Orientaliste,
arabisant, archéologue et diplomate, il fut l’artisan d’une politique
allemande au Proche Orient pendant la première guerre mondiale
La
famille von Oppenheim est aujourd’hui sous les feux de la rampe: sa
banque est accusée par les juges de Cologne de faillite frauduleuse, de
malversations immobilières, suites logiques de la faillite de la société
commerciale Arcandor (Karstadt/Quelle) en 2009. La société bancaire
“Sal. Oppenheim”, ébranlée par la crise immobilière de l’automne 2008,
est devenue insolvable et a été reprise par la Deutsche Bank. Ainsi
s’est terminée l’histoire d’une famille de banquiers allemands qui a
duré 220 ans. Elle avait été fondée en 1789 par un garçon de 17 ans,
Salomon Oppenheim junior.
D’une
toute autre trempe que les lamentables banquiers de la famille en ce
début de 21ème siècle, était le Baron Max von Oppenheim, diplomate,
orientaliste et archéologue. Né le 15 juillet 1860 dans la famille
d’Albert von Oppenheim, un banquier converti au catholicisme en 1858, le
jeune Max a toujours refusé le plan de vie que lui suggérait son père:
faire des affaires et devenir banquier à son tour. Dès 1879, il étudie
les sciences juridiques à l’Université de Strasbourg et obtient son
titre de docteur en droit à Göttingen en 1883. En 1891, il réussit les
examens d’”assesseur” à Cologne. L’année suivante, il s’installe au
Caire, muni d’une bonne bourse offerte par son père. Max entend
apprendre la langue arabe. En Egypte, depuis l’occupation du pays par
les Britanniques en 1882, c’est le Consul Général anglais qui gouverne
le pays de facto.
Max
von Oppenheim entendait vivre en Egypte comme “un simple Mahométan,
afin de parfaire sa connaissance de l’arabe et d’étudier l’esprit de la
religion islamique, ainsi que les moeurs et les coutumes des indigènes”.
Il entreprit pendant son séjour égyptien plusieurs voyages d’étude en
Afrique orientale et au Proche Orient. En tant qu’archéologue, il
découvrit en 1899 la colline de Tell Halaf, habitée dès la
protohistoire et située sur le territoire de la Syrie actuelle; il géra
ensuite les fouilles sur le site de la ville araméenne de Gouzana,
vieille de 3000 ans, entre 1910 et 1913 puis entre 1927 et 1929. Sa
réputation d’archéologue de premier plan était faite.
En
1896, Max von Oppenheim devient l’un des collaborateurs du Consul
Général d’Allemagne au Caire. En 1900, il monte en grade: il est
conseiller auprès de la légation et, jusqu’en 1910, assume le poste de
ministre résident. A partir de septembre 1914, il organise et dirige à
Berlin un bureau de traduction, qui, après avoir perçu des subsides de
l’état-major général, devient l’“Office des renseignements pour
l’Orient” (NfO ou “Nachrichtenstelle für den Orient”). Le motif qui a
poussé l’état-major à financer et à annexer officieusement ce bureau de
traduction était la nécessité de connaître l’importance stratégique de
la Turquie pour le Reich allemand. Rappellons que la première mission
militaire allemande a été envoyée en 1882 et que la construction du
fameux chemin de fer vers Bagdad a commencé en 1903. Il convenait
également de saisir les intérêts économiques d’une alliance avec
l’Empire ottoman: la Deutsche Bank et Siemens avaient fondé en 1899 la
“Société des chemins de fer anatoliens”; Krupp était le principal
fournisseur d’armements à la Turquie. Enfin, il s’agissait aussi, dès
les prémisses annonciatrices de la Grande Guerre, de contrer les
campagnes de presse orchestrées contre l’Allemagne par les Anglais et
les Français.
Lorsque
l’Empereur Guillaume II, en automne 1898, tint quelques propos de table
à Damas à l’adresse du Sultan ottoman Abdülhamid II et des 300 millions
de musulmans du monde pour dire “que pour le reste des temps,
l’Empereur d’Allemagne sera leur ami”, il s’inspirait directement de Max
von Oppenheim. Celui-ci avait constaté au début du voyage de
l’Empereur: “Plus que jamais, le Sultan est considéré aujourd’hui, dans
tout le monde musulman, comme le plus puissant des princes mahométans et
le souverain et le protecteur des lieux saints. Pour une grande
puissance qui le considèrerait comme ennemi, il peut apparaître comme un
adversaire peu dangereux mais serait au contraire un allié précieux
dans une lutte contre tout Etat qui aurait de nombreux sujets
musulmans”.
En
effet, peu après l’entrée de la Turquie dans la Grande Guerre aux côtés
de l’Allemagne, en novembre 1914, le Sultan Mohammed V proclame la
Djihad. Mais cette proclamation n’a pas les effets souhaités dans le
déroulement de la guerre, car les puissances de l’Entente, surtout les
Anglais, parviennent, par l’action de leur agent T. E. Lawrence (dit
“Lawrence d’Arabie”), à soulever les Arabes contre les Ottomans.
Le bureau NfO, qui ne dépendait pas du gouvernement allemand, mais travaillait étroitement avec le ministère des affaires étrangères, disposait d’un département de presse qui produisait et diffusait pamphlets et tracts, publiait un journal pour les prisonniers musulmans, un organe de dépêches et une revue intitulée “Der Neue Orient” (= “Le Nouvel Orient”). Cette revue recevait partiellement le soutien du ministère des affaires étrangères mais était largement financée par la fortune privée de Max von Oppenheim: c’est ainsi que furent édités plusieurs écrits comme “Indien unter britischer Faust” (= “L’Inde sous la férule britannique”), “Russische Greueltaten” (= “Atrocités russes”), “Englische Dokumente zur Erdrosselung Persiens” (= “Documents anglais sur l’étranglement de la Perse”), de même qu’une chronique illustrée sur le déroulement de la guerre (“Illustrierte Kriegschronik”), en langues arabe, perse, turque, ourdoue et tatar, selon le théâtre d’opération où elle était diffusée.
Le bureau NfO, qui ne dépendait pas du gouvernement allemand, mais travaillait étroitement avec le ministère des affaires étrangères, disposait d’un département de presse qui produisait et diffusait pamphlets et tracts, publiait un journal pour les prisonniers musulmans, un organe de dépêches et une revue intitulée “Der Neue Orient” (= “Le Nouvel Orient”). Cette revue recevait partiellement le soutien du ministère des affaires étrangères mais était largement financée par la fortune privée de Max von Oppenheim: c’est ainsi que furent édités plusieurs écrits comme “Indien unter britischer Faust” (= “L’Inde sous la férule britannique”), “Russische Greueltaten” (= “Atrocités russes”), “Englische Dokumente zur Erdrosselung Persiens” (= “Documents anglais sur l’étranglement de la Perse”), de même qu’une chronique illustrée sur le déroulement de la guerre (“Illustrierte Kriegschronik”), en langues arabe, perse, turque, ourdoue et tatar, selon le théâtre d’opération où elle était diffusée.
Après
la mise sur pied de la NfO en 1915, Max von Oppenheim fut envoyé à
Constantinople pour y créer une nouvelle organisation, qui devait
travailler étroitement avec le ministère des affaires étrangères et le
NfO. Dejà dans son memorandum de 1914 et dans un écrit sur le travail de
propagande à effectuer en Orient au départ de l’ambassade allemande à
Constantinople, Oppenheim déclarait: “La propagande turque doit être
centralisée à Constantinople tout en étant téléguidée et soutenue par
les Allemands mais cela doit être fait de telle manière que les Turcs
puissent croire qu’ils ont à leurs côtés des conseillers amicaux et
qu’ils sont en fait les seuls et vrais auteurs et diffuseurs de cette
propagande”.
