Tandis
que la crise financière gouverne le monde, on redécouvre avec intérêt
La Tour du Pin, qui voulait bâtir une oeuvre de justice et d'ordre, et
non un simple mouvement d'action charitable. Catholique social, il
soulignait néanmoins que son action n'avait rien de théologique.
Le marquis de La Tour du Pin comptait parmi ses ancêtres d'illustres personnages dont une quinzaine de généraux. On comprend qu'il se destinât à la carrière des armes. Mais l'exemple et l'enseignement de son père le préparaient aussi à son engagement social : « Souviens-toi, lui répétait-il quand ils parcouraient ensemble le domaine familial, que tu ne seras jamais sur cette terre qu'un administrateur pour ses habitants. »
Officier à vingt ans
Officier à vingt ans, affecté à l'École d'état-major, sous-lieutenant en Crimée, il servit pendant la campagne d'Italie. Comme il maîtrisait parfaitement l'allemand, on l'envoya aux grandes manoeuvres prussiennes puis en mission à la cour de Wurtemberg où il put constater la haine de la France chez les représentants de la Prusse. Il publia un article « Au drapeau ! » dans lequel il poussait un cri d'alarme mais la censure édulcora son texte.
En 1870 il participa à plusieurs combats et fut cité à l'ordre du Corps d'armée. Après la capitulation de Bazaine à Metz il fut prisonnier sur parole en Allemagne avec Albert de Mun ; ils découvrirent l'oeuvre d'Émile Keller et le mouvement catholique social de Mgr Ketteler.
Rentré en France, La Tour du Pin reprit du service . La barbarie de la Commune et la sauvagerie de la répression à laquelle se livra la bourgeoisie libérale le confirmèrent dans ses préoccupations sociales. Il fit la connaissance de Le Play et participa avec Albert de Mun au Cercle des jeunes ouvriers de Maurice Maignen. En 1872 fut fondé le premier des Cercles catholiques ouvriers à Belleville, à deux pas du mur des Fédérés. Ce fut un succès ; les Cercles furent bientôt nombreux et l'oeuvre fut connue hors de France. Nommé attaché militaire à Vienne en 1877, la Tour du Pin profita de sa situation pour étudier la vie sociale d'un empire où se parlaient quatorze langues officielles. Frohsdorf étant tout proche, il allait rendre visite au comte de Chambord. Lorsqu'il quitta Vienne, le colonel devint agent du prince en France et démissionna de l'armée après une proposition de coup d'État qu'il fit de la part du Prince et dont le secret n'a pas été complètement percé. Le comte de Chambord n'était pas apathique et fataliste.
La Tour du Pin reprit sa place à la tête de l'OEuvre des Cercles catholiques ouvriers. Comme il ne concevait pas que la question sociale pût être séparée de la question politique, il eut des problèmes avec ceux qu'il appelait les « idéophobes » et qui entraînaient Albert de Mun vers l'action quotidienne avec le moins de doctrine possible. La Tour du Pin voulait bâtir une oeuvre de justice et d'ordre et non un simple mouvement d'action charitable. Il y eut de vives discussions sur la justice et la charité : certains l'accusèrent de « socialisme » !
En 1896 fut fondé le Réveil français ; quelques années plus tard, les idées de La Tour du Pin passèrent du Réveil, alors déclinant, au vieux mais solide journal royaliste, la Gazette de France.
Dans ses Lettres de l'Étranger (1880), La Tour du Pin se préoccupait du Kulturkampf à la française qui menait à une rupture de l'État avec Rome et il exhortait les catholiques à préparer la résistance à la persécution. Mais dans la troisième lettre il soulignait que l'action politique des catholiques en vue de la restauration d'un ordre social chrétien n'a rien de théologique. Soumis à l'autorité doctrinale de l'Eglise, les catholiques ne sont pas soumis au Saint-Siège en tant que citoyens. La Tour du Pin tenait à affirmer cette autonomie politique parce qu'il avait senti que le pape chercherait à détourner les Français de la cause monarchique.
Le Ralliement...
La politique du ralliement prit un caractère officiel le 16 février 1892. Le lendemain, La Tour du-Pin adressait à la Gazette de France et au Journal de l'Aisne une adhésion publique à la déclaration de la Droite royaliste qui refusait l'acceptation automatique de la République. De Mun se rallia mais l'amitié des deux hommes resta intacte. Moins d'un an après, le colonel, qui s'était retiré, reprenait sa place dans l'OEuvre. À l'assemblée générale, il déclara : « Le pape a eu ses grenadiers, il a eu ses voltigeurs ; souffrez qu'il ait aussi ses grognards. » Mais deux ans plus tard, il se retirait définitivement. Dans ses Jalons de route, il évoque son éloignement en des termes empreints d'une élégante délicatesse où transparaît le gentilhomme et le chrétien. La revue L'Association catholique se sépara de l'OEuvre des Cercles.
Partageant son temps entre la propriété familiale d'Arrancy dont il fut le maire et de longs séjours à Paris, il continua son activité politique et sociale (fondation en 1897 du cercle Tradition et Progrès).
Il vit se former dans son salon parisien le petit groupe qui allait devenir l'AF. « Maurras, écrit-il dans une lettre, est pour moi à la hauteur des plus grands penseurs, nos maîtres. » Intraitable sur son indépendance vis-à-vis de toute formation, il fut touché d'apprendre la réaction de Maurras un jour où quelqu'un disait dans un étonnement feint : « Comment ! M. de La-Tour-du-Pin est de l'Action Française ? » « Ce n'est pas M. de La Tour du Pin qui est de l'Action française ; c'est l'Action française qui est de lui. » Il défendit en 1913 les généraux auprès desquels il avait servi contre Émile Ollivier qui cherchait à disculper Bazaine en chargeant ses lieutenants (le capitaine de La Tour du Pin avait déposé au procès du maréchal Bazaine).
Maire sous l'occupation
En 1914, à quatre-vingt-six ans, le lieutenant-colonel de La Tour du Pin demanda à reprendre du service : il rappela son expérience du travail d'état-major, sa connaissance de l'allemand et de l'italien mais l'invasion allemande prévint la réponse ministérielle. Il resta à son poste pour accomplir son devoir de châtelain et de maire, traita avec l'administration prussienne et avança l'impôt que l'ennemi leva sur le village. Il défendit les habitants autant qu'il le put, organisa une boulangerie municipale. Menacé d'une évacuation forcée devant l'offensive française qui se préparait, il notait en 1916 : « Ce serait le plus sage pour la vie sauve ; mais c'est l'abandon du poste social... » Après trente-quatre mois d'occupation, ce fut quelque temps après la déportation, transformée en libération vers la Suisse grâce à la Grande-Duchesse douairière de Bade, fille de l'empereur Guillaume Ier. Après la guerre il reviendra plusieurs fois dans son village qu'il aidera à se relever de ses ruines. Il s'éteint à Lausanne le 4 décembre 1924. Frédéric Le Play fut l'initiateur de la critique scientifique des erreurs sociales de la Révolution. Il découvrit, par une suite d'inductions, que les sociétés humaines se composent de familles et non d'individus et que l'ordre social a des lois qui lui sont propres. La Tour du Pin ajouta à Le Play l'esprit pratique, militant, la critique du libéralisme et le sens de l'État. C'est un des maîtres de la Contre- Révolution, et non des moindres.
Gérard Bedel L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 1er au 14 juillet 2010
Le marquis de La Tour du Pin comptait parmi ses ancêtres d'illustres personnages dont une quinzaine de généraux. On comprend qu'il se destinât à la carrière des armes. Mais l'exemple et l'enseignement de son père le préparaient aussi à son engagement social : « Souviens-toi, lui répétait-il quand ils parcouraient ensemble le domaine familial, que tu ne seras jamais sur cette terre qu'un administrateur pour ses habitants. »
Officier à vingt ans
Officier à vingt ans, affecté à l'École d'état-major, sous-lieutenant en Crimée, il servit pendant la campagne d'Italie. Comme il maîtrisait parfaitement l'allemand, on l'envoya aux grandes manoeuvres prussiennes puis en mission à la cour de Wurtemberg où il put constater la haine de la France chez les représentants de la Prusse. Il publia un article « Au drapeau ! » dans lequel il poussait un cri d'alarme mais la censure édulcora son texte.
En 1870 il participa à plusieurs combats et fut cité à l'ordre du Corps d'armée. Après la capitulation de Bazaine à Metz il fut prisonnier sur parole en Allemagne avec Albert de Mun ; ils découvrirent l'oeuvre d'Émile Keller et le mouvement catholique social de Mgr Ketteler.
Rentré en France, La Tour du Pin reprit du service . La barbarie de la Commune et la sauvagerie de la répression à laquelle se livra la bourgeoisie libérale le confirmèrent dans ses préoccupations sociales. Il fit la connaissance de Le Play et participa avec Albert de Mun au Cercle des jeunes ouvriers de Maurice Maignen. En 1872 fut fondé le premier des Cercles catholiques ouvriers à Belleville, à deux pas du mur des Fédérés. Ce fut un succès ; les Cercles furent bientôt nombreux et l'oeuvre fut connue hors de France. Nommé attaché militaire à Vienne en 1877, la Tour du Pin profita de sa situation pour étudier la vie sociale d'un empire où se parlaient quatorze langues officielles. Frohsdorf étant tout proche, il allait rendre visite au comte de Chambord. Lorsqu'il quitta Vienne, le colonel devint agent du prince en France et démissionna de l'armée après une proposition de coup d'État qu'il fit de la part du Prince et dont le secret n'a pas été complètement percé. Le comte de Chambord n'était pas apathique et fataliste.
