vendredi 20 juillet 2012

La légende du roi Henri IV


Resté dans les mémoires le plus populaire de nos souverains, Henri IV fut loin, de son vivant, de susciter les mêmes ferveurs. Contesté, détesté, aimé et admiré, par les mêmes et successivement parfois, il peina à faire comprendre son oeuvre réconciliatrice, qui heurtait trop des mentalités devenues partisanes.
La bonne image du premier roi Bourbon, telle qu’elle s’est transmise de génération en génération, y compris à travers les manuels de l’enseignement laïc et républicain, repose en fait sur quelques clichés en général exacts mais qui relevèrent dès l’origine d’une propagande habile.
Une propagande habile
Dans un pays qu’un demi-siècle de guerre civile avait ruiné, oeuvrer à restaurer la prospérité et promettre à des gens qui avaient crevé de faim la poule au pot chaque dimanche valait tous les programmes politiques. Recevoir l’ambassadeur d’Espagne sans cesser de jouer avec les enfants royaux était façon de mettre en évidence la vitalité de la nouvelle dynastie, après des Valois épuisés incapables d’engendrer une postérité mâle viable, donc de mettre un terme au rêve ibérique de ceindre la couronne de France.
Il en est ainsi pour tous ces traits du monarque passés à la postérité dont la bonhomie aimable a dissimulé les profonds calculs. Henri de Navarre, lorsque, le 2 août 1589, l’assassinat de son cousin Henri II le fait de jure roi de France, sait qu’il lui faut tout reconquérir, puis reconstruire. Tâche quasi impossible, qu’il mènera pourtant à bien, avec un incontestable génie. Dans cette stratégie de conquête et de séduction, le faire savoir aura presque autant d’importance que l’action.
Voilà ce que Jean-Marie Constant, l’un des meilleurs spécialistes des mentalités de l’époque, analyse point par point à travers un ouvrage ambitieux et brillant, souvent passionnant, Henri IV, roi d’aventure. Cette étude n’est pas une biographie ; à ce titre, elle suppose connu du lecteur l’essentiel des événements et leur contexte, qu’elle se propose d’éclairer en montrant comment le roi, s’y trouvant confronté comme à autant d’obstacles, a su les utiliser et les retourner à son profit. Henri IV, en effet, doit faire face à l’héritage désastreux du conflit religieux, aux haines vieilles de quarante ans, aux exactions inexpiables des uns et des autres. Calviniste sincère, s’il n’a pas cependant hérité de l’intolérance maternelle, il répugne à abjurer une nouvelle fois, tout en sachant n’avoir pas le choix puisque l’appui de Rome lui est indispensable à tous niveaux. Nécessité qui lui aliénera ses amis protestants sans lui rallier les anciens ligueurs. À la question religieuse s’ajoute la crise de la légitimité royale. L’un des aspects les plus intéressants du livre est la mise en évidence de l’émergence dans la bourgeoisie parisienne guisarde d’un sentiment républicain et démocrate qui rejette pareillement le Valois catholique et le Bourbon huguenot ; religiosité exacerbée mise à part, la ressemblance avec le Paris de la Terreur est frappante.
Conquête d’estime
Il faut donc au roi regagner l’estime de ses peuples par tous les moyens. Pour la noblesse, en incarnant le héros guerrier conforme à l’idéal chevaleresque des romans à la mode ; pour les intellectuels et les clercs, qui penchaient du côté de la Ligue, en ravivant le sentiment royal, national et gallican à travers différents ouvrages abondamment diffusés, dont la Satire Ménippée, finement analysée, est l’archétype ; quant au peuple, les traits de familiarité du souverain, sa simplicité, son authentique gentillesse, ses succès féminins, aideront à le séduire.
En revanche, cette attitude irritera plus d’un membre de l’ancienne cour, et plus d’un politique. Les royales foucades amoureuses seront souvent désastreuses pour l’État, et le débraillé volontaire fera dire à une grande dame qu’elle « a vu le Roi, mais pas Sa Majesté »… Critiques légères eu égard au bilan, mais qui, à l’époque, pesèrent très lourd et contribuèrent à entretenir des rancunes, voire pis encore. Ce n’est pas pour rien que tant de bras s’armeront, nonobstant l’épouvantable supplice promis aux régicides, afin d’abattre celui qui demeure, aux yeux de certains, un tyran qu’il est légitime de supprimer.
Cet Henri IV n’est pas celui de l’histoire, mais celui des passions, livré aux regards, aux appréciations, injustes, des contemporains. Jean-Marie Constant prend grand soin de leur laisser la parole, y compris à travers les cahiers de doléances des états généraux de l’époque, moins manipulés que ceux de 1789, plus proches de l’opinion populaire véritable. Il sait rappeler que tout témoin n’est pas d’obligation fiable, pas plus qu’il n’est fatalement menteur. Il n’omet pas de mettre en évidence que les milieux ligueurs, si décriés, souvent à juste titre, furent aussi ceux sur lesquels se greffa peu après la Contre-Réforme française, aux fruits abondants, preuve que tout, chez eux, n’était pas délires partisans teintés de mysticisme. Ce fut malgré ces obstacles, ces malentendus, ces méprises que le Roi rebâtit la monarchie, plus forte qu’elle ne l’avait jamais été, et redonna à la France les moyens de devenir la première puissance mondiale du temps. Hélas, rares furent ceux qui, tandis que le Béarnais bâtissait cette oeuvre colossale, eurent la vision de l’avenir.
À ceux qui cherchent une étude plus grand public, mais d’une qualité tant littéraire qu’historique cependant incontestable, il faut signaler la réédition de l’excellent Henri IV du regretté Georges Bordonove. Initiateur d’une série, Les rois qui ont fait la France, qui contribua considérablement, au cours des trente dernières années, à débarrasser l’histoire de la monarchie des préjugés et des mensonges trop véhiculés sur son compte, Bordonove alliait à des dons de conteur remarquables, qualité trop méprisée des universitaires, un bel esprit de synthèse, une parfaite honnêteté intellectuelle et des connaissances encyclopédiques nourries à la lecture de tout ce qu’il convenait d’avoir lu sur un sujet. Son Henri IV mené tambour battant vaut tous les romans historiques, à ce détail près que tout y est vrai, authentifié, sérieux, et d’une lecture définitivement accessible à tous, ce qui assura son succès mérité.

Complots à foison
Jean d’Aillon se défend aimablement d’être historien, façon de désarmer les remarques des cuistres ; cela ne signifie point, là non plus, qu’il ne se soit pas documenté aux meilleures sources avant d’entreprendre la rédaction de ses romans historiques. La lecture de l’étonnant procès-verbal de Nicolas Poulain, lieutenant du Prévôt d’Île de France qui, au service d’Henri III, infiltra la Ligue afin d’en démasquer les menées, lui a inspiré une trilogie aux accents dumasiens, La Guerre des trois Henri, qui, sous la fiction, permet une plongée saisissante dans le quotidien des années 1580 finissantes et le foisonnement de complots qui les marquèrent.
Paris, janvier 1585 : un contrôleur des finances, le sieur Hauteville, a été assassiné à son domicile, ses papiers volés ; contre toute raison, on a essayé d’imputer ce crime à son fils unique. Nicolas Poulain, lui, se demande si ce meurtre ne serait pas lié à une fraude fiscale d’énorme envergure qui, depuis quelques années, vide les caisses de l’État et détourne le montant des impôts, sans doute au profit des princes lorrains. Disculpé, Olivier Hauteville se voit chargé d’enquêter sur les rapines du duc de Guise. Décidé à retrouver les assassins de son père, le jeune homme ne se doute pas des dangers de sa mission, ni que d’autres aimeraient récupérer ces sommes. Et quand l’agent du roi de Navarre a les traits de la ravissante Cassandre de Mornay, tout devient très délicat…
Aux côtés des Politiques
Dans le second volume, La Guerre des amoureuses, Hauteville est parvenu tout à la fois à se faire aimer de Cassandre et à mettre fin aux détournements, mais les choses se compliquent par la faute de la duchesse de Montpensier, qui voue une haine égale à Henri III et au Béarnais et veut mettre la maison de Lorraine sur le trône. De son côté, la reine Catherine ruse et intrigue, joue des poisons, des philtres d’amour, se sert de curieux comédiens italiens et oblige une ancienne beauté du fameux escadron volant à reprendre du service. Or, cette dame détient la clef de la mystérieuse naissance de Cassandre. Si haute qu’elle pourrait briser tous les rêves d’amour d’Olivier.
Dans La Ville qui n’aimait pas son roi, Olivier et Cassandre, enfin mariés et ralliés au clan des Politiques qui privilégie l’intérêt de la France, vont tenter, sous de dangereux déguisements, de s’introduire dans Paris insurgé et d’y oeuvrer à amener le rapprochement définitif entre le roi et son cousin devenu l’héritier du trône, tenter, aussi, d’empêcher le moine Clément de se rendre à Saint-Cloud… Voilà du gros roman historique de la meilleure facture, solidement documenté, riche en rebondissements de toutes sortes et fidèle aux lois du genre, pour le plus grand plaisir des amateurs. On n’avait pas fait mieux depuis La Dame de Montsoreau et Les Quarante-cinq.
Anne Bernet L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 15 avril au 5 mai 2010
✔ Jean-Marie Constant : Henri IV, roi d’aventure ; Perrin. 410 p., 23 €.
✔ Georges Bordonove : Henri IV ; Pygmalion, 315 p., 21,90 €.
✔ Jean d’Aillon : Les Rapines du duc de Guise ; Lattès, 520 18 s. La Guerre des amoureuses ; Lattès, 540 p. 18 s. La Ville qui n’aimait pas son roi ; Lattès ; 635 p., 19 €.

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