Livre
militant. Issu de la Nouvelle Droite (abrégé ND) et publié par la
maison d’édition de la Nouvelle Droite. Livre daté donc en quelque
sorte. Ce qui n’enlève rien, ni à sa qualité, ni à son actualité.
L’apparition
de la ND dans les années 70 provoqua un véritable tsunami intellectuel.
La certitude établie que la France possédait la droite la plus bête du
monde volait subitement en éclats. La gauche n’en crut ni ses yeux ni
ses oreilles. Voici que des intellectuels de haut-vol regroupés autour
d’A. de Benoist et de M. Marmin s’en allaient chasser sur des terres
inaccoutumées. C’est que la ND commença par un crime de lèse-majesté.
C’est une vieille tactique militaire que d’attaquer du côté par où l’on
vous attend le moins. Panique à gauche : la ND osait se revendiquer du
théoricien communiste italien Gramsci.
Certes il n’était pas question pour ses affiliés de s’inscrire au
Parti, ils se contentèrent de faire main-basse sur le concept gramscien,
non plus de lutte de classe, mais de lutte de culture. En termes
marxistes disons que la ND avait compris qu’elle ne verrait son triomphe
politique qu’une fois que ses propres idées seraient devenu le fonds
commun de l’idéologie dominante. Plus facile à dire qu’à faire, mais au
contraire d’Archimède la ND possédait et son levier et son point d’appui
pour soulever le monde !
C’est
que la ND prenait les ouailles habituelles à revers : les gauches
révolutionnaires ou réformistes comme les droites traditionnelles ou
extrémistes. Alors que l’on s’attendait à une résurgence modernisée de
l’alliance du Royaume et de l’Autel, la Nouvelle Droite sortit de sa
poche deux joujoux relégués depuis si longtemps au magasin des
antiquités que l’on avait fini par croire qu’ils n’avaient jamais
existé, l’Empire et le Paganisme. À gauche, c’était en ces temps où l’on
tendait avec componction et gravité la main aux chrétiens de gauche,
l’on avait oublié que la Révolution française s’était déroulée à l’ombre
exemplaire de la République Romaine et de la tutélaire société des
Égaux spartiate. L’on s’étrangla de fureur devant ces trouble-fête qui
investissaient le champ si symbolique de Mars que l’on avait laissé en
friches depuis si longtemps. La bobonne vieille droite réactionnaire et
catholique s’estima poignardée dans le dos par de dangereux extrémistes.
De tous côtés l’on s’activa dare-dare à dresser autour des troublions
un périmètre de concentration et de sécurité des plus efficaces…
Les
années ont passé. Le monde a changé. La ND n’a jamais su ou pu
concrétiser son démarrage foudroyant. Les causes de son échec à court
terme demanderaient de longues explications qui ne sont pas du ressort
de ce modeste article. Mais une chose est sûre et indéniable : si l’on
peut parler aujourd’hui, même dans ce que ce terme présente
d’artificialité et de superficialité, d’un renouveau païen en Europe et
en France, force est de reconnaître que la Nouvelle Droite est en grande
partie responsable de l’émergence de cette vaste mouvance. Dans Le Renouveau Païen dans la Pensée Française
J. Marlaud, tout en partageant notre point de vue sur l’opérativité de
la ND quant à l’éclosion de cette nouvelle sensibilité, s’essaie à
reconstituer la généalogie philosophique et littéraire de ce phénomène
de renaissance païenne.
Une
chose est sûre : nous ne procédons pas du même cheminement. Pour nous,
nous sortons tout droit de l’héritage impérieux. Tout petit nous y
sommes tombés dedans. Comme beaucoup, par les canaux de liaison à notre
portée immédiate : les livres. Nous n’avons eu qu’à tendre la main et à
saisir sur l’étagère les Discours de Cicéron ou l’Anabase
de Xénophon. Nous ne nions pas qu’il nous a fallu beaucoup de temps
pour relier tout ce qui nous fut donné épars, dans le désordre chaotique
de sa mise à mort, mais enfin, les Dieux étaient-là, et relever les
autels renversés n’était pas une tâche insurmontable. D’autant plus que
nous avions des prédécesseurs, un Byron, un Heredia, un du Bellay, nous
avaient déjà dégagé le chemin. Les Dieux et les Poëtes partagent les
mêmes rituels de foudre. J. Marlaud ne remonte pas plus loin. Il placera
sa première borne bien plus près, chez Montaigne.
Mais son paganisme théorique est surtout et avant tout le résultat
d’une démarche intellectuelle précise qui s’imposera à lui comme le
résultat tactique d’une réflexion métapolitique poussée jusqu’au bout de
ses principes.
En
homme de droite J. Marlaud possède son chiffon rouge, sa hantise, son
fantôme : le marxisme. Éradiquez la philosophie marxiste et le
communisme s’effondrera. En fait c’est le contraire qui est arrivé, mais
ceci est une autre histoire ! Et qu’est-ce que le marxisme si ce n’est
une resucée laïque du christianisme ? Ensuite il suffit d’un peu de
logique et de quelques connaissances historiques. Non l’athéisme ne fut
pas l’ennemi du christianisme ! Les chrétiens étaient d’ailleurs accusés
d’athéisme par l’administration romaine ! L’adversaire du monothéisme
chrétien fut et restera le paganisme européen ! Beaucoup s’étonneront de
cette hargne principielle contre le christianisme. Quelle idée baroque
que d’aller tirer de leur sommeil de plomb les anciens Dieux ! Juste au
moment où l’Église perdait ses brebis à foison ! Plus grand monde à la
messe du dimanche, et de toutes les façons y aurait-il eu foule qu’il
n’y avait pratiquement plus de curés pour distribuer le pain bénit de la
rédemption ! Avec le recul l’on s’aperçoit que le cadavre est encore
agité de tressaillements indésirables. Ayons l’œil, les romains se sont
fait avoir avant nous : ils n’avaient pas prévu le coup de la
résurrection. Ne dédaignons pas les secours des Dieux antiques. Ils ont
perdu une bataille, mais pas la guerre. Mais revenons à J. Marlaud.
Certes
le christianisme a du plomb dans l’aile nous assure-t-il mais
l’essentiel de son message s’est sécularisé et imprègne si bien les
consciences que la plupart des individus, de manière plus ou moins
volontariste ou inconsciente, suivent et propagent des valeurs
chrétiennes. J. Marlaud en inventorie les principales. Ainsi à l’idée de
fraternité christique s’est substituée la notion d’égalité des êtres
humains. De la Déclaration des Droits de l’Homme aux utopies anarchistes
les plus radicales ce principe d’arasement métaphysique de toutes les
différences a été décliné jusqu’à plus soif dans nos sociétés modernes.
Alors que la société païenne instaurait le règne hiérarchique des
puissances institutionnelles le christianisme a perverti et brouillé les
cartes de la reconnaissance sociale. Privées de leurs ossatures
rituelles les organisations castiques se sont effritées de l’intérieur
gagnées par le vertige grégaire du plus grand nombre à se réconforter en
la croyance mutuelle de leur stricte identité égalitaire.
Nous
n’avons rien à redire à cette analyse de J. Marlaud si ce n’est qu’il
ne nous semble pas avoir intégré à son raisonnement l’aspect dialectique
des processus évoqués. Ce n’est pas de la faute du christianisme s’il a
eu raison du paganisme. C’est le paganisme qui s’est d’abord effondré
de l’intérieur, de lui-même et selon sa propre idéologie, et qui n’a
ensuite subsisté qu’en tant qu’arbre mort, debout certes encore, mais
qui ne se doute pas que le prochain vent automnal le boutera à terre.
Lorsque les ilotes s’emparent du pouvoir, les maître n’ont qu’à s’en
prendre à eux-mêmes de leurs propres faiblesses. Ils en portent
l’entière responsabilité. Rien ne sert de gémir. Ni de pleurnicher.
Souvent nous assénons des décisions dont nous n’avons pas étudié les
plus lointaines conséquences. L’appât du gain et du pouvoir a obnubilé
les élites païennes des deux premiers siècles de la Rome Antique. Devant
l’immense concentration de richesses opérées il ne restait plus aux
larges masses populaires que leurs deux yeux pour pleurer. Le Christ a
donné une raison de vivre à leurs larmes.
Ce
ne sont pas les chrétiens qui ont tué l’Imperium, c’est l’Imperium qui a
couvé les lentes du christianisme. Comme l’oiseau qui s’en va
réchauffer l’œuf du serpent et se fait dévorer le jour de l’éclosion. Le
pire c’est qu’un phénomène de cette importance est difficile à analyser
par ceux qui assistent à son déploiement. Il arrive un moment où les
contradictions se démultiplient : l’unité de tous ceux qui ont
objectivement raison de se liguer contre ce nouvel état de fait en train
de poindre, se lézarde. Les rencontres individuelles, le goût de la
nouveauté, l’envie de se démarquer de ses pairs, un ressentiment
quelconque, et mille et un arbrisseaux, examinés un par un, vous voilent
la forêt qu’ils sont en train de devenir.
Le
christianisme aurait perverti notre sensibilité. Nous n’en doutons pas.
En serions-nous pour autant la proie des valeurs spécifiquement
féminines : pacifisme, économisme, sentimentalisme ? Certainement, à
condition de ne pas oublier que la femme est une construction culturelle
hominienne au même titre que le personnage souvent falot et ridicule du
mari. Et en ce sens les valeurs que J. Marlaud lui prête sont tout
autant celles de l’homme. C’est que l’homme et la femme, artefact
biblique et sociétal, sont aussi semblables que le mâle et la femelle
sont authentiquement dissemblables. Nous sommes soumis aux desiderata
d’une idéologie émolliente et avilissante. Inutile d’en rejeter la
faute sur quelqu’un d’autre. Le plus court chemin est souvent celui du
renoncement à être soi-même. Désigner un fautif c’est déjà vouloir lui
ressembler. Reconnaissons nos faiblesses et nos lâchetés. À plus amer
que la gamète diabéique de notre miroir se doit notre sang.
Le
paganisme de J. Marlaud est essentiellement idéologique. Le nôtre
absolument politique. Et pour cela beaucoup plus proche de son essence.
Car toute idéologie est, de par sa nature explicative même, rattaché de
très près comme de très loin à la monothéique notion de vérité. J.
Marlaud a négligé l’aspect de jeu sophistique qui est à la base de tout
discours païen. Ce qui suit est un peu malhonnête de notre part car nous
nous jouons d’un anachronisme qu’en 1986 notre auteur était dans
l’impossibilité naturelle d’observer : depuis quelques années la ND use
d’une moindre virulence quant à son positionnement pro-païen. Toute
idéologie est versatile car le critère de vérité doit s’adapter à toutes
les oscillations de l’adaptation pragmatique de l’Unité conceptuelle
intangible confrontée à la Multiplicité mouvante du réel, du désir et de
la volonté. Il n’est pas étonnant que les premiers auteurs
considérables étudiés en ce volume soient, tout de suite après
Montherlant, Gripari, Pauwels et Jean Cau. Un chapitre en entier leur
est chaque fois consacré. Nous aurions commencé pour notre part par
quelques pages sur Homère et Virgile, Empédocle et Lucain. Simple
différence de perspective. Reste que les pages sur Montherlant sont
superbes et que ce livre de J. Marlaud est une des meilleures études de
cette étendue que nous ayons lue sur les origines du renouveau païen de
la pensée française.
► André Murcie, Littera Incitatus (bulletin n°26), 2006. http://vouloir.hautetfort.com
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