La
démocratie étant au coeur des débats du CMRDS 2011, il était
indispensable d'y évoquer Alexis de Tocqueville. D'autant que
l'actualité peut sembler confirmer à nouveau ses intuitions. Voici donc
la substance de la conférence qui lui était consacré.
Oublié dès la fin du Second Empire, absent des réflexions qui agitèrent le monde jusqu'au mitan du XXe siècle, inaudible dans l'affrontement entre fascisme et communisme, Tocqueville doit sa renaissance à Raymond Aron, auteur en 1967 des Étapes de la pensée sociologique. Dans cet ouvrage fondamental l'adversaire de Jean-Paul Sartre lui redonne toute sa place. Après 1989, la fin du marxisme appliqué donne raison à ce pilier de la démocratie libérale et il est devenu une référence incontournable, toujours cité mais rarement lu.
Le poids des origines
Alexis de Tocqueville est né en 1805 à Paris mais la famille est normande et de vieille noblesse. Il est l'arrière-petit-fils de Malesherbes et proche parent de Chateaubriand par la famille de sa mère, les Rosambo. À l'orée du Premier Empire, les familles aristocratiques sont un peu comme les familles françaises de 1918, elles ont toutes de près ou de loin un mort à pleurer. Chez Tocqueville, on ne se lasse pas d'évoquer le martyr du bisaïeul, avocat courageux de Louis XVI, tout en se gardant bien d'évoquer le très libéral directeur de la Librairie royale sous Louis XV qui, au lieu de censurer L'Encyclopédie, laissait passer volume après volume cette machine de guerre imprimée aux Pays-Bas. On se récrit également sur l'exécution tragique et conjointe du frère aîné de Chateaubriand et de son épouse née Rosambo. Ce couple exécuté pendant la Grande Terreur est au nombre de ceux qui iront fleurir le cimetière de Picpus. Ces martyrs hantent l'imagination du petit Alexis. Chez lui, on se veut légitimiste. « J'avais ressenti jusqu'à la fin pour Charles X un reste d'affection héréditaire » assurera Alexis, devenu jeune avocat. En 1830, lorsque surgit Louis-Philippe, le père d'Alexis, préfet à Versailles, doit renoncer à sa pairie. Quant à ses deux frères, ils s'engagent deux ans plus tard dans l'équipée de la duchesse de Berry avec le résultat que l'on sait. La seule plaidoirie du magistrat Alexis de Tocqueville sera d'ailleurs pour défendre en 1832 son cousin et ami Kergourlay, mouillé dans l'aventure. Cette fidélité familiale ne prédisposait pas un Tocqueville à devenir, quelques décennies plus tard, le maître à penser d'un Giscard, d'un Madelin ou d'un Strauss-Kahn.
Il y a plusieurs raisons au désamour, du moins au désintérêt, dont fut victime auprès de ses compatriotes, et après sa disparition, l'auteur de La Démocratie en Amérique. Contre toute attente, il va prêter serment en 1830 à Louis-Philippe. Incompréhension de la famille devant ce qui passe pour de l'opportunisme. Scandale, rejet, gêne, Alexis suscite le débat. Pour nombre des siens, il est le traître à sa caste. Il le restera longtemps. D'autant qu'en 1848, on le verra participer au gouvernement de la IIe République comme ministre des Affaires étrangères.
Tocqueville l'Américain
Ce soutien à des légalités successives rappelle Rivarol et « la difficulté en Révolution, non pas de faire son devoir, mais de le connaître ». Il n'empêche, Tocqueville comprend tout l'intérêt d'un long voyage outre-Atlantique. Bien avant l'architecte Gabriel Blouet, son ami Gustave de Beaumont se passionne pour les réformes pénitenciaires aux États-Unis et compte s'y rendre. Tocqueville se jette sur l'occasion et propose de l'accompagner. Le voyage dure près d'un an, d'avril 1831 à février 1832. Les deux amis ont des lettres d'introduction de poids : Chateaubriand et La Fayette leur permettent de rencontrer le président Jackson. Munis de ces laissez-passer de poids, ils parcourent le Canada, descendent le Mississippi et découvrent la Louisiane. Les États-unis ne comptent encore que vingt-six États et tout juste vingt millions d'habitants. Pour Tocqueville, les prisons américaines ne sont qu'un prétexte. Il voit autre chose dans ce voyage.