Ainsi,
sur tout le territoire de l’Empire ottoman, 75 officines d’information
seront installées, entre le début des activités de von Oppenheim en 1915
et l’automne de 1916. Sur les murs de ces bureaux, on pouvait voir des
portraits du Sultan, de ministres et de généraux turcs mais aussi des
empereurs d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie et de généraux allemands.
Les visiteurs pouvaient utiliser des pupitres de lecture pour y lire les
dépêches du jour, les communiqués militaires et les brochures
d’information et de propagande qui apportaient la contradiction à la
presse de Turquie et du Levant, généralement dominée par les bureaux
français. Les activités de la NfO et l’organisation des officines de
propagande étaient gérées sur un mode professionnel et visait à donner
une image favorable de l’Allemagne sur le long terme dans tout l’Orient:
cette image s’est bien ancrée dans cette région du monde, n’a certes eu
aucune influence concrète sur le déroulement des hostilités proprement
dites pendant la Grande Guerre mais, en dépit de la défaite des
puissances centrales, l’image de l’Allemagne bénéficie toujours là-bas
d’une aura positive. C’est indubitablement un résultat tangible des
activités de von Oppenheim.
Max
von Oppenheim était un idéaliste mais aussi un homme d’esprit pétri de
culture politique. Pendant la seconde guerre mondiale, il a résidé à
Berlin jusqu’en 1943, avant de s’installer à Dresde. Il est décédé le 15
novembre 1946 des suites d’une pneumonie. Ce “demi-juif”, selon le
jargon du Troisième Reich, s’était adressé le 25 juillet 1940 au
ministère des affaires étrangères de son pays, en lui adressant un
mémorandum. Envoyé au sous-secrétaire d’Etat Theo Habicht, ce mémorandum
contenait les grandes lignes d’un projet germano-arabe. A propos de ce
projet, l’arabisant et historien du Proche Orient G. Schwanitz écrit:
“Max von Oppenheim n’a certes donné aucun titre à son mémorandum mais,
s’il fallait en choisir un de pertinent, nous pourrions écrire
‘Révolutionner les territoires musulmans de nos ennemis’”. Deux jours
plus tard, le 27 juillet 1940, le sous-secrétaire d’Etat Habicht répond
au baron von Oppenheim et lui dit que “les questions soulevées dans son
mémorandum sont d’ores et déjà traitées en long et en large par le
ministère”.
Ce
que visait von Oppenheim en 1940 est entièrement résumé dans
l’introduction à son mémorandum: “Comme directeur des informations pour
l’Orient auprès du ministère des affaires étrangères et, plus tard,
auprès de notre ambassade à Constantinople pendant la Grande Guerre, je
me permets, à l’heure où la guerre contre l’Angleterre entre dans sa
phase décisive, de proposer ce qui suit: le moment est venu pour nous
d’oeuvrer avec énergie contre l’Angleterre au Proche Orient. Deux tâches
m’apparaissent urgentes: 1) Fournir à Berlin des informations directes
et fiables venues du Proche Orient; 2) Il convient de révolutionner
d’abord la Syrie contre les projets d’occupation des Anglais, ensuite de
pratiquer la même politique dans les régions arabes voisines comme
l’Irak, la Transjordanie, la Palestine et l’Arabie Saoudite. L’objectif
serait de clouer là-bas un maximum de forces britanniques, de géner
l’exportation de pétrole et, ainsi, d’handicaper sérieusement
l’approvisionnement des flottes commerciales et militaires de la
Grande-Bretagne, de paralyser le trafic maritime sur le Canal de Suez et
de le bloquer pour les Anglais et, finalement, d’anéantir la domination
britannique sur le Proche Orient”.
(article anonyme paru dans DNZ, Munich, n°51/2011).
R.Steuckers
R.Steuckers
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