale anglaise et les industriels, il institutionnalisera
notamment, plus tard, l'empire britannique et stabilisera harmonieusement la société par d'audacieuses avancées.
Parallèlement en France, c'est hélas le mouvement inverse qui
s'effectua, à partir des règnes funestes de Louis-Philippe et Napoléon III. Le
roman "Coningsby" l'explique aussi quand il souligne les liens
d'amitié tissés entre l'ancienne génération des conservateurs anglais,
représentée par le grand père du héros, et nos légitimistes.
De ce côté-ci de la Manche, en effet, les acquéreurs de biens
nationaux de la période révolutionnaire et leurs descendants vont s'acharner à
la construction d'une "mémoire fausse". C'est à ces gens que s'en
prend Beau de Loménie dans ses "Responsabilités des Dynasties
bourgeoises". Leur héritage moral mensonger est aujourd'hui encore
instrumentalisé par les "grands habiles" du centre gauche. Leur
prétendu "modèle français" fait, depuis cette époque, reculer le pays,
de décennies en décennies. Et cette décadence séculaire n'a laissé depuis lors
que quelques années de répits, de sursauts illusoires et de rémissions transitoires.
La clef du déclin français, si constant depuis deux siècles, se
montre largement tributaire de tous ces faux-semblants.
Car une question lancinante que pose Crétineau-Joly est celle
de l'attitude de "l'Angleterre", clairement perçue comme
"l"ennemi héréditaire" vis-à-vis de la Révolution française.
Le lecteur de "Coningsby" ne peut pas s'y
tromper : il est évident qu'une partie des "whigs" se montrait favorable aux jacobins. Depuis 1714 la Couronne
est liée aux "whigs". Mais dès 1792 un rapport de la délégation
jacobine qui se rend à Londres [publié dans le Tome III à paraître début
février] permet de comprendre que le gouvernement anglais n'approuve absolument
pas ce soutien, qui s'exprime à la chambre des Communes par la voix de Charles
Fox (1749-1806). Le retour des "tories" ne s'effectuera cependant que
sur une longue période. Celle-ci commence précisément avec la lutte de William
Pitt "le Jeune" contre la Révolution française. On doit souligner que
ce très grand serviteur de son pays est considéré aujourd'hui comme un
"tory", y compris sur le site officiel du 10 Downing Street, mais
que, de son vivant, il ne se déclara jamais comme tel ! Le déclic décisif,
l'entrée en guerre, intervint au lendemain de la mort de Louis XVI, perçue
comme un acte de barbarie. Mais elle n'impliquait au fond aucune sympathie
rétrospective pour la France bourbonnienne.
Nul ne peut douter, par ailleurs, que la "faction
d'Orléans" joue un grand rôle
manipulateur dans l'intermédiation entre le cabinet britannique et les
contre-révolutionnaires français. Un chapitre très important du Tome II de
l'Histoire de la Vendée Militaire
est ainsi consacré au moment où les réseaux d'intrigues orléanistes, en la
personne de Dumouriez cherchèrent à circonvenir le chevalier Charette. Nous
laissons ici aux lecteurs le soin de découvrir la belle réponse du chef
vendéen. Mais comme disait Kipling, "ceci est une autre
histoire".
Ainsi, l'œuvre de Jacques Crétineau-Joly (1803-1875) représente
un apport décisif au travail nécessaire de correction, de cette
"mémoire" falsificatrice. Elle procède de son exact contraire :
la recherche de la vérité historique.
On peut citer la lettre adressée à l'auteur par la marquise de
La Rochejaquelein, veuve de Lescure : "Personne n’écrira
l’Histoire de la Vendée après vous, Monsieur ! Vous êtes notre
Homère ; vos récits valent les siens et les surpassent, puisque votre
merveilleux est puisé dans la plus exacte vérité."
Oui, on peut penser à Homère, à bien des égards, certes, tant
l'aventure vendéenne est envoûtante.
On peut y voir aussi une sorte de Thucydide français. Il
retrace et explique le grand combat fratricide, le Mahabharata de la Gaule.
Celui-ci finalement se révèle plus destructeur que la Guerre du Péloponnèse.
Cette catastrophe resta limitée à la Grèce des cités, et, moins d'un siècle
après l'effondrement de celle-ci apparut la figure d'Alexandre le Grand qui
portera pour de nombreux siècles la civilisation grecque aux limites du monde
connu.
Or, avec le recul de l'Histoire on est amené à poser la
question suivante : est-il vraiment sorti, deux siècles après la mort de
Cadoudal et celle du duc d'Enghien l'ombre d'un phénomène comparable. Vous avez
dit "Louis-Philippe" ? Vous avez dit "Armand
Fallières" ? Vous avez dit "François Hollande" ?
Bien entendu, d'autres historiens ou essayistes sont venus
après lui, développer diverses dimensions de son travail. Aucun ne l'a dépassé
ou démenti.
Cette "Histoire de la Vendée Militaire" (5)⇓ est
appuyée sur les témoignages de survivants, recueillis auprès des deux camps,
sur une recherche d'archives extrêmement complète, et, aussi, et sur un
incontestable talent d'écriture.
Ceci en fait une somme inégalée, d'une lecture passionnante et
foisonnante, comme le furent les diverses formes des insurrections de l'Ouest,
entre 1790 et 1811.
Dans les 30 dernières années, on doit rendre hommage aux divers
auteurs qui ont contribué, non seulement à maintenir la flamme de cette
recherche, mais qui lui ont apporté l'éclairage de leur talent.
Reynald Sécher, brillant et courageux historien, né en 1955, a
sacrifié à cette cause sa carrière universitaire. Il a publié dès 1985 son "Génocide
franco-français, la Vendée-Vengé"
(publié aux Presses Universitaires de France) qui osait mettre en parallèle la
politique d'extermination (On consultera à ce sujet à ce sujet le
chapitre XI du Tome Ier et les chapitre II et III du tome II du
Crétineau-Joly) et le concept contemporain de "génocide". Il ajoute
une notion non négligeable : celle de "mémoricide", dans lequel
hélas la France patauge.
Un Henri Servien, de son côté par sa "Petite histoire
des guerres de Vendée", agréablement
illustrée par René Follet, plusieurs fois réimprimée depuis 1995 (aux Éditions
de Chiré) a permis à des milliers de jeunes Français de mesurer l'importance de
cette "guerre de géants".
Dernier en date, mais non de moindre importance : Philippe
de Villiers avec son "Roman de Charette" qui vient de sortir. Il touchera certainement un
très large public. Outre la personnalité de l'auteur, la figure du chevalier
Charette de la Contrie avait tout pour plaire aux Français, notamment le
panache. Elle avait déjà séduit beaucoup d'autres auteurs, tel un Michel de
Saint-Pierre.
J'ajouterais personnellement d'autres chefs. Tout en éprouvant
beaucoup d'admiration pour le prince d'Elbée, une grande tendresse pour la
noble figure de La Rochejaquelein, assassiné par le républicain auquel il
venait de faire grâce, ou pour celle de
Bonchamps, j'incline surtout pour Georges Cadoudal, ou plutôt
"Georges", admirablement dépeint par La Varende (cf. son romanesque Cadoudal édité par les Nouvelles Éditions latines en 1970)
et, d'un point de vue sans doute un peu moins littéraire et plus strictement
historique par Jean-François Chiappe ("Georges Cadoudal ou la
Liberté" publié en 1971 à la Librairie
Académique Perrin).
Or, n'hésitons pas à le remarquer : tous ces auteurs
procèdent du travail quasi encyclopédique accompli par Crétineau-Joly.
De celui-ci les deux premiers tomes sont consacrés à la Vendée
proprement dite, entre Anjou et Poitou, Cette insurrection se divise en
- une "Grande guerre" commencé en mars 1793, et terminée en décembre par le désastre de Savenay [Tome Ier] ;
- et une lutte plus étale face à la Terreur, qui en mars 1796 prend un coup terrible lors de la disparition de Charette et de Stofflet, mais qui ne se termina que par le Concordat napoléonien de 1801. [Tome II]
- une "Grande guerre" commencé en mars 1793, et terminée en décembre par le désastre de Savenay [Tome Ier] ;
- et une lutte plus étale face à la Terreur, qui en mars 1796 prend un coup terrible lors de la disparition de Charette et de Stofflet, mais qui ne se termina que par le Concordat napoléonien de 1801. [Tome II]
À partir du troisième tome, notre auteur envisage les
"chouanneries", de Bretagne, du Maine, et de la Normandie, et les
divers combats des royalistes français contre la Révolution.
Ces conflits de nature un peu différente, accordent un
caractère central à la liberté religieuse, violée par la constitution civile du
clergé de 1790, et à la question des propriétés spoliées, y compris les
"droits féodaux des vassaux", les pauvres tombant sous le joug d'une
nouvelle classe de possédants illégitimes, ci-devant margoulins.
Si en effet la mort du roi, si la captivité du Dauphin en qui
ils reconnaîtront Louis XVII, cristallisent l'émotion de ces combattants on
doit comprendre qu'à leurs yeux la fidélité monarchique ne fait littéralement
que couronner leur engagement.
Au bout du compte, cette lutte était celle de la liberté
politique tout court, face à la Terreur jacobine.
Car la Révolution d'hier, "libertolâtre" en paroles,
liberticide dans les faits, se revendiquait sur le papier d'une liberté qu'elle
assassinait par la guillotine comme ses successeurs d'aujourd'hui l'étouffent
par la fiscalité.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/
Apostilles
- Ce travail minutieux imposait par exemple de considérer diverses évolutions du langage et de la typographie depuis le XIXe siècle. Commençons par des points mineurs, mais qui ont occasionné une recherche méthodique non négligeable. Certains mots ne s'écrivent plus de la même manière : on lit alors couramment "Nanci" pour la ville des ducs de Lorraine, "Chollet" avec deux l, des noms de famille comme "La Haye Saint-Hilaire" encore orthographiés "La Haie". Broutilles, mais il faut les corriger. À l'inverse on a maintenu l'usage encore hésitant de la particule supposée "nobiliaire" avant le nom de terre. Il fallait surtout respecter le jeu de majuscules entre le Tiers État la Noblesse, le Clergé (leurs assemblées) et le tiers état, la noblesse ou le clergé (la catégorie sociale). Plus intéressante est la présentation des Royalistes et des Républicains, eux aussi, avec des majuscules comme s'il s'agissait de deux nationalités distinctes. Beaucoup plus inattendue pour un lecteur d'aujourd'hui : le mot "Patriotes", écrit avec un grand P comme synonyme de Républicain, de Jacobin, de Révolutionnaire : il ne s'agit pas alors de gens qui "aiment leur pays." Il s'agit de ceux qui noient, avec Carrier, les Nantais dans la Loire… Dans ce contexte, il n'est pas mauvais de réapprendre ce que fut le prétendu "patriotisme républicain". De même la "Nation" c'est tout simplement cette petite minorité qui, gouvernant à Paris, persécute la Vendée, exproprie les ci-devant, pille et assassine.⇑
- cf. Aux sources du parti conservateur.⇑
- cf. l'intéressant article de "Lectures françaises" de novembre 2012 : "Le personnage de Nathan Rothschild expliqué par Disraëli".⇑
- dont la figure centrale correspond à celle de son ami George Smythe. La "Jeune Angleterre" se divisa définitivement en 1846. Cette année-là Smythe entra dans le gouvernement de Robert Peel. Mais la scission intervint à propos des catholiques irlandais, véritable pomme de discorde dans toute l'Histoire de la Droite anglaise.⇑
- cf. sur le site des Éditions du Trident.⇑
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