Avant
notre ère, le territoire compris entre les Pyrénées, les Alpes et le
Rhin (France, Bénélux, Suisse et Rhénanie actuels) avait une unité toute
fictive.
Il
appartenait à l'immense domaine de peuplement celte qui s'étendait des
îles britanniques jusqu'au bassin du Danube et même jusqu'au détroit du
Bosphore (le quartier de Galatasarai, à Istamboul, rappelle encore aujourd'hui la présence des Galates, cousins des Gaulois, dans la région).
La
conquête romaine allait lui donner un semblant d'unité avant que n'en
sortent la France et ses voisins. Contrairement aux idées véhiculées du
Moyen Âge au début du XXe siècle, contrairement aussi à l'imagerie
sympathique d'Astérix le Gaulois, ce n'était en rien un pays de
sauvages avec d'épaisses forêts pleines de sangliers. Les historiens et
archéologues de la fin du XXe siècle ont fait litière de ces préjugés.
André Larané
La Gaule à la veille de la conquête romaine
Cliquez pour agrandirLe territoire entre Rhin et Pyrénées que César appelle Gaules dans son célèbre compte-rendu de la guerre des Gaules est composé d'environ 64 pays relativement divers et d'une unité très factice... C'est aussi un territoire fortement peuplé, aux ressources agricoles et minières abondantes...
Une unité fictive
Les Celtes ont été ainsi appelés par les Grecs. Les noms Galli (Gaulois) et Gallia (Gaule) employés par les Romains et notamment par Jules César dans son célèbre compte-rendu de la guerre des Gaules, viennent du mot celtique galia («force» ou «bravoure»). Notons que le mot actuel gaillard a même racine que gaulois
Au
1er siècle av. J.-C., le territoire compris entre le Rhin et les
Pyrénées est occupé par différents peuples celtes mais aussi ibères ou
germaniques.
Jules César lui-même a perçu cette diversité : «La
Gaule, dans son ensemble, est divisée en trois parties, dont l'une est
habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux
qui dans leur propre langue, se nomment Celtes, et, dans la nôtre,
Gaulois. Tous ces peuples diffèrent entre eux par la langue, les
coutumes, les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par le cours
de la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les plus braves de
tous ces peuples sont les Belges, parce qu'ils sont les plus éloignés de
la civilisation et des mœurs raffinées de la Province, parce que les
marchands vont très rarement chez eux et n'y importent pas ce qui est
propre à amollir les cœurs, parce qu'ils sont les plus voisins des
Germains qui habitent au-delà du Rhin et avec qui ils sont
continuellement en guerre» (La guerre des Gaules).
L'appellation Gaulois donnée
par César aux Celtes du sud de la Seine a été après la conquête élargie
à l'ensemble du pays. Cette appellation a été inspirée au général par
le souvenir de la Gaule cisalpine, une région qui occupe le nord de la péninsule italienne et a longtemps tenu en échec les Romains.
Brennus, le premier Gaulois
En 390 avant JC, la cité de Rome est assiégée par des Gaulois cisalpins, les Sénones.
Les Romains ne doivent leur salut qu'à la vigilance des oies sacrées du
Capitole. Selon l'historien Tite-Live, celles-ci, par leurs cris, les
préviennent d'une tentative d'effraction nocturne des assiégeants.Malgré leur résistance, les Romains sont contraints à la reddition et à un lourd tribut. Comme ils osent mettre en doute la fiabilité de la balance utilisée par les Gaulois pour peser l'or. Le chef gaulois, Brennus, jette son épée sur la balance en lançant : «Vae Victis ! » (Malheur aux vaincus !).
Avant
que les légions de César n'entrent en Gaule, les Romains occupaient
déjà la partie méditerranéenne du pays, dont la capitale avait été
Narbonne avant de devenir Lyon.
Cette région, la Gaule Narbonnaise, était aussi appelée la Province (dont nous avons fait Provence) car c'était dans l'ordre chronologique la première province de Rome.
La Gaule qui échappait à Rome était communément appelée «Gaule chevelue» du simple fait qu'elle était plus boisée que la Gaule méditerranéenne !...
Les régions proches des Pyrénées, habitées par des Ibères ou des Celtibères, étaient plus précisément appelées Aquitaine ; au-delà de la Seine, elles étaient appelées Belgique.
Un pays riche en ressources naturelles
Dès
le milieu du premier millénaire avant notre ère, les Gaulois exploitent
le minerai de fer et le travaillent d’une excellente manière, tant pour
les armes que pour les outils (faux, socs d’araires…). Le site fortifié
de Bibracte, en Saône-et-Loire, révèle ainsi la présence de nombreuses
forges artisanales.
Autre
ressource importante : l’or. Dans le Limousin, on a recensé pas moins
de 250 exploitations artisanales d’or. Les Gaulois font aussi commerce
du sel. Celui-ci provient notamment de sources salées. Il est essentiel à
la bonne santé des animaux et aux salaisons.
Quatrième
ressource naturelle : la pierre de meule (en basalte ou grès dur). Elle
est très importante pour moudre et piler les céréales et fait l’objet
d’un commerce à grande échelle. On a ainsi retrouvé des pierres en
basalte d’Auvergne à 500 kilomètres de leur région d’origine.
Cela
dit, si le fer et les autres produits du sous-sol sont très largement
utilisés par les Gaulois, le bois l’est bien plus encore. Ce premier Âge
du fer serait plutôt un… «Âge du bois», le bois étant utilisé d'habile façon dans l'outillage, l'armement et la construction.
Pour
leur alimentation, les Gaulois cultivent essentiellement des pois
(lentilles, fèves), des légumineuses et des céréales (blé et surtout
orge). La fameuse cervoise, bière gauloise, est issue de la fermentation de l’orge.
Un pays prospère et fortement peuplé
Au
premier Âge du Fer, la Gaule se caractérise par une forte densité de
population avec dix ou douze millions le nombre d'habitants sur le
territoire correspondant à la France actuelle, soit davantage qu'à
certaines époques du Moyen Âge.
Loin
d'être un pays de forêts impénétrables uniquement peuplées de sangliers
comme le laisseraient croire certaines bandes dessinées, elle est en
grande partie défrichée et couverte de belles campagnes comme l'atteste
l'archéologie aérienne. Elle dispose
aussi d’un réseau routier important sur lequel viendra se calquer le
réseau romain. Les Romains ne feront que rectifier certaines courbes de
ce réseau, dont il ne reste plus guère de trace visible.
La
Gaule, soulignons-le, ne connaît pas de villages (ces derniers
apparaîtront seulement aux alentours de l’An Mil de notre ère, au Moyen
Âge). Elle se présente comme un semis de fermes avec une exploitation
agricole tous les 500 mètres environ dans les régions les plus denses.
Les
paysans, du fait d’un sol fertile et d’un climat pluvieux, avec des
étés ensoleillés, disposent de fourrage en abondance. Cela leur permet
de nourrir en hiver du bétail et des animaux de trait. Du coup, ils
amendent les sols avec le fumier de leurs animaux.
Ils sont
aussi en mesure de mécaniser l’agriculture avec des jougs et des
attelages qui ressemblent à s’y méprendre aux mêmes équipements employés
dans les campagnes françaises au début du XXe siècle. Leurs charrettes,
d'une étonnante modernité, ont des roues avec des rayons et un cerclage
de fer. Le timon avant est orientable ; une invention qui sera oubliée à
la fin de l’Antiquité et retrouvée à la fin du Moyen Âge.
La première moissonneuse
Un
bas-relief en pierre découvert dans le bassin parisien atteste de
l'exceptionnel savoir-faire gaulois dans l'agriculture et l'élevage : il
montre une moissonneuse-batteuse antique, poussée par des chevaux et
manoeuvrée par deux hommes !
Les
techniques agricoles des Gaulois paraissent en somme plus avancées que
celles des Romains. D'ailleurs, le potentiel agricole du pays compte
pour beaucoup dans l'intérêt que lui portent les Romains... Comme tous
les peuples méditerranéens, ces derniers ont recours à des esclaves pour
les travaux de la terre, faute de pouvoir entretenir des animaux de
trait. Ces esclaves leur sont fournis par les guerres de conquête. Ils
les dispensent de toute amélioration technique.
En
retour, les Gaulois portent beaucoup d'intérêt à leurs voisins romains.
Ainsi les archéologues ont-ils évalué à une centaine de millions le
nombre d'amphores de vin que les Gaulois leur auraient achetées dans les
siècles précédant la conquête. De quoi justifier leur réputation de
bons vivants et de buveurs.
Ils
commercent aussi avec les peuples de la Baltique, qui fournissent de
l'ambre, et avec les îles Cassitérides (la Grande-Bretagne actuelle) qui
produisent l'étain indispensable à la métallurgie du bronze. Ils
commercent autant sinon davantage avec les Grecs du sud de l'Italie et
de la Grèce, via les ports de la Méditerranée et les routes alpines.
C'est sans doute par l'une de ces routes que le beau cratère de Vix a
abouti entre les mains d'une dame gauloise, sur les bords de la Seine.
Le trésor de Vix
En 1953, on a découvert à Vix, en Bourgogne, la tombe d'une «princesse» celte morte vers 480 av. J.-C..Son trésor funéraire incluait un cratère (vase) en bronze de 1,64 mètre, originaire de l'Italie du Sud qu'on appelait alors la Grande Grèce, ainsi que des coupes originaires d'Athènes et des bijoux en ambre et en or.
Cette découverte atteste que, très tôt, les Celtes de l'hexagone, plus tard appelés Gaulois, avaient des liens commerciaux nombreux avec les civilisations de la Méditerranée
Des dieux et des hommes
Nous avons peu de traces des dieux gaulois. Quatre divinités semblent attestées : Esus, dieu forestier ; Teutatès (le Toutatis d’Obélix), dieu de la tribu ; Taranis, maître du ciel ; Cernunnos, maître du bétail et de la faune sauvage.
Le lien entre les dieux et l'humanité est assuré par les druides, hommes cultivés auxquels on demande conseil, et les bardes,
poètes et musiciens, qui délivrent la parole divine. Par souci de
préserver leur autorité morale, druides et bardes se réservent l'usage
de l'écriture et en dissuadent leurs ouailles.
Contrairement
à ce que laisse croire le druide Panoramix, les prêtres gaulois ne
célèbrent pas le culte dans la forêt mais dans des temples sans doute
assez semblables à ceux que l’on rencontre en Grèce et autour de la
Méditerranée.
Ils
n’utilisent pas non plus de serpe d’or. Cette légende vient du savant
Poséidonios qui, relatant un voyage en pays gaulois en 90 av. J.-C.,
avait sans doute confondu l’or avec le bronze. Mais ils se réunissent
bien chaque année dans le pays des Carnutes (la région de Chartres),
sans doute dans un temple.
Les
Gaulois pratiquent en général l’incinération, avec inhumation de l’urne
funéraire. Ils croient que la mort est une étape dans un cycle de
réincarnations successives qui mène pour finir aux demeures célestes.
Les
guerriers morts au combat échappent au lot commun. Leur dépouille reste
à l’endroit où ils sont tombés mais leur enveloppe immortelle a le
privilège d’accéder directement aux demeures célestes en grillant les
étapes intermédiaires.
Paix et guerre
Au
IIe siècle av. J.-C., le territoire gaulois affiche une relative
prospérité et une quiétude certaine. On voit apparaître des
agglomérations non fortifiées de quelques centaines d’habitants, sans
doute des bourgs de marché similaires à ceux du Moyen Âge, qui
constituent une amorce d’urbanisation.
Mais
tout change brutalement au tournant du 1er siècle av. J.-C. L’Europe
celtique se couvre d’oppidums. Pas moins de 200 sites fortifiés recensés
de l’Atlantique aux Carpates, parmi lesquels Bibracte,
au sud du Morvan (Bourgogne), est l’un des plus importants. La
raison en est mystérieuse. Peut-être l’irruption d’envahisseurs tels les
Cimbres et les Teutons, que les Romains eurent le plus grand mal à
arrêter dans les Alpes provençales en 101 av. J.-C. ?
Dès lors se constituent les «cités» ou «pagi» gaulois : un oppidum entouré d’un maillage de fermes. Certaines de ces cités, telle celle des Éduens,
autour de Bibracte, ont une structure politique assez élaborée avec un
Sénat (pouvoir législatif) et un consulat nommé pour une courte période
(pouvoir exécutif).
Les 64 pays gaulois («pagus»)
sont très différents les uns des autres et sensibles aux influences des
pays riverains (Italie, Germanie, Espagne) et même plus lointains
(Grèce). Certains sont des chefferies héréditaires, d'autres des
républiques plus ou moins démocratiques. Les Éduens, qui
habitent au centre de l'hexagone, sont fortement influencés par la
culture latine. Ils portent les cheveux courts et s'habillent à la
romaine.
Les Gaulois reviennent à la vie
Les
Gaulois et plus généralement les Celtes dédaignaient d’écrire. Ils
préféraient à l’écrit la transmission orale. Lorsqu’ils devaient
néanmoins écrire pour les besoins du commerce, ils se satisfaisaient de
l’alphabet grec. De ce fait, ils ne nous ont laissé aucun document sur
leur culture et leur religion.
Nos
principales sources écrites demeurent le livre de Jules César et
quelques bribes de textes chez des historiens romains. La fragilité de
ces témoignages n’autorise aucune certitude sur les Celtes.
Parlaient-ils la même langue dans les différentes parties de la Gaule et
en Bohème ? Les uns et les autres étaient-ils même celtes ? Nous n’en
savons rien.
En janvier 1789, à la veille de la Révolution française, l'abbé Joseph Sieyès publie un opuscule retentissant : Qu'est-ce que le tiers état ? Dans ce petit ouvrage, il présente les Gaulois et plus précisément les Gallo-Romains comme les ancêtres du tiers état (le peuple), en les opposant aux Francs, ancêtres des nobles et aristocrates.
C'est ainsi que sortent de l'ombre «nos ancêtres les Gaulois»,
éclipsés jusque-là par les chroniqueurs officiels qui se contentaient
de relater les exploits de la monarchie et faisaient remonter celle-ci à
Clovis (Ve siècle de notre ère). Le coq devient le symbole de la Nation
en raison d’une homonymie latine, gallus signifiant à la fois «coq» et «gaulois».
Les
Gaulois vont acquérir leurs lettres de noblesse avec Napoléon III !
Féru d'histoire antique, l'empereur écrit en collaboration avec Victor
Duruy une biographie de Jules César et par la même occasion, se pique de
passion pour Vercingétorix. Il le fait représenter sous ses traits à
Alise-Sainte-Reine, lieu supposé de la bataille d'Alésia.
C'est
le début d'une étrange dichotomie chez les Français cultivés qui
considèrent les Gaulois comme leurs ancêtres et dans le même temps, les
voient comme des sauvages que les Romains ont eu le bon goût de
soumettre et civiliser.
La langue française conserve environ 200 mots d'origine celtique, parmi lesquels alouette,
cheval, mouton, crème, soc, sillon, brasserie, braguette, drap, béret,
chemin, bagnole, jante, copeau, charpente, berceau, tonneau, mine,
étain, lance, javelot, valet... Notons que le mot gauloiserie, allusion à la réputation de bon vivant faite aux Gaulois, apparaît en 1865, en pleine «gallomania».
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