La démocratie française se réclame de la Nuit du 4 Août, ce qui n'est pas le cas du Nouveau Monde né démocrate. Tandis que, chez nous, elle n'a rien de naturel, en Amérique, la démocratie voit le triomphe d'une aristocratie sans noblesse. Semblable au marathon de New York, cette compétition sportive de la Ve avenue, la démocratie américaine est séduisante et contagieuse en apparence, férocement sélective en réalité. La démocratie des Modernes n'est pas celle des Anciens. Celle des Modernes est inséparable de l'industrie, de la science, de la rationalité efficace et utilitariste, et son éclosion européenne a dévoré notre civilisation traditionnelle, non sans résistance. La France est restée attachée à la démocratie des Anciens, à la noblesse et donc à une morale de la générosité ; son utilitarisme est toujours honteux et retors, jamais sans arrière-pensées. La démocratie en France, c'est tout autre chose que la démocratie en Amérique, mouvement spontané qui donne à chacun sa chance mais sans obligation de parvenir, le recours à la violence n'intervenant que rarement. Daniel Halévy résumait, en 1932, la manière très particulière d'être démocrate en France : « Des privilèges pour tout le monde ! » La passion égalitaire est donc l'inévitable pathologie de la démocratie. Elle ne cessera d'être l'arme des démagogues qui règnent par la culture de masse, à grand renfort d'une surenchère ruineuse pour l'intelligence, oppressive pour la bonne humeur. Tocqueville voit déjà tout cela et publie en 1835 un premier volume, suivi d'un second en 1840, La Démocratie en Amérique.
Tocqueville l'Américain – ce qui soit, dit en passant, n'est pas la meilleure façon d'être apprécié sous nos latitudes –, Tocqueville le traître à son camp, qui a épousé une roturière dont il n'aura pas d'enfant, assure plus qu'il ne parie sur l'inéluctabilité du fait démocratique. Les États-Unis donneront l'exemple, c'est sûr, vous n'y pouvez rien, tout sera balayé par le vent démocratique et la noblesse sera pareille à ces Indiens d'Amérique, des loosers en déclin avant leur disparition finale. La démocratie a une vocation universelle et chaque pays succombera à cette nouvelle tentation.
Providence
« De quelques côtés que nous jetions nos regards, nous apercevons la même révolution qui se continue dans tout l'univers chrétien. Partout on a vu les divers incidents de la vie des peuples tourner au profit de la démocratie ; tous les hommes l'ont aidée de leurs efforts : ceux qui avaient en vue de concourir à ses succès et ceux qui ne songeaient point à la servir ; ceux qui ont combattu pour elle, et ceux même qui se sont déclarés ses ennemis ; tous ont travaillé en commun, les uns malgré eux, les autres à leur insu, aveugles instruments dans les mains de Dieu. Le développement graduel de l'égalité des conditions est donc un fait providentiel, il en a plusieurs caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine ; tous les événements, comme tous les hommes, servent à son développement. » On notera l'utilisation du terme "providentiel", vocabulaire des contre-révolutionnaires mais retourné contre eux. Donc inéluctabilité de la démocratie, et cela dans tous les pays du monde, c'est plutôt bien vu et on comprend l'attrait retrouvé pour Tocqueville au moment où le Bien triomphe à Tripoli. Reste que, pour Tocqueville, si résister à l'élan démocratique est aussi vain que des barrages de sables devant la marée montante, il nous appartient de veiller au maintien de la Liberté. Face à la passion égalitaire dévoreuse des libertés particulières, il convient de demeurer le défenseur acharné de ces dernières. Le premier article de la Déclaration du 26 août 1789, prétendument des droits de l'espèce humaine, trahie dès l'origine l'incompatibilité Liberté-Égalité. On sent que ces apprentis sorciers de Constituants se méfient des deux termes ensembles. Tocqueville remarque que l'Amérique a réussi à combiner esprit de liberté et esprit de religion et, sans ignorer le sectarisme des puritains, il constate les progrès éducatifs, la gestion locale des affaires courantes. La religion n'empêche rien : « Loin de se nuire, ces deux tendances, en apparences si opposées, marchent d'accord et semblent se prêter un mutuel appui. »
La liberté menacée
Il faudra donc veiller à la défense de la Liberté - souci chez Tocqueville plus politique qu'économique - mais sans ignorer d'autres menaces. Ainsi, la tyrannie de la majorité, toujours à craindre, se traduit par un despotisme de type nouveau dans lequel le pouvoir est d'autant plus puissant qu'il n'est plus situé dans un individu ou dans un groupe social. Cela rend immatériel le despotisme et la bureaucratie toute puissante. On ne réprime plus les pensées dissidentes, on les rend inconcevables. Il est d'ailleurs inconcevable en France, en 2011, d'être d'Action française, ne trouvez-vous pas ? Plus de nécessité à réprimer, le sentiment général est un solide rempart. En vérité, l'égalité ruine les pensées différentes de celles du grand nombre et, toujours, l'individu préfère s'en remettre à l'opinion publique, garant de sa conformité. Terribles mais combien justes demeurent ces mots de 1840 : « À mesure que les citoyens deviennent plus égaux et plus semblables, le penchant de chacun à croire aveuglément à un certain homme ou une certaine classe diminue. La disposition à en croire la masse augmente et c'est de plus en plus l'opinion qui mène le monde. » Cette faiblesse a sa logique car les hommes préfèrent l'égalité à la liberté ; les biens qu'elle procure sont bien plus immédiats. La passion de l'égalité toujours plus ardente finira tout aussi bien à mettre la société démocratique en contradiction avec elle-même.
À l'heure où triomphe le Bien et où la démocratie complète son tableau de chasse dans des pays parfois inattendus, relisons sans préjugé Tocqueville. Reconnaissons lui la justesse de ses intuitions, la pertinence de ses analyses, quitte à refuser son apparent pragmatisme, où manque peut-être, malgré tout, un peu d'espérance, qui fait notre force.
Marc Savina L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 1er au 14 septembre 2011
Oublié dès la fin du Second Empire, absent des réflexions qui agitèrent le monde jusqu'au mitan du XXe siècle, inaudible dans l'affrontement entre fascisme et communisme, Tocqueville doit sa renaissance à Raymond Aron, auteur en 1967 des Étapes de la pensée sociologique. Dans cet ouvrage fondamental l'adversaire de Jean-Paul Sartre lui redonne toute sa place. Après 1989, la fin du marxisme appliqué donne raison à ce pilier de la démocratie libérale et il est devenu une référence incontournable, toujours cité mais rarement lu.
Le poids des origines
Alexis de Tocqueville est né en 1805 à Paris mais la famille est normande et de vieille noblesse. Il est l'arrière-petit-fils de Malesherbes et proche parent de Chateaubriand par la famille de sa mère, les Rosambo. À l'orée du Premier Empire, les familles aristocratiques sont un peu comme les familles françaises de 1918, elles ont toutes de près ou de loin un mort à pleurer. Chez Tocqueville, on ne se lasse pas d'évoquer le martyr du bisaïeul, avocat courageux de Louis XVI, tout en se gardant bien d'évoquer le très libéral directeur de la Librairie royale sous Louis XV qui, au lieu de censurer L'Encyclopédie, laissait passer volume après volume cette machine de guerre imprimée aux Pays-Bas. On se récrit également sur l'exécution tragique et conjointe du frère aîné de Chateaubriand et de son épouse née Rosambo. Ce couple exécuté pendant la Grande Terreur est au nombre de ceux qui iront fleurir le cimetière de Picpus. Ces martyrs hantent l'imagination du petit Alexis. Chez lui, on se veut légitimiste. « J'avais ressenti jusqu'à la fin pour Charles X un reste d'affection héréditaire » assurera Alexis, devenu jeune avocat. En 1830, lorsque surgit Louis-Philippe, le père d'Alexis, préfet à Versailles, doit renoncer à sa pairie. Quant à ses deux frères, ils s'engagent deux ans plus tard dans l'équipée de la duchesse de Berry avec le résultat que l'on sait. La seule plaidoirie du magistrat Alexis de Tocqueville sera d'ailleurs pour défendre en 1832 son cousin et ami Kergourlay, mouillé dans l'aventure. Cette fidélité familiale ne prédisposait pas un Tocqueville à devenir, quelques décennies plus tard, le maître à penser d'un Giscard, d'un Madelin ou d'un Strauss-Kahn.
