Il
y a trente-cinq ans disparaissait Julius Evola. La réédition de son
ouvrage capital, Révolte contre le monde moderne ainsi que la
publication d'un Guide des citations sont l'occasion de revenir sur
l'oeuvre de l'un des plus grands penseurs de la Tradition.
Contrairement à ce que prétendent certaines rumeurs malveillantes, Julius Evola ne fut ni un fasciste classique, ni un nazi dissimulé. Il a toujours rejeté le totalitarisme et défendu le principe d’organicité. Ennemi des démocraties capitalistes et des régimes communistes qu'il jugeait comme des enfants abâtardis du monde moderne, il ne peut pas être considéré non plus comme un nationaliste, tant le nationalisme lui apparaissait comme un phénomène individualiste et prométhéen, négateur des identités traditionnelles.
Défenseur de l'Empire vrai, c'est-à-dire de l'organisation politico-religieuse et sociale qui combine l'unité par le haut (légitimité sacrale et européenne) à la diversité par le bas (communautés populaires enracinées), Evola stigmatisait l'égoïsme national ainsi que le cosmopolitisme de masse. Il était favorable à la fédération impériale, pas à l'unification nationale ; à la multiplicité culturelle englobée par une unité spirituelle, pas à l'interchangeabilité d'éléments mélangés au sein d'un espace indistinct ; à la différence comme spécificité de chacun, pas à la ressemblance comme égalité de tous.
Il souhaitait un pouvoir spiritualisé et différencié qui s'acquerrait grâce à la vigilance d'une élite traditionaliste-révolutionnnaire d'avant-garde. Sans d'ailleurs trop préciser comment pourrait se matérialiser et à quelle religion devraient adhérer les militants d'une telle élite. Et pour cause, il se voulait au-dessus des formes religieuses.
Antibourgeois d'abord !
Né à Rome, dans une famille de la petite noblesse sicilienne, le 19 mai 1898, Giulio Cesare Andréa Evola (il adoptera le prénom de Julius par admiration pour l'Antiquité romaine) reste une figure capitale de la droite radicale et traditionaliste européenne. Tour à tour élève-ingénieur, lecteur passionné de philosophie, officier d'artillerie sur le front durant la Première Guerre mondiale, il s'intéresse de très près, les événements terminés, aux mouvements artistiques, dont le dadaïsme. Pour la petite histoire, il se peignait les ongles en vert lorsqu'il se rendait dans certaines soirées, souci de singularité aristocratique, qui nous renvoie, dans les années 50, au port de son énigmatique monocle.
Insurgé contre le monde bourgeois, Evola s'interroge à cette époque sur la morne condition existentielle de l'homme moderne. Son premier ouvrage, Le yoga tantrique, paraît en 1926. À son propos, Marguerite Yourcenar écrira plus tard avec euphorie : « J'acquis là un de ces ouvrages qui pendant des années vous alimente et jusqu'à un certain point vous transporte ». Il reviendra en 1958 sur le sujet, avec Métaphysique du Sexe, l'un de ses livres les plus importants, fustigeant aussi bien le puritanisme bourgeois que le pansexualisme hédoniste et le féminisme égalitaire, indifférencié et déliquescent.
Critique vis-à-vis du fascisme, Evola croit pourtant à la nécessité de l'orienter positivement selon sa propre pensée. Il rencontre deux fois Benito Mussolini. À cette époque, à la fin des années 20, au moment de la signature des accords du Latran entre le Duce et le clergé italien, il se réclame d'un paganisme antichrétien très poussé, sur lequel il reviendra plus tard, à la lumière notamment des écrits de René Guenon. La Rome antique et le Moyen-Âge représentent les deux périodes de l'histoire auxquelles le Baron se réfère idéalement d'un point de vue historique, militant en faveur d'un retour à un paganisme olympien.
La Tradition hermétique (1931), Masques et visages du spiritualisme contemporain (1933), Le Mystère du Graal et l'idée impériale gibeline (1937), font partie des ouvrages illustrant à merveille la vision évolienne du monde qui se présente comme puissante, guerrière et ascétique. Evola devient aussi un alpiniste de haut niveau. Dans son ouvrage, Méditations du haut des cimes, paru en 1974, il montre bien que le courage et l'effort constituent autant d'épreuves pour atteindre le sommet en partant de la base. Monter de la Terre vers le Ciel. Cette conception élévatrice et transcendantale, nietzschéenne à plus d'un titre, s'adresse à « l'homme différencié», seul capable de la vivre.