La Tour du Pin reprit sa place à la tête de l'OEuvre des Cercles catholiques ouvriers. Comme il ne concevait pas que la question sociale pût être séparée de la question politique, il eut des problèmes avec ceux qu'il appelait les « idéophobes » et qui entraînaient Albert de Mun vers l'action quotidienne avec le moins de doctrine possible. La Tour du Pin voulait bâtir une oeuvre de justice et d'ordre et non un simple mouvement d'action charitable. Il y eut de vives discussions sur la justice et la charité : certains l'accusèrent de « socialisme » !
En 1896 fut fondé le Réveil français ; quelques années plus tard, les idées de La Tour du Pin passèrent du Réveil, alors déclinant, au vieux mais solide journal royaliste, la Gazette de France.
Dans ses Lettres de l'Étranger (1880), La Tour du Pin se préoccupait du Kulturkampf à la française qui menait à une rupture de l'État avec Rome et il exhortait les catholiques à préparer la résistance à la persécution. Mais dans la troisième lettre il soulignait que l'action politique des catholiques en vue de la restauration d'un ordre social chrétien n'a rien de théologique. Soumis à l'autorité doctrinale de l'Eglise, les catholiques ne sont pas soumis au Saint-Siège en tant que citoyens. La Tour du Pin tenait à affirmer cette autonomie politique parce qu'il avait senti que le pape chercherait à détourner les Français de la cause monarchique.
Le Ralliement...
La politique du ralliement prit un caractère officiel le 16 février 1892. Le lendemain, La Tour du-Pin adressait à la Gazette de France et au Journal de l'Aisne une adhésion publique à la déclaration de la Droite royaliste qui refusait l'acceptation automatique de la République. De Mun se rallia mais l'amitié des deux hommes resta intacte. Moins d'un an après, le colonel, qui s'était retiré, reprenait sa place dans l'OEuvre. À l'assemblée générale, il déclara : « Le pape a eu ses grenadiers, il a eu ses voltigeurs ; souffrez qu'il ait aussi ses grognards. » Mais deux ans plus tard, il se retirait définitivement. Dans ses Jalons de route, il évoque son éloignement en des termes empreints d'une élégante délicatesse où transparaît le gentilhomme et le chrétien. La revue L'Association catholique se sépara de l'OEuvre des Cercles.
Partageant son temps entre la propriété familiale d'Arrancy dont il fut le maire et de longs séjours à Paris, il continua son activité politique et sociale (fondation en 1897 du cercle Tradition et Progrès).
Il vit se former dans son salon parisien le petit groupe qui allait devenir l'AF. « Maurras, écrit-il dans une lettre, est pour moi à la hauteur des plus grands penseurs, nos maîtres. » Intraitable sur son indépendance vis-à-vis de toute formation, il fut touché d'apprendre la réaction de Maurras un jour où quelqu'un disait dans un étonnement feint : « Comment ! M. de La-Tour-du-Pin est de l'Action Française ? » « Ce n'est pas M. de La Tour du Pin qui est de l'Action française ; c'est l'Action française qui est de lui. » Il défendit en 1913 les généraux auprès desquels il avait servi contre Émile Ollivier qui cherchait à disculper Bazaine en chargeant ses lieutenants (le capitaine de La Tour du Pin avait déposé au procès du maréchal Bazaine).
Maire sous l'occupation
En 1914, à quatre-vingt-six ans, le lieutenant-colonel de La Tour du Pin demanda à reprendre du service : il rappela son expérience du travail d'état-major, sa connaissance de l'allemand et de l'italien mais l'invasion allemande prévint la réponse ministérielle. Il resta à son poste pour accomplir son devoir de châtelain et de maire, traita avec l'administration prussienne et avança l'impôt que l'ennemi leva sur le village. Il défendit les habitants autant qu'il le put, organisa une boulangerie municipale. Menacé d'une évacuation forcée devant l'offensive française qui se préparait, il notait en 1916 : « Ce serait le plus sage pour la vie sauve ; mais c'est l'abandon du poste social... » Après trente-quatre mois d'occupation, ce fut quelque temps après la déportation, transformée en libération vers la Suisse grâce à la Grande-Duchesse douairière de Bade, fille de l'empereur Guillaume Ier. Après la guerre il reviendra plusieurs fois dans son village qu'il aidera à se relever de ses ruines. Il s'éteint à Lausanne le 4 décembre 1924. Frédéric Le Play fut l'initiateur de la critique scientifique des erreurs sociales de la Révolution. Il découvrit, par une suite d'inductions, que les sociétés humaines se composent de familles et non d'individus et que l'ordre social a des lois qui lui sont propres. La Tour du Pin ajouta à Le Play l'esprit pratique, militant, la critique du libéralisme et le sens de l'État. C'est un des maîtres de la Contre- Révolution, et non des moindres.
Gérard Bedel L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 1er au 14 juillet 2010
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