Il y a plusieurs raisons au désamour, du moins au désintérêt, dont fut victime auprès de ses compatriotes, et après sa disparition, l'auteur de La Démocratie en Amérique. Contre toute attente, il va prêter serment en 1830 à Louis-Philippe. Incompréhension de la famille devant ce qui passe pour de l'opportunisme. Scandale, rejet, gêne, Alexis suscite le débat. Pour nombre des siens, il est le traître à sa caste. Il le restera longtemps. D'autant qu'en 1848, on le verra participer au gouvernement de la IIe République comme ministre des Affaires étrangères.
Tocqueville l'Américain
Ce soutien à des légalités successives rappelle Rivarol et « la difficulté en Révolution, non pas de faire son devoir, mais de le connaître ». Il n'empêche, Tocqueville comprend tout l'intérêt d'un long voyage outre-Atlantique. Bien avant l'architecte Gabriel Blouet, son ami Gustave de Beaumont se passionne pour les réformes pénitenciaires aux États-Unis et compte s'y rendre. Tocqueville se jette sur l'occasion et propose de l'accompagner. Le voyage dure près d'un an, d'avril 1831 à février 1832. Les deux amis ont des lettres d'introduction de poids : Chateaubriand et La Fayette leur permettent de rencontrer le président Jackson. Munis de ces laissez-passer de poids, ils parcourent le Canada, descendent le Mississippi et découvrent la Louisiane. Les États-unis ne comptent encore que vingt-six États et tout juste vingt millions d'habitants. Pour Tocqueville, les prisons américaines ne sont qu'un prétexte. Il voit autre chose dans ce voyage.
La démocratie française se réclame de la Nuit du 4 Août, ce qui n'est pas le cas du Nouveau Monde né démocrate. Tandis que, chez nous, elle n'a rien de naturel, en Amérique, la démocratie voit le triomphe d'une aristocratie sans noblesse. Semblable au marathon de New York, cette compétition sportive de la Ve avenue, la démocratie américaine est séduisante et contagieuse en apparence, férocement sélective en réalité. La démocratie des Modernes n'est pas celle des Anciens. Celle des Modernes est inséparable de l'industrie, de la science, de la rationalité efficace et utilitariste, et son éclosion européenne a dévoré notre civilisation traditionnelle, non sans résistance. La France est restée attachée à la démocratie des Anciens, à la noblesse et donc à une morale de la générosité ; son utilitarisme est toujours honteux et retors, jamais sans arrière-pensées. La démocratie en France, c'est tout autre chose que la démocratie en Amérique, mouvement spontané qui donne à chacun sa chance mais sans obligation de parvenir, le recours à la violence n'intervenant que rarement. Daniel Halévy résumait, en 1932, la manière très particulière d'être démocrate en France : « Des privilèges pour tout le monde ! » La passion égalitaire est donc l'inévitable pathologie de la démocratie. Elle ne cessera d'être l'arme des démagogues qui règnent par la culture de masse, à grand renfort d'une surenchère ruineuse pour l'intelligence, oppressive pour la bonne humeur. Tocqueville voit déjà tout cela et publie en 1835 un premier volume, suivi d'un second en 1840, La Démocratie en Amérique.
Tocqueville l'Américain – ce qui soit, dit en passant, n'est pas la meilleure façon d'être apprécié sous nos latitudes –, Tocqueville le traître à son camp, qui a épousé une roturière dont il n'aura pas d'enfant, assure plus qu'il ne parie sur l'inéluctabilité du fait démocratique. Les États-Unis donneront l'exemple, c'est sûr, vous n'y pouvez rien, tout sera balayé par le vent démocratique et la noblesse sera pareille à ces Indiens d'Amérique, des loosers en déclin avant leur disparition finale. La démocratie a une vocation universelle et chaque pays succombera à cette nouvelle tentation.