Révolte contre le monde moderne
L'ouvrage le plus important selon Evola, Révolte contre le monde moderne, paraît en 1934. Il l'a rédigé à destination de l'homme de Tradition en lutte contre la modernité avilissante. Cette anthropologie spirituelle et morphologie historique nous indiquent les valeurs traditionnelles à défendre (honneur, devoir, volonté, connaissance, hiérarchie, mesure, élévation intérieure, sacrifice) et les principes modernistes à pourfendre («piraterie capitaliste» américaine et flibusterie bolchevique, esprit bourgeois quantitatif et individualisme calculateur, matérialisme laïc desséchant et culte du travail standardisant). Révolte contre le monde moderne critique radicalement la société occidentale à partir de la Renaissance, période identifiée à l'humanisme anthropomorphe où l'homme est un être au centre du monde, fustigeant aussi le nationalisme - qu'Evola distingue des nationalités - qui trouve sa source historique à partir de Philippe le Bel jusqu'à la paroxysmique Révolution française, où le processus d'homogénéisation s'accélère.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Evola, se trouvant à Vienne, écrit La doctrine de l'éveil (1943), ouvrage d'apologétique bouddhique. Lors d'un bombardement aérien, refusant comme toujours de se cacher sous les abris, il échappe de peu à la mort : « Ne pas esquiver et même rechercher le danger quasiment dans le sens d'une silencieuse interrogation du destin », répétait-il couramment. Il sort de cette guerre paralysé de ses membres inférieurs, ne pouvant plus se déplacer qu'en chaise roulante. Soutenant l'Axe jusqu'à la fin du conflit, y compris pendant la République de Salo, il considère les forces alliées, celles du futur pacte de Yalta, comme prioritairement ennemies. Il n'en reste pas moins un vigoureux critique du racisme biologique hitlérien et de l'étatisme collectiviste fasciste. Le fascisme vu de droite (1963) confirmera, plus tard, cette vision d'un fascisme contre-révolutionnaire et traditionaliste européen intégral.
Une après-guerre parmi les ruines
Evola rentre à Rome en 1948. Son activité livresque et journalistique ne cesse de croître. Il est jugé dans un procès inique en 1951 et se voit accuser d'être l'inspirateur d'une « reconstitution du parti fasciste » et d'un « terrorisme noir ». Il ne fait aucune concession aux instances démocratiques bourgeoises italiennes, tout en affirmant haut et fort qu'il est « contre le totalitarisme ». Cinq ans plus tard, paraît un livre politique essentiel, en direction des jeunes milieux anticonformistes de droite, Les hommes au milieu des ruines (1953). Julius Evola s'y emploie à donner une doctrine contre-révolutionnaire intégrale face au libéralisme bourgeois et au socialisme marxiste en vogue. Si cet ouvrage n'a aucune incidence sur les instances dirigeantes du mouvement néo-fasciste (MSI), il exerce une influence indéniable sur la jeunesse radicale droitiste. Evola s'adresse aux militants et activistes intelligents, en s'illusionnant sur les possibilités de renverser le régime avec le soutien des « corps sains » de la nation (police, armée, etc.) contre la subversion progressiste.
Au début des années soixante, il enjoint l'élite traditionnelle dans Chevaucher le tigre (1961) à ne rien sauver, sinon soi-même d'abord, en attendant activement la fin du cycle de l'Age sombre présent. Cette conception cyclique ne doit pas engendrer le pessimisme, la résignation ou la violence terroriste récupérée par le système - comme cela a pu être le cas. Certes, Chevaucher le tigre est une bombe, mais une bombe pour soi-même, afin de dynamiter ses aigreurs, son amertume, son narcissisme. En effet, que signifie, cette expression extrême-orientale ? Elle exprime l'idée qu'il faut empêcher le tigre, c'est-à-dire les forces de dissolution, de vous sauter à la gorge, en enfourchant l'animal pour arriver finalement à bout de lui. L'homme de Tradition doit ainsi ne pas fuir le danger (le tigre), mais le braver (le chevaucher) pour l'annuler (le domestiquer).
On possède très peu d'informations sur la vie d'Evola. Le chemin du Cinabre (1963) représente ses mémoires autobibliographiques. Leur auteur a toujours cultivé « l'impersonnalité active ». Mort le 11 juin 1974, à son domicile du Corso Vittorio Emanuele à Rome, son corps est incinéré selon ses volontés et ses cendres dispersées sur un glacier au Mont-Rose, qu'il avait arpenté durant ses périples alpestres.
Arnaud Guyot-Jeannin Le Choc du Mois, juillet 2010
Révolte contre le monde moderne, L'Age d'Homme/Guy Trédaniel, 457 p., 25 €.
Guides des citations, réunies et classées par Antoine Dectot de Christen, Pardès, 127 p,14€.
Evola, envers et contre tous, collectif dirigé par Thierry Jolif, Avatar éditions, 200 p., 20 €.
Contrairement à ce que prétendent certaines rumeurs malveillantes, Julius Evola ne fut ni un fasciste classique, ni un nazi dissimulé. Il a toujours rejeté le totalitarisme et défendu le principe d’organicité. Ennemi des démocraties capitalistes et des régimes communistes qu'il jugeait comme des enfants abâtardis du monde moderne, il ne peut pas être considéré non plus comme un nationaliste, tant le nationalisme lui apparaissait comme un phénomène individualiste et prométhéen, négateur des identités traditionnelles.
Défenseur de l'Empire vrai, c'est-à-dire de l'organisation politico-religieuse et sociale qui combine l'unité par le haut (légitimité sacrale et européenne) à la diversité par le bas (communautés populaires enracinées), Evola stigmatisait l'égoïsme national ainsi que le cosmopolitisme de masse. Il était favorable à la fédération impériale, pas à l'unification nationale ; à la multiplicité culturelle englobée par une unité spirituelle, pas à l'interchangeabilité d'éléments mélangés au sein d'un espace indistinct ; à la différence comme spécificité de chacun, pas à la ressemblance comme égalité de tous.
Il souhaitait un pouvoir spiritualisé et différencié qui s'acquerrait grâce à la vigilance d'une élite traditionaliste-révolutionnnaire d'avant-garde. Sans d'ailleurs trop préciser comment pourrait se matérialiser et à quelle religion devraient adhérer les militants d'une telle élite. Et pour cause, il se voulait au-dessus des formes religieuses.
Antibourgeois d'abord !
Né à Rome, dans une famille de la petite noblesse sicilienne, le 19 mai 1898, Giulio Cesare Andréa Evola (il adoptera le prénom de Julius par admiration pour l'Antiquité romaine) reste une figure capitale de la droite radicale et traditionaliste européenne. Tour à tour élève-ingénieur, lecteur passionné de philosophie, officier d'artillerie sur le front durant la Première Guerre mondiale, il s'intéresse de très près, les événements terminés, aux mouvements artistiques, dont le dadaïsme. Pour la petite histoire, il se peignait les ongles en vert lorsqu'il se rendait dans certaines soirées, souci de singularité aristocratique, qui nous renvoie, dans les années 50, au port de son énigmatique monocle.
Insurgé contre le monde bourgeois, Evola s'interroge à cette époque sur la morne condition existentielle de l'homme moderne. Son premier ouvrage, Le yoga tantrique, paraît en 1926. À son propos, Marguerite Yourcenar écrira plus tard avec euphorie : « J'acquis là un de ces ouvrages qui pendant des années vous alimente et jusqu'à un certain point vous transporte ». Il reviendra en 1958 sur le sujet, avec Métaphysique du Sexe, l'un de ses livres les plus importants, fustigeant aussi bien le puritanisme bourgeois que le pansexualisme hédoniste et le féminisme égalitaire, indifférencié et déliquescent.
Critique vis-à-vis du fascisme, Evola croit pourtant à la nécessité de l'orienter positivement selon sa propre pensée. Il rencontre deux fois Benito Mussolini. À cette époque, à la fin des années 20, au moment de la signature des accords du Latran entre le Duce et le clergé italien, il se réclame d'un paganisme antichrétien très poussé, sur lequel il reviendra plus tard, à la lumière notamment des écrits de René Guenon. La Rome antique et le Moyen-Âge représentent les deux périodes de l'histoire auxquelles le Baron se réfère idéalement d'un point de vue historique, militant en faveur d'un retour à un paganisme olympien.
La Tradition hermétique (1931), Masques et visages du spiritualisme contemporain (1933), Le Mystère du Graal et l'idée impériale gibeline (1937), font partie des ouvrages illustrant à merveille la vision évolienne du monde qui se présente comme puissante, guerrière et ascétique. Evola devient aussi un alpiniste de haut niveau. Dans son ouvrage, Méditations du haut des cimes, paru en 1974, il montre bien que le courage et l'effort constituent autant d'épreuves pour atteindre le sommet en partant de la base. Monter de la Terre vers le Ciel. Cette conception élévatrice et transcendantale, nietzschéenne à plus d'un titre, s'adresse à « l'homme différencié», seul capable de la vivre.
