Préparant
un cours de Première sur « les totalitarismes », je constate que les
manuels scolaires ont parfois un certain retard sur la recherche
historique, à moins qu’il ne s’agisse de mauvaise foi…
En
effet, et quasi-systématiquement, ils évoquent le stalinisme en
omettant de signaler que ce terme n’a jamais été, à l’époque, revendiqué
ni par l’Union Soviétique ni par les partis communistes de l’époque,
tous ralliés dès 1927 à l’autorité de Staline après l’éviction de
Trotsky. En fait, il semble bien qu’il s’agisse de dédouaner le
communisme de cet héritage encombrant et de faire « comme si » la
« dictature du prolétariat » assumée par Staline du milieu des années 20
à 1953, n’était pas une forme possible de l’idéologie et de la pratique
communistes.
Danton et Robespierre ?
Dans
certains manuels (mais pas dans tous, je tiens à le préciser), le déni
de réalité va si loin que l’on évoque le pouvoir de Staline sans même
expliquer d’où il vient et de qui il le récupère : ainsi Lénine, dont on
semble oublier qu’il a forgé, dès novembre 1917 avec l’aide de Trotsky
et de quelques autres de sinistre mémoire, la « matrice totalitaire »,
est « oublié » ou dégagé de toute responsabilité dans ce drame russe.
Les manuels font « comme si » le pouvoir stalinien n’était que la
perversion d’une « heureuse révolution » ou d’une « idée généreuse » que
Trotsky aurait tellement mieux incarné s’il n’avait été chassé par le
méchant Staline… Or, j’explique souvent à mes élèves que, d’une certaine
manière, Trotsky serait une sorte de Robespierre qui a échoué face à un
Danton qui aurait réussi, ici Staline.
En
fait, il subsiste dans nos milieux enseignants et intellectuels, ainsi
que le signalaient Raymond Aron ou Stéphane Courtois, des reliquats de
l’esprit qui s’autoproclame « révolutionnaire » (à défaut de vouloir
concrètement changer les choses, d’ailleurs…) et qui a cru trouver dans
la révolution bolchevique la suite, l’aboutissement, la réussite, de
celle incarnée en 1793-94 par les Montagnards, voyant en Trotsky, après
Lénine le fondateur, celui qui va répandre les idéaux révolutionnaires à
travers le monde. Mais Staline, souvent présenté à tort comme un homme
peu intelligent, est le plus rusé des deux, le meilleur manœuvrier, se
servant de l’appareil du Parti comme d’un véritable cheval de Troie pour
s’installer au Kremlin.
Ainsi,
je ne parle pas, dans le cours que je prépare, de « stalinisme » en
tant qu’idéologie particulière, mais de « communisme incarné par
Staline », ce qui n’a ni le même sens ni la même portée, mais me semble
plus proche de la vérité et, surtout, du « ressenti » des acteurs et des
spectateurs de l’époque.
D’ailleurs,
Lénine et Trotsky me semblent encore plus coupables des horreurs du
totalitarisme que Staline, qui n’a fait que s’installer dans ce fauteuil
de bronze et d’acier forgé par ses compagnons et prédécesseurs, et qui a
utilisé et perfectionné ce que d’autres avaient construit « au nom de
la Révolution ». Il suffit de relire, pour s’en convaincre, les décrets
signés par Lénine dès la fin de l’année 1917 pour constater que Staline
en est un fils, pas forcément spirituel mais sûrement assez « digne » du
père fondateur…
Il
est aussi un élément que j’évoque, c’est l’ambiguïté de Trotsky face à
Staline dans les années 30 : en effet, alors que Trotsky déteste Staline
et le combat, il ne va jamais au-delà de certaines limites en arguant
qu’existe le risque d’une contre-révolution qui, en somme, serait pire
que le règne de Staline. Mais, agissant ainsi, Trotsky ne se fait-il pas
l’allié involontaire de Staline qui, comme le laisse entendre George
Orwell dans « 1984 », est nécessaire pour cristalliser la haine contre
les « traîtres » et, en somme, légitimer la terreur au sein de la
société ? D’ailleurs, la date de l’exécution par Ramon Mercader de
Trotsky est-elle surprenante ? Après tout, en 1940, Staline ne s’est-il
pas trouvé de nouveaux ennemis et un nouvel allié, temporaire, qui lui
permettent de sortir de ce « huis-clos » russe qu’imposaient la paix et
un relatif isolement sur la scène internationale ? Les « ennemis
intérieurs » (au sein du communisme) apparaissent, à ce moment-là, moins
nécessaires pour assurer la cohésion et la stabilité du régime, et
Trotsky perd de son « utilité »...
Les
totalitarismes n’ont pas encore livré tous leurs secrets ou leurs
mystères et, si leur « magie » (noire, très noire…) ne semble plus
opérer, ils ont pourtant encore beaucoup, me semble-t-il, à nous
apprendre sur les sociétés humaines et, plus largement, sur les hommes
eux-mêmes…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire