jeudi 23 février 2012

1415 : Une France sans chef

Cette année-là, la trente-cinquième de son règne, Charles VI, quarante-sept ans, n’était, hélas, plus en état de s’intéresser aux événements dramatiques que vivait le royaume de France. Depuis ce sombre jour d’août 1392 où, dans la forêt du Mans, il avait vu soudainement un homme en haillons s’emparer des rênes de son cheval et que, se croyant entouré d’ennemis, il s’était mis à donner de furieux coups d’épée sur tout son entourage, le roi avait commencé de donner d’alarmants signes de folie. L’année suivante où lors d’une fête costumée ayant mal tourné, il avait vu quatre de ses compagnons mourir brûlés vifs et n’avait que de justesse échappé au même sort, son mal s’était aggravé et il se trouvait depuis lors plongé ordinairement dans une véritable hébétude.
Comme à chaque fois que le roi était inapte à gouverner, la situation était devenue républicaine, les oncles du roi s’étant attribué la régence et n’ayant réussi qu’à attiser les querelles partisanes en vue de manipuler la population parisienne. Des « journées » réellement révolutionnaires se déroulaient au moment même où le roi d’Angleterre (Henri IV, puis son fils Henri V à partir de 1413), revendiquait de plus belle le trône de France. Car on était en pleine « guerre de Cent Ans » – cette guerre cruelle qui aurait été bien écourtée si le sage Charles V (1338-1380) avait régné plus longtemps sur la France. Avec l’aide de Du Guesclin n’avait-il pas renvoyé les Anglais chez eux ?
Le malheur voulait qu’en France, en ce début de XVe siècle, la plupart des têtes pensantes fussent mûres pour l’abandon. Le laisser-aller était à la fois politique, intellectuel, universitaire, moral et spirituel. Des rêves d’Europe marchande édifiée sur les ruines du royaume capétien agitaient les esprits affairistes, à commencer par le propre oncle du roi Philippe le Hardi, duc de Bourgogne et aussi par mariage comte de Flandre, chef du parti bourguignon, dont le fils Jean sans Peur, avait en 1407 fait assassiner le duc d’Orléans, frère du roi et chef du parti français, dit armagnac. Depuis lors, les foules déchaînées se battaient dans Paris.
Dès son avènement sur le trône anglais, Henri V, vingt-huit ans, avait pensé que son heure était venue. La France sans chef sombrait dans tous les désordres tandis que lui se préparait, s’organisait, calculait.
Azincourt
Depuis août 1414, il demandait la main de Catherine, treize ans, fille de Charles VI et d’Isabeau de Bavière. Sans réponse il débarqua le 13 août 1415 à Harfleur avec 1 400 navires et 30 000 hommes. Le siège fut plus difficile qu’il ne le prévoyait ; il lui fallut en septembre tenter de remonter vers Calais pour mettre à l’abri son armée épuisée et atteinte de dysenterie.
Or voici contre toute attente, que le roi de France ayant convoqué le ban et l’arrière ban, et même la piétaille, une armée française de plus de 30 000 hommes sous les ordres du connétable d’Albret, vint couper la route aux Anglais qu’elle rencontra entre Azincourt et Tramecourt, non loin de l’estuaire de la Somme. C’était le 24 octobre, veille de la Saint Crépin. comme le ferait remarquer un jour Shakespeare. Henri V, qui ne disposait que d’à peine 15 000 hommes fatigués se sentit défaillir.
Or la France perdit sa chance. D’Albret ne pouvait qu’appliquer les volontés des princes représentant le Roi (Orléans, Bourbon, Alençon), mais ceux-ci dédaignaient les avis de militaires chevronnés comme le maréchal de Boucicaut. Bainville dit à ce sujet :
« Nous n’avions plus d’autres soldats que ces gentilhommes imprudents. »
Résultat : des heures perdues en tergiversations, une nuit passée à dos de cheval faute de pouvoir dormir sur le sol détrempé, et au matin du 25, les Anglais ayant repris confiance en eux, les soldats français complètement déconcertés par l’avalanche des flèches ! Une vraie boucherie pied à terre à coups de haches et d’épées, sur un sol boueux où les gentilhommes s’engloutissaient. Le roi anglais ayant facilement pris 1 700 prisonniers les fit exécuter aussitôt contre toutes les règles de la chevalerie. En tout 10 000 Français tués – la fine fleur de la noblesse française ! – contre 1 600 du côté anglais. Charles d’Orléans, neveu du Roi, fut emmené captif en Angleterre. Il devait y rester vingt-cinq ans, cultivant quand même avec bonheur la poésie.
Le désastre était total. Henri V allait cinq ans plus tard obtenir d’Isabeau de Bavière tout ce qu’il voulait. Mais il restait encore deux fils à Charles VI (Jean, et Charles) et à Domrémy une petite Jeanne avait trois ans… Avec l’aide de Dieu, la France ne serait pas perdue.
MICHEL FROMENTOUX  L’Action Française 2000  du 3 au 16 juillet 2008

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