Révolte contre le monde moderne
L'ouvrage le plus important selon Evola, Révolte contre le monde moderne, paraît en 1934. Il l'a rédigé à destination de l'homme de Tradition en lutte contre la modernité avilissante. Cette anthropologie spirituelle et morphologie historique nous indiquent les valeurs traditionnelles à défendre (honneur, devoir, volonté, connaissance, hiérarchie, mesure, élévation intérieure, sacrifice) et les principes modernistes à pourfendre («piraterie capitaliste» américaine et flibusterie bolchevique, esprit bourgeois quantitatif et individualisme calculateur, matérialisme laïc desséchant et culte du travail standardisant). Révolte contre le monde moderne critique radicalement la société occidentale à partir de la Renaissance, période identifiée à l'humanisme anthropomorphe où l'homme est un être au centre du monde, fustigeant aussi le nationalisme - qu'Evola distingue des nationalités - qui trouve sa source historique à partir de Philippe le Bel jusqu'à la paroxysmique Révolution française, où le processus d'homogénéisation s'accélère.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Evola, se trouvant à Vienne, écrit La doctrine de l'éveil (1943), ouvrage d'apologétique bouddhique. Lors d'un bombardement aérien, refusant comme toujours de se cacher sous les abris, il échappe de peu à la mort : « Ne pas esquiver et même rechercher le danger quasiment dans le sens d'une silencieuse interrogation du destin », répétait-il couramment. Il sort de cette guerre paralysé de ses membres inférieurs, ne pouvant plus se déplacer qu'en chaise roulante. Soutenant l'Axe jusqu'à la fin du conflit, y compris pendant la République de Salo, il considère les forces alliées, celles du futur pacte de Yalta, comme prioritairement ennemies. Il n'en reste pas moins un vigoureux critique du racisme biologique hitlérien et de l'étatisme collectiviste fasciste. Le fascisme vu de droite (1963) confirmera, plus tard, cette vision d'un fascisme contre-révolutionnaire et traditionaliste européen intégral.
Une après-guerre parmi les ruines
Evola rentre à Rome en 1948. Son activité livresque et journalistique ne cesse de croître. Il est jugé dans un procès inique en 1951 et se voit accuser d'être l'inspirateur d'une « reconstitution du parti fasciste » et d'un « terrorisme noir ». Il ne fait aucune concession aux instances démocratiques bourgeoises italiennes, tout en affirmant haut et fort qu'il est « contre le totalitarisme ». Cinq ans plus tard, paraît un livre politique essentiel, en direction des jeunes milieux anticonformistes de droite, Les hommes au milieu des ruines (1953). Julius Evola s'y emploie à donner une doctrine contre-révolutionnaire intégrale face au libéralisme bourgeois et au socialisme marxiste en vogue. Si cet ouvrage n'a aucune incidence sur les instances dirigeantes du mouvement néo-fasciste (MSI), il exerce une influence indéniable sur la jeunesse radicale droitiste. Evola s'adresse aux militants et activistes intelligents, en s'illusionnant sur les possibilités de renverser le régime avec le soutien des « corps sains » de la nation (police, armée, etc.) contre la subversion progressiste.
Au début des années soixante, il enjoint l'élite traditionnelle dans Chevaucher le tigre (1961) à ne rien sauver, sinon soi-même d'abord, en attendant activement la fin du cycle de l'Age sombre présent. Cette conception cyclique ne doit pas engendrer le pessimisme, la résignation ou la violence terroriste récupérée par le système - comme cela a pu être le cas. Certes, Chevaucher le tigre est une bombe, mais une bombe pour soi-même, afin de dynamiter ses aigreurs, son amertume, son narcissisme. En effet, que signifie, cette expression extrême-orientale ? Elle exprime l'idée qu'il faut empêcher le tigre, c'est-à-dire les forces de dissolution, de vous sauter à la gorge, en enfourchant l'animal pour arriver finalement à bout de lui. L'homme de Tradition doit ainsi ne pas fuir le danger (le tigre), mais le braver (le chevaucher) pour l'annuler (le domestiquer).
On possède très peu d'informations sur la vie d'Evola. Le chemin du Cinabre (1963) représente ses mémoires autobibliographiques. Leur auteur a toujours cultivé « l'impersonnalité active ». Mort le 11 juin 1974, à son domicile du Corso Vittorio Emanuele à Rome, son corps est incinéré selon ses volontés et ses cendres dispersées sur un glacier au Mont-Rose, qu'il avait arpenté durant ses périples alpestres.
Arnaud Guyot-Jeannin Le Choc du Mois, juillet 2010
Révolte contre le monde moderne, L'Age d'Homme/Guy Trédaniel, 457 p., 25 €.
Guides des citations, réunies et classées par Antoine Dectot de Christen, Pardès, 127 p,14€.
Evola, envers et contre tous, collectif dirigé par Thierry Jolif, Avatar éditions, 200 p., 20 €.
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