La Bretagne, cette péninsule indissociable de la physionomie de l'Hexagone,
est de toutes les provinces françaises l'une des plus attachées à ses
particularismes et à son Histoire, même si, depuis un demi-millénaire,
son attachement à la monarchie et à la République n'a jamais été pris en
défaut.
Joseph Savès
De l'Armorique à la Bretagne
Connue des Anciens sous le nom d'Armorique (on reconnaît dans ce nom la racine celtique armor, qui désigne la mer), cette région au sous-sol granitique s'est montrée très accueillante aux civilisations des mégalithes
(grandes pierres dressées). Les vestiges de ces civilisations
préhistoriques sont particulièrement denses autour du golfe de Vannes
(Locmariaquer, Carnac...).
D'après
le peu que l'on en sait, ces civilisations se seraient épanouies à
partir de 3500 avant JC jusqu'en 1500 av. J.-C. environ, à l'époque
néolithique. Elles auraient été développées par des populations venues
en bateau de Grande-Bretagne ou d'Allemagne.
À
la civilisation des menhirs, avec ses longs alignements de pierres
dressées, comme à Carnac, à vocation funéraire, magique ou religieuse,
aurait succédé, non sans violences, la civilisation des dolmens. Les
dolmens sont des tables en pierres qui, à l'origine, étaient recouvertes
d'un tumulus de terre. Ils servaient de tombes collectives. Les plus
remarquables sont la table des Marchant, à Locmariaquer, et le tumulus de l'îlot de Gavrinis, dans le golfe de Vannes.
Beaucoup
plus tard (600 ans av. J.-C.) ont déboulé les Celtes, que les Romains
appelaient Gaulois. Les Celtes d'Armorique se répartissaient en cinq
peuples principaux : les Redones, dont le nom se retrouve dans celui de la ville de Redon, les Vénètes (Vannes), les Namnètes (Nantes), les Curiosolites (autour de Saint-Brieuc) et les Osismiens (autour de Brest).
Ils ont été soumis non sans difficulté par Jules César.
Le général romain eut fort à faire pour soumettre les Vénètes, en 56
av. J.-C.. Il les affronta dans une bataille navale et l'on montre
encore, à la pointe du golfe de Vannes, le tumulus du haut duquel,
paraît-il, il surveilla la bataille.
Intégrée
par Rome à la province de Gaule belgique, l'Armorique, du fait
notamment de sa situation excentrique, résista à la romanisation et
conserva sans doute mieux que le reste de la Gaule ses racines
celtiques. Elle fut également épargnée par les invasions germaniques au Ve siècle.
De ce fait, de la fin du Ve siècle au VIIe siècle, les Celtes de Britannia
(la Grande-Bretagne actuelle) trouvèrent naturel de se réfugier en
Armorique lorsque leur île fut envahie par des hordes d'Angles, de
Saxons et autres Germains ! C'est ainsi que l'Armorique, devenue le
refuge des Bretons, renoua avec la langue celtique et prit le nom sous
lequel elle est aujourd'hui connue : la Bretagne. Parmi les nouveaux
arrivants figuraient beaucoup de moines qui eurent à coeur d'évangéliser
la péninsule et y multiplièrent les fondations d'abbayes (Samson,
Paterne...).
La Bretagne en quête d'indépendance
Charlemagne
a le plus grand mal à soumettre les Bretons malgré la victoire du comte
Wido sur les chefs locaux en 799. Son fils Louis le Pieux confère au
chef breton Nominoë le titre de duc dans l'espoir de se l'attacher. Mais
Nominoë ne tarde pas à se soulever contre les Francs. Le 22 novembre 845, il bat à plate couture les troupes de Charles le Chauve, fils de Louis le Pieux, à Ballon, près de Redon.
À
sa mort, en 851, son fils Erispoé lui succède à la tête de la Bretagne
et obtient de Charles le Chauve rien moins que le titre de roi ! La
Bretagne devient indépendante pour près de sept siècles.
Erispoé
ne profite pas longtemps de son triomphe. Il est assassiné en 857 par
son cousin Salomon, lequel s'attribue le titre royal. Salomon adjoint la
presqu'île du Cotentin à son royaume.
De
nouveaux venus, les Normands, vont mettre à mal le frêle royaume.
Installés à l'embouchure de la Seine depuis 911, ils l'envahissent par
terre aussi bien que par mer. Alain II Barbe-Torte vainc enfin les
Normands en 939 à Trans, près de Cancale et de l'actuel mont
Saint-Michel. Cela lui vaut le titre de «duc des Bretons».
Les
avanies subies par les Bretons au cours des années passées ont entraîné
un recul de la frontière linguistique. À l'aube de l'An Mil, celle-ci
se fixe sur une ligne qui va de Suscinio, au sud, sur le golfe de
Vannes, à Plouha, au nord, près de Paimpol. À l'est, on parle désormais
un dialecte roman comme les autres Francs, le «gallo», à l'ouest, on reste fidèle au parler celtique.
Aux
XIe et XIIe siècles, les Bretons affrontent deux puissants seigneurs
voisins, les comtes d'Anjou et les ducs de Normandie. La situation se
corse quand, en 1154, le comte d'Anjou Henri II Plantagenêt
devient aussi roi d'Angleterre et duc de Normandie ! Celui-ci, qui
lorgne sur la péninsule, marie son fils Geoffroi à Constance, fille et
héritière du duc Conan IV.
La
Bretagne est sur le point de tomber dans l'escarcelle des Plantagenêt
quand meurt dans un tournoi son nouveau duc, Geoffroi II. Le duché
revient à son fils posthume, qui lui-même meurt en bas âge en 1203, puis
à la demi-soeur de celui-ci, Alix !
Le
roi de France, Philippe Auguste, profite de la situation. Il marie Alix
à un sien cousin, Pierre de Dreux, de sorte que le duché passe dans la
mouvance capétienne. .
La guerre de Succession de Bretagne
Le
duché, toujours attaché à son indépendance, passe de père en fils
jusqu'à Jean III le Bon. Celui-ci décède le 30 avril 1341 sans enfant et
sans héritier désigné.
Charles
de Blois, neveu du roi de France et époux de Jeanne de Penthièvre,
nièce du duc Jean III le Bon, réclame la succession de celui-ci. Il a
l'appui de la haute noblesse et du roi de France Philippe VI de Valois.
Le
demi-frère du défunt duc, Jean de Montfort, conteste la succession par
les femmes. Il la dénonce comme contraire au droit capétien. Paradoxe :
il a le soutien de la petite noblesse bretonne et surtout du roi
d'Angleterre Édouard III qui, lui-même, vient de revendiquer la couronne de France... en arguant de la succession par les femmes !
Dans
un premier temps, Jean de Montfort prend possession du duché mais il
est rapidement défait par l'armée française et emprisonné au Louvre, à
Paris. Sa femme Jeanne de Flandre poursuit le combat. Libéré en 1343 à
la faveur d'une trêve, Jean de Montfort meurt peu après.
La guerre de Succession de Bretagne, aussi appelée guerre des deux Jeanne, étroitement imbriquée à la guerre franco-anglaise, plus tard appelée guerre de Cent Ans, va perdurer de longues années. Parmi ses péripéties les plus pittoresques, on retient le combat des Trente à Ploërmel.
Vers la paix
En
1352, à Mauron, une bataille occasionne plusieurs centaines de victimes
dans les deux camps. Enfin, à Auray, le 29 septembre 1364, Charles de
Blois est défait et tué.
La
paix signée à Guérande le 12 avril 1365 consacre la victoire posthume
de Jean de Montfort. C'est son fils qui prend la couronne ducale sous le
nom de Jean IV.
À la même époque, le capitaine Bertrand du Guesclin, un ancien partisan de Charles de Blois, se met au service du roi de France et donne la paix au royaume.
Resté
secrètement allié au roi d'Angleterre dont il a épousé la fille, Marie,
Jean IV est chassé de ses terres par Bertrand du Guesclin. Mais les
protestations de la noblesse bretonne obligent la France à le rétablir
dans ses droits par un second traité de Guérande, en 1381.
On
assiste dès lors, au XVe siècle, en Bretagne comme en France, au retour
de la prospérité et de l'effervescence artistique. La Bretagne découvre
le gothique flamboyant et se dote de nombreuses et belles églises.
Deux mariages pour le prix d'un
Au sortir de la guerre de Cent Ans, la France, qui a retrouvé de l'assurance, se fait de plus en plus pressante.
Dans
l'espoir de préserver l'indépendance de son duché, François II de
Bretagne commet la sottise de s'allier en 1485 à Louis d'Orléans (futur Louis XII)
et à quelques autres grands seigneurs. Ensemble, ils combattent le
jeune roi de France et sa soeur, la régente Anne de Beaujeu. Cette «Guerre folle»
se termine par la victoire des troupes françaises commandées par La
Trémoille, à Saint-Aubin-du-Cormier, non loin de la ville de Fougères,
le 28 juillet 1488.
Le duc François II, vaincu, signe le 19 août 1488 le traité du Verger par lequel il promet que sa fille et héritière Anne ne se mariera pas sans le consentement du roi de France.
Après
sa mort, trois semaines plus tard, les seigneurs bretons, soucieux de
leur indépendance, prient Anne d'épouser par procuration le futur
empereur d'Allemagne Maximilien 1er de Habsbourg (31 ans). Le roi de France Charles VIII n'apprécie pas d'être ainsi trompé. Après bien des péripéties, il obtient d'épouser la promise.
Avec
ce mariage royal, la Bretagne devient fief français mais seulement en
droit. La duchesse l'administre en toute liberté. Le contrat de mariage
prévoit qu'Anne devra épouser le nouveau roi si son mari meurt sans
enfant. Las, le couple a six enfants mais tous meurent en bas âge avant
que ne meure à son tour Charles VIII, victime d'une chute malencontreuse
dans son château d'Amboise, le 8 avril 1498.
Le
trône revient à l'héritier des Orléans, lointain cousin du roi et époux
de sa soeur Jeanne la Boîteuse. Devenu roi sous le nom de Louis XII, il
annule sans regret son mariage, qui n'a pas été consommé, et épouse à
son tour Anne de Bretagne, qu'il aimait, dit-on, en secret. Un peu plus
chanceux que le précédent, ce nouveau mariage se solde par deux filles :
Claude, future reine de France, et Renée, future duchesse de Ferrare.
Intégration en douceur de la Bretagne
Anne
obtient que sa fille aînée Claude de France, née en 1499, soit fiancée
au futur empereur Charles Quint (comme à la génération précédente, elle
espère ainsi sauvegarder l'indépendance de la Bretagne).
Mais
Louis XII ne l'entend pas de cette oreille. En 1506, il fiance d'office
sa fille à son cousin François d'Angoulême, héritier légitime du
royaume.
Anne
meurt le 9 janvier 1514, à près de 37 ans, et quatre mois plus tard, le
8 mai 1514, sa fille Claude épouse François d'Angoulême. À cette
occasion, elle fait don de la Bretagne à son mari. Celui-ci devient roi
de France sous le nom de François 1er à la mort de Louis XII, le 1er janvier de l'année suivante.
C'est
seulement en 1532 que les états généraux de Vannes approuvent le
rattachement du duché au royaume de France. Ils préservent toutefois
leurs privilèges ainsi que l'autonomie judiciaire et fiscale du duché.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire