vendredi 4 mai 2012

Jacques Bainville et l’histoire


« Si j’avais un conseil à donner aux étudiants, je leur dirais d’abord : dirigez-vous vers l’histoire, c’est une étude qui n’est jamais perdue. L’histoire est le jugement du monde. Elle est aussi la clinique du monde. Que diriez-vous d’un médecin qui ne serait jamais allé à l’hôpital ? Eh bien ! nous avons eu des hommes d’État qui conduisaient nos affaires dans les temps où l’Europe était sens dessus dessous. Ils ignoraient les précédents. Ils ignoraient les origines et les causes lointaines des événements qu’ils avaient à diriger. » (Appel aux jeunes intellectuels paru dans L’Étudiant français)
La comparaison saisissante entre le médecin qui ne connaîtrait de son art que la partie purement théorique et l’homme politique qui ignorerait la “politique expérimentale” qu’est l’histoire selon Joseph de Maistre, montre l’importance de l’histoire chez Bainville qui pensera toujours la politique historiquement. Et pourtant, avec quelle prudence Jacques Bainville s’est-il intéressé à l’histoire ! Comme il s’est méfié des enseignements fallacieux qu’elle peut apporter si on l’entend mal ! A-t-elle un sens ? N’est-ce pas un chaos, ou, à tout le moins, un ensemble flou et relatif ?
« Qui se souvient des premiers actionnaires qui ont risqué leur argent pour construire des chemins de fer ? À ce moment-là ils ont été indispensables. Depuis, par voie d’héritage ou d’acquisition, leurs droits ont passé à d’autres qui ont l’air de parasites. Il en fut de même pour les droits féodaux et des charges qu’ils avaient en contre-partie. Transformés, usés par les siècles, les droits féodaux n’ont disparu tout à fait qu’en 1789, ce qui laisse une belle marge au capitalisme de notre temps. Mais, de même que la création des chemins de fer par des sociétés privées fut saluée comme un progrès, ce fut un progrès, au Xe siècle, de vivre à l’abri d’un château fort. Les donjons abattus plus tard avec rage avaient été construits d’abord avec le zèle qu’on met à élever des fortifications contre l’ennemi. » (Histoire de France)
« Bonaparte venait continuer la Révolution et la guerre pour les frontières naturelles, qui ne finirait qu’à Waterloo. Le 18 Brumaire a trompé et dupé l’homme de la rue qui voulait l’ordre mais qui criait aussi : “Vive la paix !” » (Le 18 Brumaire)
Faire et défaire
Comme la France s’était alliée aux protestants d’Allemagne au XVIIe siècle pour lutter contre les Habsbourg, les Français accordèrent leur sympathie à la Prusse alors que le danger autrichien n’était plus qu’un souvenir : « Qu’il est curieux d’observer à travers les âges la persistance et la répétition des mêmes erreurs ! » (Couleurs du temps)
Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, les républicains étaient militaristes et bellicistes, ils demandaient l’annexion de la Belgique et de la Rhénanie ; deux générations plus tard, ils seraient pacifistes et antimilitaristes. Au traité de Paris de 1856 qui mettait fin à la guerre de Crimée, les Anglais et les Français, qui fermèrent les Dardanelles aux Russes, ignoraient qu’ils combattraient cinquante ans plus tard pour leur ouvrir les mêmes détroits. « Faire et défaire, serait-ce donc le dernier mot de l’histoire ? » (Histoire de trois générations)
« Nous sommes toujours portés à croire que ce qui a réussi devait réussir, que ce qui a échoué était voué à l’échec. Les raisons pour lesquelles le coup d’État serait mené à bien étaient puissantes. Et pourtant, toutes ces raisons auraient pu ne pas suffire. Il s’en est fallu de peu que l’entreprise ne fût manquée. C’est assez d’une maladresse, d’un grain de sable, pour changer le cours de l’histoire, et l’insuccès trouve ensuite dans la “fatalité” ou dans la “force des choses” les mêmes justifications que le succès. » (Le 18 Brumaire, Hachette, 1925)
Pour voir clair en histoire, il faudra donc chercher l’invariant sous le changement en allant à l’essentiel : « Qu’est-ce donc que l’histoire ? Avant tout une abréviation. Il y a longtemps qu’on a dit que l’art de l’historien consistait à abréger, sinon on mettrait autant de temps à écrire l’histoire qu’elle a mis à se faire. Seulement c’est une abréviation d’un caractère particulier qui ne s’étend pas également à toutes les époques. C’est une sorte de cône dont le présent est la base et qui va s’amincissant vers le passé. On pourrait donc presque dire que l’histoire, au lieu d’être l’art de se souvenir, est l’art d’oublier. » (Revue Universelle, 15 juillet 1924)
Il faudra donc trouver quelques grandes lois de la vie des hommes, et surtout des règles que le bon sens, aidé par la culture, devra adapter à chaque époque et à chaque cas, car la politique et l’histoire ne sont pas des sciences, mais des arts qui s’appuient sur des sciences auxiliaires, comme la médecine dont Bainville parlait si heureusement dans le parallèle rapporté plus haut.
GÉRARD BEDEL L’Action Française 2000 du 21 février au 5 mars 2008

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