Providence
« De quelques côtés que nous jetions nos regards, nous apercevons la même révolution qui se continue dans tout l'univers chrétien. Partout on a vu les divers incidents de la vie des peuples tourner au profit de la démocratie ; tous les hommes l'ont aidée de leurs efforts : ceux qui avaient en vue de concourir à ses succès et ceux qui ne songeaient point à la servir ; ceux qui ont combattu pour elle, et ceux même qui se sont déclarés ses ennemis ; tous ont travaillé en commun, les uns malgré eux, les autres à leur insu, aveugles instruments dans les mains de Dieu. Le développement graduel de l'égalité des conditions est donc un fait providentiel, il en a plusieurs caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine ; tous les événements, comme tous les hommes, servent à son développement. » On notera l'utilisation du terme "providentiel", vocabulaire des contre-révolutionnaires mais retourné contre eux. Donc inéluctabilité de la démocratie, et cela dans tous les pays du monde, c'est plutôt bien vu et on comprend l'attrait retrouvé pour Tocqueville au moment où le Bien triomphe à Tripoli. Reste que, pour Tocqueville, si résister à l'élan démocratique est aussi vain que des barrages de sables devant la marée montante, il nous appartient de veiller au maintien de la Liberté. Face à la passion égalitaire dévoreuse des libertés particulières, il convient de demeurer le défenseur acharné de ces dernières. Le premier article de la Déclaration du 26 août 1789, prétendument des droits de l'espèce humaine, trahie dès l'origine l'incompatibilité Liberté-Égalité. On sent que ces apprentis sorciers de Constituants se méfient des deux termes ensembles. Tocqueville remarque que l'Amérique a réussi à combiner esprit de liberté et esprit de religion et, sans ignorer le sectarisme des puritains, il constate les progrès éducatifs, la gestion locale des affaires courantes. La religion n'empêche rien : « Loin de se nuire, ces deux tendances, en apparences si opposées, marchent d'accord et semblent se prêter un mutuel appui. »
La liberté menacée
Il faudra donc veiller à la défense de la Liberté - souci chez Tocqueville plus politique qu'économique - mais sans ignorer d'autres menaces. Ainsi, la tyrannie de la majorité, toujours à craindre, se traduit par un despotisme de type nouveau dans lequel le pouvoir est d'autant plus puissant qu'il n'est plus situé dans un individu ou dans un groupe social. Cela rend immatériel le despotisme et la bureaucratie toute puissante. On ne réprime plus les pensées dissidentes, on les rend inconcevables. Il est d'ailleurs inconcevable en France, en 2011, d'être d'Action française, ne trouvez-vous pas ? Plus de nécessité à réprimer, le sentiment général est un solide rempart. En vérité, l'égalité ruine les pensées différentes de celles du grand nombre et, toujours, l'individu préfère s'en remettre à l'opinion publique, garant de sa conformité. Terribles mais combien justes demeurent ces mots de 1840 : « À mesure que les citoyens deviennent plus égaux et plus semblables, le penchant de chacun à croire aveuglément à un certain homme ou une certaine classe diminue. La disposition à en croire la masse augmente et c'est de plus en plus l'opinion qui mène le monde. » Cette faiblesse a sa logique car les hommes préfèrent l'égalité à la liberté ; les biens qu'elle procure sont bien plus immédiats. La passion de l'égalité toujours plus ardente finira tout aussi bien à mettre la société démocratique en contradiction avec elle-même.
À l'heure où triomphe le Bien et où la démocratie complète son tableau de chasse dans des pays parfois inattendus, relisons sans préjugé Tocqueville. Reconnaissons lui la justesse de ses intuitions, la pertinence de ses analyses, quitte à refuser son apparent pragmatisme, où manque peut-être, malgré tout, un peu d'espérance, qui fait notre force.
Marc Savina L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 1er au 14 septembre 2011
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