Le
25 juin 1928, le gouvernement français dévalue le franc des 4/5e de sa
valeur. La monnaie nationale ne vaut plus que le cinquième de la
contrepartie en or du franc d'avant 1914, le franc Germinal, créé par Napoléon Bonaparte un siècle plus tôt.
Cette
dévaluation massive met un terme à la crise financière qui agite le
pays. Elle est le résultat d'une politique courageuse menée envers et
contre tous par le président du Conseil Raymond Poincaré,
un conservateur austère et sans charisme de 67 ans, qui a déjà eu
l'écrasante responsabilité de présider la République française tout au
long de la Grande Guerre.
Joseph Savès
Retour raté
Ayant
renoncé à briguer un deuxième mandat en février 1920, Poincaré est
appelé à la présidence du Conseil (la direction du gouvernement) par le
président Paul Deschanel en janvier 1922. Il se montre intransigeant sur
les réparations de guerre dues par l'Allemagne et va jusqu'à occuper la Ruhr en janvier 1923. L'affaire se solde par un fiasco total et Poincaré doit remettre son tablier le 1er juin 1924.
Entre temps, son échec a fait le jeu de l'opposition de gauche et permis à celle-ci, le «Cartel des gauches»,
de remporter les élections législatives du 11 mai 1924. Mais les
nouveaux gouvernements, dirigés notamment par le maire de Lyon Édouard
Herriot, vont se casser les dents sur la crise économique. La France se
remet d'autant plus difficilement des destructions et des pertes
humaines de la Grande Guerre qu'elle doit composer avec une monnaie
surévaluée, dont la parité en or est toujours fixée à son cours
d'avant-guerre.
Faute de mieux, Édouard Herriot et le «Cartel des gauches» rejettent sur un hypothétique «Mur d'argent» (coalition des possédants) la responsabilité de leurs échecs.
Retour réussi
Dans
l'impasse, le 21 juillet 1926, le président Gaston Doumergue appelle
Raymond Poincaré à former un cabinet d'union nationale, qui réunit les
droites et le parti radical, grand parti charnière du centre, à
l'exclusion des socialistes (SFIO) et des communistes.
Fort
de son prestige, le nouveau chef du gouvernement constitue une équipe
de choc avec seulement treize ministres, mais des recrues de choix,
principalement d'anciens ou de futurs présidents du Conseil ! Barthou,
Briand, Painlevé, Sarraut, Herriot, Tardieu, Queuille... Lui-même se
réserve le ministère de l'économie en plus de la présidence du Conseil.
La
confiance des milieux d'affaires et des épargnants revient aussitôt. La
conjoncture internationale, il est vrai, est favorable : le monde
occidental connaît une euphorie économique (les «Années folles») et la question des réparations allemandes est en voie de règlement avec le plan Dawes qui a été adopté le 1er septembre 1924.
En
une seule journée, le 3 août 1926, Poincaré fait adopter par la Chambre
des députés un important train de mesures fiscales : possibilité
d'augmenter par décret les droits de douane, majoration des droits sur
les boissons..., taxe sur le capital immobilier, impôt unifié sur le
chiffre d'affaires et, pour «faire passer la pilule», réduction de 60 à 30% du taux de l'impôt général sur le revenu.
Là-dessus,
réunissant solennellement les parlementaires à Versailles, le 10 août
1926, il crée une « Caisse d'amortissement des bons du Trésor ». Sa
fonction est de collecter les recettes générées par certains impôts et
taxes, ces recettes devant être affectées au remboursement de la dette
de l'État. Les épargnants sont ainsi assurés de récupérer leur mise.
Les
résultats, rapides, satisfont l'opinion : les rentrées fiscales
augmentent cependant que les prix à la consommation tendent à baisser,
en partie du fait de la revalorisation du franc !
Mais
le chef du gouvernement a conscience que les mauvaises habitudes de
laxisme budgétaire pourraient vite reprendre le dessus, ainsi que la
tentation de rehausser le cours du franc à son niveau d'avant-guerre,
pour des motifs essentiellement idéologiques (orgueil national,
nostalgie de la «Belle Époque», effacement des séquelles de la Grande Guerre).
Une dévaluation de raison
Poincaré veut éviter à tout prix l'erreur de Churchill,
chancelier de l'Échiquier, qui a restauré la livre sterling à son
niveau de 1914 et porté de ce fait un coup sévère aux exportations
britanniques. Il prend le temps de la réflexion ; après tout, le temps
joue pour lui et en faveur de la dévaluation, rendant celle-ci de moins
en moins évitable, quoiqu'en pense la droite conservatrice, porte-parole
des épargnants.
Enfin,
Poincaré se décide à dévaluer le franc. Celui-ci pèse désormais 65,5
milligrammes d'or au titre de 900 millièmes, contre 322,58 milligrammes
d'or lors de sa création par Bonaparte par la loi du 7 germinal an XI
(27 mars 1803). On a désormais environ une livre pour 125 francs et un
dollar pour 25 francs.
La
mesure permet de restaurer la convertibilité du franc en lui donnant
une valeur réaliste. Les comptes publics et les échanges se redressent
et l'année 1929 se présente sous les meilleurs auspices... 1929 ! Le 26
juillet, pour cause de prostate, Poincaré se retire avec les honneurs.
Mais son gouvernement demeure en place sous la présidence d'Aristide
Briand (l'homme de la séparation des Églises et de l'État ainsi que du rapprochement franco-allemand) puis d'André Tardieu.
Le
ministère des Finances est confié à Henri Chéron. Celui-ci,
maladroitement, fait valoir l'existence d'une réserve de quelques
milliards (une «cagnotte» comme on dira plus tard dans le
gouvernement Jospin, 1997-2002). Aussitôt montent les convoitises autour
de ces milliards disponibles...
Par un excès de confiance, André Tardieu, président du Conseil de novembre 1929 à décembre 1930, fait fi du krach de Wall Street,
qui survient le 24 octobre 1929. Il pense, avec quelque raison, que la
France est à l'abri de ses conséquences et proclame sa volonté de faire
la «politique de la prospérité». Usant sans frein de la «cagnotte» budgétaire, il rompt avec l'orthodoxie budgétaire de Poincaré.
C'est ainsi que son ministre de la Guerre André Maginot engage la construction de la ligne fortifiée qui porte son nom.
Tout aussi important, le gouvernement Tardieu institue le 30 avril 1930 un régime d'assurance vieillesse obligatoire
pour tous les salariés modestes par la loi et, le 28 juin 1930
(anniversaire du traité de paix), la retraite du combattant. Ajoutons
que sous un deuxième et bref gouvernement Tardieu, le ministre du
Travail Pierre Laval promulgue la loi du 11 mars 1932 sur les assurances sociales, à l'origine de la Sécurité Sociale.
En dépit de ces libéralités, le franc Poincaré, allégé, permet à la France d'échapper jusqu'en 1932 aux retombées néfastes du krach...
Mais
celles-ci vont redoubler d'intensité du fait de la dévaluation de la
livre sterling en 1931, rendant inéluctable une nouvelle dévaluation du
franc, en 1936, sous le Front Populaire, en dépit de la déflation Laval de l'année précédente.
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